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Le référendum grec du 5 juillet 2015 : la liberté ou la mort … pour qui ?
Ce dimanche 28 juin, le Parlement grec a approuvé la proposition de référendum du Premier ministre grec Alexis Tsipras. Il s’agit à n’en pas douter d’un moment historique : le peuple grec sera invité à se prononcer « pour » ou « contre » les réformes proposées par les créanciers du pays, et non pas « pour » ou « contre » l’appartenance à l’Union européenne. Ce geste […]
Ce dimanche 28 juin, le Parlement grec a approuvé la proposition de référendum du Premier ministre grec Alexis Tsipras. Il s’agit à n’en pas douter d’un moment historique : le peuple grec sera invité à se prononcer « pour » ou « contre » les réformes proposées par les créanciers du pays, et non pas « pour » ou « contre » l’appartenance à l’Union européenne. Ce geste démocratique fort renvoie donc chaque partie (le gouvernement grec, le peuple grec et l’UE) à sa pleine responsabilité politique.
Alexis Tsipras a été élu sur le double mandat de faire cesser l’austérité et de maintenir la Grèce dans l’UE. Durant cinq mois d’âpres négociations, toutes les propositions grecques allant dans ce sens — elles ont bel et bien existé, contrairement à ce qu’une certaine presse n’a cessé de clamer —, ont été rejetées les unes après les autres par l’Eurogroupe — instance sans existence légale, faut-il le rappeler ? À partir du moment où le Premier ministre grec a estimé être allé jusqu’au bout des négociations possibles sans résultats, il n’avait pas d’autre choix que de recourir au référendum pour rester cohérent avec la logique démocratique. En effet, contrairement à ce qu’on peut entendre, le geste n’a rien d’«irresponsable ». N’en déplaise à Bloomberg, c’est bien aux « mamies » et aux « papies » ainsi qu’à tous les citoyens directement concernés par les mesures d’austérité qu’il revient de décider de leur vie, et non à des technocrates pour lesquels les êtres humains se réduisent à des abstractions désincarnées.
Par ce référendum, le peuple grec se voit donc placé devant la responsabilité de choisir lui-même son avenir, c’est-à-dire qu’il est « contraint à être libre » (Rousseau). Car c’est bien de liberté politique au sens fort qu’il s’agit : celle, pour le peuple souverain, de décider lui-même de son propre sort. Rappeler les classiques a parfois du bon : dans le Contrat social, Rousseau posait comme la prémisse de base de toute son analyse que la condition de formation d’un État politique était que le peuple y soit souverain — quel que fût le mode de gouvernement (y compris donc dans une royauté) — et que rien n’était fondé à s’opposer à la volonté populaire.
À tous ceux qui agitent le spectre de l’irresponsabilité de laisser décider ces « incompétents » que sont les citoyens dans d’aussi complexes affaires, on répondra que « non-expertise » n’est pas synonyme d’incompétence ni de bêtise. On rappellera aussi l’étonnement feint par Socrate lorsqu’il constatait que dans l’Athènes démocratique, si l’on devait décider à l’assemblée d’affaires requérant un savoir technique spécifique (la construction d’une nouvelle flotte, par exemple), on ne laissait parler que les experts. Mais que, par contre, lorsque les décisions politiques les plus importantes devaient être prises (le vote des lois, la décision de fonder une colonie ou de partir en guerre…), n’importe qui pouvait prendre la parole. On rappellera aussi le beau mythe par lequel le sophiste Protagoras lui avait répondu : s’il en est ainsi, c’est parce que Zeus a également fait don à tous les hommes du sens de la justice et de celui de la pudeur (entendue comme sens de « ce qui se fait » et de « ce qui ne se fait pas »), ces deux « mesures » internes qui ont permis aux hommes d’inventer ensemble la politique.
Enfin on rappellera que les « experts » du monde contemporain et singulièrement ceux de l’Eurogroupe, semblent quant à eux dénués de « bon sens », c’est-à-dire de cette raison supposée « également partagée entre tous les hommes » par Descartes, et plus encore de cette « philanthropie » dont Aristote ne faisait pas l’apanage des âmes nobles, mais bien l’affect de base que tout humain est censé ressentir pour son semblable afin qu’une vie en société puisse tout simplement exister.
Personne ne peut prédire le résultat du référendum grec. Ni non plus les réactions des uns et des autres qui s’ensuivront. Certaines lignes de réflexion peuvent néanmoins déjà être esquissées.
Si le peuple grec vote « oui » aux mesures d’austérité imposées par l’UE, cela voudra dire que la peur de l’inconnu et de l’imprévisible aura été plus forte que la certitude d’un désastre humain annoncé. Le mot de monsieur Juncker alors pourrait prendre une résonance sinistre : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » signifierait que l’interdit a été intériorisé et donc avalisé par les citoyens grecs. Qui plus est, cette auto-destruction de la liberté démocratique signerait la victoire de la distorsion complète du mot « démocratie », dans la guerre des mots qui sévit actuellement, et dont monsieur Samaras véhicule la vulgate dans le cas qui nous occupe : le « oui » est d’après lui le choix démocratique, le « non », celui des extrémistes ennemis de la démocratie…
Si le peuple grec vote « non » aux mesures d’austérité, l’UE devra elle aussi prendre ses responsabilités. Les membres de l’Eurogroupe accepteront-ils de reprendre les négociations en tenant compte des propositions grecques de restructuration de la dette grecque ? Tel semblait en tout cas être encore l’espoir d’Alexis Tsipras, qui rappelait ce lundi 29 juin sur ERT le premier « non » irlandais au référendum de 2008, et le fait que l’UE avait fini par amender le texte du traité de Lisbonne en tenant compte de certaines demandes des Irlandais. Ces derniers avaient donc fini par le ratifier.
Face à la ténacité grecque du refus de l’austérité et de leur désir de rester dans l’Europe, l’Eurogroupe et l’UE tout entière devront justifier par leurs actes la réponse qu’ils entendront donner à l’exclamation d’un monsieur Schulz : « Mais c’est d’une autre Europe que celle qui existe que monsieur Tsipras et les Grecs veulent ! » Ce constat ferait d’ailleurs bien d’être retourné en question et posé sous la forme d’un référendum global, à nous toutes et tous, Européen(ne)s : « mais finalement, de quelle Europe voulons-nous, celle de la finance ou celle des citoyens ? »
Si le peuple grec votre « non » lors du référendum du 5 juillet, il risque d’entrer dans l’une des périodes les plus difficiles de son histoire d’après-guerre… mais s’il vote « oui », tout aussi bien. C’est pourquoi, en ce moment crucial, il n’est pas vain ni grandiloquent de rappeler sa devise : Eleutheria i thanatos (La liberté ou la mort). La liberté de rappeler que les institutions sont notre création, qu’elles ne sont pas des entités transcendantes éternelles ni encore moins omnipotentes, mais qu’elles vivent et qu’elles meurent, comme les êtres humains.
Si le peuple grec vote « non » lors du référendum du 5 juillet, une page inédite de l’histoire européenne risque bien de s’écrire. Celle où la volonté populaire oserait s’exprimer à nouveau et assumer le risque énorme de son choix : le pari sur l’inconnu et sur sa propre capacité d’agir, de penser et d’inventer de nouvelles institutions pour de nouvelles manières de vivre ensemble. Car, et c’est bien ce que redoutent les eurocrates, le « cas » grec pourrait bien se muer en paradigme pour toutes celles et ceux qui veulent créer ensemble la possibilité d’une autre Europe…