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Les indicateurs sociaux, ces baromètres déglingués

Blog - Délits d’initiés - économie justice sociale richesse par

décembre 2017

Le Belge « moyen » est l’un des habi­tants les plus riches de la pla­nète. C’est l’une des conclu­sions tirées chaque année du rap­port de la Banque natio­nale de Bel­gique. Cette affir­ma­tion sus­cite le scep­ti­cisme de nom­breux syn­di­cats, asso­cia­tions de ter­rain ou tra­vailleurs sociaux. Mais, comme « nul n’est pro­phète en son pays » sur­tout lorsqu’il s’agit de démentir […]

Délits d’initiés

Le Belge « moyen » est l’un des habi­tants les plus riches de la pla­nète. C’est l’une des conclu­sions tirées chaque année du rap­port de la Banque natio­nale de Bel­gique. Cette affir­ma­tion sus­cite le scep­ti­cisme de nom­breux syn­di­cats, asso­cia­tions de ter­rain ou tra­vailleurs sociaux. Mais, comme « nul n’est pro­phète en son pays » sur­tout lorsqu’il s’agit de démen­tir des nou­velles plu­tôt réjouis­santes, leurs cri­tiques ou doutes sont balayés fissa.

La Com­mis­sion euro­péenne a pour­tant récem­ment appor­té de l’eau au mou­lin de ces rené­gats. Dans un volu­mi­neux docu­ment aus­si dis­cret qu’intéressant, elle poin­tait au moins deux évo­lu­tions pro­blé­ma­tiques qui ne concordent pas avec l’image (d’Epinal ?) que l’on se fait de notre pays et, en réa­li­té, de nous-mêmes.

Exa­mi­nant les déve­lop­pe­ments sur les mar­chés du tra­vail des Etats membres, la Com­mis­sion met en évi­dence (p.63) qu’après la Grèce (17,2 %) et l’Espagne (14,9 %), pays dure­ment tou­chés par la crise, la Bel­gique qui, dit-on, ne s’en est pas si mal tirée, est le pays euro­péen où l’on observe le taux le plus éle­vé de « qua­si-jobless­ness » (14,6 % ; la moyenne euro­péenne se situant légè­re­ment au-des­sus de 10 %), terme que l’on peut tra­duire par « qua­si-chô­mage » et qui englobe les membres des ménages où l’on tra­vaille tel­le­ment peu d’heures qu’ils peuvent dif­fi­ci­le­ment joindre les deux bouts, voire pas du tout. Cet indi­ca­teur se pré­sen­tait déjà plus mal que dans le reste de l’UE en 2009, mais sa dété­rio­ra­tion fut plus rapide qu’ailleurs (en moyenne). Ain­si, si la hausse de notre taux de chô­mage fut conte­nue, cela fut au prix d’une plus grande précarisation.

Ensuite, il est frap­pant de consta­ter que le reve­nu dis­po­nible réel par habi­tant après impôts et infla­tion, qui donne la mesure de notre pou­voir d’achat, ne s’est guère amé­lio­ré depuis les débuts de la crise. Il a même régres­sé de 4 % par rap­port à 2008, autant que le Por­tu­gal (qui fut sacré­ment tou­ché par la crise) ou que… l’Autriche (ce qui contri­bue­rait, avec la crise des migra­tions, à expli­quer les suc­cès ren­con­trés récem­ment par l’extrême droite). Cette évo­lu­tion n’est guère une sur­prise pour qui a encore en mémoire les chi­po­tages au niveau de l’indexation, la forte modé­ra­tion sala­riale, la dégres­si­vi­té des allo­ca­tions de chô­mage, le relè­ve­ment des pen­sions, etc.

Des statistiques qui ne collent pas avec la réalité

La confir­ma­tion par la Com­mis­sion des cri­tiques des Cas­sandre nous amène à deux ques­tions par­ti­cu­liè­re­ment importantes. 

  1. Dans la mesure où le patri­moine finan­cier (ne pre­nant donc pas en compte le patri­moine immo­bi­lier) des Belges est pas­sé de 697 mil­liards € en 2008 à 1.066 mil­liards € en 2016 (+53% ; source : stat.nbb.be), n’y a‑t-il pas incom­pa­ti­bi­li­té sta­tis­tique entre l’augmentation de la richesse finan­cière du pays et la réduc­tion du reve­nu réel par per­sonne ? Plus sim­ple­ment : com­ment se fait-il que les Belges dont le pou­voir d’achat est rabo­té soient capables d’accumuler autant, et en tout cas, davan­tage que par le passé ? 
  2. La BNB recon­naît que « les don­nées d’enquêtes sont tou­jours enta­chées de marges d’erreur et que ces der­nières sont consi­dé­rables pour les valeurs extrêmes des résul­tats [notam­ment pour les plus riches]. Bien qu’elles consti­tuent sou­vent l’unique source d’information, ces don­nées se prêtent de ce fait moins à l’analyse de petits groupes tels que la part du patri­moine glo­bal déte­nue par le pourcent des ménages les plus riches. (…) En outre, il faut signa­ler que les résul­tats de l’enquête sont sus­cep­tibles de sous-esti­mer la richesse au som­met de la pyra­mide puisque les ménages les plus riches d’entre les riches ne figurent géné­ra­le­ment pas par­mi les répondants. »
  3. Par consé­quent, la per­ti­nence des indi­ca­teurs d’inégalités est remise en cause car ils manquent de finesse en diluant le poids éco­no­mique et patri­mo­nial du 1% le plus riche de la population. 

Ces indi­ca­teurs — Gini, écart inter­quar­tile, (la part des 25 % les plus riches rap­por­tées à celle des 25 % les plus pauvres)… — sont res­tés stables mal­gré la crise. Pour­tant, lorsque l’on exa­mine les déve­lop­pe­ments aux extré­mi­tés de la dis­tri­bu­tion des reve­nus, la forte pola­ri­sa­tion à l’œuvre en Bel­gique (tou­jours pour la période 2008 – 2016) est incon­tes­table : si le nombre d’individus gagnant plus de 1,6 fois le reve­nu médian a pro­gres­sé de presque 7 %, le nombre d’individus en situa­tion de pau­vre­té / exclu­sion sociale a aug­men­té presque deux fois plus rapi­de­ment (12 %).

Tout cela atteste de la néces­si­té pour nos gou­ver­ne­ments et admi­nis­tra­tions fis­cales et sociales de se doter d’un cadastre des reve­nus et des patrimoines.

Des élec­tions étant pro­gram­mées dans moins de deux ans, il serait bon que le gou­ver­ne­ment fédé­ral garde ceci en tête, faute de quoi les défla­gra­tions poli­tiques et démo­cra­tiques de la mon­tée des inéga­li­tés pour­raient s’aggraver (notam­ment par rap­port aux résul­tats mis en lumière par l’enquête « Noir, Jaune, Blues » révé­lée au début de cette année). À moins qu’il ne s’enferme dans un déni chur­chil­lien, l’historique Pre­mier ministre bri­tan­nique ayant un jour décla­ré : « Je ne crois jamais une sta­tis­tique à moins de l’avoir moi-même falsifiée ». 

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