Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Message d’intérêt très général

Blog - Anathème par Anathème

novembre 2013

C’est déci­dé, ça me coû­te­ra ce que ça me coû­te­ra, mais je fonce ! J’ai bien conscience de ce que la publi­ci­té tente de nous faire consom­mer un maxi­mum de choses dont nous n’avons pas réel­le­ment besoin. D’un autre côté, en cette dépri­mante époque, la consom­ma­tion, c’est au moins un peu de bon­heur en boîte, de […]

Anathème

C’est déci­dé, ça me coû­te­ra ce que ça me coû­te­ra, mais je fonce ! J’ai bien conscience de ce que la publi­ci­té tente de nous faire consom­mer un maxi­mum de choses dont nous n’avons pas réel­le­ment besoin. D’un autre côté, en cette dépri­mante époque, la consom­ma­tion, c’est au moins un peu de bon­heur en boîte, de plai­sir en sachet, et ça, c’est mieux que rien, non ? Que fau­drait-il faire ? Résis­ter coûte que coûte et se pri­ver du peu de féli­ci­té qui nous est acces­sible ? Tom­ber en dépres­sion et, en fin de compte, consom­mer des anti­dé­pres­seurs plu­tôt que tout ce que nous vante la publi­ci­té ? Peut-on du reste jurer que ce bon­heur-là vaille moins qu’un autre ?

Chaque matin, en me rasant, ma radio me susurre, ou, plu­tôt, elle me hurle que je pour­rais être plus beau, plus épa­noui, plus riche, que mon tran­sit intes­ti­nal pour­rait être plus per­for­mant (qui veut faire un concours avec moi, j’ai besoin de points de com­pa­rai­son ?), que je pour­rais sen­tir meilleur, être plus attrac­tif, mieux logé, mieux chauf­fé, scan­da­leu­se­ment riche, et que sais-je encore ?

Toutes ces invites sont bien ten­tantes et je ne crois pas que mon salaire suf­fi­rait à tant de bon­heur, aus­si dois-je faire des choix. C’est tou­jours déchi­rant, un choix. Est-ce le bon ? Ne serai-je pas déçu ? N’aurais-je pas aus­si bien fait d’attendre une semaine de plus pour pro­fi­ter de cette incroyable pro­mo­tion que je ne pou­vais pré­voir, mais dont j’aurais pu me dou­ter que, à l’approche des fêtes, elle débou­le­rait dans mon poste ? Tant de joies pro­mises et qui me res­te­ront inac­ces­sibles, ça me fiche le moral en l’air !

Aus­si faut-il saluer l’effort, ces der­nières années, pour amé­lio­rer la situa­tion du consom­ma­teur et lui évi­ter de dou­lou­reux dilemmes. Pro­gres­si­ve­ment, cha­cune au tra­vers de son propre pro­duit, les publi­ci­tés ont com­men­cé à van­ter une même chose. Ça a com­men­cé avec la géné­ra­li­sa­tion gra­duelle des accents débiles et des voix invrai­sem­blables. On nous van­tait des sauces avec l’accent de Bruxelles, des bal­lets modernes avec la voix d’un pou­let étran­glé, des voi­tures avec des into­na­tions hys­té­riques. Nous étions accou­tu­més à la tor­peur pro­vo­quée par les slo­gans ineptes et raco­leurs, nous nous voyions secoués par les spasmes d’une dic­tion sous amphé­ta­mines. Pour ren­for­cer l’effet, il a fal­lu mon­ter le son. Et, ensuite, agré­men­ter le tout de brui­tages déli­rants, de bor­bo­rygmes sans queue ni tête, de hur­le­ments déments, tou­jours pour nous main­te­nir sous tension.

Ce qui se don­nait à entendre était une gale­rie de débiles men­taux en proie aux crises pro­vo­quées par la consom­ma­tion de sub­stances indé­fi­nies et qui chan­taient à tue-tête le bon­heur d’acheter n’importe quoi. Et c’est là que la lumière s’est faite. Je m’en suis cou­pé avec mon rasoir à 6 lames. Finie la frus­tra­tion, le bon­heur s’ouvrait enfin à moi, tout entier. Qu’importe le fla­con, pour­vu qu’on ait l’ivresse ! Tous ces spots se fon­daient en un seul qui me van­tait, non plus un pro­duit, mais un état ! Ce qui pou­vait pas­ser pour une dérive incon­trô­lable était en fait un mou­ve­ment pla­ni­fié vers une amé­lio­ra­tion du sort de l’humanité.

Je me fiche de ce que ça me coû­te­ra, mais moi aus­si je veux être un par­fait abru­ti. Ça a l’air tel­le­ment extra­or­di­naire. Quoi que j’achète ou n’achète pas, l’important est d’y par­ve­nir. J’ai main­te­nant un but dans ma vie ! Pas vous ? Quoi ? Vous n’avez pas enten­du tous ces spots radios sur le bon­heur de l’arriération men­tale ? Ils sont formidables !

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.