Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Mobilité à Bruxelles : une piste comme solution

Blog - Anathème - Bruxelles (Région) / Brussel (Gewest) mobilité par John Common Jr.

février 2016

L’administrateur délé­gué de BECI aurait plai­dé récem­ment pour un inves­tis­se­ment public dans l’entretien des tun­nels rou­tiers bruxel­lois. Bruxelles est en effet confron­tée à la fer­me­ture de nombre de ceux-ci, ce qui explique le retard effroyable qu’a pris ce mar­di mon chauf­feur UberX pour me dépo­ser au Par­le­ment euro­péen, où je devais appor­ter mon exper­tise en marge d’une réunion offi­cieuse de repré­sen­tants des groupes par­le­men­taires (un « sha­dow »), por­tant ce fai­sant un dom­mage incom­men­su­rable aux pro­cé­dures démo­cra­tiques dudit Parlement.

Anathème

Assez par­lé de moi. Ce qui m’a sur­pris, c’est qu’un repré­sen­tant du patro­nat, incon­tes­table figure d’autorité et objet, pour cela, de détes­ta­tion, se fende sur les ondes d’une radio publique d’un tel plai­doyer pour une inter­ven­tion éta­tique. Certes, Oli­vier Willocx s’y est peut-être sen­ti contraint parce qu’entouré de fonc­tion­naires et crai­gnant leur ire. Ou alors, il s’est sou­ve­nu que Mil­ton Fried­man s’autoqualifiait de « Road socia­list » car par­ti­san de l’investissement de moyens publics dans les infra­struc­tures rou­tières. Fina­le­ment, peu importe la rai­son, il démontre bien que le mar­xisme domine lar­ge­ment le champ intel­lec­tuel du Royaume1.

Pour autant, un véri­table libé­ral peut ame­ner d’excellentes alter­na­tives à cette vul­gate mar­xiste domi­nante qui gan­grène jusqu’au patro­nat. Ain­si, si l’on s’intéresse un peu à la lit­té­ra­ture éco­no­mique sérieuse concer­nant la mobi­li­té, on se rap­pel­le­ra les excel­lents argu­ments de mon esti­mé col­lègue Wal­ter Block en faveur de la pri­va­ti­sa­tion des routes, argu­ments récem­ment repris dans un ouvrage publié par le Lud­wig von Mises Ins­ti­tute 2. Il rap­pelle notam­ment que l’avantage de la pri­va­ti­sa­tion est la pos­si­bi­li­té de pour­suivre les ges­tion­naires d’infrastructures rou­tières en jus­tice lorsque cela s’avère néces­saire, par exemple parce que le ser­vice est inter­rom­pu faute d’entretien. Voi­là qui pour­rait per­mettre aux entre­prises de récu­pé­rer les coûts qu’engendre ce type d’interruption, et qui répon­drait de fait à une par­tie des pré­oc­cu­pa­tions de M. Willocx.

Mais on pour­rait aus­si se deman­der si des solu­tions plus créa­tives ne pour­raient pas exis­ter pour finan­cer ces infra­struc­tures. M. Willocx s’est décla­ré en faveur d’une « taxe kilo­mé­trique bien pen­sée » : l’État, encore lui, devrait inter­ve­nir pour régu­ler les usages ? C’est à croire que l’administrateur-délégué de BECI a récem­ment prê­té allé­geance à l’une des sectes léni­nistes qui sévissent dans les par­le­ments des pays euro­péens. Mais soyons de bons comptes : on peut décryp­ter la stra­té­gie de M. Willocx sous un tout autre angle, celui de l’externalisation des coûts. Car fina­le­ment, assu­rer que ce soit la col­lec­ti­vi­té qui paie l’entretien des tun­nels per­met effec­ti­ve­ment à l’entreprise de ne pas avoir à sup­por­ter les frais qu’engendre leur uti­li­sa­tion par les tra­vailleurs des firmes bruxel­loises. Ain­si, l’État sub­si­die direc­te­ment l’activité éco­no­mique. Il s’agit évi­dem­ment d’un prin­cipe très répan­du dans le déploie­ment indus­triel, qui est tout à fait effi­cient, par exemple, pour gérer cer­tains coûts envi­ron­ne­men­taux ou de san­té engen­drés par cer­taines acti­vi­tés. Il est logique que la col­lec­ti­vi­té paye pour les normes qu’elle fixe dans ces sec­teurs et qui entravent le déve­lop­pe­ment de l’activité.

Pour prendre un exemple concret, la pro­duc­tion éner­gé­tique serait net­te­ment plus ren­table pour les entre­prises exploi­tant les cen­trales nucléaires si la liste inter­mi­nable de règles de sécu­ri­té et d’obligations en termes d’entretiens des infra­struc­tures fixées par les pou­voirs publics était levée. Mais on peut com­prendre une cer­taine fri­lo­si­té de l’opinion publique, qui a évi­dem­ment été impres­sion­née par la pro­pa­gande anti­nu­cléaire des lob­bys média­tiques et uni­ver­si­taires, et quelques images fortes de catas­trophes dont étran­ge­ment per­sonne ne contex­tua­lise les coûts à l’aune des béné­fices géné­rés par l’exploitation des cen­trales concer­nées. Il ne faut pas être rab­bique : dans une démo­cra­tie, il est sain que, pour répondre à l’opinion publique, les déci­deurs éta­tiques prennent par­fois des mesures. Mais alors, il faut évi­dem­ment que l’État assume les coûts de cette régu­la­tion et, à titre per­son­nel, j’aurais même ten­dance à plai­der pour qu’il affecte des moyens sup­plé­men­taires per­met­tant de dédom­ma­ger les entre­prises pour le manque à gagner qu’elle implique.

Il se fait cepen­dant que dans le cas des routes, tun­nels et autres via­ducs, le prin­cipe d’externalisation des coûts ne peut s’appliquer car, dans le cas d’espèce, il empêche le déploie­ment d’un nou­veau pan d’activité éco­no­mique, ce qu’une pri­va­ti­sa­tion per­met­trait. Dans ce cas, il est net­te­ment plus simple de lais­ser faire le mar­ché qui orga­ni­se­ra de lui-même des gammes de ser­vices et, donc, de prix, adap­tés. On pour­rait, par exemple, sup­po­ser qu’une pri­va­ti­sa­tion per­met­trait de déga­ger des bandes de cir­cu­la­tion dif­fé­rant par leurs vitesses moyennes, cor­res­pon­dant à des tarifs spé­ci­fiques. La high-speed trail serait ain­si l’apanage des clients gold et la low-speed trail per­met­trait aux consom­ma­teurs de la masse d’avoir accès à l’infrastructure à des prix bien plus démo­cra­tiques. Cela per­met­trait éga­le­ment aux entre­prises d’offrir à la fois la voi­ture de fonc­tion et l’abonnement de par­king adap­tés à chaque éche­lon interne, mais aus­si l’abonnement à la bande rou­tière ad hoc. Évi­dem­ment, on sou­li­gne­ra que les ser­vices d’urgence devraient sans doute cir­cu­ler sur la high-speed trail : le cas échéant, il me semble dès lors indis­pen­sable que l’État inter­vienne spé­ci­fi­que­ment dans le finan­ce­ment de celle-ci – et de celle-ci uni­que­ment – tout en garan­tis­sant un dédom­ma­ge­ment aux uti­li­sa­teurs for­cés de par­ta­ger la high speed trail à chaque usage par les ser­vices dont ques­tion (par exemple via un bon à valoir). 

Cer­tains esprits cha­grins vien­dront évi­dem­ment objec­ter qu’il fau­drait sans doute et avant tout, selon la for­mule consa­crée, « réduire la pres­sion auto­mo­bile » sur Bruxelles et que, dès lors, la pri­va­ti­sa­tion serait inen­vi­sa­geable. Tant de mécon­nais­sance éco­no­mique est bien triste : il est pour­tant évident que le pro­blème de la conges­tion vient pré­ci­sé­ment de l’incapacité de l’État à gérer ce qui est un pro­blème évident d’offre et de demande, dont l’équilibre ne peut être trou­vé qu’au tra­vers de la mise en concur­rence. Quant aux enjeux envi­ron­ne­men­taux dont les khmers verts euro­péens nous rabâchent les oreilles à lon­gueur de temps, ils sont éga­le­ment un non-pro­blème : il suf­fit de créer un mar­ché de droits de pol­luer pour les auto­mo­bi­listes, sur le modèle de ce qui a si bien fonc­tion­né pour les États, et géré par des agences auto­nomes (et donc pri­vées). Et on pour­rait aller plus loin encore, en sug­gé­rant que ces droits de pol­luer soit accor­dé d’office aux chefs d’entreprise, en dédom­ma­ge­ment de leurs efforts quo­ti­diens pour créer de l’activité.

Voi­là ce qu’un authen­tique patron libé­ral devrait exi­ger, lui qui est au ser­vice de l’intérêt général.

  1. Peut-on d’ailleurs évo­quer un « champ intel­lec­tuel » dans le cas d’un pays où les uni­ver­si­taires font mine d’ignorer l’existence de zones de non-droit où, comme le sou­li­gnait récem­ment Alain Fin­kiel­kraut, grand connais­seur du déclin euro­péen, tout est déjà perdu ?
  2. Éton­nam­ment, sous licence « crea­tive com­mons », mais passons

John Common Jr.


Auteur

John Common Jr. est Docteur en Sociologie. Auteur de nombreux articles à haut impact factor, il a donné de nombreux cours en tant que professeur invité dans les plus grandes universités globales. Ses recherches portent essentiellement sur les méthodes de sociologie économique quantitative, la sociométrologie et la psychosociologie numérique