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Le long fleuve tranquille du parlement ?
Au sein des structures décisionnelles d’un pays, l’alternance est nécessaire pour éviter que certains individus ou groupes d’individus – par exemple sous la forme de partis politiques – ne s’accrochent au pouvoir et en abusent. L’alternance permet aussi d’apporter de nouveaux visages, de nouvelles idées et de nouvelles ambitions pour l’avenir.
Mais il ne faut pas tomber dans le piège inverse. La stabilité des gouvernements dans le temps est un élément important pour tout État démocratique. Rien ne met plus en péril la bonne marche de la chose politique que des crises, démissions et autres chutes de gouvernements. A ce sujet, la Belgique est un mauvais élève de la classe européenne. De 1944 à nos jours, notre pays a connu pas moins de 48 gouvernements et 386 ministres différents, rien qu’au niveau national. Les chutes de gouvernement ne sont pas rares et nous avons dépassé la centaine de démissions de ministres il y a quelques années déjà…
Mais le gouvernement n’est pas la seule institution préoccupée par sa stabilité. En tant que pouvoir législatif et organe de contrôle du gouvernement, le parlement doit également faire montre de stabilité dans le temps. Contrairement au gouvernement qui, en Belgique, se base sur un consensus émergeant de la rencontre de plusieurs partis politiques et combiné avec leurs stratégies politiques, le parlement est élu directement par le peuple. Quelques que soient les stratégies politiques ou les alliances entre différents partis mises en place, l’électeur a le dernier mot afin de déterminer qui est élu et qui ne l’est pas.
Conjointement à d’autres éléments (poids de la particratie, modalités de composition des listes, types de carrières politiques, etc.), ceci explique en partie pourquoi les parlements sont relativement stables dans le temps. On observe ainsi très peu de transfuges au cours de la législature, à savoir de parlementaires qui passent d’un parti politique à l’autre, tout en gardant leur mandat. Le récent passage du député régional bruxellois Zahoor Manzoor du MR au PS reste un phénomène extrêmement rare. Généralement, l’instabilité parlementaire se situe aux confins du spectre politique, principalement à l’extrême-droite ou dans les partis populistes.
Mais cette absence de transfuges au niveau individuel veut-elle dire que le parlement belge est collectivement stable ? Pour évaluer cette stabilité au niveau collectif, observons les partis qui composent l’assemblée. A‑t-on toujours affaire aux mêmes partis ? Y en a‑t-il fréquemment de nouveaux qui entrent au parlement ? Et quelle est leur espérance de vie ?
En comparaison d’autres pays d’Europe occidentale, le système partisan belge est relativement stable : les mêmes partis occupent traditionnellement le Parlement. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les partis dits « traditionnels » (démocrates-chrétiens, socialistes et libéraux) qui ont toujours été représentés au Parlement belge depuis la fin du XIXe siècle et cela dans les deux principales régions du pays.
Au lendemain des élections de mai 2014, de nombreux commentaires portaient sur les trois ‘petits nouveaux’ au parlement fédéral, même si l’attention a principalement porté sur la (nouvelle) victoire de la N‑VA. Nous avons en effet vu trois forces politiques y (ré-)entrer : le PTB-GO!, le FDF et le PP. Mais cette présence n’est pas vraiment une surprise et on ne peut pas vraiment parler d’une entrée par la grande porte…
Tout d’abord, ces partis politiques comptabilisent ensemble seulement 5 sièges, c’est-à-dire moins que Groen ou Ecolo (6 sièges chacun) ou que le CDH (9 sièges). En complète perdition, le Vlaams Belang, avec ses 3 sièges, devient également un petit parti. Ces quelques sièges ne leur permettent que difficilement d’avoir une réelle influence sur les activités parlementaires. Ils n’ont ainsi pas accès à l’une ou l’autre présidence de commissions ou à la conférence des présidents et n’ont pas de voix délibératives dans les commissions.
Qui plus est, ces trois partis politiques ne sont pas vraiment des nouveaux venus au parlement fédéral. En fait, le FDF y siège sans discontinuer depuis 1965 et est même devenu le premier parti de l’arrondissement de BHV lors des élections de 1971. Le parti bruxellois a également participé à plusieurs gouvernements. Au sein du MR, le FDF a également toujours conservé plusieurs sièges au sein du parlement fédéral et s’est même vu confier certains portefeuilles ministériels. Ensuite, le PP avait déjà obtenu un siège lors des précédentes élections fédérales en 2010, mais avait exclu son élu de ses structures en janvier 2011, le forçant à siéger comme indépendant.
Enfin, rappelons que le PTB-GO ! (GO signifiant Gauche d’Ouverture) est une plate-forme électorale composée de partis de gauche radicale, dont le PTB, la LCR et le Parti Communiste. Le PC est un des plus anciens partis politiques belges et a siégé sans discontinuer au parlement pendant près de 60 ans (de 1925 à 1985). Le parti a obtenu par exemple 23 sièges (sur 202) aux élections de 1946, ce qui lui permit même d’entrer au gouvernement. Bref, il est difficile de prétendre que les élections de 2014 constituent une réelle surprise électorale et qu’elles ont drastiquement modifié la composition de l’assemblée…
Le parlement belge est-il donc un long fleuve tranquille ? Les mêmes familles politiques (démocrates-chrétiennes, socialistes et libérales) le dominent depuis plus d’un siècle et la discipline partisane fait que peu de parlementaires passent d’un parti à l’autre. Même les « nouveaux » partis ne le sont pas réellement… Mais c’est oublier un peu rapidement les quelques dernières décennies. Car, l’histoire politique belge n’est pas avare en surprises électorales et en entrées parfois fracassantes de nouvelles formations politiques au sein du parlement.
Ainsi, depuis la seconde guerre mondiale, nombreux sont les nouveaux partis politiques à avoir obtenu au moins un siège. Il s’agit de l’UDB (1946), de la VU et de son héritier N‑VA (1954), du RN (1961), du RW et ses prédécesseurs (1965), du FDF (1965), de l’UDRT (1978), du Vlaams Blok (1978), d’Ecolo (1981), d’Agalev (1981), de Rossem (1991), du FN (1991), de la LDD (2007), du PP (2010), du PTB-go ! (2014) ou encore de divers dissidences catholiques comme le RSCL (1954), communistes comme l’UDP (1974) ou encore de cartels libéraux-socialistes (1946), cartels socialistes-régionalistes (1977), etc. Certains de ces partis ont connu une existence éphémère, tandis que d’autres sont toujours présents aujourd’hui…
Au demeurant, le parlement belge n’a jamais connu de révolutions en ce qui concerne sa composition partisane. Il serait plus pertinent de parler d’évolution. Tout comme les réformes de l’Etat ont graduellement renforcé le rôle de la Chambre au détriment du Sénat, les élections ont petit-à-petit été le témoignage d’une évolution du paysage partisan belge. Sans disparaître, les partis traditionnels ont fait progressivement place à des nouvelles forces politiques. Cela tient probablement à leur capacité à intégrer ces nouveaux partis politiques au sein de leur structure existante. Pensons, par exemple, au MCC au sein du MR, à Vivant au sein de l’Open VLD ou encore à Spirit au sein du SP.a.
Car le parlement belge apparaît aux yeux de nombreux observateurs comme un long fleuve tranquille en comparaison de certains pays d’Europe occidentale qui ont connu, lors des dernières décennies, une transformation radicale de leurs systèmes de partis. Les exemples néerlandais et italiens sont souvent pris comme des cas d’école. Il faudra y ajouter le cas grec puisque les récentes élections dans ce pays démontrent qu’il est possible – en moins quatre ans – de passer d’un parlement historiquement dominé par seulement deux partis à une assemblée fractionnée et dominée par de nouveaux acteurs politiques…