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Mort autonome
Un homme est mort. Sans-abri, il avait épuisé son quota d’hébergements à l’abri de nuit de Namur. Il a dormi en rue. Il est mort.
Des quotas ? Oui, forcément, comme pour les allocations de chômage, les séances de kinésithérapie, la patience des forces de l’ordre ou les contrats de travail, tout a une fin. Sauf la richesse, bien entendu, mais n’est-elle pas le signe du mérite ? Et cette fin tend à se rapprocher du début.
Tout a une fin, et c’est bien ainsi, car il faut éviter que les personnes qui bénéficient des incroyables largesses de notre société ne sombrent. Dans la pauvreté ? l’alcool ? la misère morale ? la crasse ? la maladie mentale ? Non, pire que tout cela réuni : l’assistanat.
Ainsi la recherche d’un pont ou d’un banc public où passer la nuit sans se faire agresser est-elle, en soi, une activité émancipatrice, donnant sens à la vie, incitant à l’autonomie et amorçant, à terme, une reprise en main plus globale. Comme la quête d’un emploi à temps plein et correctement payé par une personne non qualifiée ou la poursuite de la sainteté, celle d’un havre pour la nuit est un chemin qui vaut toutes les destinations. Qu’importe que le but soit à notre portée, pourvu qu’il nous pousse à nous mettre en route ?
Renoncer serait pire que tout. Car qu’y a‑t-il de plus affligeant (et couteux) que ces cohortes de pauvres dormant dans des abris de nuit, au chaud, sous une couverture, après une douche, nuit après nuit ? Et quel plus triste (et dispendieux) spectacle que ces chômeurs fainéants, passant leur temps devant leur télévision ou à rendre visite à leur famille, jusqu’à la consommation des temps, sans espoir d’un retour dans le giron bienfaisant d’un employeur ?
Quelle tristesse que cette perte d’autonomie définitive, handicapant l’individu au point de l’empêcher de rêver, qui d’un meublé insalubre, qui d’une statut de faux indépendant permettant de vivre sous le seuil de pauvreté, qui d’un emploi à temps partiel sous l’autorité dictatoriale d’un petit chef terrorisé d’être le prochain sur la liste ?
Certes, passer la nuit en rue, risquer la visite de domicile, se faire humilier par son banquier, devoir envoyer chaque semaine des CV sans autre perspective que celui de maintenir l’emploi de son beau-frère qui travaille à La Poste, rendre visite à son conseiller-emploi, tout cela n’a rien de réjouissant. Mais ne faut-il pas parfois vivre quelqu’épreuve pour être préservé de la déchéance ?
Autrefois, la vie n’était pas nécessairement plus facile : courber l’échine devant « notre bon seigneur », parler avec déférence à Monsieur le curé, ôter sa casquette devant l’ingénieur de la fabrique, remercier la femme du directeur pour les hardes élimées qu’elle consentait à offrir ou écouter respectueusement Monsieur le docteur expliquer qu’il ne faudrait pas tant boire mais plutôt manger de la viande trois fois par semaine ; rien de tout cela n’était fort agréable. On en ressortait cependant grandi et réconforté par l’épreuve : à sa place, digne, promis à un avenir meilleur où les méritants seraient récompensés, nanti de maints qualificatifs flatteurs (brave, méritant, tenace, courageux, digne,.…). Il nous faut donc accepter avec bonne grâce nos épreuve d’aujourd’hui.
Certes, parfois, l’épreuve est insurmontable. Il arrive de passer d’un appartement miteux à la rue ou de la rue à la fosse, certes. Mais n’oublions pas que celui qui, prématurément vieilli, passe ainsi de vie à trépas dans l’encoignure d’une porte entre dans un monde meilleur drapé de toute sa dignité. Il ne fut pas un assisté mais a méritoirement succombé en se mesurant à l’épreuve qui lui était assignée.
Aussi, s’il vous arrive de croiser un agonisant en rue, de grâce, ne commettez pas l’erreur de ces Namurois qui appelèrent une ambulance et firent en sorte que ce SDF expire à l’hôpital, au chaud, assisté, souillé par notre prise en charge. Ne privez pas les malheureux de leur dignité, c’est tout ce qu’il leur reste. Même s’il vous en coute.