Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Mesures de confinement en Sierra Leone ou l’impossibilité d’un État à faire face à Ebola

Blog - e-Mois - Afrique ebola ONU santé Sierra Leone par Florence de Longueville

octobre 2014

À l’épreuve de la pra­tique, la mesure de confi­ne­ment à l’échelle d’un État prise par les auto­ri­tés du ven­dre­di 19 au dimanche 21 sep­tembre sou­lève énor­mé­ment de ques­tions, d’autant qu’une ten­ta­tive plus res­treinte lors d’une pré­cé­dente épi­dé­mie d’Ebola en Afrique cen­trale avait eu pour effet d’augmenter la panique et avait fina­le­ment été contre­pro­duc­tive. La crise actuelle […]

e-Mois

À l’épreuve de la pra­tique, la mesure de confi­ne­ment à l’échelle d’un État prise par les auto­ri­tés du ven­dre­di 19 au dimanche 21 sep­tembre sou­lève énor­mé­ment de ques­tions, d’autant qu’une ten­ta­tive plus res­treinte lors d’une pré­cé­dente épi­dé­mie d’Ebola en Afrique cen­trale avait eu pour effet d’augmenter la panique et avait fina­le­ment été contreproductive.

La crise actuelle du virus Ebo­la en Afrique de l’Ouest qui a pro­ba­ble­ment com­men­cé en Gui­née en décembre 2013 pro­gresse de manière ful­gu­rante. Au 12 octobre 2014, sept pays sont offi­ciel­le­ment tou­chés : le Libe­ria, la Gui­née, la Sier­ra Leone, le Nige­ria, le Séné­gal, les États-Unis d’Amérique et l’Espagne. Le nombre total de cas recen­sés est de 8.997, dont 4.493 ont mené au décès des malades, soit près du double de ce qui était comp­ta­bi­li­sé quatre semaines auparavant.

À l’heure actuelle, l’épidémie est déjà la plus grave enre­gis­trée depuis la décou­verte de cette fièvre hémor­ra­gique en 1976. Il est hau­te­ment pro­bable que l’épidémie pro­gresse encore dans les mois qui viennent tant les pays tou­chés n’ont pas les capa­ci­tés de répondre à une telle crise et tant l’aide inter­na­tio­nale mas­sive indis­pen­sable pour contrô­ler cette crise inédite fait cruel­le­ment défaut sur le ter­rain. Le cœur actuel de la crise regroupe trois pays (Libe­ria, Gui­née, Sier­ra Leone) qui figurent par­mi les plus pauvres de la pla­nète, carac­té­ri­sés par un manque criant d’infrastructures, de capa­ci­tés logis­tiques, d’expertise pro­fes­sion­nelle et de res­sources financières.

Dans un contexte de ges­tion de crise et de pla­ni­fi­ca­tion d’urgence, il existe deux mesures prin­ci­pales de pro­tec­tion de la popu­la­tion. D’une part, l’évacuation consiste à écar­ter la popu­la­tion (ou un groupe d’individus) d’une source (poten­tielle) de dan­ger, d’autre part, le confi­ne­ment — ou la mise à l’abri — consiste à main­te­nir la popu­la­tion dans des endroits par­ti­cu­liers adap­tés qui lui per­met de res­ter à l’abri durant une période déter­mi­née. Dans le cas qui nous occupe, c’est bien d’une mesure de confi­ne­ment dont il s’agit, même si celle-ci est par­ti­cu­lière puisqu’elle s’étend à la popu­la­tion totale d’un État, la Sier­ra Leone, qui repré­sente quelque 6,2 mil­lions d’habitants à qui les auto­ri­tés ont impo­sé de res­ter trois jours « à la mai­son », du ven­dre­di 19 au dimanche 21 sep­tembre. Durant cette période, le gou­ver­ne­ment a annon­cé que 7.000 patrouilles com­po­sées d’agents de san­té, de mili­tants de la socié­té civile et d’un membre de la com­mu­nau­té feront du porte-à-porte pour détec­ter des cas pro­bables de mala­die d’Ebola cachés par leurs parents dans les mai­sons. L’objectif est de mettre en qua­ran­taine les nou­velles per­sonnes infec­tées par le virus et de limi­ter la pro­pa­ga­tion de l’épidémie. Quelques jours plus tard, mer­cre­di 24 sep­tembre en fin de soi­rée, le pré­sident de la Sier­ra Leone, Ernest Bai Koro­ma, a annon­cé lors d’une allo­cu­tion télé­vi­sée, la mise en qua­ran­taine de trois dis­tricts concer­nant 1,2 mil­lion de per­sonnes « avec effet immé­diat pour une durée indé­ter­mi­née ». Cette mesure a donc été impo­sée sans aver­tis­se­ment préa­lable au contraire de la pré­cé­dente qui fut annon­cée près de deux semaines à l’avance.

Alors que, à prio­ri, le confi­ne­ment semble simple à réa­li­ser et peu cou­teux, sa mise en œuvre concrète s’avère en réa­li­té extrê­me­ment com­plexe dans un pays « pré­pa­ré » tel que la Bel­gique. C’est encore plus vrai dans le cas qui nous intéresse.

D’abord, com­ment « contraindre » au confi­ne­ment la popu­la­tion d’un pays entier, qui s’étend sur plus de 70.000 km², alors qu’un cer­tain nombre de ser­vices ou d’activités doivent être néces­sai­re­ment main­te­nus ? Rendre obli­ga­toire la mesure à l’intérieur d’un péri­mètre même res­treint est déjà dif­fi­cile. La mise en qua­ran­taine du bidon­ville de West Point à Moro­via (Libe­ria), qui s’est sol­dée fin aout par des émeutes, plu­sieurs bles­sés et un mort, en est la preuve. En effet, que faire des per­sonnes qui ne res­pec­te­raient pas la mesure ?

Par ailleurs, par­mi les obs­tacles de taille, la com­mu­ni­ca­tion joue un rôle cru­cial. Com­ment et par quel biais les infor­ma­tions sont-elles ache­mi­nées à toute la popu­la­tion, y com­pris dans les zones rurales les plus recu­lées qui n’ont pas été pros­pec­tées depuis le début de l’épidémie ? La com­mu­ni­ca­tion préa­lable semble condi­tion­ner en grande par­tie l’efficacité de la mesure. Afin que la popu­la­tion se confine, il est néces­saire qu’elle com­prenne et accepte le pour­quoi de cette mesure. Cette com­mu­ni­ca­tion est ren­due d’autant plus dif­fi­cile en Sier­ra Leone par le fait que plus de la moi­tié de la popu­la­tion est anal­pha­bète. Elle ne peut donc que croire ce qui lui est dit sans pou­voir véri­fier cer­taines infor­ma­tions par elle-même. C’est la rai­son pour laquelle, cultu­rel­le­ment, elle reste lar­ge­ment convain­cue qu’Ebola est le résul­tat d’un acte de sor­cel­le­rie ou une puni­tion de Dieu envers ceux qui ont mal agi.

D’autre part, tech­ni­que­ment, la mesure de confi­ne­ment est dif­fi­cile à mettre en œuvre. En fonc­tion du risque auquel on est confron­té, les carac­té­ris­tiques des habi­ta­tions ou des abris seront capi­tales. Ain­si, dans un pays où l’accès à des infra­struc­tures de base (élec­tri­ci­té, eau potable) est loin d’être géné­ra­li­sé, peut-on res­ter trois jours confi­né dans son habi­ta­tion sans souf­frir de pro­blèmes de ravi­taille­ment pour des pro­duits de pre­mière néces­si­té comme l’alimentation et l’eau ? Les ques­tions pra­tiques fusent et se trans­forment en autant de pièges qui éloignent les indi­vi­dus des consignes des autorités.

Com­ment confi­ner une popu­la­tion rurale, vivant majo­ri­tai­re­ment de l’agriculture, en pleine période de récolte du riz et au début de la récolte du maïs, du mil et du sor­gho ? Com­ment aus­si confi­ner les éle­veurs dont les trou­peaux doivent « sor­tir » pour pâturer ?

Dans un pays où plus de la moi­tié de la popu­la­tion vit au jour le jour avec moins de 1,25 US$, com­ment confi­ner tous ces mar­chands ambu­lants et autres « pauvres » dont la nour­ri­ture du soir dépend du labeur du jour ?

Le pays étant com­po­sé essen­tiel­le­ment de musul­mans et de chré­tiens, les fidèles acceptent-ils d’être pri­vés de culte le ven­dre­di et le dimanche ?

L’opérationnalisation de la mesure est beau­coup plus com­plexe que l’on ne pour­rait l’imaginer à pre­mière vue, non seule­ment pour les auto­ri­tés en charge d’établir et de contrô­ler le péri­mètre, mais éga­le­ment pour les citoyens. En déci­dant d’une mesure de confi­ne­ment, le gou­ver­ne­ment fait le choix de ne pas éva­cuer la popu­la­tion face à un risque… Cepen­dant, quand le risque est dif­fus comme c’est le cas du virus Ebo­la, le confi­ne­ment n’est pas un choix, mais une contrainte. Où peut-on fuir, si ce n’est en dehors du ter­ri­toire ? Et encore, la fuite dans ce cas n’est qu’un accé­lé­ra­teur de la pro­pa­ga­tion du risque auquel on tente de se soustraire.

Notons fina­le­ment que la Sier­ra Leone ne dis­po­sait que de l’ordre de deux méde­cins et de moins d’une ambu­lance pour 100.000 habi­tants. Depuis le début de l’épidémie, le per­son­nel soi­gnant a payé un lourd tri­but puisque 95 per­sonnes en sont mortes, soit 10% de la mor­ta­li­té totale en date du 12 octobre. On peut dès lors déjà s’interroger sur les effec­tifs réel­le­ment dis­po­nibles. Car pen­dant ce temps, les autres mala­dies ne s’arrêtent pas, pas plus, par exemple, que les accou­che­ments. Puis, sim­ple­ment, les auto­ri­tés dis­posent-elles de dizaines de mil­liers de com­bi­nai­sons pro­tec­trices, gants en latex, masques et autres bottes à dis­tri­buer à ces équipes de patrouille pour qu’elles soient pro­té­gées de la conta­gion ? Et assez de solu­tion chlo­rée pour les désinfecter ?

Réus­sir un confi­ne­ment tel que celui ordon­né par les auto­ri­tés de la Sier­ra Leone demande de dis­po­ser de res­sources et de moyens de contrôle qui ne peuvent être réunis en suf­fi­sance. La fonc­tion pre­mière de cette mesure n’est-elle pas avant tout un mes­sage poli­tique afin de ras­su­rer ? Ras­su­rer la popu­la­tion du pays en lui don­nant l’illusion que l’autorité a la capa­ci­té de mai­tri­ser une crise majeure telle que l’épidémie d’Ebola. Mais ras­su­rer éga­le­ment la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale. « La for­ma­tion et la péren­ni­té de l’État reposent sur­tout sur ses capa­ci­tés à mai­tri­ser les risques qui menacent la col­lec­ti­vi­té ou les indi­vi­dus qui en font par­tie » (Fal­lon et al., 2008).

Florence de Longueville


Auteur