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Mort autonome

Blog - Anathème - autonomie sans-abrisme par Anathème

mars 2015

Un homme est mort. Sans-abri, il avait épui­sé son quo­ta d’hébergements à l’abri de nuit de Namur. Il a dor­mi en rue. Il est mort.

Anathème

Des quo­tas ? Oui, for­cé­ment, comme pour les allo­ca­tions de chô­mage, les séances de kiné­si­thé­ra­pie, la patience des forces de l’ordre ou les contrats de tra­vail, tout a une fin. Sauf la richesse, bien enten­du, mais n’est-elle pas le signe du mérite ? Et cette fin tend à se rap­pro­cher du début.

Tout a une fin, et c’est bien ain­si, car il faut évi­ter que les per­sonnes qui béné­fi­cient des incroyables lar­gesses de notre socié­té ne sombrent. Dans la pau­vre­té ? l’alcool ? la misère morale ? la crasse ? la mala­die men­tale ? Non, pire que tout cela réuni : l’assistanat.

Ain­si la recherche d’un pont ou d’un banc public où pas­ser la nuit sans se faire agres­ser est-elle, en soi, une acti­vi­té éman­ci­pa­trice, don­nant sens à la vie, inci­tant à l’autonomie et amor­çant, à terme, une reprise en main plus glo­bale. Comme la quête d’un emploi à temps plein et cor­rec­te­ment payé par une per­sonne non qua­li­fiée ou la pour­suite de la sain­te­té, celle d’un havre pour la nuit est un che­min qui vaut toutes les des­ti­na­tions. Qu’importe que le but soit à notre por­tée, pour­vu qu’il nous pousse à nous mettre en route ?

Renon­cer serait pire que tout. Car qu’y a‑t-il de plus affli­geant (et cou­teux) que ces cohortes de pauvres dor­mant dans des abris de nuit, au chaud, sous une cou­ver­ture, après une douche, nuit après nuit ? Et quel plus triste (et dis­pen­dieux) spec­tacle que ces chô­meurs fai­néants, pas­sant leur temps devant leur télé­vi­sion ou à rendre visite à leur famille, jusqu’à la consom­ma­tion des temps, sans espoir d’un retour dans le giron bien­fai­sant d’un employeur ?

Quelle tris­tesse que cette perte d’autonomie défi­ni­tive, han­di­ca­pant l’individu au point de l’empêcher de rêver, qui d’un meu­blé insa­lubre, qui d’une sta­tut de faux indé­pen­dant per­met­tant de vivre sous le seuil de pau­vre­té, qui d’un emploi à temps par­tiel sous l’autorité dic­ta­to­riale d’un petit chef ter­ro­ri­sé d’être le pro­chain sur la liste ?
Certes, pas­ser la nuit en rue, ris­quer la visite de domi­cile, se faire humi­lier par son ban­quier, devoir envoyer chaque semaine des CV sans autre pers­pec­tive que celui de main­te­nir l’emploi de son beau-frère qui tra­vaille à La Poste, rendre visite à son conseiller-emploi, tout cela n’a rien de réjouis­sant. Mais ne faut-il pas par­fois vivre quelqu’épreuve pour être pré­ser­vé de la déchéance ?

Autre­fois, la vie n’était pas néces­sai­re­ment plus facile : cour­ber l’échine devant « notre bon sei­gneur », par­ler avec défé­rence à Mon­sieur le curé, ôter sa cas­quette devant l’ingénieur de la fabrique, remer­cier la femme du direc­teur pour les hardes éli­mées qu’elle consen­tait à offrir ou écou­ter res­pec­tueu­se­ment Mon­sieur le doc­teur expli­quer qu’il ne fau­drait pas tant boire mais plu­tôt man­ger de la viande trois fois par semaine ; rien de tout cela n’était fort agréable. On en res­sor­tait cepen­dant gran­di et récon­for­té par l’épreuve : à sa place, digne, pro­mis à un ave­nir meilleur où les méri­tants seraient récom­pen­sés, nan­ti de maints qua­li­fi­ca­tifs flat­teurs (brave, méri­tant, tenace, cou­ra­geux, digne,.…). Il nous faut donc accep­ter avec bonne grâce nos épreuve d’aujourd’hui.
Certes, par­fois, l’épreuve est insur­mon­table. Il arrive de pas­ser d’un appar­te­ment miteux à la rue ou de la rue à la fosse, certes. Mais n’oublions pas que celui qui, pré­ma­tu­ré­ment vieilli, passe ain­si de vie à tré­pas dans l’encoignure d’une porte entre dans un monde meilleur dra­pé de toute sa digni­té. Il ne fut pas un assis­té mais a méri­toi­re­ment suc­com­bé en se mesu­rant à l’épreuve qui lui était assignée.

Aus­si, s’il vous arrive de croi­ser un ago­ni­sant en rue, de grâce, ne com­met­tez pas l’erreur de ces Namu­rois qui appe­lèrent une ambu­lance et firent en sorte que ce SDF expire à l’hôpital, au chaud, assis­té, souillé par notre prise en charge. Ne pri­vez pas les mal­heu­reux de leur digni­té, c’est tout ce qu’il leur reste. Même s’il vous en coute.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.