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Le niveau baisse !
Que faire de nos vieux ? Où caser ces gens que nous ne voulons avoir nulle part où les accueillir ? Chez eux n’est souvent plus possible ou implique la conservation d’un trop considérable capital immobilisé, ce qui est peu raisonnable par les temps qui courent. Les maisons de retraite sont couteuses et les places y sont plus chères encore que dans une bonne école secondaire bruxelloise. Dans nos maisons, ce n’est pas envisageable vu le temps que nos ancêtres mettent à mourir… Mais que faire de nos vieux ?
En Flandre, est née l’idée de faire de conteneurs des logements pour personnes âgées. Le dispositif est placé en quelques heures dans votre jardin. Votre mamy Jacqueline ou tonton Raymond pourront alors y faire sous eux dans un confort appréciable. Dès qu’ils auront replié leur bâche, la cellule pourra être ôtée et l’herbe resemée. Cette solution temporaire, aussi vite oubliée qu’elle a cessé d’être utile, permettra de gérer efficacement le défi de la fin de vie, comme on dit.
Cette solution est justement présentée par la presse comme une solution honorable. Il est ainsi possible de maintenir les « seniors » près de leurs proches, ce qui est quand même mieux que l’inaccessible maison de retraite ou que l’impossible domicile. L’étape suivante sera sans doute celle de la caravane, qui permettra une garde alternée entre les enfants, que chacun ne supporte que sa juste part du fardeau de la vieillesse de ses parents.
Ce conteneur est mieux que la maison de retraite, comme l’intérim ou le temps partiel sont mieux que le chômage, comme le bracelet électronique est mieux que la prison, comme l’austérité à la belge est mieux que l’effondrement grec, comme l’école médiocre est mieux que l’école-poubelle, comme une pension étique est mieux que rien ou comme une mort digne est mieux qu’une infâme agonie. « Mieux que », argument imparable !
Comme elles nous sont utiles, ces cohortes de miséreux, de vieillards, de relégués, d’exclus et de bannis, pour faire comprendre à chacun que son sort est meilleur que le leur. Il n’est plus question de rêver d’un avenir meilleur, le temps n’est plus aux douces rêveries. Votre verre est à moitié vide quand celui d’autrui déborde ? Il n’est pas question d’interroger la justice sociale, l’éthique, le projet politique. L’état naturel d’un verre est d’être vide, s’il est à moitié plein, c’est en soi une bénédiction. Même un quart est déjà fort appréciable.
Pour en convaincre chacun, il n’est que de veiller à ce que les plus faibles, ceux qui ne peuvent protester, voient leur verre se vider sous les yeux terrifiés de tous. C’est ainsi, l’eau s’évapore, qui n’est pas capable de maintenir le niveau de son verre ne mérite pas de boire, que certains verres soient des cornes d’abondance n’est que justice, comme le fait que chaque goutte du vôtre vous ait coûté son équivalent en sang et en sueur. Rien à redire, c’est la loi du marché, c’est l’ordre des choses, ça a toujours été comme ça, c’est de pur bon sens…
« Mieux que » nous sauve ainsi de ces cohortes de protestataires qui geignent et contestent les saines règles de notre bienveillante société. Bénis soient les pauvres, les vieux abandonnés, les chômeurs en fin de droit, les clandestins, les sans-abri, les jeunes en décrochage scolaire, les prisonniers, ils illustrent, pour l’édification des masses, le sort naturel de l’homme : la déchéance. Par leurs vertus pédagogiques, ils aident les précaires à supporter leur sort.
Bien sûr, il ne faut pas compter sur la stabilité, chaque jour, le niveau baisse chez certains, en un dynamique avertissement à tous les autres. Ne faiblissez pas, vous perdriez tout. Avec un peu de chance, vous serez moribond avant que les conteneurs soient au prix des maisons de retraite et qu’un abri de jardin soit considéré comme « mieux que » la niche du chien. Ainsi va le monde. C’est mieux que rien, non ?