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Le projet démocratique, encore et toujours urgence européenne

Blog - e-Mois - Eurozine média UE (Union européenne) par Thomas Lemaigre

décembre 2013

En Slo­va­quie, un chan­tier par­ti­ci­pa­tif, ce n’est pas pour pro­mou­voir des tech­niques de construc­tion un peu éche­ve­lées, c’est pour recons­truire la mai­son d’un « petit juge » qui a coin­cé des poten­tats locaux mafieux sur des dos­siers de cor­rup­tion. En Grèce, au Royaume-Uni et en Espagne, le débat n’est pas « Et si notre revue lance des blogs, ne […]

e-Mois

En Slo­va­quie, un chan­tier par­ti­ci­pa­tif, ce n’est pas pour pro­mou­voir des tech­niques de construc­tion un peu éche­ve­lées, c’est pour recons­truire la mai­son d’un « petit juge » qui a coin­cé des poten­tats locaux mafieux sur des dos­siers de cor­rup­tion. En Grèce, au Royaume-Uni et en Espagne, le débat n’est pas « Et si notre revue lance des blogs, ne va-t-elle pas détour­ner ses lec­teurs du conte­nu “plus noble” du site web et de la ver­sion papier?»; non, là-bas c’est : « On n’a plus accès au finan­ce­ment public, com­ment conti­nuer à faire une revue au moment où cela a jus­te­ment le plus de sens d’en faire une ? » En Hon­grie, l’équation du finan­ce­ment public est encore plus dou­lou­reuse : « Com­ment gagner le pro­cès que nous fait le minis­tère de la Culture pour récu­pé­rer quelques années de sub­ven­tions ? Et comme on est presque sûr de perdre, com­ment payer ? » En Tur­quie, le sou­ci est encore autre : « On sait que l’on risque d’être arrê­té quand on dif­fuse nos jour­naux auto­nomes gra­tuits », presque une rai­son suf­fi­sante pour redou­bler d’efforts.

La Revue nou­velle par­ti­ci­pait pour la pre­mière fois cette année à Oslo à la Ren­contre annuelle des revues cultu­relles euro­péennes, acti­vi­té clé du réseau Euro­zine que nous avons rejoint il y a deux ans. Bien sûr, dans un tel moment, les ren­contres et les échanges de trucs et astuces de cui­sine sont autant de pépites. Mais là où un tel lieu est irrem­pla­çable, c’est qu’il donne sa mesure à notre bou­lot de revue. Si les contextes natio­naux et les inten­tions édi­to­riales sont qua­si irré­con­ci­liables entre Reyk­ja­vik et Istan­bul, entre Bar­ce­lone et Cra­co­vie, décou­vrir ou se rap­pe­ler ce qui fait mouiller le maillot de nos homo­logues euro­péens, cela remet à la fois notre pro­jet à sa juste place — notre petit espace poli­tique Wal­lo­nie-Bruxelles avec ses marottes et ses cou­tumes —, mais sur­tout, cela lui donne de l’énergie : chaque connexion thé­ma­tique, phi­lo­so­phique ou poli­tique est en puis­sance un puits de res­sources. Reste le défi d’indexer notre agen­da édi­to­rial sur ce qui bouge autour de nous, de res­ter per­ti­nents dans notre bio­tope sans pour autant être anec­do­tiques dans un contexte plus large.

En par­ti­cu­lier le désir d’action col­lec­tive — d’«européanité » est-on ten­té de dire — est pal­pable dans tous les tra­vaux aus­si bien que dans l’ambiance. Dans les tra­vaux d’abord, puisque le fil rouge de ces deux jours et demi de sémi­naires et confé­rences est de ten­ter de per­ce­voir ensemble le sens de l’action des revues dans un espace public sous pres­sion, et de sai­sir en quoi elle est ques­tion­née par les mou­ve­ments anti-auto­ri­taires qui vont du parc Gezi à Sofia, à Athènes et à Madrid. Pas de réponses uni­voques et défi­ni­tives à la clé, mais bien plu­tôt d’autres ques­tions : com­ment com­prendre les rap­ports de ces mou­ve­ments aux forces cri­tiques plus ins­ti­tu­tion­na­li­sées, ou plu­tôt le refus de ces rap­ports par les pre­miers ? Com­ment contrer l’emprise des experts sur les scènes publiques, sur­tout quand n’est pas posée la ques­tion de la trans­pa­rence sur leurs éven­tuels conflits d’intérêt, ni celle de leur recul cri­tique par rap­port aux sché­mas de pen­sée néo­li­bé­raux ? Où se trouve le renou­vel­le­ment du pro­jet démo­cra­tique à l’heure de défis glo­baux comme l’urgence à agir de façon à ren­ver­ser les fac­teurs humains du chan­ge­ment cli­ma­tique ? Etc.

Et puis, c’est l’ambiance qui por­tait très natu­rel­le­ment à l’action col­lec­tive. D’abord avec un évident émoi à l’écoute du récit de la com­mis­sion d’enquête sur les évé­ne­ments qui ont déchi­ré la Nor­vège en juillet 2011 (atten­tat à la bombe et mas­sacre à l’arme semi-auto­ma­tique com­mis par Anders Brei­vik) et les man­que­ments effa­rants des pou­voirs publics dans la ges­tion immé­diate de la crise, qui remettent en ques­tion ce fon­de­ment de la social-démo­cra­tie, pas seule­ment scan­di­nave, qui consiste à dire que l’État est la seule ins­tance à même de garan­tir effi­ca­ce­ment le bien com­mun (à côté de ces dys­fonc­tion­ne­ments, l’évasion de Marc Dutroux ou la catas­trophe de Bui­zin­gen ne sont rien moins que du pipeau…). Mais là où le cœur n’y était pas pour cer­tains, c’est quand le same­di matin, les par­ti­ci­pants ont appris la répres­sion vio­lente des mani­fes­tants pro-euro­péens de Kiev. Nous dis­cu­tons démo­cra­tie et espace public dans la plus grande mai­son de la lit­té­ra­ture d’Europe (et vrai­sem­bla­ble­ment la plus cos­sue), et pen­dant ce temps-là…? Il ne res­tait donc qu’à ten­ter de s’informer en temps réel, à relan­cer les dis­cus­sions sur l’urgence d’une démo­cra­ti­sa­tion de l’Union euro­péenne et d’une Europe des démo­cra­ties, et à rédi­ger un com­mu­ni­qué com­mun pour condam­ner sans équi­voque cette attaque carac­té­ri­sée de la liber­té d’expression.

Thomas Lemaigre


Auteur

Thomas Lemaigre est économiste et journaliste. Il opère depuis 2013 comme chercheur indépendant, spécialisé sur les politiques sociales et éducatives, ainsi que sur les problématiques socio-économiques régionales. Il exerce également des activités de traduction NL>FR et EN>FR. Il est co-fondateur de l'Agence Alter, éditrice, entre autres, du mensuel {Alter Echos}, qu'il a dirigée jusqu'en 2012. Il enseigne ou a enseigné dans plusieurs Hautes écoles sociales (HE2B, Helha, Henallux).