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Musulmans comment ? Musulmans tout court !

Blog - e-Mois - Charlie Hebdo Médias par Simon Tourol

janvier 2015

Les tra­giques évé­ne­ments qui ont ensan­glan­té la France, la presse et la liber­té d’expression en ce début d’année ont sus­ci­té, comme on sait, de for­mi­dables mobi­li­sa­tions démo­cra­tiques : indi­vi­duelles et col­lec­tives, natio­nales et mon­diales, de toutes obé­diences et de toutes convic­tions. Mais, on l’a lu sous la plume d’éditorialistes les mieux inten­tion­nés, des réac­tions n’ont pas […]

e-Mois

Les tra­giques évé­ne­ments qui ont ensan­glan­té la France, la presse et la liber­té d’expression en ce début d’année ont sus­ci­té, comme on sait, de for­mi­dables mobi­li­sa­tions démo­cra­tiques : indi­vi­duelles et col­lec­tives, natio­nales et mon­diales, de toutes obé­diences et de toutes convic­tions. Mais, on l’a lu sous la plume d’éditorialistes les mieux inten­tion­nés, des réac­tions n’ont pas évi­té la gan­grène des mots-pièges, ces mots qui construisent insi­dieu­se­ment ce que leurs auteurs entendent dénon­cer. Ain­si en va-t-il des « musul­mans modé­rés », insup­por­table expres­sion sans doute répé­tée inno­cem­ment, en toute bonne foi, mais dont les col­por­teurs ne voient pas le poi­son. Dési­gner des « musul­mans modé­rés », c’est sou­li­gner en creux qu’à côté de ceux-là (accep­tables, gen­tils, pas dan­ge­reux) se trouvent natu­rel­le­ment et évi­dem­ment les « non-modé­rés » (méchants, ter­ro­ristes, infré­quen­tables). La caté­go­ri­sa­tion ain­si décré­tée ne dis­tingue pas les musul­mans et les isla­mistes (on peut même ajou­ter ici « radi­caux » si l’on craint de ne pas être clair) confor­mé­ment à la triste réa­li­té. Elle sub­di­vise le pre­mier groupe, nous sug­gé­rant qu’il s’y cache for­cé­ment des isla­mistes en puis­sance. Qui ça ? Sans doute tous ceux qui parlent trop fort ; ceux qui ne disent pas ce que les non-musul­mans veulent entendre ; ceux qui portent la barbe et la djel­la­ba en plein Bruxelles ; ceux dont l’épouse, la fille, la cou­sine portent le foulard… 

Dans la bouche ou sous la plume de ceux qui vou­laient pro­mou­voir le dia­logue et nous pré­ve­nir contre les risques d’amalgames, le contre-effet est aus­si patent que conster­nant. Leur vien­drait-il à l’esprit, dans le même réflexe condi­tion­né, de qua­li­fier sys­té­ma­ti­que­ment les socia­listes « d’honnêtes », les prêtres de « chastes » et les femmes de « vertueuses » ?

Évo­quer les « musul­mans modé­rés » conduit aus­si les com­men­ta­teurs — qui ne manquent pas de logique — à une autre atti­tude détes­table : som­mer ces musul­mans de condam­ner haut et fort les actes des isla­mistes (« radi­caux »). Les pre­miers ont beau répé­ter qu’ils ne sont ni les copains ni les frères et encore moins les com­plices des ter­ro­ristes, rien n’y fait. « Certes, on peut trou­ver les réac­tions des musul­mans trop timides. Mais des gestes existent », lisait-on ain­si dans La Libre Bel­gique du 9 jan­vier. Pour­quoi fau­drait-il que la « com­mu­nau­té musul­mane » (à sup­po­ser qu’elle existe) se jus­ti­fie, se confesse ou se mette à dis­tance chaque fois qu’un isla­miste (« radi­cal ») tue ? Une chose est d’apprécier qu’un musul­man prenne l’initiative de dire « Pas en mon nom », « Pas au nom de ma reli­gion », autre chose est de lui repro­cher de ne pas l’avoir fait. On a res­pec­té l’autonomie et la liber­té de l’autre dans la pre­mière hypo­thèse. On l’a enfer­mé et caté­go­ri­sé dans la seconde.

Le public n’attend pas du Soir et de La Libre qu’ils exhibent leurs valeurs et leur effroi chaque fois que Sud­presse ou La Der­nière Heure dérapent. Les pre­miers ras­semblent pour­tant des jour­na­listes modérés. 

Oups.

Pho­to cc tomlem

Simon Tourol


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