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Le marché du nettoyage des écuries d’Augias
Nous avons maintes fois eu l’occasion d’appeler de nos vœux une remise en ordre radicale du monde : le niveau baisse, c’était mieux avant et rien n’est plus ce qu’il était… Or, dans le chaos actuel, un élément nous pousse à l’optimisme : la grande vitalité du libéralisme. Ainsi le monde financier poursuit-il avec bonheur sur la voie de la dérégulation : des échanges plus nombreux, plus rapides, plus anarchiques, une circulation plus aisée des capitaux et des marchandises, des États totalement dépassés, une gauche agonisante, des projets de traités internationaux visant à tuer dans l’œuf toute velléité future de régulation, il est un fait certain que la Main invisible aura les coudées franches dans les années à venir.
Mais ce n’est pas tout, la victoire du libéralisme est aussi celle de la mise en concurrence absolue de tout (et de n’importe quoi). Oui, l’eau potable, l’enseignement, les soins de santé, les assurances-maladie, la surveillance des détenus ou la sécurité sont des marchés, oui, il faut permettre à chacun de s’y improviser fournisseur de services et d’y solliciter l’ordalie des marchés. Enfin, le monde prend conscience de l’universalité de la mise en concurrence et renonce à toute autre forme de jugement que celui du marché !
Dans ce contexte, il est logique que la remise en ordre du monde elle-même soit soumise à la concurrence et que des entrepreneurs recrutent, partout dans le monde, les troupes qui, demain, feront régner l’ordre et la discipline. Nous assistons ainsi à ce moment fascinant où s’affrontent des concurrents que le marché n’a pas encore départagés. Le courant continu face au courant alternatif, le moteur à explosion face à la vapeur, VHS contre Betamax, le plus lourd contre le plus léger que l’air ou encore le communisme face au fascisme, les exemples de ces affrontements sont légion. À chaque fois des visions du monde s’opposent, soutenues par des concurrents que rien ne distingue (si ce n’est le projet auquel ils se sont ralliés) et qu’unit une commune soumission au marché. Ensuite, puisque le meilleur est celui que favorise le marché, invariablement, le meilleur l’emporte.
Selon quels principes remettrons-nous de l’ordre dans l’affolant capharnaüm qu’est devenu le monde ? Nous assistons à l’émergence de deux acteurs qui pourraient régner sur notre avenir. D’un côté, bien entendu, les djihadistes. DAESH présente ainsi un profil intéressant : des valeurs claires, la détermination de mettre les moyens nécessaires à leur service un positionnement marketing cohérent, et un personnel motivé qui se coupe en quatre pour atteindre les objectifs stratégiques du groupe. Certes, à l’échelle du monde, ce n’est encore qu’une start up, mais elle est déjà un acteur régional incontournable et l’on sait qu’un positionnement solide sur un marché local est la nécessaire base d’un déploiement mondial. Déjà, des OPA de concurrents ont été menées avec succès, des exportations sont envisagées et la réputation de sérieux de l’organisation a fait le tour du monde. Bien entendu, devenir un acteur hégémonique demandera encore beaucoup d’énergie : ouvrir de nouveaux marchés, gérer la crise de croissance, recruter du personnel compétent et, bien entendu, accéder aux capitaux et aux matières premières.
Sans compter avec un concurrent prometteur, bénéficiant d’une longue tradition et maîtrisant d’importantes techniques et qui pourrait constituer la plus importance pierre d’achoppement pour DAESH. Cependant, si ce dernier est un acteur qui se distingue au sein d’un secteur plein de vitalité, son concurrent en est encore au stade de la nébuleuse. Pourtant, une série de signes donnent à penser qu’un consensus se construit et pourrait aboutir, sinon à des fusions-absorptions de grande ampleur, au moins à la construction d’un solide consortium. En effet, les fascistes demeurent éparpillés en une multitude de PME et d’entreprises de taille moyenne, mais leur force tient à leur réseau et à l’unanimité qui y règne. Leurs actions sont ainsi soutenues et encouragées par un large panel d’organes de presse et de communication, de partis de droite et de gauche, d’organes de sécurité, de cercles d’industriels et de nantis, ainsi que d’internautes influents. La faiblesse des crânes rasés, incapables de davantage que de quelques ratonnades et de festivals de chants nationalistes appartient désormais au passé. La remise en ordre suprémaciste est aujourd’hui soutenue par de puissants adjuvants aux niveaux théorique et opérationnel. Certes, des rigidités dues à la régulation excessive du domaine par l’État entravent le développement du secteur, mais il y a fort à parier que l’affaiblissement des institutions étatiques se poursuive et que l’on puisse relativiser le poids de textes contraignants qui, comme les constitutions et conventions internationales, pèsent sur les initiatives fascistes. De toute façon, l’essentiel semble acquis : l’évolution favorable des mentalités.
Faut-il craindre que notre monde sorte déchiré de cet affrontement ? Certainement pas ! Comme toujours dans ce genre de situation, le concurrent vainqueur n’aura rien de plus pressé que d’engager le personnel de son concurrent : il dispose de connaissances du marché et des techniques absolument essentielles pour lui. Du reste, de part et d’autre, on partage fondamentalement les mêmes valeurs et les mêmes méthodes.
Dire que le chaos d’aujourd’hui est gros de l’ordre de demain et annoncer la concorde universelle peuvent sembler des slogans convenus, juste bons à être attribués à Paolo Coelho et diffusés sur Facebook sur fond de photographies d’îles paradisiaques. Cependant, aujourd’hui, force est de reconnaître qu’a été publié l’appel d’offres pour le marché du nettoyage des écuries d’Augias. Enfin !