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Négocier avec des fondamentalistes ?

Blog - e-Mois - Europe Grèce grexit UE (Union européenne) par Christophe Mincke

juillet 2015

Les Grecs se sont couchés. 

L’atmosphère était ten­due, les gens hur­laient, s’invectivaient sur les réseaux sociaux, nos « repré­sen­tants » dans les diverses ins­ti­tu­tions étaient pris à par­tie, on convo­quait les prix Nobel d’économie, on exhu­mait les cas­se­roles des uns et des autres.

e-Mois

La vic­toire écla­tante du OXI (non) au réfé­ren­dum grec fut un coup de théâtre. Voi­là que le peuple concer­né, celui qui souffre depuis des années, en vain, sous la férule aus­té­ri­taire, voi­là que les Grecs refu­saient cou­ra­geu­se­ment de plier. Le « ber­ceau de la démo­cra­tie » repous­sait le pou­voir de la finance. Quel symbole !

Et puis, M. Varou­fa­kis démis­sionne. Et puis, M. Tsi­pras capi­tule. En rase cam­pagne. Une red­di­tion sans condi­tion. Sans même obte­nir de restruc­tu­ra­tion de la dette grecque. Il est appa­ru trop clai­re­ment que la Grèce n’oserait pas ten­ter le Grexit et ce fut la curée.

On a dit mille fois que la ques­tion, pour la Troï­ka, n’était pas de faire payer la Grèce. Du moins pas en euros. Cha­cun sait – ou devrait objec­ti­ve­ment recon­naître – que la dette grecque est impayable, comme tant de dettes sou­ve­raines. L’honnêteté intel­lec­tuelle aurait dû mener au constat de l’échec cui­sant de l’austérité de ces der­nières années. Nul ne peut d’ailleurs croire à son suc­cès demain. Cha­cun sait que c’est folie que d’éventrer la poule aux œufs d’or dans l’espoir d’y trou­ver un fabu­leux tré­sor. Rien, en ses entrailles, que de très ordi­naire. Seule­ment, morte, elle ne pon­dra plus.

Il est bien clair que l’enjeu est autre. Il est avant tout de faire bar­rage au retour du poli­tique sur la scène éco­no­mique et bud­gé­taire. L’idéologie actuelle1, qui se réclame de la pure ratio­na­li­té, n’entend pas lais­ser de place à un com­bat d’idées et de pro­jets de socié­té. Il faut aus­si satis­faire les opi­nions publiques natio­nales. La Grèce importe peu pour les « négo­cia­teurs » alle­mands, fin­lan­dais ou fran­çais. Par contre, la sta­bi­li­té du gou­ver­ne­ment, la pro­chaine échéance élec­to­rale, ça…

C’était donc une ques­tion de prin­cipes. Les créan­ciers étaient prêts à tout perdre, à ris­quer le Grexit, pour évi­ter que ne puisse s’exprimer une autre vision du monde et de la dis­ci­pline qui doit y régner.

Naïfs que nous sommes, nous qui avons cru que l’on négo­ciait, que l’on cher­chait un com­pro­mis, qu’une voie médiane était pos­sible ! On ne négo­cie pas avec des fon­da­men­ta­listes. Ceux-ci ne cherchent pas d’accord, ils cherchent la vic­toire. Ou le sacri­fice de soi. Il n’est d’autre manière de com­mer­cer avec des fon­da­men­ta­listes qu’en étant prêts au sacri­fice ultime. Il est sans doute à l’honneur d’Alexis Tsi­pras d’avoir hési­té à plon­ger son pays et son peuple dans le chaos, mais il est main­te­nant évident qu’il était inutile de s’acharner à dis­cu­ter avec des fanatiques.

Demain, la Grèce conti­nue­ra sa des­cente aux enfers ; comme des dizaines de pays en dif­fi­cul­tés aux­quels les exor­cismes libé­raux ont été infli­gés, sa situa­tion empi­re­ra. Elle expie­ra pour l’édification de tous. Et les créan­ciers ne rever­ront pas leur argent. Pas celui des Grecs, en tout cas, celui-là est per­du. Par contre, les autres débi­teurs, effrayés du sort réser­vé aux héré­tiques, délie­ront désor­mais les cor­dons de la bourse, quoi qu’il leur en coûte.

Je ne sais s’il fal­lait aller jusqu’au Grexit, je ne sais s’il faut sacri­fier ce que l’on a de plus cher pour l’emporter sur des fon­da­men­ta­listes, je ne sais si une sou­mis­sion désho­no­rante n’est pas meilleure qu’une infer­nale révolte. Je ne sais pas.

Ce que je sais, c’est que le com­pro­mis social-démo­crate, déjà mori­bond, vient de mou­rir avec le pro­jet euro­péen. Le temps n’est plus à la négo­cia­tion. On ne cou­pe­ra plus la poire en deux. Du moins pas avec l’accord des gar­diens du temple.

Ce que je sais aus­si, c’est qu’en met­tant sous tutelle la Grèce, en lui impo­sant d’entériner démo­cra­ti­que­ment des réformes fon­da­men­tales, en lui impo­sant de sou­mettre au contrôle des créan­ciers tout pro­jet nor­ma­tif qui aurait un impact bud­gé­taire, l’Europe a clai­re­ment enté­ri­né la pri­mau­té de la dis­ci­pline bud­gé­taire sur la démo­cra­tie. Long­temps, on avait pen­sé que la démo­cra­tie pri­mait sur tout. Que même si un peuple se trom­pait, son erreur était légi­time. Rien ni per­sonne ne pou­vait le mettre sous tutelle pour empê­cher son éga­re­ment. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La volon­té d’un peuple vaut moins que les inté­rêts de ses créanciers.

Sou­dain, me reviennent les paroles d’une chan­son de Pink Floyd, Post War Dream, dans laquelle, en 1983, alors que Mar­ga­ret That­cher se fait réélire suite au « suc­cès » de la guerre des Malouines :

What have we done, Mag­gie what have we done ?
What have we done to England ?
Should we shout, should we scream
“What hap­pe­ned to the post war dream?”
Oh Mag­gie, Mag­gie what have we done ?2

Qu’avons-nous fait à l’Europe, Ange­la ? Qu’avons-nous fait de nos rêves d’après la deuxième Guerre, lorsque l’Europe por­tait la pro­messe d’un conti­nent fra­ter­nel et solidaire ?

  1. Chris­tophe Mincke, « Pen­ser le Grexit comme un pois­son dans la nasse ? », E‑mois — Un blog de la Revue nou­velle, 30 juin 2015, http://www.revuenouvelle.be/Penser-le-Grexit-comme-un-poisson-dans-la-nasse.
  2. Qu’avons-nous fait, Mag­gie, qu’avons-nous fait?/Qu’avons-nous fait à l’Angleterre?/Devrions-nous crier, devrions-nous hurler/« Qu’est-il arri­vé à notre rêve d’après-guerre ? »/Oh Mag­gie, Mag­gie qu’avons-nous fait ? »

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.