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Le règne du Gate tapant

Blog - Belgosphère par Nicolas Baygert

décembre 2015

Le récit média­tique se pré­sente, de plus en plus, sous un aspect mono­thé­ma­tique : une suc­ces­sion de séquences sou­mises à une exé­gèse pous­sée, voire pous­sive. Les évè­ne­ments s’y trouvent autop­siés sous divers angles, pas­sant sous les scal­pels d’une plé­thore d’experts, avant de faire silence et rejoindre la morgue infor­ma­tion­nelle. Aus­si, un risque de satu­ra­tion plane d’emblée sur […]

Belgosphère

Le récit média­tique se pré­sente, de plus en plus, sous un aspect mono­thé­ma­tique : une suc­ces­sion de séquences sou­mises à une exé­gèse pous­sée, voire pous­sive. Les évè­ne­ments s’y trouvent autop­siés sous divers angles, pas­sant sous les scal­pels d’une plé­thore d’experts, avant de faire silence et rejoindre la morgue infor­ma­tion­nelle. Aus­si, un risque de satu­ra­tion plane d’emblée sur chaque sujet uni­for­mé­ment mis à la une. « Une nou­velle chasse l’autre », pré­dit l’adage – les acteurs concer­nés, par­fois en mau­vaise pos­ture, mise­ront à juste titre sur l’essoufflement ou l’oubli col­lec­tif – des sujets au for­mat buzz-friend­ly se voyant plus que jamais sou­mis à la loi de l’obsolescence pro­gram­mée : l’info à l’ère de Snap­chat1.

Le « tha­las­so­gate » répond par­fai­te­ment à cette des­crip­tion. Pour rap­pel, l’hebdomadaire sati­rique fran­çais, le Canard enchaî­né dénon­ça un roi des Belges en vil­lé­gia­ture ther­male au moment où, dans son royaume, la menace ter­ro­riste était maxi­male. « Phi­lippe et Mathilde étaient en Bre­tagne. Ils se repo­saient en pei­gnoir, allon­gés sur un tran­sat, siro­taient un petit jus de fruits detox, pro­fi­taient d’un bain d’eau de mer et des bien­faits d’une bal­néo­thé­ra­pie, se fai­saient mas­ser », pou­vait-on lire. Résul­tat : le couple royal pho­to­gra­phié à son insu, se prit une véri­table volée de bois vert.

Faut-il y voir une cri­tique à retar­de­ment, poin­tant le mutisme du chef de l’État durant la phase d’alerte 4, en par­ti­cu­lier au moment de la « sor­tie de crise » (la rééva­lua­tion du niveau d’alerte et la réou­ver­ture des écoles) au scé­na­rio si peu lisible ? Ou s’agit-il d’un déca­lage équi­voque dans la comm’ royale ? Un séjour en Bre­tagne, certes « pré­vu de longue date », comme le confir­ma Pierre-Emma­nuel De Bauw, char­gé de la com­mu­ni­ca­tion du Palais – mais la situa­tion per­met­tait-elle réel­le­ment ici une obser­va­tion du « busi­ness as usual » ? Le Palais aurait ain­si mal appré­cié le Zeit­geist d’un pays ayant bas­cu­lé en phase cri­tique. La réac­ti­vi­té exi­gée du gou­ver­ne­ment et de son mana­ger de crise, Charles Michel (MR), irait de pair avec celle atten­due du roi qui, à côté de son rôle ins­ti­tu­tion­nel, joue­rait celui d’antidépresseur socié­tal, garant sym­bo­lique d’une nation se ser­rant les coudes. Ce décryp­tage pour­rait, bien enten­du, se pro­lon­ger ad vitam æter­nam.

Or, cette « affaire royale » s’inscrit dans un contexte de « Bel­gium Bashing » ambiant ; cette crise répu­ta­tion­nelle dont souffre la Bel­gique au niveau inter­na­tio­nal. Un « bashing » aux mul­tiples foyers, pui­sant autant dans la renom­mée désas­treuse et désor­mais pla­né­taire de Molen­beek (en dépit de toute Molen­beek-Pride, et autre visite gui­dée) que dans la caco­pho­nie par­ti­cra­tique intra­belge autour de la COP21. 

Pour­tant, dans ce « tha­las­so­gate » ou « pei­gnoir­gate », la rup­ture de confiance ne se situe pas for­cé­ment là où l’on croit. En Bel­gique, la fronde décou­lant du cli­ché mal­heu­reux visa la presse au même titre que la royau­té. Une cer­taine exas­pé­ra­tion citoyenne vis-à-vis de ce « buzz de lèse-majes­té » fut ain­si déce­lable – les deux formes de média­ti­sa­tion (répro­ba­tion sar­cas­tique étran­gère ou doléances belges vis-à-vis de ce trai­te­ment « injuste ») s’avérant bien sou­vent indis­cer­nables aux yeux du public. 

On ne peut d’ailleurs faire l’impasse sur la qua­li­fi­ca­tion séman­tique – locale – de cette affaire : le « tha­las­so­gate ». Le recours sys­té­ma­tique au qua­li­fi­ca­tif « gate » (en réfé­rence au scan­dale du Water­gate) revient à trans­for­mer tout aléa secon­daire inter-par­ti­san ou épi­phé­no­mène connexe (sou­vent exo­gène à la vie démo­cra­tique) en cata­clysme poli­tique majeur, voire en crise de régime. Le « Fran­cken­gate », le « Jam­bon­gate », le « Galant­gate » ou le « Fabio­la­gate » (der­nier « gate » en date concer­nant la monar­chie, lié aux démê­lés fis­caux de la défunte reine Fabio­la); les séquences hys­té­ri­sées se suc­cèdent, béné­fi­ciant d’un trai­te­ment sen­sa­tion­na­liste ana­logue ; des affaires média­ti­que­ment mon­tées en épingle et qui s’essoufflent immanquablement. 

Rien à voir, donc, avec les « gates » arché­ty­paux d’outre-Atlantique : le Water­gate qui abou­tit, en 1974, à la démis­sion de Richard Nixon et le Moni­ca­gate (ou « affaire Lewins­ky ») qui débou­cha sur une pro­cé­dure d’impeach­ment pour par­jure et obs­truc­tion de l’instruction par la Chambre des repré­sen­tants à l’encontre du pré­sident Bill Clinton. 

À l’inverse, côté belge, ces séquences sur­faites se pré­sentent comme des construc­tions poli­ti­co-média­tiques éphé­mères, sus­ten­tant les acteurs poli­tiques ou com­men­ta­teurs prompts à s’insurger ou cher­chant un motif d’indignation tran­si­toire, avant la (mono)thématique sui­vante. Ain­si, outre le four­voie­ment ter­mi­no­lo­gique, le recours au « gate » conduit à la stan­dar­di­sa­tion des for­mats de média­ti­sa­tion de ces mêmes séquences, vouées aux phé­no­mènes de tabloï­di­sa­tion et de scan­da­li­sa­tion, et s’inscrivant inlas­sa­ble­ment et inva­ria­ble­ment dans le flux conti­nu d’une info prête-à-jeter (avec l’eau du bain).

  1. Appli­ca­tion mobile limi­tant le temps de visua­li­sa­tion du média (pho­to­gra­phie, vidéo) envoyé à ses destinataires.

Nicolas Baygert


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