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Les revues indépendantes non commerciales, plus que jamais indispensables à la démocratie

Blog - e-Mois par La Revue nouvelle

mars 2023

Le pré­sent docu­ment appelle le monde poli­tique à s’engager fer­me­ment en faveur des revues indé­pen­dantes non com­mer­ciales, les­quelles font par­tie de la richesse cultu­relle et démo­cra­tique de la Fédé­ra­tion Wallonie-Bruxelles.

e-Mois

Le pré­sent docu­ment appelle le monde poli­tique à s’engager fer­me­ment en faveur des revues indé­pen­dantes non com­mer­ciales, les­quelles font par­tie de la richesse cultu­relle et démo­cra­tique de la Fédé­ra­tion Wallonie-Bruxelles.

Un État démocratique ne peut se concevoir sans société démocratique. 

Pour les auto­ri­tés publiques, exer­cer le pou­voir dans une socié­té démo­cra­tique sup­pose de res­pec­ter des pro­cé­dures pré­cises, de se plier au jeu des élec­tions ou encore de se sou­mettre à des normes intan­gibles, fixant des limites claires à leur emprise, notam­ment en termes de liber­tés fondamentales.

Mais un pou­voir démo­cra­tique ne peut exis­ter sans une socié­té démo­cra­tique qui le sou­tient et le cri­tique, qui valide ses déci­sions et y par­ti­cipe, qui se sou­met aux règles qu’elle se donne et qu’elle accepte comme légi­times. Sans socié­té démo­cra­tique, le pou­voir est, soit pri­vé de tout apport et s’agite devant une col­lec­ti­vi­té amorphe et indif­fé­rente, soit constam­ment en butte à l’opposition, à la vio­lence et aux dérives de groupes contes­tant sa légi­ti­mi­té tout en refu­sant de jouer le jeu collectif.

La vie démo­cra­tique néces­site de faire des choix, tant indi­vi­duels que col­lec­tifs. Elle sup­pose aus­si que des tran­sac­tions et des com­pro­mis inter­viennent entre les grandes ten­dances qui tra­versent la socié­té. Or, au tra­vers de tels pro­ces­sus des valeurs et une vision du monde sont tou­jours enga­gées. Il importe, non seule­ment d’en avoir conscience, mais aus­si de créer les condi­tions qui rendent la chose per­cep­tible au plus grand nombre. C’est pour­quoi un tel modèle de ges­tion de l’intérêt géné­ral doit être ali­men­té par l’information, l’analyse et le débat qui, seuls, per­mettent d’éclairer les posi­tions et les choix collectifs.

Il en découle qu’une socié­té démo­cra­tique ne peut se conce­voir sans médias indé­pen­dants de qualité. 

Au-delà de l’information : le temps de la réflexion

Les médias relaient l’information, pro­duisent des réflexions sur les enjeux du moment, rendent compte de l’actualité et la mettent en pers­pec­tive. Dans ce contexte, la presse écrite quo­ti­dienne et pério­dique, la radio et la télé­vi­sion se consacrent pour l’essentiel (même si pas exclu­si­ve­ment) à « l’actualité chaude ». Pour cru­ciaux que ces organes soient, ils ne peuvent être seuls en lice.

Heu­reu­se­ment, à côté de cette presse majo­ri­taire et domi­nante, vit tout un monde, peut-être plus dis­cret, mais tout aus­si indis­pen­sable, qui mise davan­tage sur le temps long et la réflexi­vi­té. Ces organes ont en com­mun d’avoir opté pour plus de pro­fon­deur et de recul. Cette approche est par­fois périlleuse, car elle implique anti­ci­pa­tion des sujets, mise en place de démarches longues et incer­taines, renon­ce­ment au coup d’éclat au pro­fit de la construc­tion du sujet, pré­pa­ra­tion soi­gneuse et lente ; elle favo­rise cepen­dant une meilleure com­pré­hen­sion du réel, et un dépas­se­ment des appa­rences. Sans ce recul néces­saire l’évènement ponc­tuel n’a pas de sens. Le recul et la réflexion per­mettent, au-delà du dévoi­le­ment de l’envers du décor, la recherche des signi­fi­ca­tions des évo­lu­tions lentes et des logiques trans­ver­sales. Ils sup­posent la spé­cia­li­sa­tion, la patience de l’observateur, le refus de la faci­li­té et du pré­ju­gé, la constante remise en ques­tion. Bien sou­vent, enquête et réflexion sont mêlés, tou­jours, ils ouvrent de nou­velles pers­pec­tives et com­plètent le tra­vail de la presse de grande audience.

Ces médias tra­vaillent sur trois socles : la pra­tique d’un jour­na­lisme exi­geant, un enga­ge­ment au ser­vice d’une socié­té démo­cra­tique et inclu­sive et une ambi­tion réflexive éle­vée. Ils ne sont pas les plus riche­ment dotés, ni les plus visibles. Ils sont le fruit d’un inves­tis­se­ment tant pro­fes­sion­nel que citoyen, mais tou­jours dif­fi­cile, constam­ment réa­li­sé sur le fil du rasoir.

S’agissant de démo­cra­tie et non de com­merce, l’utilité de ces pro­jets édi­to­riaux ne se mesure pas en audi­mat, en divi­dendes ou en espaces publi­ci­taires. Le ser­vice ren­du par ces organes de presse n’est pas éco­no­mique. Il n’en est pas moins vital pour la société.

Des médias en danger de mort

Ces médias du temps long n’ont jamais bras­sé des sommes folles et n’ont pas été créés pour déga­ger des pro­fits. Tout au plus ambi­tionnent-ils de ce point de vue de don­ner de quoi vivre à ceux qui en font leur métier. Ils sont habi­tués à gérer la pénu­rie, à vivre de peu, à res­treindre leurs moyens (sans renon­cer à leurs ambi­tions), … mais ils ne peuvent vivre sans un sou­tien minimal.

Or, ce sou­tien manque cruellement.

En effet, les organes de presse concer­nés peinent à sup­por­ter les couts qui leur incombent, notam­ment du fait de la néces­si­té de gérer sans cesse davan­tage de canaux de com­mu­ni­ca­tion et d’élargir leur lec­to­rat. Aux sup­ports papier, se sont ajou­tés les sites inter­net et la néces­si­té de publier en ligne, avec ce que cela com­porte d’opérations tech­niques régu­lières, puis le besoin d’exister sur les réseaux sociaux et d’y déve­lop­per une stra­té­gie cohé­rente et qua­li­ta­tive. Or, dans un mar­ché aus­si petit que la Bel­gique fran­co­phone, il ne peut être ques­tion d’intégralement réper­cu­ter l’augmentation de ces couts sur le lec­to­rat, au risque de rendre nos publi­ca­tions inaccessibles.

Paral­lè­le­ment, les sources de finan­ce­ment public sont demeu­rées à la fois aléa­toires et instables. C’est ain­si qu’un finan­ce­ment à enve­loppe fer­mée de l’aide à la presse pério­dique non com­mer­ciale abou­tit à res­treindre le mon­tant octroyé à chaque titre sou­te­nu quand le nombre de béné­fi­ciaires croit – témoi­gnant d’une vita­li­té du pay­sage média­tique, mais aus­si d’une concur­rence accrue –. À l’inverse la règle de mini­mis « impo­sée » par l’Union euro­péenne (qui a pour but d’éviter les dis­tor­sions de concur­rence trans­fron­ta­lière dues aux pou­voirs publics) empêche une aug­men­ta­tion des moyens alloués lorsque le nombre d’acteurs baisse. Il faut ajou­ter que cette règle de mini­mis empêche de cher­cher un sou­tien auprès d’autres auto­ri­tés publiques, les mon­tants alloués étant glo­ba­li­sés. Or, l’application de cette règle n’est pas légi­time étant don­né que les acteurs de ce sec­teur relèvent des ser­vices cultu­rels, que les Trai­tés ont déci­dé de sous­traire aux régle­men­ta­tions sur la concur­rence. Ce qui est recher­ché par nos médias est avant tout la contri­bu­tion à la vie cultu­relle et démo­cra­tique de notre socié­té. Enve­loppe fer­mée et mini­mis créent le cadre d’un jeu dans lequel nos médias sont per­dants, quelle que soit la situation.

En outre, le finan­ce­ment des organes de presse est régi par un arrê­té gou­ver­ne­men­tal, ce qui n’offre que peu de garan­ties de péren­ni­té, et est octroyé sur une base annuelle. Dans ces condi­tions, tabler sur un finan­ce­ment stable pour pro­cé­der à des inves­tis­se­ments est impossible.

Enfin, les moyens alloués aux pério­diques non com­mer­ciaux ne sont pas indexés. La récente reva­lo­ri­sa­tion a ain­si tota­le­ment dis­pa­ru du fait de la forte infla­tion de ces der­nières années… La situa­tion est telle que plu­sieurs médias risquent de dis­pa­raitre dans les deux années à venir, dont la Revue nou­velle, qui parait sans dis­con­ti­nuer depuis 1945.

La néces­si­té d’un sou­tien clair

Pour pou­voir faire face aux défis actuels, les revues intel­lec­tuelles et de débat ont besoin d’un sou­tien clair et stable de la part des auto­ri­tés. Mal­gré les cris d’alerte, depuis plu­sieurs années, les cabi­nets com­pé­tents suc­ces­sifs ont oscil­lé entre indif­fé­rence et vaines pro­messes. Depuis le début de l’actuelle légis­la­ture, l’engagement de prendre la ques­tion à bras le corps est régu­liè­re­ment répé­té, mais n’est pas réel­le­ment pris en charge ou abou­tit à des pro­po­si­tions inadéquates.

La situa­tion actuelle néces­site des déci­sions claires. Sau­ver les revues indé­pen­dantes non com­mer­ciales requiert une garan­tie plu­ri­an­nuelle du finan­ce­ment, un sou­tien suf­fi­sant tenant notam­ment compte de l’évolution des couts de pro­duc­tion et une dis­pense du res­pect de règles conçues pour régu­ler la concur­rence entre États membres de l’UE.

Il faut donc, avant la fin de l’actuelle légis­la­ture, mettre en place :

1- Un décret réglant le finan­ce­ment du sec­teur de la presse pério­dique non com­mer­ciale et prévoyant 

• une attri­bu­tion plu­ri­an­nuelle du sub­side (conven­tion­ne­ment trien­nal p.ex.)

• une adap­ta­tion auto­ma­tique des mon­tants alloués à l’évolution des prix

• un sys­tème d’enveloppe ouverte

• un finan­ce­ment plan­cher garanti

• une éven­tuelle adap­ta­tion à la hausse de celui-ci sur la base d’une esti­ma­tion objec­tive des besoins des dif­fé­rents organes, par une ins­tance indé­pen­dante, sur la base de l’examen d’un dos­sier de demande de sou­tien arti­cu­lé autour de cri­tères concertés

2- Une dis­pense de la règle de mini­mis, comme c’est le cas dans d’autres pays européens.

Nous appe­lons Mme Linard et, de manière géné­rale, le gou­ver­ne­ment de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, à prendre leurs res­pon­sa­bi­li­tés et leur deman­dons de mon­trer, par des mesures concrètes et fortes, leur sou­tien au rôle démo­cra­tique des revues indé­pen­dantes non commerciales.

La Revue nouvelle


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