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Mea culpa

Blog - Anathème par Anathème

mai 2013

L’Internet a ses méandres qu’il est par­fois amu­sant d’explorer, mais il arrive que l’on s’y égare jusqu’à se retrou­ver dans un bras mort, les pieds dans la vase, les sang­sues aux mol­lets et la peur au ventre. Il y a quelque jour, je cli­quai sur un lien inno­cem­ment ten­du par un com­pa­gnon d’un réseau social (comme si […]

Anathème

L’Internet a ses méandres qu’il est par­fois amu­sant d’explorer, mais il arrive que l’on s’y égare jusqu’à se retrou­ver dans un bras mort, les pieds dans la vase, les sang­sues aux mol­lets et la peur au ventre.

Il y a quelque jour, je cli­quai sur un lien inno­cem­ment ten­du par un com­pa­gnon d’un réseau social (comme si les réseaux sociaux, depuis l’invention de Face­book, n’étaient plus qu’électroniques). Et là, je subis un choc. Oh, pas de sang, pas de tripes, pas d’appels au meurtre, non, rien de tout cela. Juste un choc esthé­tique et, sou­dain, pour une rai­son incon­nue, un déclic en moi.

Jusqu’alors, je m’étais tou­jours défi­ni comme libé­ral en termes de morale publique. Les modes de vie de mes conci­toyens du monde ne me regardent qu’exceptionnellement. Hors les atteintes mani­festes à mes droits, je les laisse juges de leurs bon­heurs, de leurs croyances, de leurs affi­ni­tés poli­tiques et de leurs choix esthé­tiques. Autant dire tout de suite que l’acharnement de cer­tains à s’inquiéter de ce que les femmes peuvent se mettre sur la tête m’a tou­jours fait l’effet d’une dis­cus­sion sur le sexe des anges : un sou­ci de riche, une pré­oc­cu­pa­tion d’hypocondriaques ou un pru­rit fas­cis­toïde. Ou les trois à la fois.

« Eh bien, pro­cla­mais-je à la can­to­nade, qu’une femme pense qu’elle doit trai­ter ses che­veux de telle manière parce que son Dieu le lui demande, parce qu’ils sont gras ou parce que son mari est jaloux, voi­là une déci­sion qui lui appar­tient. » Naï­ve­ment – je le per­çois aujourd’hui – il me sem­blait que, soit on éta­blis­sait la pré­somp­tion que cer­taines coiffes sont d’incontestables signes d’oppression tant il est impos­sible que leur port résulte d’un choix libre et éclai­ré, soit on son­dait les moti­va­tions de cha­cune pour, au terme d’une enquête, lais­ser à un juge des consciences le soin d’établir la légi­ti­mi­té des options indi­vi­duelles. Dans le pre­mier cas, on fai­sait fi de la pré­somp­tion de libre-arbitre au fon­de­ment de nos socié­tés libé­rales ; dans le deuxième, on éta­blis­sait un contrôle col­lec­tif des consciences. Cha­rybde ou Scylla.

Il me faut l’avouer, je n’avais pas été confron­té aux dérives les plus extrêmes de la coif­fure fémi­nine. C’est aujourd’hui chose faite, depuis que j’ai cli­qué sur le lien fatidique.

Com­ment est-ce pos­sible ? Com­ment peut-on réduire la femme à tel point qu’on l’oblige à por­ter ce type d’attributs, ou, pire, qu’on lui inculque que c’est bon pour elle ? Il est dif­fi­cile de pen­ser, au vu des contraintes pra­tiques que cela implique, du han­di­cap social que cela génère, qu’il puisse être natu­rel ou sou­hai­table pour une femme d’arborer une telle dégaine. Et je passe sur le pré­ju­dice esthé­tique. Et sur la stig­ma­ti­sa­tion sociale. J’ai donc chan­gé de façon de voir les choses et il m’apparaît aujourd’hui clai­re­ment qu’il faut recon­naître que la socié­té patriar­cale pèse encore assez sur les épaules des femmes pour les ame­ner à des com­por­te­ments proches d’une auto­mu­ti­la­tion sociale.

Oui, depuis que j’ai vision­né ce petit dia­po­ra­ma sur les coif­fures des pre­mières dames état­su­niennes, je ne vois plus les choses de la même manière. Me sont alors reve­nues des images des bru­shings de Dynas­ty et Dal­las, des chou­croutes hol­ly­woo­diennes, des mon­tages extra­va­gants des pré­sen­ta­trices télé amé­ri­caines, des folies archi­tec­to­niques des mili­tantes répu­bli­caines,… Osons l’affirmer : la femme amé­ri­caine ploie tou­jours sous l’infâme joug du bru­shing, arbo­rant une crête ami­don­née, pas­sant la majeure par­tie de sa vie active à éri­ger et entre­te­nir ce monu­ment à la vani­té de son mâle, souf­frant de dou­leurs à la nuque dues à la prise au vent et de décol­le­ments du cuir che­ve­lu sous l’effet d’un usage trop vigou­reux de la brosse ronde. Sous l’emprise d’hommes qui lui imposent une « pudeur » et une « digni­té » d’un autre âge, elle se mor­fond, s’étiole, pri­vée de la jouis­sance de ses droits fondamentaux.

Il n’est pas pos­sible de fer­mer les yeux plus long­temps. Il faut agir : inter­pel­ler le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, créer une jour­née mon­diale contre le bru­shing, adop­ter des sanc­tions éco­no­miques, ins­tau­rer un embar­go sur la laque, refu­ser l’exportation de fers à fri­ser et de sèche-cheveux,…

Comme un seul homme, il faut nous lever, tous unis pour les droits de la femme.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.