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Le TTIP, arme de destruction massive des PME

Blog - Délits d’initiés - commerce États-Unis PME TTIP UE (Union européenne) par Olivier Derruine

novembre 2014

Dans tout le débat sur le TTIP, les orga­ni­sa­tions repré­sen­ta­tives des petites et moyennes entre­prises sont res­tées bien silen­cieuses alors que cet accord est cen­sé béné­fi­cier aux PME et les aider à s’internationaliser confor­mé­ment à l’objectif de la Com­mis­sion euro­péenne de por­ter de 13 à 25 % d’ici 2020 le nombre de PME qui s’aventurent sur les mar­chés mondiaux. […]

Délits d’initiés

Dans tout le débat sur le TTIP, les orga­ni­sa­tions repré­sen­ta­tives des petites et moyennes entre­prises sont res­tées bien silen­cieuses alors que cet accord est cen­sé béné­fi­cier aux PME et les aider à s’internationaliser confor­mé­ment à l’objectif de la Com­mis­sion euro­péenne de por­ter de 13 à 25 % d’ici 2020 le nombre de PME qui s’aventurent sur les mar­chés mondiaux.

Alors que le MR se pré­sente comme le par­ti des PME et des indé­pen­dants, il semble que le dog­ma­tisme libé­ral cari­ca­tu­ral avec lequel il aborde avec ses par­te­naires du gou­ver­ne­ment le TTIP (« Voyons, depuis Adam Smith et Ricar­do, on sait bien que le com­merce inter­na­tio­nal pro­fite à cha­cun et élève notre niveau de bien-être. ») risque de conduire à une asphyxie des PME. Celles-ci risquent d’être écra­sées par les mul­ti­na­tio­nales – amé­ri­caines ou euro­péennes – qui seront les véri­tables gagnantes du TTIP.

Comparatif du poids des PME UE et USA

Le pro­fil des entre­prises US et euro­péennes est sen­si­ble­ment dif­fé­rent dans le sens où les entre­prises US sont plus grandes que les euro­péennes. Une entre­prise-type emploie 6 sala­riés en Europe et 20 tra­vailleurs aux Etats-Unis ! Cela donne déjà une pre­mière idée du fait qu’elles ne boxent pas dans la même caté­go­rie. Si l’on décor­tique ce chiffre, il appa­raît que cette dif­fé­rence s’explique par le fait que

  • l’on dénombre seule­ment 80 % de micro-entre­prises (10 tra­vailleurs) en Etats-Unis contre 93 % en Europe ;
  • les grandes entre­prises (>250) US repré­sentent plus d’un emploi sur 2 alors qu’en Europe, c’est 1 sur 3 ;
  • les grandes entre­prises US sont net­te­ment plus grandes que les entre­prises de la même caté­go­rie (1.947 tra­vailleurs contre 1.021 en moyenne en Europe).

Performances des entreprises UE à l’exportation

Selon la Com­mis­sion, quelque 25 % des PME UE exportent et la moi­tié d’entre elles (13 %) des­tine leurs pro­duits au-delà du mar­ché inté­rieur. Par­mi ces der­nières, 9 % sont actives uni­que­ment en dehors de l’UE.
La majeure par­tie de leur chiffre d’affaires est géné­rée par des clients natio­naux (71 %) ; 19 % pro­vient du reste de l’UE et 10 % de clients hors UE. (chiffres 2006 – 2008)

Depuis 2000, les expor­ta­tions en valeur vers les USA des PME UE n’ont pas pro­gres­sé. A titre de com­pa­rai­son, celles pre­nant pour cibles les BRIC (Bré­sil, Rus­sie, Inde, Chine), le Japon, la Corée du Sud et l’Ukraine (avant la crise) ont dou­blé ! Dans le même temps, celles des grosses entre­prises vers les USA ont gagné +25 % (vers les BRIC & co : +150 %).

Il n’y a que les sec­teurs de haute tech­no­lo­gie qui ont tiré leur épingle du jeu : les expor­ta­tions de ces sec­teurs ont bon­di de 20 % sur ces dix années. Celles des sec­teurs de basse tech­no­lo­gie ont reflué de 30 % de manière qua­si régu­lière tan­dis que celles des sec­teurs de tech­no­lo­gie moyenne, stables jusque 2008, ont péri­cli­té de 30 % éga­le­ment en deux années à peine.

Cinq sec­teurs s’arrogent 80 % des expor­ta­tions en valeur vers les USA : la chi­mie, les équi­pe­ments de trans­port, les équi­pe­ments élec­triques et optiques, les machines et équi­pe­ments et les pro­duits ali­men­taires (dont bois­sons et tabac).

Quelles perspectives pour la Belgique ?

Les entre­prises qui réus­sissent sur le mar­ché US sont celles qui se situent en haut de la gamme de valeur ajou­tée. Or, sur ce plan et comme il res­sort d’une étude du Conseil Cen­tral de l’Economie, la Bel­gique n’est pas posi­tion­née très favo­ra­ble­ment par rap­port à d’autres Etats membres. D’une part (mar­chan­dises), les expor­ta­tions en moyenne et haute tech­no­lo­gies s’élèvent à 48 % du total des expor­ta­tions, net­te­ment moins que l’Allemagne ou la France ou des pays de taille simi­laire comme l’Autriche ou la Suède. D’autre part, les expor­ta­tions de ser­vices à haute inten­si­té de connais­sances sont éga­le­ment à la traîne par rap­port aux pays fron­ta­liers et aux pays du Nord de l’Europe (41,6 % Vs 47,5 %).

Ensuite, la Bel­gique ne compte que 8.700 (2011) entre­prises expor­ta­trices et 1 % d’entre elles, soit moins d’une cen­taine, est res­pon­sable de plus de la moi­tié de la valeur totale des expor­ta­tions. Pour rap­pel, la Bel­gique compte plus de 250.000 entreprises…

La Banque Natio­nale de Bel­gique rend compte d’une « concen­tra­tion accrue [des expor­ta­tions] auprès d’un nombre limi­té d’entreprises (et celles-ci] sont en géné­ral de plus grande taille, plus inten­sives en capi­tal et plus pro­duc­tives que celles qui ne sont actives que sur le mar­ché inté­rieur ». En d’autres termes, ce pro­fil cor­res­pond assez peu à la PME-type, ce qui tend à confir­mer l’hypothèse que le com­merce inter­na­tio­nal reste avant tout une affaire de grandes entreprises.

La force de frappe américaine

Remarque limi­naire : Les défi­ni­tions UE et US don­nées aux PME ne cor­res­pondent pas : aux USA, les PME sont les entre­prises de max 500 tra­vailleurs, soit un seuil deux fois plus éle­vé qu’en Europe.

Le TTIP per­met­tra aux entre­prises mul­ti­na­tio­nales d’élever leur puis­sance de feu. Il est erro­né et/ou naïf de pen­ser que les PME euro­péennes feront face à des PME amé­ri­caines ; le rap­port de force entre ces deux caté­go­ries d’entreprises de part et d’autre de l’Atlantique sera dés­équi­li­bré pour des ques­tions de :

  1. [*Concen­tra­tion de la puis­sance expor­ta­trice dans les mains de quelques mul­ti­na­tio­nales*]. Selon des don­nées de l’administration amé­ri­caine, le top 1 % des firmes expor­ta­trices compte pour 80 % de la valeur des expor­ta­tions US (et 11 % de l’emploi US) ; il s’agit d’une concen­tra­tion bien plus forte que celle obser­vée en Bel­gique (où, comme nous l’avons indi­qué plus haut, 50 % des expor­ta­tions sont dans les mains du top 1 %). Les PME (donc max 500 tra­vailleurs) ne comptent que pour 30 % des expor­ta­tions US en valeur. Un autre chiffre témoigne du fait que les PME US sont net­te­ment actives sur les mar­chés inter­na­tio­naux que les mul­ti­na­tio­nales : En 2007 (mais le constat vaut pour les autres années), les expor­ta­tions des PME repré­sen­taient à peine 3,8 % de leur valeur ajou­tée (deux à trois fois moins que leurs homo­logues UE !) alors que ce chiffre mon­tait à 11,5 % pour les grandes entreprises. 
  2. [*Sec­teurs qui seraient les por­teurs du regain de com­merce bila­té­ral UE-USA*]. Par rap­port aux grandes entre­prises, les PME US sont moins pré­sentes dans les sec­teurs qui repré­sentent l’essentiel des expor­ta­tions (équi­pe­ments de trans­port, la chi­mie, les pro­duits élec­tro­niques). (A nou­veau, il faut gar­der à l’esprit que l’on intègre aux Etats-Unis dans la caté­go­rie des « PME » les entre­prises signi­fie aus­si 250 – 499 tra­vailleurs ! Dès lors, les « vraies » PME (au sens où nous l’entendons en Bel­gique) par­ti­cipent encore moins à ce genre d’exportations).

Cette ava­lanche de chiffres rela­tifs au pro­fil des entre­prises expor­ta­trices et aux sec­teurs pré­pon­dé­rants conduit à affir­mer que la concur­rence accrue résul­tant de l’entrée en vigueur du TTIP ne résul­te­ra pas de PME mais bien de grandes mul­ti­na­tio­nales (qui, aux Etats-Unis, rap­pe­lons-le, sont glo­ba­le­ment plus grandes que leurs rivales euro­péennes) et que les PME ne sont pas de nature à riva­li­ser d’égales à égales avec ces multinationales.

Conclusions

  1. Le TTIP aura pour effet de ren­for­cer le [*com­merce bila­té­ral intra­branche*] (les sec­teurs euro­péens qui exportent aux Etats-Unis sont les mêmes que les sec­teurs amé­ri­cains qui exportent en Europe ; on s’échange des voi­tures contre des voi­tures, des pro­duits chi­miques contre des pro­duits chi­miques, etc.).
  2. Celui-ci sera lais­sé aux mains des grandes entre­prises dont on sait qu’elles jouissent de plus de faci­li­tés et d’atouts (en termes de res­sources humaines et finan­cières, de réseaux de dis­tri­bu­tion…) pour s’imposer sur des mar­chés étran­gers, et par consé­quent, [*mettre davan­tage sous pres­sion les PME euro­péennes*] (qui, par ailleurs, souffrent déjà d’une demande atone).
  3. Ain­si, les PME pour­raient bien être une vic­time col­la­té­rale oubliée du TTIP. Même si un cer­tain nombre par­mi elles trouvent leur compte dans ce nou­veau contexte, [*la grande majo­ri­té pour­rait avoir inté­rêt à ce que le TTIP ne voie jamais le jour.*]
  4. Dès lors, une [*alliance sou­vent pré­sen­tée contre-nature entre, d’une part, les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, les ONG envi­ron­ne­men­tales et de défense des consom­ma­teurs et, d’autre part, les PME/indépendants*] contri­bue­rait de manière signi­fi­ca­tive à faire échec au TTIP. A condi­tion pour les pre­mières d’éviter d’effrayer les secondes en lan­çant des mes­sages mani­chéens et cari­ca­tu­raux qui les dis­cré­ditent et de sur­mon­ter les réti­cences « géné­tiques » à collaborer.
  5. Enfin, avant les élec­tions, le MR annon­çait publi­que­ment par le tru­che­ment de Charles Michel qui s’exprimait dans le Soir du 5 mai 2014, qu’il refu­se­rait de sou­te­nir le TTIP. Pour­tant, l’accord de gou­ver­ne­ment en fait l’une de ses prio­ri­tés inter­na­tio­nales et c’est l’une de ses figures de proue, le MR Didier Reyn­ders, qui sera aux com­mandes. Dans Le Soir du 14 octobre (p.3), Charles Michel concluait sa grande inter­view en décla­rant que « ce qu’on a vou­lu [avec l’accord de gou­ver­ne­ment], c’est ne pas prendre les gens par sur­prise. C’est une démarche de cou­rage, de res­pon­sa­bi­li­té, de trans­pa­rence. » Après le coup des pen­sions rele­vées à 67 ans et le saut d’index (ces mesures-sur­prises étant absentes des pro­grammes élec­to­raux des par­tis), [*on mesure à nou­veau avec le TTIP à quel point le gou­ver­ne­ment des droites n’a pas hési­té à trom­per les élec­teurs, et en par­ti­cu­lier, les PME.*]

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen