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Mort pour nous

Blog - Anathème - Citoyenneté justice sociale sacrifice par Anathème

avril 2018

S’il est une épreuve dans laquelle on recon­nait l’humaniste, l’homme de bien, c’est celle du dépas­se­ment des appa­rences, pour voir un sem­blable dans le réprou­vé, le paria, le déclas­sé, pour tendre la main à la loque humaine, pour accueillir la parole du « monstre », pour récon­for­ter le dif­forme. Pour y par­ve­nir, il faut se mon­trer capable de s’abstraire […]

Anathème

S’il est une épreuve dans laquelle on recon­nait l’humaniste, l’homme de bien, c’est celle du dépas­se­ment des appa­rences, pour voir un sem­blable dans le réprou­vé, le paria, le déclas­sé, pour tendre la main à la loque humaine, pour accueillir la parole du « monstre », pour récon­for­ter le difforme.

Pour y par­ve­nir, il faut se mon­trer capable de s’abstraire des dis­cours conve­nus, des ragots, des hur­le­ments de la meute et des idées reçues. Quand les médias dénoncent, quand le public lynche, il faut oser sor­tir du groupe et for­ger sa propre opi­nion. Hier, Drey­fus, aujourd’hui Snow­den, avant-hier le Che­va­lier de La Barre, aujourd’hui Yvan Mayeur… la liste est longue de ceux que tout accu­sait, que tous accu­saient, mais qui furent sau­vés ou réha­bi­li­tés par des huma­nistes qui croyaient en l’Homme.

Jus­te­ment, Yvan Mayeur, jeté en pature à la popu­lace par une presse aux ordres, a récem­ment pu béné­fi­cier du sou­tien de gens de presse droits et vision­naires. Ain­si, dans un « entre­tien-confes­sion » — sans conces­sion — mené par une cou­ra­geuse jour­na­liste, l’homme qui fut un jour assez puis­sant pour sous­traire au tra­fic cer­taines rues de Bruxelles s’explique. Lui qui per­dit tout du jour au len­de­main, au pré­texte qu’il avait gagné plus de 100.000€ aux frais du Samu­so­cial, sur fond de conflits d’intérêt et de ges­tion irré­gu­lière, vient en effet de publier un livre pour se justifier.

Choi­sis­sant astu­cieu­se­ment de s’épargner et la lec­ture du livre, et un réexa­men com­plet du dos­sier, Nawal Ben­sa­lem a ten­du le micro à l’auteur, lequel connait fort oppor­tu­né­ment tant le bou­quin que l’affaire. L’occasion de faire écla­ter la véri­té. L’homme, en plus d’être beau (« j’ai la taille man­ne­quin ») et élé­gant (« je m’habille faci­le­ment et avec gout »), est bon. Il s’est dévoué pour les pauvres et a per­çu une juste rému­né­ra­tion pour cela. Parce qu’il est un pro. Il est tel­le­ment bon et tel­le­ment pro qu’il a méri­té une rému­né­ra­tion astro­no­mique, si on la com­pare à celle des tra­vailleurs de terrain.

Mais pour­quoi la chute de cet homme irré­pro­chable ? C’est un assas­si­nat ! Et pas n’importe lequel : un crime pas­sion­nel, moti­vé par la jalou­sie. Sous la pudeur de l’homme bles­sé — il a vou­lu en finir —, on devine une per­son­na­li­té solaire, de ces indi­vi­dus dont la fré­quen­ta­tion ne vous laisse pas indemne, mi-Ghan­di, mi-JFK. Tous deux assas­si­nés — comme lui ! —, ils savent ce qu’il en coute de vou­loir faire adve­nir le règne de la jus­tice… et d’être trop par­fait. La jalou­sie des gens moins minces, moins élé­gants, moins bons, leur fut fatale. Comme à Yvan.

Ce der­nier, réser­vé, à demi-mots, fai­sant avec un déli­cat à pro­pos un paral­lèle avec les vio­lences intra­fa­mi­liales — « Mon psy me dit que la jalou­sie, c’est une mala­die extrê­me­ment grave. Il y a des gens qui tuent leur conjoint par jalou­sie. Voi­là » —, laisse entendre la pas­sion qui déchi­ra le couple qu’il for­mait avec Rudy Ver­voort. La haine, déci­dé­ment, n’est pas le contraire de l’amour et il est périlleux d’être trop aimable.

Je suis sor­ti bou­le­ver­sé de la lec­ture de cet « entre­tien-confes­sion » au cours duquel Yvan confes­sait qu’il n’avait rien à confes­ser puisqu’il était sans tache. Com­ment ne pas être retour­né par tant d’injustice, mais aus­si par le cou­rage de cet homme qui se relève ?

Aus­si ne pou­vais-je man­quer la tri­bune-libre — sans conces­sion — offerte à Yvan par Pas­cal Vre­bos, dimanche der­nier, sur RTL-TVI. Ce grand jour­na­liste, tou­jours sans pitié avec les puis­sants, lui a ain­si per­mis de faire à nou­veau entendre son point de vue. Évi­dem­ment, il n’était pas ques­tion de lais­ser un homme meur­tri sor­tir du stu­dio de télé­vi­sion sans accom­pa­gne­ment. Heu­reu­se­ment Pas­cal avait pré­vu un impec­cable ser­vice après-vente en radio. Dans la fou­lée du pla­teau de télé, il offrait à Yvan une heure et quart d’émission et enta­mait l’entretien par un débrie­fing de l’échange télé­vi­sé. Il fal­lait s’assurer que tout ce qui pou­vait sou­te­nir la vic­time avait été accom­pli. C’est ain­si que la dou­lou­reuse ques­tion des attaques en ligne à l’égard d’Yvan fut abor­dée — sans conces­sions — rap­pe­lant oppor­tu­né­ment que la pré­va­ri­ca­tion n’était rien à côté des insultes des inter­nautes, véri­table signe, pour le grand homme bles­sé, d’une « socié­té assez lamen­table ». Qu’il soit cli­vant, il l’assume, Yvan, car faire de la poli­tique, c’est faire défendre un point de vue avec force et vigueur, par exemple, sur les niveaux de rému­né­ra­tion au Samu­so­cial. Quel bon­heur que de l’entendre reprendre de l’assurance au micro du grand Pascal.

Juste retour des choses, saine remise à niveau, c’est la larme à l’œil que j’ai com­pris que je n’étais pas le seul à être misé­ri­cor­dieux. Nous sommes nom­breux à nous mon­trer capable de voir l’homme der­rière le paria, de repé­rer la détresse dans la vaine agi­ta­tion de notre société.

Confor­té dans ma posi­tion, je me suis pro­mis d’être plus vigi­lant que jamais et de m’abstenir de juger trop vite d’autres grands, peut-être injus­te­ment accu­sés : Serge Kubla, Joseph Kabi­la, Ilham Aliyev ou Sté­phane Moreau… et bien d’autres encore. Sans doute, d’ailleurs, crée­rai-je une pla­te­forme citoyenne pour la défense des grands hommes lynchés.

Cepen­dant, au-delà de la misé­ri­corde, il y a la contri­tion. Moi aus­si, un moment, j’ai dou­té. Moi aus­si j’ai renié Yvan. Nous qui avons été si injustes, ne lui devons-nous pas une juste répa­ra­tion ? Des excuses publiques seraient un mini­mum. La ques­tion du buste à son effi­gie est nor­ma­le­ment réglée par la grâce de la règle « sem­per sic feci­mus »1. Mais il ne faut pas res­ter sourd à son dis­cret appel à l’aide : depuis qu’il ne vit plus que de ses rentes immo­bi­lières, il est sur­en­det­té. Res­ti­tuons-lui ses man­dats ! Avec une aug­men­ta­tion. Et l’attribution de jetons de pré­sence pour les réunions aux­quelles il n’a pu assis­ter à cause de nous.
Et deman­dons aux SDF de faire la quête pour lui… il a tant fait pour eux, ils lui doivent bien ça !

  1. On a tou­jours fait comme ça.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.