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Le djihadisme en Afrique sub-saharienne

Blog - e-Mois - Afrique Terrorisme par Jean-Claude Willame

mars 2015

Allah, du ciel fait ce qu’il veut ; il n’est pas obli­gé de faire juste toutes ses choses d’ici-bas. Ahma­dou Kou­rou­ma  Le choc cau­sé par les atten­tats de Paris en ce début jan­vier 2015, les mul­tiples débats (très fran­­co-fran­­çais) sur la « liber­té d’expression », sur la « laï­ci­té de la Répu­blique », sur l’«intégration » qui en ont décou­lé ne doit […]

e-Mois

Allah, du ciel fait ce qu’il veut ;
il n’est pas obli­gé de faire juste toutes ses choses d’ici-bas.

Ahma­dou Kourouma 

Le choc cau­sé par les atten­tats de Paris en ce début jan­vier 2015, les mul­tiples débats (très fran­co-fran­çais) sur la « liber­té d’expression », sur la « laï­ci­té de la Répu­blique », sur l’«intégration » qui en ont décou­lé ne doit pas faire perdre de vue la dyna­mique isla­miste à l’œuvre dans d’autres par­ties du monde musul­man, notam­ment en Afrique sub-saha­rienne où plus de 240 mil­lions d’habitants pra­tiquent cette reli­gion et où cette « dyna­mique » a dure­ment frap­pé et conti­nue à frap­per des dizaines de mil­liers de personnes.

Une geste victorieuse

Mais avant de péné­trer plus avant dans cette matière, il faut rap­pe­ler l’existence et les stra­té­gies des deux grands acteurs à l’œuvre dans cette par­tie du monde. Le pre­mier et le plus connu jusqu’il y a peu est bien enten­du la nébu­leuse d’Al-Qaïda qui, depuis les atten­tats de New York, Madrid, Londres et Casa­blan­ca et depuis la mort de son fon­da­teur, conti­nue à se pré­va­loir d’une force de frappe contre les infi­dèles. Ses réseaux mul­ti­formes et peu struc­tu­rés couvrent le sous-conti­nent indien, l’Iran, l’Irak, l’Afghanistan, le Moyen-Orient et l’Indonésie. Le second, beau­coup plus redou­table par sa cruau­té, ample­ment et à des­sein média­ti­sée, de même que ses capa­ci­tés de recru­te­ment en Occi­dent, au Moyen Orient ou en Tchét­ché­nie est la machine de guerre de l’État isla­mique (Daech) qui entend se dis­tan­cer net­te­ment du ter­ro­risme sans fron­tière de son « aîné » en « ter­ri­to­ria­li­sant » (en Irak et en Syrie) un isla­misme tota­li­taire, sec­taire, mil­lé­na­riste et qui n’a fina­le­ment rien à voir avec une « religion ». 

Un ancien char­gé de mis­sion au secré­ta­riat géné­ral de la Défense natio­nale en France, Arnaud De La Grange, a pu écrire à juste titre à son pro­pos : « Il y a, de par le monde, un « effet cali­fat ». Qu’ils fassent ou non allé­geance au nou­veau « prince des croyants », les mou­ve­ments dji­ha­distes voient dans sa radi­ca­li­sa­tion un gage de suc­cès. Si l’E­tat isla­mique ne ral­lie pas tou­jours, il ins­pire. Par­tout. Le plus grand pays musul­man du monde, l’In­do­né­sie, vient de s’a­lar­mer de sa popu­la­ri­té crois­sante dans cer­taines couches de sa popu­la­tion […] Al-Qaï­da avait su atti­rer les volon­taires du dji­had par sa scé­na­ri­sa­tion de la vio­lence et le lyrisme de ses prêches. L’É­tat isla­mique va plus loin. Il écrit une geste vic­to­rieuse1. »

Une nébuleuse en perte de vitesse : les cas malien et somalien

En Afrique sub-saha­rienne, la branche magh­ré­bine et plus spé­ci­fi­que­ment algé­rienne d’Al-Qaïda, l’AQMI, qui a reçu la « béné­dic­tion » d’Oussama Ben Laden en 2007, s’est engouf­frée en 2012 dans la faille de l’irrédentisme toua­reg qui en était à sa cin­quième rébel­lion contre le pou­voir sudiste du Mali depuis le début des années 1960. L’AQMI dis­pose d’importants moyens « logis­tiques » : le pro­duit des ran­çons d’otages occi­den­taux ain­si que du com­merce de drogues et des tra­fics d’armes avec les bandes armées de l’ère post-Kadha­fi. Son allié de ter­rain est un mou­ve­ment isla­miste local connu sous le nom d’Ansar Dine. Très vite cepen­dant, les affaires tournent au vinaigre. 

C’est qu’un autre mou­ve­ment irré­den­tiste, poli­ti­co-mili­taire celui-là, le Mou­ve­ment natio­nal pour la libé­ra­tion de l’Azawad (MNLA), se démarque tota­le­ment « de tout mou­ve­ment isla­miste, de tout grou­pus­cule radi­cal dont l’i­déo­lo­gie est basée sur une quel­conque vision reli­gieuse ». « Nous tenons à dire éga­le­ment que nous n’a­vons pas besoin d’Al-Qaï­da au Magh­reb isla­mique ou d’un quel­conque mou­ve­ment reli­gieux pour pra­ti­quer une reli­gion quel­conque », pré­cise-t-il en jan­vier 2012. Dans un docu­ment décou­vert par la presse et daté de juillet 20012, le numé­ro 1 de l’AQMI prend ses dis­tances vis-à-vis de son par­te­naire : « Nous ferons éga­le­ment tout notre pos­sible pour pré­ser­ver Ansar Dine de nos acti­vi­tés néga­tives com­mises à l’extérieur afin qu’Ansar Dine pré­serve son pro­jet dans le pays. Un point essen­tiel à ce pro­pos : inter­dire de tuer au nom du jihad à l’intérieur de notre ter­ri­toire. » Le chef de l’AQMI pointe dans ce docu­ment « la faute poli­tique » com­mise par Ansar Dine en détrui­sant les mau­so­lées de Tom­bouc­tou » et explique que « ce zèle dans l’application de la cha­ria » a bra­qué inuti­le­ment les pro­jec­teurs de « la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale sur nous ». Et de rap­pe­ler qu’il faut « expli­quer la cha­ria aux popu­la­tions avant de l’appliquer2.

Six mois plus tard, l’affaire est enten­due : la France, sou­te­nue par l’ONU, déclanche une opé­ra­tion mili­taire (Ser­val) qui met à terre toute l’offensive des groupes armés isla­mistes ayant pris le contrôle de l’A­za­wad, la par­tie nord du pays.

Les choses tournent tout aus­si mal pour Al-Qaï­da en Soma­lie. En fin 2008, la milice Al Shab­baab (jeu­nesse en arabe), contrô­lait la majeure par­tie de la Soma­lie du Sud. Issu d’une frac­tion dure de l’Union des tri­bu­naux isla­miques qui milite pour l’instauration de la cha­ria dans sa ver­sion radi­cale (lapi­da­tion, coups de fouets, des­truc­tion de sites reli­gieux chré­tiens et sou­fis, etc.), ce groupe armé d’environ 5.000 à 7.000 com­bat­tants a même réus­si à prendre la troi­sième ville du pays et à réta­blir un sem­blant d’ordre en désar­mant les mul­tiples petites milices locales. En 2012, il fait allé­geance à Al-Qaï­da dans un pays pour­tant à tra­di­tion majo­ri­tai­re­ment sou­fi (modé­rée).

Mal lui en prit car très vite le vent tourne : à la suite de l’offensive de la mis­sion de l’Union afri­caine en Soma­lie et de l’armée kenyane, Al Shaab­bab, tout en conser­vant sa capa­ci­té de nui­sance, a aban­don­né les prin­ci­pales villes qu’il contrô­lait. En août 2014, un gou­ver­ne­ment, contrô­lant encore dif­fi­ci­le­ment un pays exsangue depuis long­temps, net­toie les der­nières poches isla­mistes, tan­dis qu’un drone de l’armée amé­ri­caine tue son chef.

Une stratégie meurtrière qui monte

Tout autre est la stra­té­gie de Daech. Celui-ci ne cherche pas à conqué­rir et à faire mordre la pous­sière aux « infi­dèles » par­tout où cela s’avère pos­sible. Il cherche avant tout à appa­raître comme un vain­queur, à mani­fes­ter sa puis­sance, et donc à faire école à par­tir d’un ter­ri­toire — l’espace ira­ko-syrien — qu’il entend admi­nis­trer en ren­dant la jus­tice, en gérant son butin de guerre (pétrole, maté­riel mili­taire sai­si à une armée en capi­lo­tade, taxes, etc.), en cou­pant des têtes aus­si. Et cela fonctionne. 

Au Nige­ria, son émule est une secte née en 2002 et qui, depuis 2009, est deve­nu un mou­ve­ment insur­rec­tion­nel ayant réus­si à conqué­rir plus d’une ving­taine de villes et à « pro­duire » plus de 1,5 mil­lions de dépla­cés. Fon­dé sur le ter­reau d’un anta­go­nisme his­to­rique entre un Nord déser­tique et un Sud plus riche, par­ti­cu­liè­re­ment cor­rom­pu dans le cas du Nige­ria, il prend appui idéo­lo­gi­que­ment sur le rigo­risme des Tali­bans, puis sur l’Etat isla­mique : ce n’est donc pas un hasard s’il pro­clame un cali­fat deux mois après l’annonce simi­laire faite par Daech. 

À l’instar de ce der­nier, il pra­tique la ter­reur comme une arme poli­tique : mas­sacres contre des civils des vil­lages où se sont consti­tuées des milices d’autodéfense, mise en escla­vage sexuel de jeunes filles, enlè­ve­ments et meurtres de chré­tiens. Selon un spé­cia­liste de la région, « à côté de Boko Haram, AQMI ou d’Ansar Dine sont des agneaux. Les ter­ro­ristes de Boko Haram sont des bar­bares : ils tuent des cen­taines de per­sonnes toute l’an­née, mitraillent des églises, lancent des gre­nades pen­dant les offices et font des raids dans les vil­lages chré­tiens qu’ils trans­forment en Ora­dour-sur-Glane3 ».

Selon un autre connais­seur, « le groupe tient à la fois de la secte et du mou­ve­ment social. Dès ses débuts, il est sec­taire par son intran­si­geance reli­gieuse, son culte du chef, ses tech­niques d’endoctrinement, son into­lé­rance à l’égard des autres musul­mans et son fonc­tion­ne­ment en vase clos4 ». Il est vrai qu’à cette ter­reur en a répon­du une autre : celle de l’armée nigé­riane qui a réagi, soit direc­te­ment soit par milices locales inter­po­sées, « en bom­bar­dant des vil­lages en rasant des quar­tiers, en brû­lant des mai­sons, en mas­sa­crant des civils, en jetant les cadavres dans des char­niers, en décou­pant des gens en mor­ceaux, en vio­lant des filles5 ». Il menace aujourd’hui les pays qui sont proches de sa fron­tière ; le Tchad, le Came­roun et le Niger.

L’exemple de Daech semble avoir été enten­du jusque dans des régions où les musul­mans forment une petite mino­ri­té de la popu­la­tion. Tel est le cas de l’ADF (Allied Demo­cra­tic Force), créé en 1995 avec un conglo­mé­rat d’opposants ougan­dais sur­tout musul­mans et qui a implan­té son QG près de la ville de Beni au Nord Kivu. 

Diri­gée de main de fer par un chré­tien conver­ti à un islam rigo­riste (le tabligh), Jamil Muku­lu, qui a fré­quen­té des camps d’entraînement en Afgha­nis­tan et au Pakis­tan et prend ses quar­tiers alter­na­ti­ve­ment à Kam­pa­la, à Nai­ro­bi et au Kivu, cette bande armée est pas­sée à par­tir de 2007 de milice ordi­naire à une com­po­sante de la nébu­leuse isla­miste afri­caine pou­vant comp­ter sur un effec­tif de 800 à 1.400 combattants. 

Selon le groupe d’experts des Nations unies, elle fonc­tionne en grande par­tie grâce à l’exploitation fores­tière et auri­fère illé­gale, à un « réseau de taxis et de moto­taxis opé­rant dans les villes de Butem­bo, Beni et Oicha » et à « des vire­ments de Londres, du Kenya et de l’Ouganda, l’argent étant encais­sé par des inter­mé­diaires congo­lais à Beni et Butem­bo ». « Ce groupe armé congo­lo-ougan­dais fait preuve d’une extra­or­di­naire rési­lience qui tient à sa posi­tion géos­tra­té­gique, son inser­tion dans l’économie trans­fron­ta­lière et la cor­rup­tion des forces de sécu­ri­té », explique de son côté un rap­port de l’International Cri­sis Group en 2012. Tou­jours selon le groupe d’experts cité plus haut, l’ADF dis­pose de plu­sieurs camps d’entraînement dans l’est de la RDC et d’équipements tels que des mor­tiers, des mitrailleuses et des gre­nades à tube. La milice a accru ses effec­tifs grâce à des cam­pagnes d’enrôlement et des enlèvements. 

Qu’ils soient recrues ou membres de familles de com­bat­tants, les femmes et les enfants se voient éga­le­ment impo­ser une for­ma­tion mili­taire et une conver­sion obli­ga­toire à l’islam. Sur une vidéo sai­sie dans le domi­cile kenyan de Jamil Muku­lu, on peut entendre le prêche du chef, s’exprimant tan­tôt en swa­hi­li, tan­tôt en arabe, habillé en tenue civile et entou­ré d’une part d’un groupe de femmes afri­caines voi­lées, d’hommes en tenue mili­taire et de jeunes de cinq à huit ans aux­quels on apprend à mar­cher au pas. 

Ici aus­si, la bru­ta­li­té est de mise. Les mas­sacres et les muti­la­tions de femmes et d’enfants sont fré­quents et, comme le notait déjà en 1999 un com­mis­saire adjoint d’un dis­trict ougan­dais, « ils tuent de manière indis­cri­mi­née, juste pour tuer ». Tout récem­ment, au Nord Kivu, ils ont en un mois mas­sa­cré à l’arme blanche plus de 250 civils dans la fou­lée d’une opé­ra­tion de lar­gage de tracts de la Monus­co les invi­tant à se rendre.

Selon de nom­breux ser­vices de ren­sei­gne­ment et le groupe d’experts des Nations unies, Jamil Muku­lu aurait des liens plus ou moins étroits avec l’Al Shab­baab soma­lien, mais aus­si avec le « cali­fat » de Boko Haram. Par ailleurs, il aurait éga­le­ment ten­té d’entrer en contact avec l’État isla­mique. Même si cette der­nière ten­ta­tive reste hypo­thé­tique et fut pro­ba­ble­ment sans suc­cès, elle indique qu’ici aus­si, Daech est bel et bien une référence.

Le cas centrafricain

La « pous­sée dji­ha­diste » n’a pour­tant pas per­cé dans d’autres pays de l’Afrique sub-saha­rienne où se trouvent des mino­ri­tés musul­manes. Mais ici aus­si, les vio­lences liées à la reli­gion ont été et sont encore des­truc­trices. On cite­ra ici le cas de la Répu­blique cen­tra­fri­caine qui a connu une suc­ces­sion de coups d’État mili­taires et de régimes oppres­sifs depuis son indé­pen­dance. Ici aus­si, on se trouve face à une divi­sion entre un Sud plus pri­vi­lé­gié, où se trouvent la plu­part des richesses exploi­tées (ura­nium, dia­mant, et or) et où s’est déver­sé l’argent des coopé­ra­tions étran­gères, et le reste d’un pays très pauvre long­temps sou­mis à des pillards et des bandes armées et où une majo­ri­té de la popu­la­tion musul­mane — 20% de la popu­la­tion totale du pays — est concen­trée. Ici aus­si, on se trouve en pré­sence de régimes poli­tiques cor­rom­pus et d’une armée qui ne tient pas la route, sans comp­ter cer­taines poten­tia­li­tés éco­no­miques comme le pétrole qui excitent les appétits. 

C’est dans ce contexte que naît une rébel­lion ani­mée par une coa­li­tion hété­ro­clite à domi­nante musul­mane et qui porte le nom de Sélé­ka. Cette coa­li­tion ne prône en aucune façon un dji­had et n’a rien à voir avec un quel­conque « radi­ca­lisme musul­man » : à la base de la conflic­tua­li­té cen­tra­fri­caine, ce sont deux modes de vie de « pauvres » qui s’affrontent, celui de pas­teurs et éle­veurs et celui d’agriculteurs séden­taires6.

Comme l’explique un connais­seur de la région, Roland Mar­chal, « les chefs rebelles sont des élites mili­taires locales qui n’ont jamais été au centre du pou­voir dans l’armée natio­nale ou à Ban­gui même. Ils sont sou­vent mar­gi­naux dans le sens socio­lo­gique du terme, c’est-à-dire ori­gi­naires des péri­phé­ries du pays ». Ces rebelles veulent avant tout le pou­voir : ils sont rejoints par d’autres com­bat­tants et des mer­ce­naires libyens, tcha­diens, sou­da­nais. « L’idée de ren­ver­ser le régime est là, pour­suit Mar­chal. C’est l’illusion de la Cen­tra­frique : vous com­men­cez, vous conti­nuez et vous vous retrou­vez pro­gres­si­ve­ment au bord de la capi­tale sans avoir com­bat­tu. Vous vous dites donc que le fruit est mûr ! Pour­quoi rené­go­cier avec Bozi­zé, [le chef de l’État] des amé­na­ge­ments d’ac­cords de paix mal négo­ciés ou appli­qués alors qu’ils peuvent obte­nir davan­tage en diri­geant eux-mêmes le pays ? ». Ce que le noyau dur cen­tra­fri­cain exige c’est davan­tage d’investissements dans les régions du nord (musul­manes), com­plè­te­ment délais­sées par le pou­voir central.

Il n’en faut pas plus pour que leur avan­cée vers la capi­tale déchaîne une « guerre d’identité reli­gieuse ». Iden­ti­fiés comme « tcha­dien », alors que la toute grande majo­ri­té est cen­tra­fri­caine, les rebelles de la Sélé­ka, à mesure qu’ils s’approchent de Ban­gui, voient se dres­ser contre eux des milices dites « chré­tiennes », les « anti-Bala­ka7 ». Avant comme après la dis­so­lu­tion (sep­tembre 2013) et la fin du coup d’état des Sélé­ka (jan­vier 2014) qui, selon les termes de l’International Cri­sis Group, ont pillé ce qui res­tait de l’État et fait main basse sur l’économie illi­cite du pays, les pogroms ont pris racine un peu par­tout et il est ques­tion de « situa­tion pré-géno­ci­daire » : mas­sacres de civils musul­mans d’un côté ; viols, pillages, meurtres de prêtres et de caté­chistes catho­liques de l’autre.

Au début 2014, 30% des Cen­tra­fri­cains ont été déra­ci­nés, les popu­la­tions musul­manes ayant fui en nombre, de Ban­gui ou d’ailleurs, au Tchad, au Came­roun et en RDC. En jan­vier 2015, cer­tains quar­tiers de la capi­tale, en proie à des enlè­ve­ments, étaient encore et tou­jours des bas­tions de « bandes armées » que l’on conti­nuait à qua­li­fier d’anti-Balaka, le main­tien de l’ordre n’étant assu­ré que par les troupes fran­çaises de l’opération « Sangaris ».

Un besoin d’État et de société civile

En Afrique sub-saha­rienne, le « reli­gieux » est sou­vent asso­cié à la « guerre » et au « ban­di­tisme de grand che­min » comme le montrent les dérives décrites ci-des­sus, mais aus­si celles de l’Armée de résis­tance du Sei­gneur (LRA) fon­dée naguère par la pro­phé­tesse Alice Lank­we­ma et déna­tu­rée par son suc­ces­seur et cou­sin Joseph Kony, de sei­gneurs de guerre Maï-Maï qui se réfèrent osten­si­ble­ment à la Bible, de l’armée tut­si de Laurent Nkun­da au Kivu qui aimait à se pré­sen­ter en pas­teur pentecôtiste. 

Mais, comme le montre bien l’exemple cen­tra­fri­cain, ce sont bien des com­bats pour des res­sources rares qui forment le sou­bas­se­ment de la conflic­tua­li­té et de la lutte pour le pou­voir. Face à cela, la reli­gio­si­té n’est qu’une super­struc­ture qui attire dans ses filets des popu­la­tions en mal de repères signi­fiants. Daech et ses com­plices afri­cains ou autres ne sont que le der­nier ava­tar — par­ti­cu­liè­re­ment meur­trier — de ce constat.

On en arrive tou­jours à la même conclu­sion : que ce soit au Moyen ou au Proche-Orient, que ce soit sur le conti­nent afri­cain, les opé­ra­tions mili­taires contre ces déviances mor­telles ne seront pas la pana­cée. Pas plus que ne le sont d’ailleurs les cen­taines de mil­lions de dol­lars dépen­sés au titre d’une aide huma­ni­taire pen­dant ou après les conflits. La sur­vie et l’informel, qui ont pu amor­tir quelque peu les effets per­vers de la néo-colo­ni­sa­tion, ont fait leur temps aus­si. En plus d’une « socié­té civile » struc­tu­rée et à même de plon­ger dans le cam­bouis de la ges­tion des conflits, il y a un besoin d’État ou de quelque chose de ce type qui se sub­sti­tue à des régimes ou des milices qui n’ont incar­né jusqu’ici que des sys­tèmes prédateurs.

  1. Le Figa­ro, 3 octobre 2014.
  2. Libé­ra­tion, 25 février 2013.
  3. L’Express, 20 février 2013.
  4. Libé­ra­tion, 3 mai 2014.
  5. Marc-Antoine Pérouse de Mont­clos, spé­cia­liste de Boko Haram à l’Institut fran­çais de géo­po­li­tique à Paris, dans La Libre Bel­gique, 24 jan­vier 2015.
  6. Inter­na­tio­nal Cri­sis Group, Brie­fing Afrique, n°105, 12 décembre 2014.
  7. Par­fois dénom­més « anti-balles AK » en réfé­rence aux armes du même nom. Ces milices existent en fait depuis 2009 : com­po­sées tant de chré­tiens, de musul­mans que d’animistes, ils enten­daient mettre fin aux rackets des nom­breux « cou­peurs de route » qui pul­lulent tra­di­tion­nel­le­ment au nord et à l’ouest du pays.

Jean-Claude Willame


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