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Le Traité transatlantique : du Vietnam au Canada en passant par la Grèce
Une nouvelle génération d’accords commerciaux En 2001, à Doha, les membres de l’Organisation mondiale du commerce décidaient d’intensifier les relations commerciales existant entre eux afin de favoriser les investissements étrangers et les échanges de biens et services en réduisant les barrières tarifaires et non tarifaires. Ces dernières font référence aux réglementations de toutes sortes qui compliquent […]
Une nouvelle génération d’accords commerciaux
En 2001, à Doha, les membres de l’Organisation mondiale du commerce décidaient d’intensifier les relations commerciales existant entre eux afin de favoriser les investissements étrangers et les échanges de biens et services en réduisant les barrières tarifaires et non tarifaires. Ces dernières font référence aux réglementations de toutes sortes qui compliquent le libre-échange.
Cependant, initialement prévu pour durer trois années le cycle de Doha n’a toujours pas abouti.
Les blocages persistants ont ainsi incité les pays les plus volontaristes à recourir à des accords bilatéraux ou régionaux avec les pays dont les marchés présentent les meilleures opportunités pour eux et à délaisser la voie multilatérale qui est celle de l’OMC.
Les trois grands projets de traités commerciaux en cours participent de ce mouvement. Il s’agit :
- du CETA déjà conclu avec le Canada et qui doit néanmoins encore être ratifié dans les pays européens ;
- du TTIP qui est négocié depuis deux ans entre l’UE et les États-Unis et a mobilisé contre lui au moins 2 millions de pétitionnaires et suscite une attention croissante, notamment en raison des travaux au Parlement européen ; et enfin,
- du TPP qui ne concerne pas (directement) l’Europe. Moins connu de ce côté-ci de l’Atlantique, le Trans-Partnership Pact unit les États-Unis à 12 autres pays de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique. A un stade plus avancé que le TTIP, il fait naître dans le chef de l’opinion publique américaine et de certaines personnalités politiques de premier plan comme Hillary Clinton, les mêmes craintes que celles que les Européens ressentent à l’égard des États-Unis dans le cadre du TTIP, à savoir les risques d’un nivellement des normes par le bas, d’un affaiblissement de la démocratie, des destructions d’emplois, etc.
Ces accords se distinguent de la génération précédente parce qu’ils ne visent plus seulement à amplifier les échanges et les investissements entre les partenaires commerciaux. Ils se situent un cran plus loin en envisageant les modalités pour renforcer la coopération réglementaire, voire la convergence réglementaire.
Comme il est moins intéressant de conclure des accords d’investissement entre puissances économiques dont les systèmes judiciaires sophistiqués protègent les investisseurs (quelle que soit leur nationalité) et comme les tarifs douaniers sont déjà globalement bas, les gains économiques attendus proviendront d’une meilleure adéquation entre les normes et réglementations des parties prenantes. Ces normes et réglementations génèrent en effet pour les entreprises, des coûts liés à l’obligation de se conformer aux exigences des différents pays, lesquels coûts sont d’autant plus élevés que les normes divergent. Ces accords cherchent également à promouvoir le principe de la reconnaissance mutuelle – l’un des principes fondateurs de l’Union européenne et de son marché unique – en vertu duquel un bien ou service mis sur le marché dans un pays doit automatiquement pouvoir atteindre les consommateurs d’un autre pays, sans devoir se conformer à 100% aux exigences des autorités locales. On reconnaît ainsi qu’il y a équivalence entre les obligations imposées par les législateurs, les régulateurs et les administrations de chaque partenaire commercial.
En bref, cette nouvelle génération d’accords commerciaux vise à gommer ce que les entreprises actives à l’international perçoivent comme des contraintes qui nuisent à leurs intérêts économiques.
[(Retrouvez sur ce blog une analyse sur l’impact que le TTIP aurait sur les PME et leurs perspectives d’exportation et de développement et une analyse relative à la manipulation des chiffres pour justifier les négociations)]
Vers un gouvernement mondial privatisé ?
Jusqu’à présent, ces accords sont évalués de manière autonome, c’est-à-dire en faisant abstraction les uns des autres. Pourtant, se pose la question des conséquences du maillage de la planète par des accords commerciaux aussi ambitieux : en raison de l’interpénétration de leur couverture géographique, on est en droit de s’interroger s’il n’y a pas un effet de débordement d’un accord sur l’autre et, le cas échéant, si cela ne créera pas une dynamique endogène. En d’autres mots, il se pourrait qu’un accord A exerce une influence sur la nature des normes et, in fine, sur la capacité de régulation de pays qui ne sont pas parties prenantes de cet accord A, mais qui, par le biais d’un accord B, entretiennent des liens étroits avec l’un des signataires de l’accord A… (Vous suivez?) De ce fait, s’engagerait un processus de rapprochement entre tous les pays signataires des deux accords, ce qui conduirait inévitablement à la conclusion de nouveaux traités. C’est le doigt dans l’engrenage.
Illustrons ces interactions à partir, d’une part, du TPP et, d’autre part, du TTIP. Comme les États-Unis sont l’élément commun à ces deux grands ensembles, il se pourrait que le processus de coopération/convergence réglementaire engagé parmi les membres du TPP ait des répercussions au sein des pays couverts par le TTIP. Et inversement. Par conséquent, les processus menés dans chacun de ces ensembles conduiraient à un mouvement de convergence des normes, lois et réglementations à un niveau supérieur et, progressivement, à une fusion implicite des espaces TPP et TTIP sans que cet aboutissement soit clairement visé (ou annoncé aux opinions publiques).
Si l’on intègre à cela les autres accords présents — comme l’Alena (États-Unis, Canada, Mexique), l’accord UE-Amérique centrale, l’UE et les États d’Afrique australe et orientale et l’EEE (Union européenne et Islande, Norvège, Liechtenstein et Suisse)— et futurs —comme celui avec la Chine —, il apparaît que se dessinent les contours d’un gouvernement mondial qui ne serait pas constitué par et pour le peuple, mais par et pour les entreprises (exportatrices) du secteur commercial. (Pour une liste des accords régionaux notifiés à l’OMC, voir ici.)
Prenons un autre cas de figure avec la clause ISDS qui est ou serait présente dans les trois accords, mais sous des modalités vraisemblablement différentes, les négociateurs ne disposant pas d’un libellé standardisé qu’ils pourraient se contenter de copier-coller. Cette clause fait référence au règlement des différends entre les investisseurs et les États qui sont tranchés par des tribunaux arbitraux privés et se déroulent donc en marge des procédures judiciaires publiques.
Considérons qu’une entreprise basée au Vietnam conteste une nouvelle réglementation qui serait prise par les États-Unis en matière de lutte contre le changement climatique au motif que celle-ci nuirait à ses opérations commerciales et à ses intérêts financiers. Elle déclenche une procédure devant un tribunal privé contre les États-Unis grâce à la clause ISDS. Imaginons que le tribunal lui donne raison. L’entreprise vietnamienne pourra donc se soustraire à la nouvelle réglementation climatique.
Poursuivons la démonstration en supposant que la filiale américaine de cette firme vietnamienne procède à de nouvelles opérations sur le bien, le but étant de faire en sorte que ledit bien intègre suffisamment de contenu américain (càd d’opérations réalisées sur le sol US). Ces nouveaux traitements consistent, en quelque sorte, à donner à la marchandise en question la « nationalité » américaine. Une fois, la nationalité acquise, la marchandise pourra rentrer dans la boucle du marché transatlantique1 et être mise en vente en Europe. Dès lors, via le principe de réciprocité évoqué plus haut, on pourrait se retrouver en Europe avec une entreprise issue d’un pays (en l’occurrence, le Vietnam) avec lequel l’UE n’entretient pas directement de relations commerciales et qui parvient à échapper aux normes climatiques européennes, lesquelles sont globalement plus exigeantes que celles qui s’appliquent aux États-Unis.
La manière dont la clause ISDS est formulée et, plus ou moins, encadrée dans les différents accords suscite également des interrogations. Imaginons que, à l’arrivée, le TTIP ne comprenne pas cette clause controversée. Comme le CETA, lui, en contient une version, les entreprises américaines qui ont des filiales au Canada pourraient, par le biais de celles-ci qui, elles, sont couvertes par le CETA, poursuivre les pays européens qui nuisent à leurs intérêts commerciaux et financiers. Et donc, contourner l’absence de clause ISDS dans le TTIP !
De la sorte, on entrevoit comment en voulant minimiser la bureaucratie perçue par les entreprises en gommant les différences entre les normes et les lois applicables entre les partenaires commerciaux, on reporte au niveau international les incertitudes et l’insécurité juridique puisque les règles (fluctuantes) du jeu sont sujettes à interprétation et à détournement. Or, à ce niveau, il n’existe plus guère d’institutions démocratiquement élues pour clarifier la situation et arbitrer les conflits surgissant du fait de l’application de textes qui ne sont pas parfaitement alignés. Et ce ne sont ni l’OMC, ni le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (ICSID), une instance de la Banque mondiale, qui semblent en mesure d’apporter les éclaircissements nécessaires, tant elles apparaissent marginalisées par ces accords commerciaux. Restent alors les cours d’arbitrages privées… en attendant peut-être, comme le propose notamment le Parlement européen, « un tribunal international public des investissements [qui] pourrait constituer, à moyen terme, la solution la plus indiquée pour le règlement des litiges en matière d’investissement ».
Des divergences exacerbées entre la Grèce et l’Allemagne
Le TTIP, nous ont vanté ses partisans, stimulerait le PIB d’un (insignifiant) demi-point de croissance additionnel après une décennie d’application. Cependant, ce chiffre – tout contestable soit-il au regard de la marge d’erreur et de la méthodologie appliquée – ne représente qu’une moyenne. Une moyenne qui couvre les 28 pays de l’Union européenne. Dès lors, et toujours en faisant l’effort intellectuel considérable d’accepter que ce chiffre soit vraisemblable, il se pourrait que certains États membres bénéficient largement du TTIP, celui-ci élevant son PIB de 3%, alors que d’autres États membres resteraient sur le carreau avec une croissance nulle, voire… négative. Les gains ne seraient donc pas répartis proportionnellement entre les États membres. Cela s’explique par la nature et l’intensité des liens que chacun a déjà noués avec les États-Unis : exportent-ils des biens et services demandés par les Américains et, le cas échéant, sont-ils plus concurrentiels que les autres pays ?
Pour identifier l’impact du TTIP sur la cohésion économique interne de l’Union européenne, c’est-à-dire les disparités entre États membres pouvant résulter d’une intensification du commerce et des investissements avec les États-Unis, considérons que les exportations de chaque pays seront stimulées de 10%.
Dans ce cas de figure, l’impact sur la croissance économique variera en fonction de l’importance des exportations vers les États-Unis. Comme les exportations de la Grèce sont marginales et ont même reflué avec la crise, l’impact serait à peine perceptible (+0,05%). Par contre, la Belgique en bénéficierait 10 fois plus et l’Allemagne ne serait pas en reste. Cependant, les montants en jeu restent relativement maigres car on se situe sous les 0,5% du PIB. Il ne faut donc pas compter sur le TTIP pour résorber le chômage.
Encore cette hypothèse de travail ignore-t-elle le fait que chaque pays dispose d’atouts inégaux dans ses relations avec les États-Unis du point de vue de ce que ses entreprises peuvent leur offrir.
Actuellement, cinq secteurs concentrent 80% des exportations en valeur vers les États-Unis : la chimie, les équipements de transport, les équipements électriques et optiques, les machines et équipements et les produits alimentaires (dont les boissons et le tabac). Ce sont ces secteurs qui seront les gagnants d’un accord transatlantique. Or, ces secteurs sont relativement peu développés et/ou compétitifs en Grèce, contrairement à l’Allemagne. Cela signifie donc que l’hypothèse précédente que chaque pays gagnera proportionnellement autant d’un tel accord est irréaliste : il n’est pas exclu que certains pays ne voient pas le moindre dollar ou euro supplémentaire. Et ce qui vaut pour la Grèce, vaut également pour les pays dits « de la périphérie » (les pays méditerranéens et un certain nombre de pays d’Europe centrale et orientale). A l’opposé, les pays du Nord de l’Europe ainsi que d’autres comme la Belgique et l’Autriche devraient s’en sortir mieux parce qu’ils sont déjà attrayants pour les États-Unis ou que leur économie est dans le sillage de l’économie allemande.
L’entrée en vigueur du TTIP accroîtrait donc encore la difficulté de mener une politique économique et monétaire cohérente et convenant à un maximum d’États membres. Par conséquent, ce Traité représenterait une menace pour la consolidation de l’Union européenne et surtout de la zone euro où les contraintes sont particulièrement fortes, puisque les pays qui partagent la monnaie unique se sont privés de la possibilité de dévaluer leur monnaie pour restaurer leur compétitivité.
Concluons avec les cinq présidents des institutions européennes qui, à l’occasion de la présentation de leurs vues sur le futur de la zone euro, écrivent : « The notion of convergence is at the heart of our Economic Union : convergence between Member States towards the highest levels of prosperity ; and convergence within European societies, to nurture our unique European model. (…) Today’s divergence creates fragility for the whole Union. We must correct this divergence and embark on a new convergence process. » A bon entendeur…
- Ce point consistant à savoir quelles sont les marchandises qui doivent jouir du traitement préférentiel accordé par l’accord commercial est techniquement compliqué, mais crucial. C’est pourquoi, dans l’accord CETA par exemple, près de 40 pages y sont consacrées. Le premier article qui introduit le sujet et qui porte sur les règles d’origine » se lit comme suit : « 1. For the purposes of this Agreement, a product is originating in the Party where the last production took place if, in the territory of a Party or in the territory of both of the Parties in accordance with Article 3, it :
(a) has been wholly obtained within the meaning of Article 4 ;
(b) has been produced exclusively from originating materials ; or,
© has undergone sufficient production within the meaning of Article 5.
2. Except as provided for in paragraphs 8 and 9 of Article 3 (Cumulation of Origin), the conditions set out in this Protocol relating to the acquisition of originating status must be fulfilled without interruption in the territory of one or both of the Parties.”