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Le long fleuve tranquille du parlement ?

Blog - Belgosphère - parlementarisme partis politiques par Régis Dandoy

février 2015

Au sein des struc­tures déci­sion­nelles d’un pays, l’alternance est néces­saire pour évi­ter que cer­tains indi­vi­dus ou groupes d’individus – par exemple sous la forme de par­tis poli­tiques – ne s’accrochent au pou­voir et en abusent. L’alternance per­met aus­si d’apporter de nou­veaux visages, de nou­velles idées et de nou­velles ambi­tions pour l’avenir.

Mais il ne faut pas tom­ber dans le piège inverse. La sta­bi­li­té des gou­ver­ne­ments dans le temps est un élé­ment impor­tant pour tout État démo­cra­tique. Rien ne met plus en péril la bonne marche de la chose poli­tique que des crises, démis­sions et autres chutes de gou­ver­ne­ments. A ce sujet, la Bel­gique est un mau­vais élève de la classe euro­péenne. De 1944 à nos jours, notre pays a connu pas moins de 48 gou­ver­ne­ments et 386 ministres dif­fé­rents, rien qu’au niveau natio­nal. Les chutes de gou­ver­ne­ment ne sont pas rares et nous avons dépas­sé la cen­taine de démis­sions de ministres il y a quelques années déjà…

Belgosphère

Mais le gou­ver­ne­ment n’est pas la seule ins­ti­tu­tion pré­oc­cu­pée par sa sta­bi­li­té. En tant que pou­voir légis­la­tif et organe de contrôle du gou­ver­ne­ment, le par­le­ment doit éga­le­ment faire montre de sta­bi­li­té dans le temps. Contrai­re­ment au gou­ver­ne­ment qui, en Bel­gique, se base sur un consen­sus émer­geant de la ren­contre de plu­sieurs par­tis poli­tiques et com­bi­né avec leurs stra­té­gies poli­tiques, le par­le­ment est élu direc­te­ment par le peuple. Quelques que soient les stra­té­gies poli­tiques ou les alliances entre dif­fé­rents par­tis mises en place, l’électeur a le der­nier mot afin de déter­mi­ner qui est élu et qui ne l’est pas.

Conjoin­te­ment à d’autres élé­ments (poids de la par­ti­cra­tie, moda­li­tés de com­po­si­tion des listes, types de car­rières poli­tiques, etc.), ceci explique en par­tie pour­quoi les par­le­ments sont rela­ti­ve­ment stables dans le temps. On observe ain­si très peu de trans­fuges au cours de la légis­la­ture, à savoir de par­le­men­taires qui passent d’un par­ti poli­tique à l’autre, tout en gar­dant leur man­dat. Le récent pas­sage du dépu­té régio­nal bruxel­lois Zahoor Man­zoor du MR au PS reste un phé­no­mène extrê­me­ment rare. Géné­ra­le­ment, l’instabilité par­le­men­taire se situe aux confins du spectre poli­tique, prin­ci­pa­le­ment à l’extrême-droite ou dans les par­tis populistes.

Mais cette absence de trans­fuges au niveau indi­vi­duel veut-elle dire que le par­le­ment belge est col­lec­ti­ve­ment stable ? Pour éva­luer cette sta­bi­li­té au niveau col­lec­tif, obser­vons les par­tis qui com­posent l’assemblée. A‑t-on tou­jours affaire aux mêmes par­tis ? Y en a‑t-il fré­quem­ment de nou­veaux qui entrent au par­le­ment ? Et quelle est leur espé­rance de vie ? 

En com­pa­rai­son d’autres pays d’Europe occi­den­tale, le sys­tème par­ti­san belge est rela­ti­ve­ment stable : les mêmes par­tis occupent tra­di­tion­nel­le­ment le Par­le­ment. C’est par­ti­cu­liè­re­ment vrai en ce qui concerne les par­tis dits « tra­di­tion­nels » (démo­crates-chré­tiens, socia­listes et libé­raux) qui ont tou­jours été repré­sen­tés au Par­le­ment belge depuis la fin du XIXe siècle et cela dans les deux prin­ci­pales régions du pays.

Au len­de­main des élec­tions de mai 2014, de nom­breux com­men­taires por­taient sur les trois ‘petits nou­veaux’ au par­le­ment fédé­ral, même si l’attention a prin­ci­pa­le­ment por­té sur la (nou­velle) vic­toire de la N‑VA. Nous avons en effet vu trois forces poli­tiques y (ré-)entrer : le PTB-GO!, le FDF et le PP. Mais cette pré­sence n’est pas vrai­ment une sur­prise et on ne peut pas vrai­ment par­ler d’une entrée par la grande porte…

Tout d’abord, ces par­tis poli­tiques comp­ta­bi­lisent ensemble seule­ment 5 sièges, c’est-à-dire moins que Groen ou Eco­lo (6 sièges cha­cun) ou que le CDH (9 sièges). En com­plète per­di­tion, le Vlaams Belang, avec ses 3 sièges, devient éga­le­ment un petit par­ti. Ces quelques sièges ne leur per­mettent que dif­fi­ci­le­ment d’avoir une réelle influence sur les acti­vi­tés par­le­men­taires. Ils n’ont ain­si pas accès à l’une ou l’autre pré­si­dence de com­mis­sions ou à la confé­rence des pré­si­dents et n’ont pas de voix déli­bé­ra­tives dans les commissions.

Qui plus est, ces trois par­tis poli­tiques ne sont pas vrai­ment des nou­veaux venus au par­le­ment fédé­ral. En fait, le FDF y siège sans dis­con­ti­nuer depuis 1965 et est même deve­nu le pre­mier par­ti de l’arrondissement de BHV lors des élec­tions de 1971. Le par­ti bruxel­lois a éga­le­ment par­ti­ci­pé à plu­sieurs gou­ver­ne­ments. Au sein du MR, le FDF a éga­le­ment tou­jours conser­vé plu­sieurs sièges au sein du par­le­ment fédé­ral et s’est même vu confier cer­tains por­te­feuilles minis­té­riels. Ensuite, le PP avait déjà obte­nu un siège lors des pré­cé­dentes élec­tions fédé­rales en 2010, mais avait exclu son élu de ses struc­tures en jan­vier 2011, le for­çant à sié­ger comme indépendant. 

Enfin, rap­pe­lons que le PTB-GO ! (GO signi­fiant Gauche d’Ouverture) est une plate-forme élec­to­rale com­po­sée de par­tis de gauche radi­cale, dont le PTB, la LCR et le Par­ti Com­mu­niste. Le PC est un des plus anciens par­tis poli­tiques belges et a sié­gé sans dis­con­ti­nuer au par­le­ment pen­dant près de 60 ans (de 1925 à 1985). Le par­ti a obte­nu par exemple 23 sièges (sur 202) aux élec­tions de 1946, ce qui lui per­mit même d’entrer au gou­ver­ne­ment. Bref, il est dif­fi­cile de pré­tendre que les élec­tions de 2014 consti­tuent une réelle sur­prise élec­to­rale et qu’elles ont dras­ti­que­ment modi­fié la com­po­si­tion de l’assemblée…

Le par­le­ment belge est-il donc un long fleuve tran­quille ? Les mêmes familles poli­tiques (démo­crates-chré­tiennes, socia­listes et libé­rales) le dominent depuis plus d’un siècle et la dis­ci­pline par­ti­sane fait que peu de par­le­men­taires passent d’un par­ti à l’autre. Même les « nou­veaux » par­tis ne le sont pas réel­le­ment… Mais c’est oublier un peu rapi­de­ment les quelques der­nières décen­nies. Car, l’histoire poli­tique belge n’est pas avare en sur­prises élec­to­rales et en entrées par­fois fra­cas­santes de nou­velles for­ma­tions poli­tiques au sein du parlement. 

Ain­si, depuis la seconde guerre mon­diale, nom­breux sont les nou­veaux par­tis poli­tiques à avoir obte­nu au moins un siège. Il s’agit de l’UDB (1946), de la VU et de son héri­tier N‑VA (1954), du RN (1961), du RW et ses pré­dé­ces­seurs (1965), du FDF (1965), de l’UDRT (1978), du Vlaams Blok (1978), d’Ecolo (1981), d’Agalev (1981), de Ros­sem (1991), du FN (1991), de la LDD (2007), du PP (2010), du PTB-go ! (2014) ou encore de divers dis­si­dences catho­liques comme le RSCL (1954), com­mu­nistes comme l’UDP (1974) ou encore de car­tels libé­raux-socia­listes (1946), car­tels socia­listes-régio­na­listes (1977), etc. Cer­tains de ces par­tis ont connu une exis­tence éphé­mère, tan­dis que d’autres sont tou­jours pré­sents aujourd’hui…

Au demeu­rant, le par­le­ment belge n’a jamais connu de révo­lu­tions en ce qui concerne sa com­po­si­tion par­ti­sane. Il serait plus per­ti­nent de par­ler d’évolution. Tout comme les réformes de l’Etat ont gra­duel­le­ment ren­for­cé le rôle de la Chambre au détri­ment du Sénat, les élec­tions ont petit-à-petit été le témoi­gnage d’une évo­lu­tion du pay­sage par­ti­san belge. Sans dis­pa­raître, les par­tis tra­di­tion­nels ont fait pro­gres­si­ve­ment place à des nou­velles forces poli­tiques. Cela tient pro­ba­ble­ment à leur capa­ci­té à inté­grer ces nou­veaux par­tis poli­tiques au sein de leur struc­ture exis­tante. Pen­sons, par exemple, au MCC au sein du MR, à Vivant au sein de l’Open VLD ou encore à Spi­rit au sein du SP.a.

Car le par­le­ment belge appa­raît aux yeux de nom­breux obser­va­teurs comme un long fleuve tran­quille en com­pa­rai­son de cer­tains pays d’Europe occi­den­tale qui ont connu, lors des der­nières décen­nies, une trans­for­ma­tion radi­cale de leurs sys­tèmes de par­tis. Les exemples néer­lan­dais et ita­liens sont sou­vent pris comme des cas d’école. Il fau­dra y ajou­ter le cas grec puisque les récentes élec­tions dans ce pays démontrent qu’il est pos­sible – en moins quatre ans – de pas­ser d’un par­le­ment his­to­ri­que­ment domi­né par seule­ment deux par­tis à une assem­blée frac­tion­née et domi­née par de nou­veaux acteurs politiques…

Régis Dandoy


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