Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Les réfugiés, « valets puants » de la Belgique confédérale ?
Depuis qu’a éclaté la « crise de l’asile » provoquée par l’afflux massif de réfugiés en provenance du Moyen-Orient, les différents niveaux de pouvoir belges (Fédération, Régions, Communautés et pouvoirs locaux) se sont distingués par un usage pour le moins erratique de leurs compétences propres et par une cacophonie bruyante de leurs politiques respectives de communication. Pour […]
Depuis qu’a éclaté la « crise de l’asile » provoquée par l’afflux massif de réfugiés en provenance du Moyen-Orient, les différents niveaux de pouvoir belges (Fédération, Régions, Communautés et pouvoirs locaux) se sont distingués par un usage pour le moins erratique de leurs compétences propres et par une cacophonie bruyante de leurs politiques respectives de communication. Pour ne rien arranger, les responsables des exécutifs concernés et certains mandataires adeptes du « buzz » se sont répandus en déclarations et promesses à l’emporte-pièce qui, pour paraphraser feu Charles Pasqua, « n’engagent que ceux qui y croient ».
Si l’on oublie un instant les principaux intéressés, autrement dits les demandeurs d’asile, ces gestions erratiques et ces communications cacophoniques sont exemplaires, dans les deux acceptions de l’attribut, du fédéralisme de confrontation, autrement dit du confédéralisme dans lequel est entrée la Belgique depuis sa sixième réforme institutionnelle. Dans ce confédéralisme de facto, deux formations politiques se sentent parfaitement à l’aise et se meuvent avec une souplesse qui force le respect : les nationalistes « néoflamands » de la N‑VA et les socialistes francophones du PS.
Aujourd’hui, bien malin serait le citoyen lambda flamand, wallon ou bruxellois capable de désigner quels niveaux de pouvoir et quels décideurs politiques sont en définitive responsables et compétents sur cette question humainement et politiquement sensible qu’est celle de l’accueil des demandeurs d’asile. L’incapacité ou l’impossibilité d’identifier des responsables confère aux décideurs fédéraux et fédérés un certificat d’irresponsabilité, une garantie d’immunité politique en quelque sorte. Mais il n’est pas sûr que cette immunité soit tenable sur le long terme.
Theo Francken, une trop commode tête à claques
Au départ, les choses semblaient claires au niveau du gouvernement fédéral. Après s’être fait un nom dès l’été 2014 en Belgique francophone à la suite des révélations relatives à ses bourgondische smulpartijen1 en compagnie d’anciens collaborateurs de l’occupant nazi, le très conservateur et nationaliste flamand Theo Francken allait ensuite interpréter sans trop se forcer le rôle du sjampetter2, en sa qualité de secrétaire d’État (N‑VA) à l’Asile et à la Migration. À l’intention des ONG et des bénévoles qui s’arrachent les cheveux depuis un mois aux alentours du parc Maximilien et de l’Office des étrangers, on ajoutera que Theo Francken est également chargé de la… simplification administrative.
Les choses ont semblé suivre leur cours lorsque, fin août, les instances de la N‑VA, parti de Theo Francken, et les propres confrères N‑VA du secrétaire d’État, qui au sein du gouvernement flamand, qui au sein d’un collège échevinal (celui d’Anvers, pour prendre un exemple au hasard), se sont mis à lancer des idées violant allègrement la légalité nationale et internationale, à première vue sans concertation préalable avec le secrétaire d’État.
Le 26 août, sur le plateau de Terzake, talkshow politique quotidien de la VRT, la télévision flamande de service public, le président de la N‑VA et bourgmestre d’Anvers Bart De Wever exigeait que le gouvernement fédéral élabore « un statut social “à part” pour les demandeurs d’asile ayant obtenu le statut de réfugiés et que [ces derniers] ne bénéficient pas des droits sociaux » y attachés. Légaliste, il reconnaissait que les traités européens interdisaient la création d’un tel statut d’exception et que la N‑VA était résolument « pro-Schengen, mais l’UE doit changer radicalement sa politique d’asile, sinon il sera inévitable que ses États membres réinstaurent les contrôles le long de leurs frontières nationales ». Enfin, fine mouche, il martelait qu’Anvers avait atteint son seuil d’intégration et rappelait avec délectation qu’en 2010, alors échevine anversoise de la Politique sociale et de la Diversité, la socialiste flamande Monica De Coninck avait déclaré que « les capacités d’absorption d’Anvers ont atteint leurs limites ».
À priori, ces « idées » correspondaient à l’ADN de la N‑VA ainsi qu’à celui d’un Theo Francken première version (fermetures de centres d’accueil, privatisation de facto de la politique de l’accueil, suppression ou rabotage de subsides à plusieurs plateformes locales d’intégration, y compris celles impliquées dans la politique de l’inburgering à priori chère à l’ensemble du monde politique flamand, etc).
Cependant, à ce moment-là, il y a eu comme un virus dans le logiciel de communication de la N‑VA. Pendant quelques jours, les idées des francs-tireurs de la N‑VA (et de son président) ont semblé contredire le discours tenu par un Theo Francken deuxième version. Sur les plateaux TV néerlandophones ou face aux parlementaires fédéraux, le secrétaire d’État rappelait les engagements de la Belgique envers les traités européens et les conventions de Genève et, premier homme politique belge toutes communautés linguistiques confondues à le faire, il n’utilisait plus le terme de « migrants », parlant désormais de « demandeurs d’asile » et de « réfugiés », tout en promettant que le gouvernement fédéral allait dégager des fonds pour soulager les communes. « Le plus important est de garantir un accueil pour chacun. C’est un devoir non seulement vis-à-vis de l’international, mais aussi un devoir moral. »
Des propos que, à la mi-septembre, la députée fédérale Sarah Smeyers, allait vite enterrer sur le plateau de De Zevende Dag, le débat politique télévisé dominical de la VRT. Mettant au défi ses contradicteurs de Groen, du SP.A, du CD&V et de l’OpenVLD, elle déclarait : « Si vous ne faites rien, le système va être mis sous pression. L’alternative est claire : soit vous construisez un mur autour de notre système de sécurité sociale, soit vous construisez un mur autour du pays, chose que nous ne voulons pas. » Dès le lendemain, manifestement « recadré » par son propre parti, Theo Francken, sortant de son champ de compétences, déclarait sur les ondes de la VRT : « Si l’Autriche, l’Allemagne et la Tchéquie ferment leurs frontières intérieures, alors les gens vont chercher un pays vers lequel ils peuvent aller. Vous aurez donc un effet cascade et c’est de facto la fin de Schengen. Si cela signifie que tout le monde vient subitement en Belgique, je ne vois pas d’autre option que de fermer nous-mêmes nos frontières. »
« On veut mettre à mal la vie de notre cité »
C’est durant l’éphémère (quatre semaines tout de même) mue politique et médiatique de Theo Francken qu’un autre acteur est entré dans la danse : le PS. Pour l’instant (mais plus pour longtemps) encore à l’abri dans ses citadelles régionales (gouvernements wallon et bruxellois) et dans ses bastions communaux en Wallonie et à Bruxelles-Capitale, le PS opérait quelques percées en « territoire ennemi », histoire de marquer les esprits, les médias et son propre territoire, mais sans trop se mouiller, point trop n’en faut.
Le 7 août, durant ses vacances, Rudy Demotte, ministre-président de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Communauté française), recoiffait sa casquette de « bourgmestre empêché » de Tournai et confirmait les propos de Paul-Olivier Delannois, son bourgmestre faisant fonction. Il se fendait d’un communiqué belliqueux : « Non au plan de Théo Francken et du gouvernement fédéral […] J’ai appris avec consternation que le secrétaire d’État Franken voulait concentrer sur Tournai entre 400 et 700 candidats réfugiés politiques ce qui revient à ghettoïser des poches entières de populations au statut précaire […]. En tant que socialiste, je ne peux l’accepter. Je l’accepte d’autant moins que Tournai ne connait pas des indices socio-économiques très favorables. Son CPAS doit déjà faire face à une précarisation importante. […] Je vois dans l’attitude du gouvernement fédéral (MR et consorts) un calcul politique et peut-être même une volonté implicite de mettre à mal la vie de notre cité. »
Deux jours plus tard, le même Rudy Demotte favorisait « malencontreusement » le tweet d’une de ses administrées tournaisiennes : « Le primate de l’extrême droite flamande Theo Francken fait son malin… L’analyse socioéconomique de Rudy Demotte est juste. » Ce geste « malencontreux » allait évidemment déclencher la fureur de Theo Francken, pour ensuite être rangé au classement vertical des anecdotes et disparaître dans le brouhaha compassionnel du parc Maximilien.
Or, le communiqué de presse de Rudy Demotte et son « analyse » socioéconomique avaient de quoi laisser songeur. Le ministre-président de la FWB est le bourgmestre « empêché » d’une entité communale de taille moyenne (et largement rurale) de 70.000 habitants (dont 8% de non Belges) et où le taux de chômage n’est « que » de 16%. À l’exception de Namur (6% de non-Belges et 17% de chômeurs), si l’on compare la situation de Tournai à celle des villes de Wallonie situées le long de l’ancien sillon industriel Haine-Sambre-Meuse, Tournai n’est pas à plaindre : Mons (14% de non-Belges et 21% de chômeurs), La Louvière (18% de non-Belges et 22% de chômeurs), Charleroi (14% de non-Belges et 26% de chômeurs) ou Liège (17% de non-Belges et 26% de chômeurs).
À partir de septembre, de retour de vacances, c’était au tour du bourgmestre de la Ville de Bruxelles de se répandre en mâles déclarations. Le 11 septembre, dans une interview accordée au Standaard, Yvan Mayeur affirmait ainsi que le chaos régnant dans le parc Maximilien et autour de l’Office des étrangers était « la conséquence de la gestion xénophobe et anti-bruxelloise menée à partir d’Anvers par le président de la N‑VA ».
« Complot flamand contre le PS »
Pour ce qui est de la communication, on peut s’étonner que peu de commentateurs politiques francophones aient relevé que les responsables locaux du PS interprétaient de toute évidence une même partition, celle du « complot » contre les municipalités wallonnes et bruxelloises gérées par le PS. Pour peu, on en oubliait les levées de boucliers provoquées par les initiatives de Theo Francken dans de nombreuses communes flamandes, y compris celles administrées par des bourgmestres N‑VA, à commencer par (à tout seigneur tout honneur) Bart De Wever en personne et sa métropole anversoise : certes, on est en droit de s’interroger sur la tentation de la N‑VA de faire rendre gorge à la Ville de Bruxelles et plus globalement à la Région de Bruxelles-Capitale. Mais il n’en reste pas moins que, dans l’interprétation de la sonate du « bouclier francophone » contre « la Flandre » et « les libéraux », c’est dans les rangs du PS que l’on trouve les meilleurs solistes depuis trente ans.
Une autre saillie du mayeur bruxellois semble être également passée comme une lettre à la poste. Dans l’interview précitée du Standaard, Yvan Mayeur feignait s’interroger : « Comment se fait-il que les citoyens, les ONG et la Ville de Bruxelles s’occupent mieux des demandeurs d’asile que le secrétaire d’État dont c’est pourtant la compétence. »
Dans ces colonnes, nous nous sommes déjà posé la question de la récupération politique éhontée de la détresse humanitaire du parc Maximilien par le PTB/PVDA. Mais que dire alors de sa « gestion » par la Ville de Bruxelles : ses attaques, le bourgmestre de Bruxelles les a lancées le 11 septembre, c’est-à-dire lors de sa première visite de l’immense campement improvisé et géré tant bien que mal par les bénévoles et les ONG depuis un mois3.
Dans ces circonstances, on est en droit de s’interroger sur la passivité, non seulement de la Ville de Bruxelles, mais aussi du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, deux niveaux de pouvoir présidés par le PS… Certes, le N‑VA Theo Francken a repoussé au maximum le moment nécessaire de la concertation avec les pouvoirs local et régional. Certes, ni la Ville ni la Région ne peuvent exercer les compétences fédérales du secrétaire d’État Francken. Mais, sur le plan de l’ordre public, de l’aménagement de conditions d’accueil décentes pour ces milliers de demandeurs d’asile acculés à dormir en plein air, et sachant que Theo Francken n’allait pas faire montre de proactivité (c’est un euphémisme), pourquoi la Ville et la Région, toutes deux dirigées par le PS, n’ont-elles pas pris des initiatives entrant, elles, dans leurs champs respectifs de compétences ?
Un match de boxe médiatisé pour projet confédéral
C’est bien simple, comme sur d’autres questions, la N‑VA et le PS ont joué des muscles médiatiques dans leurs collèges électoraux respectifs, tout en évitant le plus longtemps possible de prendre des initiatives concrètes et d’en arriver à l’instant fatidique : négocier et se concerter. Et les deux formations politiques sont arrivées à leurs fins, à court terme du moins. Depuis le 14 septembre, la concertation est désormais assurée par un juge de ligne par ailleurs Premier ministre de la Belgique fédérale, le ci-devant Charles Michel, ce dernier étant chargé de négocier en lieu et place de Theo Francken avec la Ville de Bruxelles. Bref, le PS et la N‑VA n’ont pour l’instant pas eu à se mettre autour de la table.
En d’autres termes, dans cette misérable partie de cartes, les demandeurs d’asile sont, à leur corps défendant, les « valets puants »4 d’une Belgique confédérale dominée par le PS et la N‑VA. Tout concourt en effet à donner l’impression que, à la seule attention de leurs électorats respectifs, chacun des deux poids lourds et chacun des niveaux de pouvoir est déterminé à laisser « l’autre » se débrouiller, au risque de laisser pourrir la situation, voire de la rendre ingérable et explosive. Et, ce weekend des 19 et 20 septembre, les débats politiques et les interventions sur les réseaux sociaux des uns des autres n’ont fait que confirmer cette impression.
Mais, passées les séquences de musculation médiatique à l’usage respectif des « deux démocraties » (© Bart De Wever) qui se partagent la Belgique, la prise en charge politique de l’afflux des réfugiés du Moyen-Orient va bientôt devoir être assumée par les trois Régions, les deux grandes Communautés et les pouvoirs locaux. Et c’est là que les choses vont se corser.
Les dilemmes de la N‑VA
En Flandre, la N‑VA semble a priori coincée par le statut politiquement incontournable qu’elle a acquis aux échelons fédéral et régional. Il faut reconnaître que, ces dix dernières années, l’une des rares contributions positives de l’Alliance néo-flamande à la recomposition permanente du paysage politique au nord de la frontière linguistique aura été le siphonage de la majeure partie (la plus friable) de l’électorat du Vlaams Belang et la réduction de ce dernier à son noyau historique et à son plancher électoral : extrémisme de droite, xénophobie et indépendantisme flamand. L’autre contribution, manifestement plus inconfortable pour la Belgique francophone, est la stabilisation relative du paysage politique flamand, avec une N‑VA rééditant trois scrutins d’affilée un score régional qui tourne autour des 30%.
Certes, selon le dernier « baromètre » réalisé par La La Libre/RTBF/Dedicated, la N‑VA serait en train de perdre une partie des électeurs arrachés au Vlaams Belang, lesquels « retourneraient au bercail ». Mais les prochaines élections générales (Fédération et Régions) auront lieu le printemps 2019 et ce n’est qu’à ce moment que l’on pourra évaluer le degré de stabilisation du paysage flamand et la durabilité de l’implantation électorale de la N‑VA. Mais, un autre double scrutin s’annonce déjà : les élections communales et provinciales d’octobre 2018. C’est en fonction de ces deux échéances-là qu’il faut interpréter les attitudes médiatiques plus ou moins contrastées de la N‑VA et de ses concurrents flamands, mais aussi celles des partis politiques francophones, à commencer par le PS.
Comme il ne fait aucun doute que l’écrasante majorité des demandeurs d’asile ayant fui la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan obtiendront en bonne et due forme le statut de réfugié, les Régions (et les Communautés, si l’on songe aux parcours d’intégration) et les pouvoirs locaux vont « hériter » du dossier et les choses ne s’annoncent électoralement pas faciles.
En Flandre, un débat hystérisé
En Flandre, le débat fait déjà rage. Le 29 septembre, Patrick Dewael, ténor d’un OpenVLD qui n’en peut plus de voir la N‑VA s’approprier son programme et son électorat, lançait une idée pour le moins heurtante : le « service obligatoire à la communauté » pour les réfugiés, condition sine qua non posée à l’octroi de droits sociaux auxquels ils ont pourtant légalement accès. Cette proposition, exprimée dans les colonnes du Standaard, allait susciter une levée de boucliers chez les socialistes et les écologistes flamands, et un malaise manifeste dans les rangs du CD&V.
De son côté, Jean-Marie Dedecker, le judoka politique ouest-flandrien, dissident de l’OpenVLD et ancienne locomotive électorale à lui seul, multiplie d’autant plus les tribunes dans la presse écrite que les derniers scrutins et les sondages le renvoient invariablement aux marges du spectre politique flamand. Le personnage est sans doute marginalisé, mais ses « idées » sont partagées (sur un ton plus politiquement correct) par nombre de caciques de la N‑VA qui, comme lui, s’appuient sur le corpus eurosceptique et néo-conservateur du philosophe hollandais Thierry Baudet. Jean-Marie Dedecker, l’homme dont le slogan reste le gezond verstand (bon sens, sens commun) n’y va pas, lui, avec le dos de la cuiller : « Doit-on s’étonner que le Blanc Inquiet se pose des questions sur l’importation effrénée de gens qui, au nom de leur religion, veulent dominer sa propre culture. […] Après l’idée supranationale européenne, une deuxième brèche s’est ouverte dans l’État-nation : le multiculturalisme par l’immigration de masse. […] Aujourd’hui, avec la construction d’un rideau de fer, les Hongrois font exactement comme les Américains, qui dressent des kilomètres de clôture le long de la frontière mexicaine ; comme les Juifs [sic], qui divisent Israël avec leur mur d’apartheid [sic ; comme les Espagnols, qui ont depuis longtemps ceinturé de barbelés les enclaves de Melilla et Ceuta. »
Quant à la N‑VA, on l’a vu, elle souffle le chaud et le froid, forcée qu’elle est de pratiquer le grand écart entre quatre viviers électoraux. Le premier est constitué des nationalistes conservateurs issus de l’aile droite de l’ancienne Volksunie et acquis aux thèses confédéralistes de la N‑VA. Le deuxième brasse des classes moyennes jeunes, indépendantes et « entreprenantes » séduites par son discours « républicain » et « hors système belge ». Le troisième est le patronat flamand (représenté par le Voka) qui, en opposition frontale aux postures sécuritaires et Nimby adoptées par l’OpenVLD et la N‑VA, demande de tout faire pour faciliter l’entrée des demandeurs d’asile sur le marché de l’emploi, moyennant, évidemment, sa dérégulation accrue. Le quatrième et dernier est le plus récent et, comme on l’a vu, agrège vaille que vaille d’anciens électeurs ultranationalistes et xénophobes du Vlaams Belang. À moyen terme, c’est peu dire qu’il va devenir de plus en plus difficile pour la N‑VA de continuer à imputer ses errances politiques au « système belge » ou aux Sossen (les Socialos, sous-entendu wallons).
En Wallonie, silence au balcon
En Belgique francophone, et tout particulièrement en Wallonie, le débat est à l’heure actuelle inexistant. En fait, il est tout simplement éludé. Confortablement assis au balcon, le gouvernement wallon (PS-CDH) se contente de regarder les déboires bruxellois et fédéraux, d’étriller le MR (seul parti francophone présent dans le gouvernement fédéral) et de dénoncer à peu de frais les discours qui semblent dominer en Flandre. On a l’impression que, vus de la citadelle de Namur, les « valets puants » ne sont pour l’instant qu’une affaire circonscrite à Bruxelles et à l’unique charge du gouvernement fédéral. Mais cette position d’observateur ne sera plus tenable lorsqu’il s’agira d’organiser et de répartir l’accueil permanent des réfugiés, non seulement entre les 19 baronnies de Bruxelles-Capitale, mais aussi entre les villes et agglomérations de Wallonie.
Déjà, on sent poindre un certain malaise au sein des sections locales du PS, à mesure que se multiplient les déclarations xénophobes de mandataires locaux, déclarations qui ne sont plus le seul fait de libéraux désorientés ou de membres du Parti populaire. Lorsque viendra son tour de prendre des décisions politiques sur l’accueil des réfugiés, comment se positionnera le gouvernement wallon par rapport au gouvernement fédéral et même par rapport au « petit frère » bruxellois. Comment Paul Magnette (pour prendre un exemple au hasard) parviendra-t-il à jongler avec sa double casquette de ministre-président de la Région wallonne et de bourgmestre de Charleroi ?
Le précédent de 1994
Au vu de leur contre-performance lors des élections générales de mai 2014 et s’ils n’ont pas la mémoire courte, les cadors du PS et « l’Empereur du Boulevard » doivent se souvenir d’un rude automne 1994. Cette année-là, l’extrême droite avait enregistré des succès inattendus dans les bastions socialistes réputés inexpugnables de Liège, Mons, Charleroi et La Louvière. À Charleroi, le fantomatique Front national de Daniel Feret récoltait 11% des suffrages exprimés. À Liège, épicentre principautaire et historique de la revendication autonomiste wallonne, si le FN belgicain et xénophobe ne recueillait que 5% des suffrages, un mouvement nationaliste et fasciste wallon (Agir) en raflait quant à lui 6%, soit un total de 11% pour l’extrême droite liégeoise.
C’était il y a deux décennies. En ce temps-là, le PS se débattait dans un scandale Agusta qui allait mettre un terme à la carrière de toute une génération d’hommes politiques socialistes, notamment à celle de Guy Spitaels. En ce temps-là également, des centres d’asile commençaient à être implantés en Wallonie. Et c’est à La Louvière que, pour le PS, le FN avait effectué sa percée la plus traumatisante en obtenant 15% des suffrages. A priori, rien ne distinguait La Louvière de Liège ou Charleroi, des agglomérations qui n’en avaient pas fini d’essuyer les plâtres du processus de désindustrialisation et de désinvestissement qui frappait tout le sillon Haine-Sambre-Meuse. Rien, sauf un détail : il était question d’implanter un centre d’asile sur le site d’une entreprise métallurgique tombée en faillite en 1988…
Quatre défis et deux démocraties
Dans les années à venir, les « confédérés » de la N‑VA et du PS, et leurs partenaires de coalition respectifs, vont être confrontés à un quadruple défi. Le premier sera d’atteindre les objectifs de rattrapage budgétaire inscrits dans la sixième réforme de l’État, un défi beaucoup plus lourd à supporter à Bruxelles-Capitale et en Wallonie qu’en Flandre. Le deuxième sera d’absorber les contrecoups des politiques fédérales d’austérité budgétaire et d’«activation » des sans-emplois. Le troisième défi consistera à installer ceux qui, parmi les réfugiés, ne retourneront pas de sitôt dans leurs pays détruits, et par conséquent réfléchir à des parcours d’intégration structurés et valorisants (ce qui n’est le cas ni à Bruxelles-Capitale ni en Wallonie).
Le quatrième défi est d’ordre éthique, politique et identitaire : « relier » socialement les nouveaux venus et les « deux démocraties » d’accueil. Pour relever ce dernier défi, il faudra beaucoup de force de conviction et de persuasion à toutes les formations politiques (PS compris) pour faire de l’accueil des réfugiés un enjeu civilisationnel et moral. Pour cela, ce n’est pas de spécialistes en plomberie et rafistolage institutionnels dont nous aurons besoin, mais d’hommes politiques capables de développer des visions qui dépassent les contingences électorales de court terme.
- Agapes bourguignonnes. En Hollande (Pays-Bas), par opposition à une sobriété calviniste toute relative, c’est ainsi qu’on qualifie volontiers le mode de vie davantage « brueghelien » des provinces méridionales et catholiques du royaume orangiste (Flandre zélandaise, Nord-Brabant et Limbourg) et, bien sûr, de la Belgique toutes régions et langues confondues.
- En argot anversois, le garde-champêtre, équivalent du champète wallon.
- Deux semaines auparavant, un internaute bruxellois postait sur son mur Facebook une photo accompagnée de ce commentaire : « Couleur Café, début juillet : un camping autour du thème “zen”, propret et couvert, avec des sanitaires et même des douches provisoires. À moins de 500 mètres de là, la Ville de Bruxelles ferme aujourd’hui les yeux sur une situation humanitaire catastrophique : les réfugiés campent dans la boue, sans eau courante, sans sanitaires, au milieu des poubelles qui débordent, tentent de trouver une place dans des tentes qui leur sont apportées par des particuliers. Mayeur, Peraita : où sont-ils aujourd’hui ». Pascale Peraita est la présidente (PS) du CPAS de la Ville de Bruxelles et l’heureuse titulaire de 26 mandats publics.
- Jeu de cartes également appelé « pouilleux » en Wallonie. Les joueurs retirent tous les valets, sauf le valet de pique : le « valet puant » ou « pouilleux ». Celui qui, en fin de partie, n’a pas pu s’en débarrasser a perdu.