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Michel Ier et le sot d’index

Blog - Délits d’initiés - budget Charles Michel index par Olivier Derruine

octobre 2014

L’une des mesures les plus bro­car­dées du gou­ver­ne­ment Michel Ier tient dans le saut d’index « social ». Celui-ci se ferait res­sen­tir au début de l’année 2015, le Bureau fédé­ral du Plan pré­voyant que l’indice-pivot (niveau des prix de réfé­rence ) qui déclenche l’indexation serait dépas­sé en février 2015. Cette mesure décriée de toutes parts, y com­pris par […]

Délits d’initiés

L’une des mesures les plus bro­car­dées du gou­ver­ne­ment Michel Ier tient dans le saut d’index « social ». Celui-ci se ferait res­sen­tir au début de l’année 2015, le Bureau fédé­ral du Plan pré­voyant que l’indice-pivot (niveau des prix de réfé­rence ) qui déclenche l’indexation serait dépas­sé en février 2015.

Cette mesure décriée de toutes parts, y com­pris par deux par­tis de la pré­cé­dente coa­li­tion fédé­rale, s’inscrit en fait dans la suite logique des ini­tia­tives prises par le gou­ver­ne­ment di Rupo. Dans la pers­pec­tive de res­tau­rer la com­pé­ti­ti­vi­té 1 de la Bel­gique et de rame­ner pour 2018 à zéro le han­di­cap sala­rial avec les pays voi­sins (actuel­le­ment éva­lué à 3,8 % 2 ), le gou­ver­ne­ment avait pas­sé outre l’avis des par­te­naires sociaux pour tri­pa­touiller l’index à deux reprises 3 . En ce sens, le pré­cé­dent gou­ver­ne­ment s’était mon­tré plus per­fide que le gou­ver­ne­ment Michel Ier qui joue cartes sur table puisqu’en agis­sant de la sorte, il dupa l’électeur : en effet, l’accord de gou­ver­ne­ment, la Bible du coa­li­tion « papillon », sti­pu­lait bien le « main­tien du méca­nisme d’indexation auto­ma­tique des salaires et des allo­ca­tions tant pour sou­te­nir la demande inté­rieure (la consom­ma­tion) que pour pré­ser­ver le pou­voir d’achat des citoyens ». Et il est vrai que l’index en tant que dis­po­si­tif géné­ral a été main­te­nu mais l’index en tant que for­mule, lui, a été cham­bou­lé ! De l’art de jouer sur les mots… Outre cela, il déci­da en novembre 2012 d’un qua­si gel des salaires : l’index fut pré­ser­vé de même que les aug­men­ta­tions baré­miques mais les par­te­naires sociaux ne purent négo­cier de bonus.

Que pour­rait donc bien impli­quer le futur saut d’index « social », cet oxy­more indé­cent, que ses défen­seurs pré­sentent comme indolore ?

1. Un frein aux inégalités

L’indexation des salaires est l’une des rai­sons (l’autre étant à cher­cher du côté des trans­ferts sociaux 4 (dont le pen­dant est le niveau de taxa­tion) qui expliquent que la Bel­gique soit l’un des moins inéga­li­taires de l’OCDE et que l’explosion des inéga­li­tés obser­vées ailleurs ait été conte­nue, au moins jusqu’au début de la crise. (Cf. gra­phique où l’inégalité est mesu­ré par le coef­fi­cient de Gini (plus il est éle­vé, plus les inéga­li­tés sont mar­quées). Ce constat vaut aus­si si l’on zoome sur les trois pays (France, Alle­magne, Pays-Bas) par rap­port aux­quels notre « com­pé­ti­ti­vi­té-coût » ain­si que notre « han­di­cap sala­rial » sont évalués.

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Source : OCDE, Gro­wing une­qual, 2011

Avec l’existence d’un salaire mini­mum et la qua­li­té du dia­logue social, l’indexation explique vrai­sem­bla­ble­ment le nombre de tra­vailleurs pauvres rela­ti­ve­ment peu éle­vé par rap­port à d’autres pays : 3,2 % contre 7 % en Europe. Cepen­dant, il ne fau­drait pas en déduire que les tra­vailleurs belges sont gras­se­ment rému­né­rés. Le gra­phique sui­vant montre la dis­per­sion des rému­né­ra­tions men­suelles brutes en 2007 (cette dis­tri­bu­tion des rému­né­ra­tions n’a pas fon­da­men­ta­le­ment chan­gé depuis 2007). La moi­tié des femmes (hommes) per­ce­vait alors moins de 2.000 (2.500) euros (Ces mon­tants cor­res­pon­draient en 2014 à 2.300 et 2.900 euros bruts respectivement).

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Source : Conseil Cen­tral Tech­nique, Rap­port tech­nique du secré­ta­riat, 2008

2. Un amortisseur des chocs économiques

Parce qu’elle a pu enrayer la mon­tée des inéga­li­tés, l’indexation fait éga­le­ment office de ce que les éco­no­mistes appellent « sta­bi­li­sa­teur auto­ma­tique », c’est-à-dire un ins­tru­ment à la dis­po­si­tion de notre pays pour atté­nuer les effets des­truc­teurs d’une réces­sion éco­no­mique en aidant à main­te­nir un cer­tain niveau de demande inté­rieure. Ain­si, alors que le PIB s’est écra­sé de ‑2,8 % en 2009, les salaires bruts par per­sonne n’ont pas été réduits (+0,2%). Mais, cela ne vaut, bien enten­du que s’il y a un mini­mum d’inflation : en effet, si les prix reculent comme c’est le cas lorsqu’il y a une défla­tion (nous y revien­drons dans un ins­tant), ce rôle de sta­bi­li­sa­teur auto­ma­tique n’est plus exercé.

Or, cet argu­ment de sta­bi­li­sa­teur auto­ma­tique de la demande inté­rieure expri­mée par les ménages n’est pas négli­geable : par­mi les quelque 250.000 entre­prises qui déposent leurs comptes annuels, seules 8.700 exportent. Ce qui signi­fie que, les débou­chés de plus de 97 % des entre­prises sont locaux, régio­naux, voire natio­naux et ne vont pas plus loin, même s’il ne faut pas sous-esti­mer qu’un cer­tain nombre par­mi elles ont pour clients ces entre­prises exportatrices.

Dès lors, si la for­mule de l’indexation est mani­pu­lée (comme en 2012 – 2013) ou si le gou­ver­ne­ment décide d’un saut d’index (2014 – 2015) pour ralen­tir l’évolution des salaires, cela ampute le pou­voir d’achat. De fil en aiguille, cela peut réduire les débou­chés des entre­prises ancrées à l’économie belge (et par consé­quent, pour leurs employés si des restruc­tu­ra­tions devaient sur­ve­nir), en par­ti­cu­lier celles qui opèrent dans le sec­teur du com­merce de gros et de détail, dans les trans­ports et l’horeca (le plus impor­tant sec­teur, il pèse 18 % du PIB belge), le sec­teur immo­bi­lier (8 %) ou le sec­teur de la construc­tion (5 % du PIB) qui sont, par nature, plus tour­nés sur l’économie domes­tique que l’industrie manu­fac­tu­rière (14 %) majo­ri­tai­re­ment vouée aux mar­chés internationaux.

Les don­nées publiées par le Bureau fédé­ral du Plan révèlent que les salaires bruts par per­sonne hors indexa­tion ont régres­sé de ‑0,1 % depuis le début de la crise. Cela signi­fie que, plus encore que durant la période pré­cé­dente, l’indexation est cru­ciale pour main­te­nir son niveau de bien-être ou, du moins, de consommation.

3. Michel Ier, une guerre en retard sur… les orthodoxes

Le saut d’index est tout-à-fait contre-pro­duc­tif dans la mesure où le prin­ci­pal pro­blème ren­con­tré actuel­le­ment par nos éco­no­mies tient dans une demande trop faible. Mario Dra­ghi, le Pré­sident de la Banque Cen­trale Euro­péenne qui est pour­tant un chaud par­ti­san de l’orthodoxie éco­no­mique (maî­trise à tous prix des finances publiques par exemple), l’a d’ailleurs enfin recon­nu lors de son dis­cours de Jack­son Hole (une grand-messe des Ban­quiers cen­traux et de leur entou­rage – bref, ce n’est pas Por­to Alegre – qui s’est dérou­lée à la fin du mois d’août aux Etats-Unis).

Le saut d’index peut même s’avérer dan­ge­reux dans une éco­no­mie où l’offre est excé­den­taire par rap­port à la demande et que l’inflation est déjà extrê­me­ment basse au point que nombre d’économistes redoutent une défla­tion et que l’UE subisse le même sort que l’économie japo­naise depuis une ving­taine d’années, à savoir une com­bi­nai­son de crois­sance nulle et d’évolution néga­tive des prix face à laquelle l’arme moné­taire est impuis­sante (le taux d’intérêt est proche de zéro pour inci­ter ménages et entre­prises à consom­mer et inves­tir et donc, à relan­cer l’économie). Un saut d’index donne des muni­tions aux entre­prises pour atti­ser la concur­rence qu’elles se portent, sur­tout lorsque, au même moment, on leur octroie une immi­nente réduc­tion de 3,5 mil­liards en coti­sa­tions sociales patro­nales : grâce à cette bulle d’oxygène, elles peuvent être ten­tées de séduire les consom­ma­teurs au détri­ment de leurs concur­rents en rédui­sant leurs prix. Par­tant, si toutes les entre­prises adoptent ce com­por­te­ment, alors elles ren­forcent cette ten­dance à la baisse des prix et risquent d’enliser la Bel­gique dans une défla­tion qui lui serait nocive. Heu­reu­se­ment, la hausse de la TVA pré­vue et des accises contre­ba­lan­ce­ront au moins par­tiel­le­ment cet effet ! Mais, à nou­veau, puisqu’il s’agit de mesures dégres­sives, c’est-à-dire qui sont plus lour­de­ment res­sen­ties par les bas reve­nus, la Bel­gique se met­trait à l’abri du spectre de la défla­tion mais le prix à payer serait une hausse des inéga­li­tés. Ces mêmes inéga­li­tés dont des ins­ti­tu­tions comme la Banque cen­trale amé­ri­caine ou le Forum Eco­no­mique de Davos com­mencent à réa­li­ser qu’elles sont une cause — et pas seule­ment une consé­quence — des crises éco­no­miques . Donc, en fai­sant fi du contexte macroé­co­no­mique et du retour à la rai­son des temples de l’orthodoxie éco­no­mique, le gou­ver­ne­ment Michel Ier se ridi­cu­lise lui-même avec son saut d’index « social ».

4. Effet ambigu sur les finances publiques

Le saut d’index est cen­sé per­mettre de résor­ber le han­di­cap sala­rial mais aus­si d’alléger les finances publiques puisque le trai­te­ment des fonc­tion­naires ne sera pas non plus indexé. Dans le même temps, comme les salaires ne seront pas indexés, les coti­sa­tions sociales finan­çant le bud­get de la Sécu­ri­té sociale n’augmenteront pas en consé­quence. Par consé­quent, il pour­rait aggra­ver le finan­ce­ment de la Sécu et du coup, ô sur­prise, jus­ti­fier de nou­velles réformes struc­tu­relles au motif que les reve­nus de rem­pla­ce­ment sont des charges trop lourdes, insoutenables.

Il n’est donc pas sûr que, les uns dans les autres, les effets posi­tifs (pas d’index des trai­te­ments) sur les finances publiques ne soient pas contre­ba­lan­cés par les effets néga­tifs (pas d’index des coti­sa­tions, réduc­tion de la demande et des recettes fis­cales qu’elle génère).

En conclu­sion, le pré­cé­dent gou­ver­ne­ment fédé­ral avait ouvert une boîte de Pan­dore en accep­tant de chi­po­ter à la for­mule de l’index et en met­tant hors-jeu les par­te­naires sociaux pour­tant com­pé­tents pour ce sujet qui se trouve au cœur du modèle social belge.

A plu­sieurs égards, l’imminent saut d’index social dont le nom même est une insulte lan­cée à une grande par­tie de la popu­la­tion est dif­fi­ci­le­ment jus­ti­fiable sur le plan éco­no­mique. Les effets annon­cés sont au mieux incer­tains. Mais sur­tout, les consé­quences de cette mesure risquent bien d’être désas­treuses et de s’étendre dans le moyen/long terme même si, comme ses par­ti­sans le répètent pour aider à faire pas­ser la pilule, « ce n’est qu’un seul saut, donc une mesure temporaire ».

  1. Il s’agit ici d’une concep­tion étri­quée de « com­pé­ti­ti­vi­té » puisque, d’une part, dans l’industrie, les salaires repré­sentent un poste de coût deux fois moins impor­tants que les impor­ta­tions inter­mé­diaires qui incluent les matières pre­mières (éner­gie, mine­rai de fer, métaux non fer­reux, matières végé­tales, etc.) ; et, d’autre part, la com­pé­ti­ti­vi­té repose de plus en plus sur la valo­ri­sa­tion des connais­sances et de la créa­ti­vi­té (R&D, for­ma­tion, excel­lence opé­ra­tion­nelle, etc.)
  2. Depuis 1996, les salaires belges ont pro­gres­sé 3,8 % plus rapi­de­ment que la moyenne des salaires fran­çais, alle­mands et néer­lan­dais du sec­teur privé.
  3. Le Conseil des ministres du 30 novembre 2012 déci­da que, dès jan­vier 2013, l’indice devait tenir compte de l’effet des soldes sur les prix et d’une révi­sion de la méthode d’intégration du prix du mazout de chauf­fage. Concrè­te­ment, ces mesures gou­ver­ne­men­tales repré­sentent, depuis 2013, une perte d’environ 90€/an pour un salaire moyen selon la FGTB. Ensuite, la déci­sion de réduire la TVA sur l’électricité a eu pour effet de retar­der le moment où l’adaptation des salaires suite à l’indexation aurait lieu.
  4. Hors pen­sions, le taux de pau­vre­té en Bel­gique est de 26 % avant trans­ferts sociaux de l’Etat au pro­fit des ménages (allo­ca­tions de toutes sortes dont les reve­nus de rem­pla­ce­ment) alors qu’il tombe à 15 % après trans­ferts sociaux.

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen