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Les indicateurs sociaux, ces baromètres déglingués
Le Belge « moyen » est l’un des habitants les plus riches de la planète. C’est l’une des conclusions tirées chaque année du rapport de la Banque nationale de Belgique. Cette affirmation suscite le scepticisme de nombreux syndicats, associations de terrain ou travailleurs sociaux. Mais, comme « nul n’est prophète en son pays » surtout lorsqu’il s’agit de démentir […]
Le Belge « moyen » est l’un des habitants les plus riches de la planète. C’est l’une des conclusions tirées chaque année du rapport de la Banque nationale de Belgique. Cette affirmation suscite le scepticisme de nombreux syndicats, associations de terrain ou travailleurs sociaux. Mais, comme « nul n’est prophète en son pays » surtout lorsqu’il s’agit de démentir des nouvelles plutôt réjouissantes, leurs critiques ou doutes sont balayés fissa.
La Commission européenne a pourtant récemment apporté de l’eau au moulin de ces renégats. Dans un volumineux document aussi discret qu’intéressant, elle pointait au moins deux évolutions problématiques qui ne concordent pas avec l’image (d’Epinal ?) que l’on se fait de notre pays et, en réalité, de nous-mêmes.
Examinant les développements sur les marchés du travail des Etats membres, la Commission met en évidence (p.63) qu’après la Grèce (17,2 %) et l’Espagne (14,9 %), pays durement touchés par la crise, la Belgique qui, dit-on, ne s’en est pas si mal tirée, est le pays européen où l’on observe le taux le plus élevé de « quasi-joblessness » (14,6 % ; la moyenne européenne se situant légèrement au-dessus de 10 %), terme que l’on peut traduire par « quasi-chômage » et qui englobe les membres des ménages où l’on travaille tellement peu d’heures qu’ils peuvent difficilement joindre les deux bouts, voire pas du tout. Cet indicateur se présentait déjà plus mal que dans le reste de l’UE en 2009, mais sa détérioration fut plus rapide qu’ailleurs (en moyenne). Ainsi, si la hausse de notre taux de chômage fut contenue, cela fut au prix d’une plus grande précarisation.
Ensuite, il est frappant de constater que le revenu disponible réel par habitant après impôts et inflation, qui donne la mesure de notre pouvoir d’achat, ne s’est guère amélioré depuis les débuts de la crise. Il a même régressé de 4 % par rapport à 2008, autant que le Portugal (qui fut sacrément touché par la crise) ou que… l’Autriche (ce qui contribuerait, avec la crise des migrations, à expliquer les succès rencontrés récemment par l’extrême droite). Cette évolution n’est guère une surprise pour qui a encore en mémoire les chipotages au niveau de l’indexation, la forte modération salariale, la dégressivité des allocations de chômage, le relèvement des pensions, etc.
Des statistiques qui ne collent pas avec la réalité
La confirmation par la Commission des critiques des Cassandre nous amène à deux questions particulièrement importantes.
- Dans la mesure où le patrimoine financier (ne prenant donc pas en compte le patrimoine immobilier) des Belges est passé de 697 milliards € en 2008 à 1.066 milliards € en 2016 (+53% ; source : stat.nbb.be), n’y a‑t-il pas incompatibilité statistique entre l’augmentation de la richesse financière du pays et la réduction du revenu réel par personne ? Plus simplement : comment se fait-il que les Belges dont le pouvoir d’achat est raboté soient capables d’accumuler autant, et en tout cas, davantage que par le passé ?
- La BNB reconnaît que « les données d’enquêtes sont toujours entachées de marges d’erreur et que ces dernières sont considérables pour les valeurs extrêmes des résultats [notamment pour les plus riches]. Bien qu’elles constituent souvent l’unique source d’information, ces données se prêtent de ce fait moins à l’analyse de petits groupes tels que la part du patrimoine global détenue par le pourcent des ménages les plus riches. (…) En outre, il faut signaler que les résultats de l’enquête sont susceptibles de sous-estimer la richesse au sommet de la pyramide puisque les ménages les plus riches d’entre les riches ne figurent généralement pas parmi les répondants. »
- Par conséquent, la pertinence des indicateurs d’inégalités est remise en cause car ils manquent de finesse en diluant le poids économique et patrimonial du 1% le plus riche de la population.
Ces indicateurs — Gini, écart interquartile, (la part des 25 % les plus riches rapportées à celle des 25 % les plus pauvres)… — sont restés stables malgré la crise. Pourtant, lorsque l’on examine les développements aux extrémités de la distribution des revenus, la forte polarisation à l’œuvre en Belgique (toujours pour la période 2008 – 2016) est incontestable : si le nombre d’individus gagnant plus de 1,6 fois le revenu médian a progressé de presque 7 %, le nombre d’individus en situation de pauvreté / exclusion sociale a augmenté presque deux fois plus rapidement (12 %).
Tout cela atteste de la nécessité pour nos gouvernements et administrations fiscales et sociales de se doter d’un cadastre des revenus et des patrimoines.
Des élections étant programmées dans moins de deux ans, il serait bon que le gouvernement fédéral garde ceci en tête, faute de quoi les déflagrations politiques et démocratiques de la montée des inégalités pourraient s’aggraver (notamment par rapport aux résultats mis en lumière par l’enquête « Noir, Jaune, Blues » révélée au début de cette année). À moins qu’il ne s’enferme dans un déni churchillien, l’historique Premier ministre britannique ayant un jour déclaré : « Je ne crois jamais une statistique à moins de l’avoir moi-même falsifiée ».