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Le processus de Kimberley a‑t-il un avenir ?

Blog - e-Mois par Kim Tondeur

avril 2016

Le com­merce de dia­mants est connu pour son rôle dans le finan­ce­ment des conflits armés. Depuis treize ans, un sys­tème inter­na­tio­nal de cer­ti­fi­ca­tion des dia­mants — le pro­ces­sus de Kim­ber­ley — lutte pour endi­guer le lien entre conflits et « dia­mants de sang ». En dépit des résul­tats posi­tifs cla­més par les défen­seurs du pro­ces­sus, la réa­li­té sur le ter­rain semble pour­tant moins rose. Alors que l’Union euro­péenne exa­mine en ce pre­mier semestre 2016 un pro­jet de régle­ment visant à ban­nir les « mine­rais du sang [efn_note]Les mine­rais visés par la légis­la­tion sont le tan­tale, l’or, le tungs­tène et l’étain. Voir à ce sujet la cam­pagne de Jus­tice et Paix, CIDSE et Eur­AC.[/efn_note]», se pen­cher sur Kim­ber­ley est salu­taire, tant les leçons à en tirer peuvent nous aider à être les archi­tectes d’une légis­la­tion plus efficace…

e-Mois

Entré en vigueur en 2003, le sys­tème de cer­ti­fi­ca­tion du pro­ces­sus de Kim­ber­ley (SCPK) vise à endi­guer le finan­ce­ment des conflits armés par le com­merce du dia­mant. Par la mise en place de ce pro­ces­sus, plu­sieurs gou­ver­ne­ments, le sec­teur pri­vé dia­man­taire et des repré­sen­tants de la socié­té civile répon­daient posi­ti­ve­ment au cri d’a­larme lan­cé en 1998 par les ONG Glo­bal Wit­ness et Part­ner­ship Afri­ca-Cana­da sur le rôle de cette pierre pré­cieuse dans le finan­ce­ment des guerres civiles en Ango­la, en Sier­ra Leone et au Libéria. 

Insuffisant et nuisible ?

Comp­tant désor­mais 81 pays par­ti­ci­pants, le pro­ces­sus de Kim­ber­ley est défen­du par ses pro­mo­teurs comme un ins­tru­ment majeur de paix et de sécu­ri­té dans le monde. Pour prendre part au pro­ces­sus, les pays par­ti­ci­pants sont sup­po­sés ne pas pro­duire de « dia­mants de conflit », ne com­mer­cer qu’entre eux et cer­ti­fier conflict free cha­cune de leurs car­gai­sons dia­man­taires. Tou­jours selon ses défen­seurs, cette méthode aurait per­mis de réduire à 1% la part de dia­mants de conflits pré­sents sur le mar­ché légal, contre 15% dans les années 1990. En 2011 pour­tant, Glo­bal Wit­ness fai­sait la une des médias en annon­çant son retrait du pro­gramme. Ce fai­sant, elle don­nait corps aux pré­oc­cu­pa­tions gran­dis­santes de nom­breux acteurs civils : Kim­ber­ley serait insuf­fi­sant, voire nui­sible à la lutte contre les dia­mants de sang.

Aujourd’­hui, la pres­sion sur les res­sources minières et natu­relles de notre pla­nète s’est encore accrue. La com­pé­ti­tion impla­cable que se mènent États et com­pa­gnies pri­vées pour l’ac­cès aux sous-sols s’en trouve inten­si­fiée, pro­vo­quant de fait une mul­ti­pli­ca­tion des conflits miniers ; dia­man­taires com­pris. Conflits armés, certes, mais aus­si plus lar­ge­ment, sociaux, éco­no­miques et envi­ron­ne­men­taux. Pour mieux appré­hen­der l’a­ve­nir, tirons les justes leçons du pas­sé : quels reproches sont adres­sés au pro­ces­sus de Kim­ber­ley ? Ceux-ci peuvent-ils ins­pi­rer l’ar­chi­tec­ture d’un outil de régu­la­tion nou­veau et plus ambitieux ?

Un régime insuffisamment ambitieux

Le pro­blème majeur du pro­ces­sus de Kim­ber­ley est son manque d’am­bi­tion. Le SCPK s’en­gage effec­ti­ve­ment à stop­per le com­merce de « dia­mants bruts uti­li­sés par des mou­ve­ments rebelles ou leurs alliés pour finan­cer des conflits armés qui visent à désta­bi­li­ser des gou­ver­ne­ments légi­times ». Cette défi­ni­tion est trop restrictive. 

Concer­nant les dia­mants d’a­bord, puis­qu’elle n’im­plique aucune sorte de contrôle sur le com­merce illé­gal de pierres déjà polies, dont les tran­sac­tions qui « s’é­lèvent en mil­lions de dol­lars sur le mar­ché noir sug­gèrent pour­tant des failles évi­dentes ; failles par les­quelles des dia­mants illi­cites et de conflit sont sus­pec­tés de péné­trer le mar­ché légal ». Qui plus est, le devoir de cer­ti­fi­ca­tion des dia­mants s’effectue « par car­gai­son », alors qu’elle devrait, pour plus d’efficacité, s’effectuer par uni­té. Il est en effet aisé de glis­ser des pierres illé­gales dans des car­gai­sons cer­ti­fiées conflict free.

La contre­bande en est faci­li­tée et ali­mente un impor­tant mar­ché noir. L’achat et la vente de dia­mants de conflits nour­rit ain­si des pra­tiques d’évasion fis­cale et blan­chi­ment d’argent tan­dis que des asso­cia­tions ter­ro­ristes s’en servent pour dis­si­mu­ler la pro­ve­nance de leur argent sale.

Ensuite, notons que le type de conflit cou­vert par le SCPK devrait éga­le­ment être rééva­lué. Selon la défi­ni­tion, des dia­mants sont consi­dé­rés comme dia­mants de conflits dans le cas uni­que­ment où ils auraient ser­vi à finan­cer le camp « rebelle » d’une guerre civile. Autre­ment dit, des pierres extraites de manière non éthique et poten­tiel­le­ment liées à des faits de tor­ture, d’as­sas­si­nat ou de viols com­mis par une armée régu­lière rece­vront un label cer­ti­fié conflict free et entre­ront faci­le­ment sur le mar­ché légal. 

La déci­sion par les par­ti­ci­pants au pro­ces­sus de Kim­ber­ley d’au­to­ri­ser le Zim­babwe à expor­ter sa pro­duc­tion de dia­mants issus des champs de Marangue est d’ailleurs l’élément qui a déci­dé Glo­bal Wit­ness à se reti­rer du pro­ces­sus. Les auto­ri­tés gou­ver­ne­men­tales zim­babwéennes, les forces gou­ver­ne­men­tales et le pré­sident Mugabe y sont en effet accu­sés d’actes de vio­lence et de vio­la­tions des droits de l’homme per­pé­trés envers la popu­la­tion civile, les creu­seurs arti­sa­naux et les contre­ban­diers inter­na­tio­naux dans le but de prendre le contrôle de ce qui est consi­dé­ré par cer­tains comme le plus grand champ dia­man­taire jamais décou­vert depuis plus d’un siècle. Y sont dénon­cés aujourd’­hui encore des faits de tor­ture, de tra­vail for­cé, mais aus­si de cor­rup­tion et de détour­ne­ment d’argent. Ce sont 2 mil­liards de dol­lars issus de la rente minière qui auraient pu ser­vir au déve­lop­pe­ment local qui ont ain­si dis­pa­ru des caisses natio­nales1. En décembre 2013, pour­tant, l’U­nion euro­péenne a cédé au lob­by de l’in­dus­trie dia­man­taire belge et euro­péen en auto­ri­sant l’a­chat à Anvers de 300.000 carats issus des champs de Marangue.

Enfin, sou­li­gnons que le pro­ces­sus de Kim­ber­ley ne prend pas en compte les risques envi­ron­ne­men­taux. Pour­tant, les conflits armés n’ont pas le mono­pole de l’hor­reur. L’ex­trac­ti­visme, même lors­qu’il se réa­lise dans des condi­tions légales, est connu pour ses dégâts sur les com­mu­nau­tés ain­si que sur leurs éco­sys­tèmes et peuvent pro­vo­quer des conflits sociaux plus ou moins violents.

Rien que pen­dant l’an­née 2015, l’as­sè­che­ment qua­si total du lac Poo­po (Boli­vie) du fait, entre autres, des besoins hydriques de l’in­dus­trie minière locale ain­si que l’ac­ci­dent du bar­rage minier de Ben­to Beni­tez au Bré­sil en attestent lar­ge­ment. C’est tout aus­si vrai pour les mines de dia­mant. En Ango­la et en Sier­ra Leone, des décen­nies d’ex­trac­tion minière ont lar­dé ces pays de graves cica­trices envi­ron­ne­men­tales : éro­sion et pol­lu­tion des sols, dis­pa­ri­tion d’espèces ani­males ter­restres et aqua­tiques, etc. Ces dégâts empêchent l’agriculture et la pêche de se déve­lop­per, et impliquent un néces­saire dépla­ce­ment des popu­la­tions. Ils désta­bi­lisent l’é­qui­libre éco­sys­té­mique et socioé­co­no­mique de ces régions déjà fra­gi­li­sées.

L’industrie pas assez responsabilisée

Outre une défi­ni­tion trop étroite, un second pro­blème de taille est que le pro­ces­sus de Kim­ber­ley repose entiè­re­ment sur les struc­tures éta­tiques. Celles-ci en assument en effet à la fois la res­pon­sa­bi­li­té et la charge. Le pro­blème qui en résulte est double. D’abord, l’efficacité des contrôles internes est très variable d’un pays à l’autre, selon qu’un gou­ver­ne­ment dis­pose ou non des res­sources finan­cières, maté­rielles et ins­ti­tu­tion­nelles pour mettre en place la cer­ti­fi­ca­tion des dia­mants. Ensuite, le pro­ces­sus ne contraint abso­lu­ment pas l’in­dus­trie minière pri­vée, qui n’est tenue à aucun devoir de dili­gence raisonnable. 

En fait, et cette cri­tique peut être éten­due à d’autres ins­tru­ments de régu­la­tion qui misent sur des pra­tiques de « bonne gou­ver­nance » (telle l’Initiative sur la trans­pa­rence des indus­tries extrac­tives ou ITIE), le SCKP pro­voque un dis­cours qui « s’inscrit dans le récit uni­la­té­ral de l’industrie extrac­tive, selon lequel la malé­dic­tion des res­sources est attri­buée à la mau­vaise gou­ver­nance et à la cor­rup­tion ». C’est-à-dire, in fine, aux États et dédouanent ain­si les entre­prises extrac­tives elles-mêmes de toute responsabilité.

Enfin, le manque d’efficacité des sanc­tions pré­vues par le SCPK consti­tue une troi­sième faille majeure. Celles-ci sont uni­que­ment d’ordre éco­no­mique : dans le cas où un pays ne peut cer­ti­fier ses dia­mants conflict free, il lui est tout sim­ple­ment inter­dit d’en faire com­merce. Les conflits san­glants qu’a connus la Répu­blique cen­tra­fri­caine depuis 2013 ont mis en évi­dence l’inefficacité d’une telle réponse. Dans ce pays où le dia­mant repré­sente 50% des expor­ta­tions natio­nales, la guerre civile et reli­gieuse oppo­sant les rebelles musul­mans de la sélé­ka aux chré­tiens anti-bala­ka a en effet contraint le SCPK à décla­rer l’embargo sur le dia­mant cen­tra­fri­cain. Tou­te­fois, cette sanc­tion n’a pu empê­cher le com­merce interne des dia­mants, ni leur contre­bande, tan­dis que cer­taines entre­prises pri­vées se sont conten­tées de sto­cker les dia­mants ache­tés aux fac­tions armées dans l’at­tente d’une levée du blo­cus économique… 

Comment améliorer la lutte contre les « diamants de sang » ?

Tel qu’il est uti­li­sé aujourd’­hui, le pro­ces­sus de Kim­ber­ley s’é­carte des inten­tions qui l’ont vu naître. Le SCKP a failli dans sa mis­sion de pré­ven­tion des conflits armés. Dans le cas du Zim­babwe, le pro­ces­sus revient même à cou­vrir léga­le­ment un État cor­rom­pu et accu­sé de vio­la­tions des droits de l’homme envers sa propre popu­la­tion. Depuis des années, la socié­té civile réclame que soit élar­gie la défi­ni­tion du SCKP afin d’in­ter­ve­nir sur un nombre plus large de conflits. Un gou­ver­ne­ment élu qui se rend lui même cou­pable de faits de tor­ture ou d’exploitation dans le but de tirer pro­fit du com­merce de dia­mant devrait en effet être sanc­tion­né lui aus­si, et cela par un arse­nal plus ambi­tieux que le seul volet éco­no­mique. La ques­tion des droits de l’homme est donc fon­da­men­tale : ceux-ci devraient être pro­té­gés par le SCKP. D’un côté, ONG et États du nord de la pla­nète réclament qu’ils soient pris en compte. De l’autre, le sec­teur pri­vé dia­man­taire s’y oppose farou­che­ment, tan­dis que la Chine, l’A­frique et d’autre pays du Sud y voient une ten­ta­tive d’ingérence poli­tique et éco­no­mique de la part des puis­sances occi­den­tales. À leurs yeux, invo­quer des man­que­ments démo­cra­tiques ser­vi­rait de pré­texte aux États du nord pour y impo­ser leur agen­da poli­tique. Sau­ver le pro­ces­sus de Kim­ber­ley impli­que­ra pour­tant de sor­tir de cette impasse : il est incon­ce­vable que le SCKP conti­nue de légi­ti­mer plus long­temps des gou­ver­ne­ments assas­sins et corrompus.

Dans l’é­tat actuel des choses, les entre­prises pri­vées se servent en outre volon­tiers du SCPK comme excuse pour ne pas s’as­su­rer elles-mêmes de la pro­ve­nance des dia­mants qu’elles uti­lisent. Ce fai­sant, elles n’adhèrent pas au prin­cipe de res­pon­sa­bi­li­té sociale des entre­prises pour­tant pro­mu par l’OCDE et offi­ciel­le­ment recon­nu en 2011 par le conseil des Droits de l’homme des Nations unies. 

Le pro­ces­sus devrait être revu de manière à impli­quer les entre­prises de manière contrai­gnante afin qu’elles assurent d’a­bord une tra­ça­bi­li­té à l’unité des dia­mants (bruts et polis) et ensuite une trans­pa­rence de leur chaîne d’ap­pro­vi­sion­ne­ment. Il est illu­soire de pen­ser que l’on peut res­pon­sa­bi­li­ser le mar­ché en comp­tant sur la bonne volon­té des acteurs pri­vés. Pour être effi­cace, le prin­cipe de dili­gence rai­son­nable sur la chaîne d’approvisionnement dia­man­ti­fère doit être ren­du obli­ga­toire et être accom­pa­gné de sanc­tions signi­fi­ca­tives, pro­gres­sives et adap­tées à la place de l’entreprise dans la chaîne d’approvisionnement et à sa taille. C’est aux entre­prises qu’il incombe la res­pon­sa­bi­li­té d’as­su­rer le contrôle de leurs mar­chan­dises, et aux États le devoir de les contraindre à le faire.

  1. Pour plus d’informations sur les champs de Marangue, le Zim­babwe et les dia­mants de sang : Glo­bal Wit­ness.

Kim Tondeur


Auteur

Volontaire à la Commission Justice et Paix