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Macronomics : le non-programme européen

Blog - Délits d’initiés - économie Europe France par Olivier Derruine

juillet 2017

Les élec­tions fran­çaises et alle­mandes sont des enjeux de poli­tique inté­rieure pour tous les Etats membres de l’Union euro­péenne en rai­son du poids cumu­lé de ces deux pays. Ne pre­nons que les poids éco­no­mique (50% du PIB de la zone euro et 43% de l’UE sans le Royaume-Uni) ou démo­gra­phique (33% de la popu­la­tion européenne […]

Délits d’initiés

Les élec­tions fran­çaises et alle­mandes sont des enjeux de poli­tique inté­rieure pour tous les Etats membres de l’Union euro­péenne en rai­son du poids cumu­lé de ces deux pays. Ne pre­nons que les poids éco­no­mique (50% du PIB de la zone euro et 43% de l’UE sans le Royaume-Uni) ou démo­gra­phique (33% de la popu­la­tion euro­péenne hors UK), ce der­nier leur per­met­tant, en s’associant à deux « petits » pays de consti­tuer une mino­ri­té de blo­cage. Evi­dem­ment, leur réelle influence est moins appa­rente, plus dif­fuse car il suf­fit que l’un des deux pays mani­feste son oppo­si­tion à un pro­jet pour que celui-ci ne dépasse pas le stade du brainstorming.

Ce n’était donc pas un non-évé­ne­ment que le nou­veau loca­taire de l’Elysée, Emma­nuel Macron, et la chan­cel­lière sor­tante, Ange­la Mer­kel, se ren­con­traient la veille de la Fête natio­nale fran­çaise et sur­tout en pleine phase d’effervescence de l’«Europe » (ou plu­tôt la bulle du Rond-Point Schu­man englo­bant les ins­ti­tu­tions, les think tanks, les ONG européennes).

Oui, il se passe des choses en Europe et concer­nant l’Europe elle-même. Dans l’indifférence de ses popu­la­tions, plu­sieurs chan­tiers de long terme ont été ouverts récem­ment, que ce soit à l’occasion des 60 ans du trai­té de Rome ou de la publi­ca­tion de plu­sieurs docu­ments de réflexion de la Com­mis­sion. Celle-ci invite notam­ment les Etats membres à se posi­tion­ner et à lui don­ner leur feu vert pour tra­vailler concrè­te­ment sur des thèmes liés à la glo­ba­li­sa­tion, l’Europe sociale, la zone euro, la défense, l’avenir des finances de l’UE.

L’arrivée d’Emmanuel Macron coïn­cide donc avec cette période qui ouvre une fenêtre d’opportunité pour recon­fi­gu­rer l’Europe et qui pour­rait se refer­mer dès 2019 si les élec­tions euro­péennes confir­maient la mon­tée des popu­lismes. Le fait qu’il se soit dit « ouvert à un chan­ge­ment de trai­té » n’est pas à prendre à la légère car depuis le trau­ma­tisme cau­sé par les « non » fran­çais et néer­lan­dais au pro­jet de trai­té consti­tu­tion­nel de 2005, la révi­sion des trai­tés est un tabou, et ce même s’ils furent de fait ajus­tés à la marge lorsque fut créé le bras d’intervention finan­cière de l’UE pour aider les pays dans l’oeil du cyclone de la crise (le méca­nisme euro­péen de sta­bi­li­té via un amen­de­ment de deux lignes à l’article 136 du Trai­té). La crise a d’ailleurs clai­re­ment mis en évi­dence les lacunes dans la concep­tion et la gou­ver­nance de la zone euro : les bulles immo­bi­lières, lorsqu’elles furent iden­ti­fiées, ne furent pas réglées ; l’apparente conver­gence des Etats membres repo­sait sur un châ­teau de sable ; l’incapacité d’assurer le rat­tra­page des pays les moins riches et l’absence de méca­nismes de soli­da­ri­té envers ceux qui connaissent une tra­ver­sée du désert sans que cela implique leur humi­lia­tion ; la mise en œuvre uni­la­té­rale de poli­tiques natio­nales alors qu’elles pro­duisent des effets trans­fron­ta­liers, etc.

La conso­li­da­tion de la zone euro a fait l’objet de plu­sieurs bou­teilles lan­cées à la mer ces der­nières années. Qu’il s’agisse des pro­po­si­tions for­mu­lées par la Com­mis­sion dès 2012, au groupe de haut niveau pilo­té par le pré­sident de l’UE de l’époque, Her­man Van Rom­puy, au der­nier docu­ment de réflexion sur l’UEM en pas­sant par le rap­port dit des cinq pré­si­dents, on ne compte plus les textes qui tan­tôt embrassent la zone euro dans son ensemble, tan­tôt ciblent un aspect par­ti­cu­lier comme la mutua­li­sa­tion d’une part des dettes publiques (un bon du Tré­sor de la zone euro pour rendre les coûts de finan­ce­ment et de rem­bour­se­ment moins oné­reux en offrant aux inves­tis­seurs pri­vés des titres sûrs). Et que de temps perdu !

Réfor­mer la zone euro est un enjeu par­ti­cu­liè­re­ment impor­tant à plu­sieurs égards. Tout d’abord parce que l’état de l’économie est source de pré­oc­cu­pa­tions pour bon nombre d’Européens, par­ti­cu­liè­re­ment dans la zone euro qui compte plus de citoyens à pen­ser que la crise dure­ra encore de longues années que les pays qui n’en sont pas membres (34% vs 23%; (Euro­ba­ro­mètre, p.100). Ensuite parce que, à part le Dane­mark (et le Royaume-Uni), tous les Etats membres devront rejoindre la mon­naie unique ; ils n’ont pas négo­cié d’«opt-out ». La zone euro consti­tue donc bien le cœur de l’UE.

Deux faibles idées-forces

Macron s’inscrit dans l’ère du temps en avan­çant deux idées durant sa cam­pagne pré­si­den­tielle : il faut dési­gner un ministre des Finances de la zone euro et la doter d’un bud­get qui lui sera propre, dis­tinct de celui de l’UE.

Ceci est très bien et va dans la bonne direc­tion, sauf que l’on en est au stade des géné­ra­li­tés. Parce qu’elles ne sont pas étayées, ces idées posent plus de ques­tions qu’elles n’offrent de réponses.

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Pre­nons le bud­get de la zone euro. Tout juste sait-on qu’Emmanuel Macron vou­drait le dédi­ca­cer à des inves­tis­se­ments d’avenir, à une assis­tance finan­cière d’urgence (dans des cas « à la grecque ») et à des actions sta­bi­li­sa­trices de l’économie lors d’un choc.
Bien. Mais concer­nant le volet « inves­tis­se­ments d’avenir », cela ne crée­rait-il pas un dou­blon avec le Fonds Jun­cker (315 mil­liards € entre 2015 et 2018 et un dou­ble­ment à par­tir de là), à moins que celui-ci ne doive être rema­nié ? Et quel type d’investissements vise­rait-on ? Qu’est-ce qui jus­ti­fie­rait que les pays de la zone euro soient les prin­ci­paux béné­fi­ciaires de ces inves­tis­se­ments alors qu’un cer­tain nombre de pays hors zone euro sont à la traîne, en par­ti­cu­lier en matière d’investissements en R&D ? Le même genre de ques­tions se pose si on envi­sage la fonc­tion « assis­tance finan­cière d’urgence » de ce bud­get : rem­pla­ce­rait-il le Méca­nisme euro­péen de sta­bi­li­té qui est le bras finan­cier de l’UE pour sou­te­nir les pays en dif­fi­cul­té ? Quant au volet « sta­bi­li­sa­tion de l’économie », enfin, quelle forme pren­drait-il ? S’agirait-il d’un fonds d’assurance chô­mage euro­péen, idée régu­liè­re­ment évo­quée depuis qu’un ancien com­mis­saire à l’Emploi, Lasz­lo Andor, l’avait sor­tie de son cha­peau en toute fin de mandat ?

Mais sur­tout, quelle serait la taille de ce bud­get de la zone euro (on estime que pour jouer un effet sta­bi­li­sa­teur de l’ordre de 1 % du PIB, il fau­drait un bud­get de 4 % du PIB de la zone euro) ? Et com­ment serait-il ali­men­té ? Serait-il abon­dé par une taxe euro­péenne nou­velle (pré­le­vée sur quoi ?) ou par de nou­velles contri­bu­tions natio­nales ? Quel serait son lien avec le bud­get de 1.000 mil­liards d’euros pour l’ensemble de l‘UE (1 % du PIB euro­péen par an, 2014 – 2020) ? La contri­bu­tion des Etats membres de la zone euro au bud­get euro­péen serait-elle rabo­tée alors ou bien devraient-ils coti­ser aux deux bud­gets aux­quels cas, cela crée­ra des pro­blèmes en termes de res­pect des obli­ga­tions bud­gé­taires prises dans le cadre du Pacte de Sta­bi­li­té et de Croissance ?

Enfin, dans quel délai Macron escompte-t-il la mise en place dudit bud­get ? Les pro­chaines élec­tions euro­péennes de 2019 ne per­mettent pas une mise en œuvre rapide : aucune pro­po­si­tion ne pour­ra être étu­diée et amen­dée par les euro­dé­pu­tés d’ici là. De toute façon, on voit mal com­ment, presque ex nihi­lo, la Com­mis­sion, qui marche sur des œufs lorsque l’on parle gros sous, pour­rait dépo­ser dans un ave­nir pas trop éloi­gné une pro­po­si­tion légis­la­tive qui ne soit pas tor­pillée d’emblée par les Etats membres dont l’unanimité sera requise.

Enfin, dans sa concep­tion des choses, Emma­nuel Macron vou­drait que l’accès au bud­get de la zone euro soit condi­tion­né au res­pect de règles bud­gé­taires et sociales, l’objectif étant ici de lut­ter contre le dum­ping social. Mais quel(s) critère(s) prendre en compte ? On sait que Macron était remon­té contre la direc­tive sur le déta­che­ment des tra­vailleurs qui ne pro­tège pas suf­fi­sam­ment les sala­riés fran­çais. La Com­mis­sion en a pro­po­sé une ver­sion amen­dée il y a quelques mois. Est-ce à cela qu’il fait impli­ci­te­ment réfé­rence, ou bien à la fixa­tion d’un salaire (ou reve­nu) mini­mum per­met­tant à cha­cun de vivre de manière décente ? Nul ne le sait. D’ailleurs, on est en droit de se deman­der si en matière de lutte contre la concur­rence déloyale, la prio­ri­té de Macron ne devrait se situer sur le ter­rain fis­cal, les scan­dales à répé­ti­tion (Wiki­leaks, Lux­leaks, Pana­ma­leaks…) ayant révé­lé les carences de l’UE en la matière. Certes, lors de sa ren­contre avec Mer­kel, les deux chefs d’Etat se sont enga­gés à adop­ter d’i­ci la fin de l’an­née une posi­tion conjointe concer­nant le pro­jet d’assiette com­mune d’impôt sur les socié­tés. Trois bémols tou­te­fois : ce pro­jet ne concer­ne­rait que les mul­ti­na­tio­nales réa­li­sant un chiffre d’affaires d’au moins 750 mil­lions d’euros, un seuil tel que 90 % des grandes entre­prises inter­na­tio­nales y déro­ge­raient ! (NB. Ce seuil fai­sait aus­si débat dans un autre dos­sier légis­la­tif) ; il n’est nul­le­ment ques­tion de fixer un taux d’imposition mini­mum ; la cré­di­bi­li­té de l’engagement est dou­teuse car il y a 6 ans, Sar­ko­zy et la même Mer­kel pre­naient le même enga­ge­ment dans la pers­pec­tive d’une entrée en vigueur en… 2013. 

Seconde grande idée de Macron : il sou­haite la créa­tion d’un ministre de l’Economie et des Finances de la zone euro, res­pon­sable du bud­get de la zone euro et ren­dant des comptes devant un Par­le­ment de la zone euro. L’ambition est louable. Mais quelles seraient les com­pé­tences de ce ministre : pour­rait-il reto­quer le pro­jet de bud­get d’un pays parce que celui-ci ne serait pas conformes à la tra­jec­toire bud­gé­taire conve­nue avec la Com­mis­sion ? Ce ministre serait-il un super com­mis­saire euro­péen ou relè­ve­rait-il du Conseil des ministres de l’Economie et des Finances ? Ou encore, s’agirait-il d’un hybride du type « vice-pré­sident de la Com­mis­sion et pré­sident du Conseil Eco­Fin » à la manière du haut repré­sen­tant en charge des Affaires exté­rieures ? Quel contrôle ou super­vi­sion le Par­le­ment euro­péen exer­ce­rait-il sur cette fonc­tion ? La ques­tion n’est pas que pure­ment ins­ti­tu­tion­nelle puisque, in fine, il s’agit d’asseoir la légi­ti­mi­té de l’individu en ques­tion et des déci­sions qu’il prend, légi­ti­mi­té qui devra être inat­ta­quable dès lors que ce ministre pour­ra inti­mer à un gou­ver­ne­ment natio­nal de lui pré­sen­ter un autre pro­jet de bud­get. Afin d’éviter l’écueil consis­tant à accor­der une prio­ri­té exces­sive aux ques­tions bud­gé­taires, quelles seront ses rela­tions avec les autres com­mis­saires, en par­ti­cu­lier ceux en charge des Affaires sociales et de la lutte contre les chan­ge­ments cli­ma­tiques, enjeux qui néces­sitent de mobi­li­ser des sommes colos­sales si l’on veut s’y atta­quer sérieusement. 

Le can­di­dat Macron était raillé pour les zones d’ombre de son (non-)programme durant la cam­pagne. On découvre, aujourd’hui que le pré­sident Macron occupe l’avant-plan de la scène inter­na­tio­nale, que le dos­sier euro­péen n’était pas plus lim­pide. Le flou entou­rant l’attitude de Macron à l’égard de l’UE et sin­gu­liè­re­ment de la zone euro ne s’est d’ailleurs pas dis­si­pé comme on a pu s’en aper­ce­voir à l’occasion de son dis­cours au Congrès de Ver­sailles au début du mois de juillet Certes, le pas­sage consa­cré à l’Europe fut plein de souffle. Mais qui dit souffle dit air et qui dit air dit vide. Au lieu de pré­ci­ser sa pen­sée, il avan­ça un nou­veau pro­ces­sus au titre pom­peux de « conven­tions démo­cra­tiques » qu’il veut lan­cer par­tout, avec Ange­la Mer­kel « d’ici la fin de l’année ». C’est igno­rer un peu vite le « détail » des élec­tions fédé­rales de la fin sep­tembre, même si, à l’heure d’écrire ces lignes, Ange­la Mer­kel devance de 10 points son chal­len­ger social-démo­crate, Mar­tin Schulz. Ce concept tom­bé comme un che­veu dans la soupe pro­gram­ma­tique n’est à nou­veau pas étayé et sa fina­li­té reste mystérieuse.

« Les pays de l’Europe pour les­quels celle-ci ne se réduit pas au mar­ché, mais des­sine un espace où une cer­taine idée de la valeur de l’homme, et l’exigence de jus­tice sociale, sont recon­nus comme pré­émi­nents, doivent se res­sai­sir d’un pro­jet déci­sif et s’organiser en consé­quence, fût-ce au prix d’un exa­men sans com­plai­sance de notre fonc­tion­ne­ment actuel. Il revient à la France d’en prendre l’initiative. Je sou­haite le faire grâce et par le tra­vail étroit que j’ai d’ores et déjà enga­gé avec la chan­ce­lière d’Allemagne. D’ici la fin de l’année, sur cette base, nous lan­ce­rons par­tout en Europe des conven­tions démo­cra­tiques » (dis­cours au Congrès de Ver­sailles, 3 juillet 2017).

Un volontarisme à la Sarkozy

Quant à la forme, on semble recon­naître le style volon­ta­riste de Nico­las Sar­ko­zy qui ne s’embarrassait pas du pro­to­cole lorsque Macron déclare que « la construc­tion euro­péenne est fra­gi­li­sée par la pro­li­fé­ra­tion bureau­cra­tique et par le scep­ti­cisme crois­sant qui en découle. Je crois fer­me­ment à l’Europe, mais je ne trouve pas ce scep­ti­cisme injus­ti­fié. Je vous pro­pose de reprendre de la hau­teur, de sor­tir de la tyran­nie des agen­das et des calen­driers et des méandres de la technique. »

L’un dans l’autre, des idées brouillonnes avec une démarche trop cava­lière, sont un cock­tail condui­sant n’importe quel pro­jet d’intérêt géné­ral à res­ter dans les car­tons. Or, Yanis Varou­fa­kis et d’autres n’ont pas néces­sai­re­ment tort quand ils pro­phé­tisent la dés­in­té­gra­tion de l’UE en 2025 si celle-ci ne change pas rapi­de­ment et radi­ca­le­ment de cap. D’ailleurs, lorsqu’il accé­da à la pré­si­dence de l’exécutif euro­péen, Jun­cker était assez proche de par­ta­ger ce constat il pré­sen­ta alors sa Com­mis­sion comme celle « de la der­nière chance ».

Au regard de l’influence de la France et de l’Allemagne sur l’ensemble de l’Europe, Emma­nuel Macron et Ange­la Mer­kel ou son suc­ces­seur ne peuvent se per­mettre d’échouer, de faire échouer l’UE, sinon le ter­rain euro­péen sera un trem­plin de choix pour la conquête du pou­voir par l’extrême-droite dans ces pays et les autres. Or, dans ce contexte de réflexions exis­ten­tielles et sans même avoir abor­dé le conte­nu même des poli­tiques sociales, envi­ron­ne­men­tales ou éco­no­miques, le style Macron qui n’est pour­tant pas un novice sur la scène euro­péenne puisqu’il sié­gea pen­dant près de deux ans au Conseil n’invite guère à l’optimisme.

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen