Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Les hommes (de Katoen) savent pourquoi
Il y a quelques mois, Le Gorafi, le site parodique de contre-information qui régale les amateurs de second degré, lançait son supplément Le Gorafi Madame. Ce jeudi 16 juin, les internautes ont pu croire quelques instants que son homologue belge, Nordpresse, qui sévit également sur Facebook dans le même registre, avait de la même manière inauguré un supplément calqué sur la presse économique, une sorte de Nordpresse Eco.
La raison de cette confusion ? Le titre d’une interview donnée à Trends par Fernand Huts, patron de Katoen Natie, une entreprise active dans la logistique dans le port d’Anvers et employant 13.000 personnes dans le monde : « La femme moderne brise l’esprit d’entreprise ». Rien de moins.
Le site de la VRT en français, deredactie.be, rapporte ses explications ou plutôt ses élucubrations : « Dans le passé les femmes laissaient plus d’espace à leur mari pour entreprendre, mais elles sont devenues de plus en plus exigeantes. L’homme doit dorénavant participer aux tâches ménagères, rester à la maison, faire des citytrip, aller aux sports d’hiver et de préférence prendre des congés à (sic) carnaval, à Pâques, en été, à la Toussaint et entre Noël et Nouvel an, avec un tel programme comment voulez-vous vous lancer dans l’entrepreneuriat. »
De la part d’un chef d’entreprise dont on pourrait attendre un certain attachement à la rationalité économique, aux faits plutôt qu’aux clichés, cette déclaration est pour le moins surprenante. Un nombre incalculable d’études atteste que les discriminations à l’égard des femmes entrainent des coûts économiques. Bien entendu, les femmes sont les premières à en souffrir (leur part du gâteau économique étant réduite de manière disproportionnée), mais surtout, c’est l’ensemble de la société et de l’économie qui est pénalisé (la taille totale du gâteau étant inférieure à ce qu’elle devrait normalement être sans ce type de discrimination). L’OCDE estime ainsi que les revenus mondiaux mesurés par le PIB seraient plus élevés de 12.000 milliards (oui, 12.000.000.000.000) de dollars, soit 16% de plus, si les discriminations fondées sur le genre disparaissaient du jour au lendemain.
Le FMI a également consacré une analyse aux causes et conséquences des inégalités de genre.
Nous avons nous-mêmes montré qu’une plus grande égalité salariale entre hommes et femmes pourraient accroître le gâteau belge de 4 milliards d’euros (+1% de PIB).
Au-delà de la question purement quantitative, on peut également identifier parmi les 34 pays membres de l’OCDE, le club des nations riches, une corrélation entre le taux d’emploi des femmes qui inquiète tant M. Huts et deux indicateurs synthétiques qualitatifs reflétant la vigueur de nos économies.
Le premier est réalisé par la Banque mondiale. Il condense une série de données relatives à la facilité de créer une entreprise, d’obtenir un permis de construction, d’obtenir un crédit, de commercer avec le reste du monde, de faire respecter les contrats, etc. Bref, tout ce qui a de plus cher aux yeux de Fernand Huts : l’entrepreneuriat. Le second, l’Indicateur de compétitivité mondiale, est calculé par le World Economic Forum. Il est élaboré grâce à un sondage réalisé auprès de 14.000 chefs d’entreprises qui cotent les pays en fonction de la qualité de leurs institutions (dont le système éducatif et infrastructures ), de l’environnement macroéconomique, de l’acceptabilité des nouvelles technologies, etc.
Les scores obtenus par chaque pays sont convertis en un classement ; plus un pays est loin dans le classement, moins il est jugé performant sur le plan des affaires, de la compétitivité et de l’économie. A titre indicatif, la Belgique se situe à la 41e position selon l’indicateur « Doing Business » et en 17e selon l’Indicateur de compétitivité mondiale. Les deux classements sont relativement en phase (un pays dans le haut de l’un ne figurera vraisemblablement pas dans le bas de l’autre). (Pour les techniciens, le coefficient de corrélation est de 0,58).
Il ressort donc des deux graphiques que plus le taux d’emploi des femmes est élevé, plus les pays sont performants et, inversement, que plus un pays est performant, plus le taux d’emploi des femmes est élevé. La relation va dans les deux sens ; il semble donc exister une dynamique vertueuse entre les deux variables.
Evidemment, il existe malheureusement d’autres types de discriminations que la limitation de l’accès au marché de l’emploi (comme l’écart salarial, la reconnaissance partielle des compétences et des diplômes ou une composition genrée de l’emploi selon les secteurs par exemple). Le taux d’emploi des femmes est utilisé ici parce qu’il est un indicateur immédiatement compréhensible par tout un chacun. De plus, son utilisation fait directement écho à Fernand Huts qui est le messager politiquement incorrect d’une idée stéréotypée et rétrograde qui circule parmi une frange de la population.
Nous souhaitons à M. Huts – et surtout aux travailleurs de Katoen Natie – plus de clairvoyance dans la conduite de cette entreprise vieille de 160 ans qu’il n’en a lorsqu’il analyse le monde d’aujourd’hui. Cela étant, peut-être la déclaration saugrenue de M. Huts n’avait-elle d’autre but que d’attirer l’attention de Forbes qui, chaque année, réalise un classement plus original que ceux mentionnés ci-dessus : « The worst CEO screw-ups » (que l’on traduira sobrement par « les pires idioties des chefs d’entreprise »).