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Massacre à huis clos : des dizaines d’opposants iraniens assassinés en Irak

Blog - e-Mois par Pierre Vanrie

septembre 2013

Dans le tumulte qui agite le Moyen-Orient, et sin­gu­liè­re­ment la Syrie, ces der­niers temps, il est un évé­ne­ment qui est pra­ti­que­ment pas­sé inaper­çu, mais que l’on peut néan­moins lier, ne fut-ce qu’indirectement, à la crise syrienne et à ses pos­sibles impli­ca­tions géo­po­li­tiques régio­nales. En effet, le 1er sep­tembre der­nier, plu­sieurs dizaines de membres de l’Organisation des Moudjahedines […]

e-Mois

Dans le tumulte qui agite le Moyen-Orient, et sin­gu­liè­re­ment la Syrie, ces der­niers temps, il est un évé­ne­ment qui est pra­ti­que­ment pas­sé inaper­çu, mais que l’on peut néan­moins lier, ne fut-ce qu’indirectement, à la crise syrienne et à ses pos­sibles impli­ca­tions géo­po­li­tiques régionales.

En effet, le 1er sep­tembre der­nier, plu­sieurs dizaines de membres de l’Organisation des Moud­ja­he­dines du peuple d’Iran (OMPI), oppo­sants réso­lus au régime de la Répu­blique isla­mique d’Iran, ont été assas­si­nés, dans une qua­si indif­fé­rence, dans leur base, le camp Ash­raf, où ils rési­daient en Irak, au nord de Bagh­dad. Sur un peu plus d’une cen­taine de mili­tants qui vivaient encore dans ce camp, cin­quante-deux, selon les décla­ra­tions des Moud­ja­he­dines eux-mêmes, ont été assas­si­nés, tan­dis que les relais média­tiques des Gar­diens de la révo­lu­tion (Sepah é pas­da­ran), armée idéo­lo­gique de la Répu­blique isla­mique d’Iran, se réjouis­saient de l’ « éli­mi­na­tion » de « soixante-dix terroristes ».

Les Moud­ja­he­dines du peuple, orga­ni­sa­tion appa­rue dans les années soixante en Iran, ont déve­lop­pé une idéo­lo­gie vou­lant allier socia­lisme et islam. Très actifs, ils par­ti­cipent au ren­ver­se­ment du régime du Shah et à la révo­lu­tion de 1979. Dans le contexte de riva­li­té révo­lu­tion­naire qui carac­té­rise les pre­mières années de la révo­lu­tion, ils ne tardent pas à entrer dans une concur­rence vio­lente avec les par­ti­sans de l’ayatollah Kho­mei­ny. De nom­breux mili­tants de cette orga­ni­sa­tion sont alors condam­nés à mort et exé­cu­tés. Par­fois la simple accu­sa­tion, même non fon­dée, d’appartenance à cette mou­vance radi­cale, suf­fit à jus­ti­fier des exé­cu­tions som­maires. Ce sera notam­ment le cas au cours de l’été 1988, où des mil­liers, voire des dizaines de mil­liers, d’opposants (et pas seule­ment sym­pa­thi­sants de l’OMPI) sont exé­cu­tés dans des simu­lacres de pro­cès (dont un des pro­cu­reurs, Mos­ta­fa Pour Moham­ma­di n’est autre depuis août 2013 que le nou­veau ministre de la Jus­tice du gou­ver­ne­ment Rou­ha­ni) 1 .

Dès le début de la révo­lu­tion, le lea­der des Moud­ja­he­dines du peuple – Mas­soud Rad­ja­vi – s’enfuit à Paris avant de s’installer en Irak et de col­la­bo­rer avec le régime baa­siste de Sad­dam Hus­sein, notam­ment pour mener des attaques contre l’Iran depuis ce fameux camp d’Ashraf. Cette orga­ni­sa­tion au fonc­tion­ne­ment interne auto­ri­taire et non démo­cra­tique 2 a peu à peu aban­don­né son idéo­lo­gie ini­tiale pour adop­ter une atti­tude de plus en plus sec­taire carac­té­ri­sée notam­ment par un culte de la per­son­na­li­té ana­chro­nique cen­tré sur le couple Rad­ja­vi (Mas­soud et Miryam), lea­ders de l’organisation. L’entrée des troupes amé­ri­caines en Irak en 2003 va chan­ger la donne pour cette orga­ni­sa­tion dès lors que le nou­veau régime ira­kien, à domi­nante chiite plu­tôt pro-ira­nienne, ne veut plus voir ces oppo­sants ira­niens sur son sol. C’est à par­tir de cette date que l’on perd toute trace tan­gible de Mas­soud Rad­ja­vi tan­dis que sa femme dirige tou­jours l’organisation depuis la région pari­sienne où elle s’est ins­tal­lée en 1992.

De nom­breuses négo­cia­tions et des affron­te­ments vio­lents avec les forces de l’ordre ira­kienne (qui ont déjà fait plu­sieurs morts par­mi les Moud­ja­he­dines du peuple), débouchent en 2011 sur un com­pro­mis pilo­té par les Nations unies orga­ni­sant le dépla­ce­ment de ces mili­tants ira­niens vers un autre camp et vers d’autres pays que l’Irak. Le camp Ash­raf n’est dès lors plus habi­té que par une cen­taine de mili­tants désar­més entou­rés d’autorités hos­tiles et mena­cés par les demandes d’extradition de l’Iran.

Conséquence du conflit syrien ?

C’est dans ce contexte de grande vul­né­ra­bi­li­té que ces mili­tants iso­lés, et cou­pés idéo­lo­gi­que­ment depuis long­temps de ce qui reste des autres groupes d’opposition ira­niens en exil, ont été vic­times d’une véri­table opé­ra­tion com­man­do le 1er sep­tembre der­nier à l’aube. Des dizaines de per­sonnes ont ain­si été retrou­vées une balle dans la nuque et les mains liées der­rière le dos. Alors que l’OMPI accuse les auto­ri­tés mili­taires ira­kiennes (sup­po­sées assu­rer la sécu­ri­té du camp) d’avoir com­mis ce crime, les Gar­diens de la révo­lu­tion (Sepah é pas­da­ran), l’armée idéo­lo­gique du régime ira­nien, se sont ouver­te­ment réjouis par com­mu­ni­qué de ces assas­si­nats les qua­li­fiant de « ven­geance his­to­rique » (dès lors que l’OMPI a com­mis dans le pas­sé des atten­tats très meur­triers sur le sol ira­nien contre des res­pon­sables du régime) et les attri­buant à des « familles ira­kiennes vic­times du ter­ro­risme » (allu­sion à la col­la­bo­ra­tion de l’OMPI avec le régime de Sad­dam Hus­sein) 3 .

Cette affaire n’est-elle qu’un règle­ment de compte ira­no-ira­nien sus­ci­tant assez peu d’empathie tant par­mi les Ira­niens que dans la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale qui n’a jamais vrai­ment recon­nu cet acteur poli­tique par­ti­cu­lier comme un par­te­naire à part entière ? Ou bien s’agit-il d’une démons­tra­tion de force menée direc­te­ment ou indi­rec­te­ment par les Gar­diens de la révo­lu­tion ira­niens – et de sa branche char­gée des actions exté­rieures, le Sepah é Qods (l’armée de Jéru­sa­lem) – qui entend, dans le cadre d’une inter­na­tio­na­li­sa­tion du conflit syrien, mon­trer ses capa­ci­tés mili­taires et poli­tiques dans ce qu’il consi­dère comme sa sphère d’influence dont fait pré­ci­sé­ment par­tie l’Irak mais aus­si la Syrie ?

  1. Lire à ce pro­pos le rap­port très détaillé de Geof­frey Robert­son (spé­cia­liste des droits de l’homme qui a notam­ment sié­gé à la cour spé­ciale des Nations-Unies pour la Sier­ra Leone) : http://www.iranrights.org/english/document-1380.php . Une ini­tia­tive des familles des vic­times de ces exé­cu­tions de l’été 1988, tota­le­ment occul­tées en Iran, ont consti­tué à l’extérieur de l’Iran un tri­bu­nal spé­cial dans le but que soient jugés les res­pon­sables de ces exé­cu­tions : http://www.irantribunal.com/index.php/en/
    (2) http://www.hrw.org/legacy/backgrounder/mena/iran0505/iran0505fr.pdf
  2. a télé­vi­sion d’Etat ira­nienne a annon­cé de façon contra­dic­toire que ces assas­si­nats étaient le fait de « familles ira­kiennes » tout en affir­mant dans un autre bul­le­tin d’information que ces morts étaient dues à des « dis­sen­sions internes » au sein de l’organisation.
  3. La télé­vi­sion d’Etat ira­nienne a annon­cé de façon contra­dic­toire que ces assas­si­nats étaient le fait de « familles ira­kiennes » tout en affir­mant dans un autre bul­le­tin d’information que ces morts étaient dues à des « dis­sen­sions internes » au sein de l’organisation.

Pierre Vanrie


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