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Neutralisons !

Blog - Anathème - femme musulman.e neutralité port du voile par Anathème

juin 2021

Le retour de la polé­mique autour du port du voile fait souf­fler un vent de frai­cheur sur nos socié­tés trau­ma­ti­sées par la pan­dé­mie : enfin, la vie reprend son cours nor­mal et nous per­met de reve­nir à nos occu­pa­tions favo­rites, au pre­mier rang des­quelles, édic­ter des règles rela­tives à la vêture fémi­nine. Nous voi­là donc repar­tis pour une […]

Anathème

Le retour de la polé­mique autour du port du voile fait souf­fler un vent de frai­cheur sur nos socié­tés trau­ma­ti­sées par la pan­dé­mie : enfin, la vie reprend son cours nor­mal et nous per­met de reve­nir à nos occu­pa­tions favo­rites, au pre­mier rang des­quelles, édic­ter des règles rela­tives à la vêture fémi­nine. Nous voi­là donc repar­tis pour une récon­for­tante empoi­gnade autour de la ques­tion de la neu­tra­li­té dans les ser­vices publics. 

Ce simple fait est réjouis­sant, mais il nous faut admettre un gout de trop peu. En effet, les posi­tions dans ce champ sont par trop fri­leuses, sur­tout chez les tenants d’une neu­tra­li­té forte des ser­vices publics.

Une chose est acquise, certes : nous avons tous com­pris qu’une femme voi­lée et condui­sant un tram ou une rame de métro de la STIB mena­çait gra­ve­ment la neu­tra­li­té du ser­vice public. La soup­çonne-t-on de mener son véhi­cule de manière isla­miste ? De faire de sa conduite un outil de pro­sé­ly­tisme maho­mé­tan ? De com­mettre des excès de vitesse en direc­tion de la Mecque ? On ne sau­rait trop le dire, et cela n’a au fond aucune impor­tance. En effet, la neu­tra­li­té des ser­vices publics ne dépend pas seule­ment des actes, mais aus­si, voire sur­tout, des apparences. 

En quoi consiste une appa­rence non neutre ? C’est assez dif­fi­cile à défi­nir, mais il semble cer­tain que le fait d’être visi­ble­ment musul­man en fait par­tie. Un large consen­sus se fait jour pour esti­mer que tout usa­ger des ser­vices publics ser­vi par quelqu’un qu’il soup­çonne d’adhérer à l’islam peut légi­ti­me­ment craindre qu’il ne s’acquitte pas impar­tia­le­ment de sa tâche, sans avoir à rien démon­trer d’autre qu’une évi­dente musulmanité.

Or, une femme por­tant un fichu sur la tête peut certes avoir per­du ses che­veux et vou­loir le cacher, mais elle peut aus­si — et sur­tout — être musul­mane ! Dans ces condi­tions, et comme ce fut abon­dam­ment rele­vé sur les réseaux sociaux, il est évident qu’un usa­ger por­teur d’une kip­pa pour­rait à bon droit craindre de vivre un tra­jet non neutre entre la porte de Namur et l’arrêt Aren­berg, ou de se voir vendre un ticket non neutre par ladite femme sus­pec­te­ment voi­lée. En faut-il davan­tage pour jus­ti­fier une res­tric­tion des liber­tés fon­da­men­tales de ladite per­sonne appa­rem­ment non neutre ? Non !

Il va sans dire que cette posi­tion n’a rien de dis­cri­mi­nant ni de raciste. Elle se base juste sur la défi­ni­tion de la neu­tra­li­té et sur deux constats objec­tifs : d’une part, le fou­lard per­met de soup­çon­ner l’adhésion à l’islam et, d’autre part, les musul­mans éveillent la méfiance d’une large part de la population.

Le pro­blème n’est donc pas que la femme voi­lée soit musul­mane, il est qu’elle ait l’air de l’être. L’apparence musul­mane est donc pro­blé­ma­tique, mais on com­prend mal pour­quoi ce ne serait le cas que lorsqu’une femme le rend visible par le port d’un voile. En effet, il est incon­tes­table que, à Bruxelles du moins, une femme basa­née a l’air arabe et qu’une femme arabe a l’air musul­mane. Com­ment ima­gi­ner un ins­tant qu’elle puisse se consa­crer à un ser­vice public sans faire naitre des doutes quant à sa neu­tra­li­té chez une par­tie consi­dé­rable des usa­gers ? Il faut en conclure que, puisqu’il faut écar­ter des ser­vices publics les femmes d’allure musul­mane, des mesures doivent être prises vis-à-vis de toutes les femmes basanées. 

Plus encore, et c’est là une vic­toire consi­dé­rable de l’égalité, ce sont tous les basa­nés, hommes et femmes, qui doivent être visés, car il est incon­tes­table que la rela­tion entre colo­ri­mé­trie et assi­gna­tion reli­gieuse fonc­tionne indif­fé­rem­ment pour les deux sexes.

Il ne faut voir là aucune inten­tion de dis­cri­mi­ner une par­tie de nos conci­toyens, mais bien la ferme volon­té de pré­ser­ver la neu­tra­li­té appa­rente des ser­vices publics, valeur car­di­nale de nos socié­tés ouvertes et tolérantes.

Alors qu’une femme voi­lée peut ôter son fou­lard, une per­sonne basa­née ne peut pas chan­ger de cou­leur de peau, me direz-vous ? Certes, mais si nous vou­lons être logiques avec nous-mêmes — et si nous vou­lons être équi­tables — il nous faut appli­quer dans toute sa rigueur l’impératif de neu­tra­li­té et tenir compte du fait que l’apparence musul­mane n’est pas neutre, même lorsqu’elle s’exprime autre­ment que par le voile, et même lorsqu’elle concerne une per­sonne qui n’est pas musulmane. 

Reste un écueil : il va fal­loir déter­mi­ner qui est d’apparence musul­mane ? Rien de plus simple, en fait. Puisqu’il s’agit de rendre jus­tice à la légi­time méfiance des usa­gers vis-à-vis de tout ce qui leur parait étran­ger, il suf­fit de consti­tuer des panels de citoyens qui, sur pho­to par exemple, et éven­tuel­le­ment assis­tés de colo­ri­mètres, se char­ge­ront de déter­mi­ner quelles per­sonnes paraissent suf­fi­sam­ment non musul­manes pour être enga­gées à la STIB ou pour n’en pas être licenciées.

C’est un réel sou­la­ge­ment que de voir que les raf­fi­ne­ments de notre civi­li­sa­tion nous ont per­mis de tour­ner le dos aux pra­tiques anciennes de dis­cri­mi­na­tion pour délit de sale gueule et de mettre en place des règles claires garan­tis­sant des ser­vices publics res­pec­tueux de chacun.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.