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Le projet démocratique, encore et toujours urgence européenne
En Slovaquie, un chantier participatif, ce n’est pas pour promouvoir des techniques de construction un peu échevelées, c’est pour reconstruire la maison d’un « petit juge » qui a coincé des potentats locaux mafieux sur des dossiers de corruption. En Grèce, au Royaume-Uni et en Espagne, le débat n’est pas « Et si notre revue lance des blogs, ne […]
En Slovaquie, un chantier participatif, ce n’est pas pour promouvoir des techniques de construction un peu échevelées, c’est pour reconstruire la maison d’un « petit juge » qui a coincé des potentats locaux mafieux sur des dossiers de corruption. En Grèce, au Royaume-Uni et en Espagne, le débat n’est pas « Et si notre revue lance des blogs, ne va-t-elle pas détourner ses lecteurs du contenu “plus noble” du site web et de la version papier?»; non, là-bas c’est : « On n’a plus accès au financement public, comment continuer à faire une revue au moment où cela a justement le plus de sens d’en faire une ? » En Hongrie, l’équation du financement public est encore plus douloureuse : « Comment gagner le procès que nous fait le ministère de la Culture pour récupérer quelques années de subventions ? Et comme on est presque sûr de perdre, comment payer ? » En Turquie, le souci est encore autre : « On sait que l’on risque d’être arrêté quand on diffuse nos journaux autonomes gratuits », presque une raison suffisante pour redoubler d’efforts.
La Revue nouvelle participait pour la première fois cette année à Oslo à la Rencontre annuelle des revues culturelles européennes, activité clé du réseau Eurozine que nous avons rejoint il y a deux ans. Bien sûr, dans un tel moment, les rencontres et les échanges de trucs et astuces de cuisine sont autant de pépites. Mais là où un tel lieu est irremplaçable, c’est qu’il donne sa mesure à notre boulot de revue. Si les contextes nationaux et les intentions éditoriales sont quasi irréconciliables entre Reykjavik et Istanbul, entre Barcelone et Cracovie, découvrir ou se rappeler ce qui fait mouiller le maillot de nos homologues européens, cela remet à la fois notre projet à sa juste place — notre petit espace politique Wallonie-Bruxelles avec ses marottes et ses coutumes —, mais surtout, cela lui donne de l’énergie : chaque connexion thématique, philosophique ou politique est en puissance un puits de ressources. Reste le défi d’indexer notre agenda éditorial sur ce qui bouge autour de nous, de rester pertinents dans notre biotope sans pour autant être anecdotiques dans un contexte plus large.
En particulier le désir d’action collective — d’«européanité » est-on tenté de dire — est palpable dans tous les travaux aussi bien que dans l’ambiance. Dans les travaux d’abord, puisque le fil rouge de ces deux jours et demi de séminaires et conférences est de tenter de percevoir ensemble le sens de l’action des revues dans un espace public sous pression, et de saisir en quoi elle est questionnée par les mouvements anti-autoritaires qui vont du parc Gezi à Sofia, à Athènes et à Madrid. Pas de réponses univoques et définitives à la clé, mais bien plutôt d’autres questions : comment comprendre les rapports de ces mouvements aux forces critiques plus institutionnalisées, ou plutôt le refus de ces rapports par les premiers ? Comment contrer l’emprise des experts sur les scènes publiques, surtout quand n’est pas posée la question de la transparence sur leurs éventuels conflits d’intérêt, ni celle de leur recul critique par rapport aux schémas de pensée néolibéraux ? Où se trouve le renouvellement du projet démocratique à l’heure de défis globaux comme l’urgence à agir de façon à renverser les facteurs humains du changement climatique ? Etc.
Et puis, c’est l’ambiance qui portait très naturellement à l’action collective. D’abord avec un évident émoi à l’écoute du récit de la commission d’enquête sur les événements qui ont déchiré la Norvège en juillet 2011 (attentat à la bombe et massacre à l’arme semi-automatique commis par Anders Breivik) et les manquements effarants des pouvoirs publics dans la gestion immédiate de la crise, qui remettent en question ce fondement de la social-démocratie, pas seulement scandinave, qui consiste à dire que l’État est la seule instance à même de garantir efficacement le bien commun (à côté de ces dysfonctionnements, l’évasion de Marc Dutroux ou la catastrophe de Buizingen ne sont rien moins que du pipeau…). Mais là où le cœur n’y était pas pour certains, c’est quand le samedi matin, les participants ont appris la répression violente des manifestants pro-européens de Kiev. Nous discutons démocratie et espace public dans la plus grande maison de la littérature d’Europe (et vraisemblablement la plus cossue), et pendant ce temps-là…? Il ne restait donc qu’à tenter de s’informer en temps réel, à relancer les discussions sur l’urgence d’une démocratisation de l’Union européenne et d’une Europe des démocraties, et à rédiger un communiqué commun pour condamner sans équivoque cette attaque caractérisée de la liberté d’expression.