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Le niveau baisse !

Blog - Anathème par Anathème

mars 2015

Que faire de nos vieux ? Où caser ces gens que nous ne vou­lons avoir nulle part où les accueillir ? Chez eux n’est sou­vent plus pos­sible ou implique la conser­va­tion d’un trop consi­dé­rable capi­tal immo­bi­li­sé, ce qui est peu rai­son­nable par les temps qui courent. Les mai­sons de retraite sont cou­teuses et les places y sont plus chères encore que dans une bonne école secon­daire bruxel­loise. Dans nos mai­sons, ce n’est pas envi­sa­geable vu le temps que nos ancêtres mettent à mou­rir… Mais que faire de nos vieux ?

Anathème

En Flandre, est née l’idée de faire de conte­neurs des loge­ments pour per­sonnes âgées. Le dis­po­si­tif est pla­cé en quelques heures dans votre jar­din. Votre mamy Jac­que­line ou ton­ton Ray­mond pour­ront alors y faire sous eux dans un confort appré­ciable. Dès qu’ils auront replié leur bâche, la cel­lule pour­ra être ôtée et l’herbe rese­mée. Cette solu­tion tem­po­raire, aus­si vite oubliée qu’elle a ces­sé d’être utile, per­met­tra de gérer effi­ca­ce­ment le défi de la fin de vie, comme on dit.
Cette solu­tion est jus­te­ment pré­sen­tée par la presse comme une solu­tion hono­rable. Il est ain­si pos­sible de main­te­nir les « seniors » près de leurs proches, ce qui est quand même mieux que l’inaccessible mai­son de retraite ou que l’impossible domi­cile. L’étape sui­vante sera sans doute celle de la cara­vane, qui per­met­tra une garde alter­née entre les enfants, que cha­cun ne sup­porte que sa juste part du far­deau de la vieillesse de ses parents.
Ce conte­neur est mieux que la mai­son de retraite, comme l’intérim ou le temps par­tiel sont mieux que le chô­mage, comme le bra­ce­let élec­tro­nique est mieux que la pri­son, comme l’austérité à la belge est mieux que l’effondrement grec, comme l’école médiocre est mieux que l’école-poubelle, comme une pen­sion étique est mieux que rien ou comme une mort digne est mieux qu’une infâme ago­nie. « Mieux que », argu­ment imparable !
Comme elles nous sont utiles, ces cohortes de misé­reux, de vieillards, de relé­gués, d’exclus et de ban­nis, pour faire com­prendre à cha­cun que son sort est meilleur que le leur. Il n’est plus ques­tion de rêver d’un ave­nir meilleur, le temps n’est plus aux douces rêve­ries. Votre verre est à moi­tié vide quand celui d’autrui déborde ? Il n’est pas ques­tion d’interroger la jus­tice sociale, l’éthique, le pro­jet poli­tique. L’état natu­rel d’un verre est d’être vide, s’il est à moi­tié plein, c’est en soi une béné­dic­tion. Même un quart est déjà fort appréciable.
Pour en convaincre cha­cun, il n’est que de veiller à ce que les plus faibles, ceux qui ne peuvent pro­tes­ter, voient leur verre se vider sous les yeux ter­ri­fiés de tous. C’est ain­si, l’eau s’évapore, qui n’est pas capable de main­te­nir le niveau de son verre ne mérite pas de boire, que cer­tains verres soient des cornes d’abondance n’est que jus­tice, comme le fait que chaque goutte du vôtre vous ait coû­té son équi­valent en sang et en sueur. Rien à redire, c’est la loi du mar­ché, c’est l’ordre des choses, ça a tou­jours été comme ça, c’est de pur bon sens…
« Mieux que » nous sauve ain­si de ces cohortes de pro­tes­ta­taires qui geignent et contestent les saines règles de notre bien­veillante socié­té. Bénis soient les pauvres, les vieux aban­don­nés, les chô­meurs en fin de droit, les clan­des­tins, les sans-abri, les jeunes en décro­chage sco­laire, les pri­son­niers, ils illus­trent, pour l’édification des masses, le sort natu­rel de l’homme : la déchéance. Par leurs ver­tus péda­go­giques, ils aident les pré­caires à sup­por­ter leur sort.
Bien sûr, il ne faut pas comp­ter sur la sta­bi­li­té, chaque jour, le niveau baisse chez cer­tains, en un dyna­mique aver­tis­se­ment à tous les autres. Ne fai­blis­sez pas, vous per­driez tout. Avec un peu de chance, vous serez mori­bond avant que les conte­neurs soient au prix des mai­sons de retraite et qu’un abri de jar­din soit consi­dé­ré comme « mieux que » la niche du chien. Ain­si va le monde. C’est mieux que rien, non ?

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.