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Le génocide rwandais : chercher à comprendre

Blog - Interférences - Afrique génocide radio Rwanda par van Zeebroeck Alix

avril 2014

Com­prendre les évé­ne­ments qui ont fait bas­cu­ler le Rwan­da dans le géno­cide et qui influent encore pro­fon­dé­ment, vingt après, sur le des­tin de ce petit pays des Grands Lacs, est un tra­vail exi­geant. Comme le rap­pe­lait récem­ment Daniel Mer­met au cours de la série des trois émis­sions qu’il a consa­crées au Rwan­da, 20 ans après y avoir […]

Interférences

Com­prendre les évé­ne­ments qui ont fait bas­cu­ler le Rwan­da dans le géno­cide et qui influent encore pro­fon­dé­ment, vingt après, sur le des­tin de ce petit pays des Grands Lacs, est un tra­vail exi­geant. Comme le rap­pe­lait récem­ment Daniel Mer­met au cours de la série des trois émis­sions qu’il a consa­crées au Rwan­da, 20 ans après y avoir réa­li­sé dès mai 1994 un repor­tage bou­le­ver­sant, du tra­vail a été fait, tant par les jour­na­listes que par les cher­cheurs, de la docu­men­ta­tion accu­mu­lée, des témoi­gnages recueillis. Dif­fi­cile de crier dès lors à la dés­in­for­ma­tion. Mer­met inter­pelle ain­si le citoyen : « Il faut faire un effort pour se docu­men­ter et pour apprendre. Je crois que c’est une néces­si­té. C’est pas un loi­sir, c’est une néces­si­té. » Pour lui, les déci­sions de cer­tains Etats, comme la France ou la Bel­gique, ont été prises en notre nom. Il ne sert donc à rien de se sen­tir cou­pable mais nous avons par contre « la res­pon­sa­bi­li­té d’étudier, d’apprendre, d’essayer de com­prendre dans l’espoir d’oublier Sisyphe (…) Il nous appar­tient d’exiger la véri­té, et ça c’est un tra­vail constant que nous ne devons pas lâcher. »

Je vous pro­pose donc, au tra­vers de la radio, de ten­ter de mieux com­prendre ce qui s’est pas­sé au Rwan­da il y a vingt ans. Si beau­coup d’émissions d’actualité ont cou­vert la com­mé­mo­ra­tion offi­cielle du géno­cide rwan­dais à Kiga­li aux alen­tours du 6 avril, il est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant d’écouter les repor­tages qui ont été dif­fu­sés ces jours-ci. Ce for­mat plus long, qui per­met l’approfondissement de ques­tions, qui laisse par­ler les inter­lo­cu­teurs, qui ne coupe pas la parole, qui prend le temps de mettre en pers­pec­tive les faits est cer­tai­ne­ment plus pro­pice à un sujet aus­si com­plexe que le géno­cide au Rwan­da en 1994.

Le contexte historique

Voi­ci quelques émis­sions qui per­mettent, dans un pre­mier temps, de repla­cer rapi­de­ment les évé­ne­ments dans leur contexte (3’ en moyenne par épi­sode), en nous aidant à nous remé­mo­rer les faits his­to­riques depuis l’indépendance du Rwan­da jusqu’au géno­cide de 1994 . En quelques minutes, la Chro­nique inter­na­tio­nale sur France Inter en donne une syn­thèse bien documentée :

rnradiologo-2.gifFrance Inter – Chro­nique inter­na­tio­nale (3:24) – 7 avril 2014 : la période coloniale.

rnradiologo-2.gifFrance Inter – Chro­nique inter­na­tio­nale (3:19) – 8 avril 2014 : l’indépendance et le pou­voir hutu.

rnradiologo-2.gifFrance Inter – Chro­nique inter­na­tio­nale (3:15) – 9 avril 2014 : le dérou­le­ment du génocide.

Il y a 20 ans…

Pour reve­nir sur les faits d’il y a vingt ans, je pro­pose ici trois ques­tions abor­dées dans des émis­sions écou­tées avec beau­coup d’intérêt : (i) un éclai­rage nou­veau sur l’Opération Tur­quoise, (ii) le tra­vail de jour­na­lisme dans un contexte de guerre et de géno­cide et (iii) le rôle de l’Eglise durant les faits de 1994.

L’Opération Turquoise

La radio suisse La 1ère (RTS) revient lon­gue­ment sur les trois mois qu’ont duré le géno­cide de 1994. Dès mi-mars 2014, elle a dif­fu­sé 5 épi­sodes, comme pour pré­pa­rer l’auditeur à plus de com­pré­hen­sion des enjeux de cette com­mé­mo­ra­tion. D’une qua­li­té jour­na­lis­tique excep­tion­nelle, et comme la radio peut en pro­duire avec ori­gi­na­li­té, trois d’entre elles ont par­ti­cu­liè­re­ment rete­nu mon atten­tion. Elles décor­tiquent minu­tieu­se­ment (avec l’aide de nom­breuses archives sonores d’horizons très divers) la très contro­ver­sée Opé­ra­tion Tur­quoise menée par les sol­dats fran­çais. Ces émis­sions nous offrent une véri­table plon­gée dans les méca­nismes du pou­voir, et ses dérè­gle­ments. On y apprend, par exemple, que Mit­ter­rand au len­de­main de la visite de la veuve d’Habiyarimana à l’Élysée, aurait pro­non­cé : « Elle a le diable au corps. Si elle le pou­vait, elle conti­nue­rait à lan­cer des appels au mas­sacre sur les radios fran­çaises » !) Pour com­prendre – enfin – ce qui s’est vrai­ment pas­sé durant cette inter­ven­tion mili­ta­ro- »huma­ni­taire ».

rnradiologo-2.gifLa 1ère (RTS) – His­toire vivante (18/03/2014 – 56:12) – La Rwan­da (2/5) Qua­si une heure d’entretien avec Laure de Vul­pian (jour­na­liste de France Culture spé­cia­liste des ques­tions de jus­tice) qui a écrit Silence Tur­quoise, un livre sur la France au Rwan­da. L’intérêt de l’émission tient tant dans l’exposé de la longue et minu­tieuse enquête de l’auteur que dans la clar­té de ses propos.

rnradiologo-2.gifLa 1ère (RTS) – His­toire vivante (19/03/2014 – 57:00) – Le Rwan­da (3/5) Laure de Vul­pian s’attarde sur la décou­verte du mas­sacre de Bise­se­ro par un ancien mili­taire de Tur­quoise, Thier­ry Prun­gnaud, qui a accep­té de lui racon­ter sa ver­sion des faits. Acteur et témoin de pre­mier plan, il met pour la pre­mière fois en lumière les failles, la dés­in­for­ma­tion et les men­songes qui ont entou­ré l’Opération Turquoise.
rnradiologo-2.gif La 1ère (RTS) – His­toire vivante (20/03/2014 – 56:27) – La Rwan­da (4/5) Excep­tion­nel cet entre­tien inédit d’un sol­dat de Tur­quoise qui témoigne ano­ny­me­ment. Il se dit libre de par­ler, même si on sent tout au long de l’émission beau­coup de rete­nue, mêlée à de la pudeur et un grand sens du devoir.

Le journalisme dans un contexte de génocide

Sur la ques­tion du tra­vail de jour­na­lisme dans un contexte de géno­cide, je vous pro­pose de décou­vrir deux émis­sions qui apportent un double éclai­rage concer­nant la dif­fi­cul­té du jour­na­liste à faire son tra­vail dans un contexte de guerre et de situa­tion huma­ni­taire si com­plexe et sur les limites (et le dif­fi­cile constat d’échec dans le cas du Rwan­da) qui ont pous­sé cer­tains à renon­cer à la méthode jour­na­lis­tique pour des années ensuite par­ti­ci­per au tra­vail de mémoire en pas­sant par le récit et la lit­té­ra­ture. C’est toute la réflexion et le tra­vail de Jean Hatz­feld. Il en témoigne admirablement.

rnradiologo-2.gifLa 1ère (RTS) – His­toire vivante (17/03/2014 – 56:11) – Le Rwan­da (1/5) La pre­mière par­tie de cette émis­sion donne la parole à Jean-Phi­lippe Cep­pi, cor­res­pon­dant de la Radio suisse romande (RSR). Il a été l’un des pre­miers jour­na­listes à arri­ver au Rwan­da en avril 1994. C’est lui aus­si qui a uti­li­sé pour la pre­mière fois le mot de géno­cide dans ces articles. 

rnradiologo-2.gifFrance Inter – L’humeur vaga­bonde (26/03/2014 – 50:59) — Jean Hatz­feld et Alexis Cor­desse Pour rap­pel, Jean Hastz­feld est l’auteur de « Récits des marais rwan­dais » — recueil de ses trois ouvrages consa­crés au géno­cide au Rwan­da. Une écri­ture superbe qui donne la parole aux vic­times puis aux bourreaux. 

Quel rôle a pu jouer l’Eglise catholique ?

Sur le rôle de l’Eglise catho­lique durant cette période, La Pre­mière (RTBF) annonce une ques­tion pro­met­teuse dans son émis­sion « Et Dieu dans tout ça » : vingt après, com­mence-t-on à pou­voir regar­der les choses en face ? Mal­heu­reu­se­ment les ques­tions sen­sibles ne sont qu’effleurées. Seul le juge Damien Van­der­meersch ose­ra affir­mer que l’institution de l’Eglise n’a pas encore fait un tra­vail d’examen de conscience de sa res­pon­sa­bi­li­té dans le géno­cide rwan­dais. Appro­fon­dir cette affir­ma­tion aurait cer­tai­ne­ment été néces­saire, mais l’émission devait se ter­mi­ner quelques courtes minutes après.

rnradiologo-2.gifLa Pre­mière (RTBF) – Et Dieu dans tout ça (06/04/2014 – 55:00) – L’Eglise et le géno­cide rwandais 

Aujourd’hui (et demain)

Des nom­breuses émis­sions pro­gram­mées par France Culture autour de cette com­mé­mo­ra­tion, je retiens quatre repor­tages dans la cadre de son émis­sion « Les pieds sur terre ». Cinq thèmes qui donnent à entendre ce que signi­fie aujourd’hui vivre avec ce pas­sé, « Com­ment ça va avec la dou­leur ? ». Une inté­res­sante occa­sion d’y abor­der des sujets que l’on pour­rait pen­ser annexes mais qui offrent un éclai­rage élar­gi sur les évé­ne­ments de 1994. 

rnradiologo-2.gifFrance Culture – Les pieds sur terre (31/03/2014 – 28:17) – Kiga­li à marche for­cée Ce « por­trait psy­cho-éco­no­mique de la capi­tale rwan­daise » est effec­tué un same­di d’Umuganda (tra­vaux d’intérêt géné­raux obli­ga­toires), une occa­sion de ques­tion­ner la nature du pou­voir actuel au Rwan­da. « Ter­reur muette » ?

rnradiologo-2.gifFrance Culture – Les pieds sur terre (02/04/2014 – 25:48) – Avoir 20 ans au Rwan­da Ren­contre avec des lycéens à Nya­ma­ta au bord du Lac Kivu. Un por­trait d’une jeu­nesse née pen­dant le génocide. 

rnradiologo-2.gifFrance Culture – Les pieds sur terre (03/04/2014 – 25:21) – Les Abun­zis Ce repor­tage sur ces tri­bu­naux de cam­pagne qui règlent les litiges mineurs liés à la trans­mis­sion et au par­tage des par­celles montre com­bien la pres­sion fon­cière reste très forte et pré­gnante encore aujourd’hui au Rwan­da, comme cela l’avait été avant le génocide.

rnradiologo-2.gifFrance Culture – Les pieds sur terre (04/04/2014 – 25:42) – La « Sha­lom House » Ce récit d’un res­ca­pé Tut­si qui se consacre à trans­mettre la mémoire de la Shoah tente de faire un lien entre deux géno­cides sur la ques­tion du devoir de mémoire, comme moyen pos­sible de com­pré­hen­sion des traumatismes.

Une difficile réconciliation

Un par­ti­cu­la­ri­té du géno­cide rwan­dais fut la proxi­mi­té dans laquelle vivaient bour­reaux et vic­times : voi­sins, parents, amis d’enfance, col­lègues. Il est donc essen­tiel de se poser la ques­tion de savoir com­ment se passe aujourd’hui le voi­si­nage des uns et des autres reve­nus sur les col­lines. Deux repor­tages abordent ce sujet : 

rnradiologo-2.gifLa Pre­mière (RTBF) – Trans­ver­sales (05/04/2014 – 55:00) – Rwanda 

rnradiologo-2.gifRFI – Grand repor­tage (07/04/2014 – 19:32) – Rwan­da : 20 ans après, une col­line entre mille 

Le pre­mier repor­tage sur­vole le sujet en pro­po­sant dif­fé­rents por­traits de Rwan­dais qui ne se côtoient pour­tant pas au quo­ti­dien, alors que le repor­tage de RFI se foca­lise sur Shi­ron­guy, au nord de Kiga­li, en don­nant la parole à ces habi­tants (un bour­reau dans un camp, un autre libé­ré, une vic­time, une juge gaça­ça) qui aujourd’hui sont dans l’obligation de vivre ensemble sur cette même col­line. Un état des lieux éclai­rant qui rend compte du pire et du meilleur. Défi­ni­tion psy­cho­lo­gique et Droit inter­na­tio­na­lA écou­ter éga­le­ment l’intéressante table-ronde pro­po­sée par Radio Cana­da. J’y ai enten­du, par exemple, une défi­ni­tion psy­cho­lo­gique du géno­cide qui met l’accent sur le fan­tasme de l’ennemi abso­lu construit et inven­té de toute pièce par un groupe (ici poli­tique), mais éga­le­ment la trans­gres­sion de l’interdit avec la cau­tion de l’Etat et des intel­lec­tuels, lui don­nant ain­si une légi­ti­mi­té et une assise théo­rique. L’émission rap­pelle aus­si les leçons en droit inter­na­tio­nal qu’a pro­vo­qué le géno­cide rwan­dais, notam­ment sur le ter­rain du droit d’ingérence huma­ni­taire, mise entre paren­thèses for­cée de la sou­ve­rai­ne­té des Etats.

rnradiologo-2.gifRadio Cana­da – Médium large (02/04/2014 – 23:48) – Table ronde des humanistes

Témoignage

Enfin, je ter­mine ce billet par le repor­tage en deux épi­sodes de « Là-bas si j’y suis » de Daniel Mer­met. Par­ti­cu­liè­re­ment bou­le­ver­sant et ter­ri­fiant à la fois, puisqu’il revient sur une émis­sion qui l’avait conduit à décou­vrir avant tout le monde et en direct (la radio, dans ces cas-là, offre cer­tai­ne­ment un écran plus large qu’au ciné­ma, pour para­phra­ser Orson Wells) le char­nier de Nya­ru­buye, 40 jours après le mas­sacre. Au milieu de cen­taines de cadavres, il se retrouve nez-à-nez, comme par miracle, avec une sur­vi­vante de 13 ans, Valen­tine. 20 après, c’est l’occasion de reve­nir sur cette ren­contre, prendre des nou­velles de cette femme, mais aus­si de nous inter­pel­ler sur l’indispensable néces­si­té de cher­cher inlas­sa­ble­ment à com­prendre, et par là exi­ger la vérité. 

rnradiologo-2.gifFrance Inter – Là-bas si j’y suis (07/04/2014 – 46:40) – Rwan­da Valen­tine (1)

rnradiologo-2.gifFrance Inter – Là-bas si j’y suis (08/04/2014 – 45:23) – Rwan­da Valen­tine (2)

van Zeebroeck Alix


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