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Le coronavirus, bouc émissaire d’un krach boursier

Blog - Délits d’initiés - économie finance santé Santé publique par

mars 2020

Si plu­sieurs pays ou villes sont pas­sés en phase 3 de lutte contre le coro­na­vi­rus, les mar­chés finan­ciers et opé­ra­teurs éco­no­miques sont éga­le­ment en alerte maxi­male. « Coro­na­vi­rus : semaine noire pour les Bourses, Wall Street au plus bas depuis 2008 » titrait la RTBF le 28 février. Et les nou­velles des réper­cus­sions de la pan­dé­mie sur le monde […]

Délits d’initiés

Si plu­sieurs pays ou villes sont pas­sés en phase 3 de lutte contre le coro­na­vi­rus, les mar­chés finan­ciers et opé­ra­teurs éco­no­miques sont éga­le­ment en alerte maxi­male. « Coro­na­vi­rus : semaine noire pour les Bourses, Wall Street au plus bas depuis 2008 » titrait la RTBF le 28 février. Et les nou­velles des réper­cus­sions de la pan­dé­mie sur le monde de la finance n’invitent guère à l’optimisme. Les appels à réac­tion pour évi­ter une dégra­da­tion et une perte de contrôle de la situa­tion se mul­ti­plient. Cer­tains pré­co­nisent une réac­tion vigou­reuse des Banques cen­trales. Ange­la Mer­kel à la tête de l’Allemagne, répu­tée pour son ortho­doxie bud­gé­taire et sa tolé­rance zéro envers les déra­pages, va jusqu’à prô­ner un relâ­che­ment des règles euro­péennes strictes enca­drant les finances publiques. En atten­dant une réponse supra­na­tio­nale, les États mettent au point, dans l’ur­gence, une série de mesures dont l’im­pact sur la sphère éco­no­mique est plus ou moins clair.

Entre le 12 février et le 11 mars, l’un des indices-phares, à savoir le S&P500, a plon­gé de près de 20 %. La même décon­fi­ture s’observe pour le Dax, le Nik­kei, etc. L’attention angois­sée vis-à-vis de ces indi­ca­teurs est telle qu’il fau­drait adap­ter le gra­phique habi­tuel repré­sen­tant la dan­ge­ro­si­té des pan­dé­mies à l’aide de deux axes : un, hori­zon­tal, figu­rant la conta­gio­si­té et un autre, ver­ti­cal, indi­quant la léta­li­té. Il fau­drait en effet lui adjoindre une troi­sième dimen­sion : l’ampleur de la dégrin­go­lade des indices boursiers.

Mais, peut-on rendre le coro­na­vi­rus res­pon­sable du dévis­sage des Bourses, en plus des infec­tions mas­sives et des rup­tures d’approvisionnement en gel hydro­al­coo­lique et en papier toi­lette ? La cau­sa­li­té est vite éta­blie dans la plu­part des médias. Trop hâti­ve­ment cer­tai­ne­ment. Car, si le coro­na­vi­rus a cham­bou­lé les dyna­miques éco­no­miques en bri­sant momen­ta­né­ment (?) les chaînes de valeur glo­bale, des pièces déta­chées de véhi­cules aux médi­ca­ments (du moins est-ce une pers­pec­tive pos­sible, puisque 80 % des prin­cipes actifs sont fabri­qués en Chine), il risque d’être un bouc émis­saire bien com­mode, ren­du res­pon­sable de la baisse des ren­de­ments des inves­tis­se­ments, les­quels n’en finissent de se dégra­der depuis quelques semaines.

En effet, les annonces d’une crise immi­nente se sont mul­ti­pliées ces deux der­nières années. Le New York Times n’y allait pas par quatre che­mins en décembre 2018 en deman­dant : « Are you rea­dy for the finan­cial cri­sis of 2019 ? ». L’ex numé­ro 2 de la Bourse de New York pré­di­sait en mars 2019 que « La finance [all­lait] vivre un tsu­na­mi d’ici fin 2020 ». Dans l’éditorial de son rap­port annuel de juin 2019, la Banque des règle­ments inter­na­tio­naux (la banque cen­trale des banques cen­trales), fai­sait état les risques qui pesaient sur l’économie et la finance mon­diales. En octobre, les craintes des ban­quiers cen­traux et ministres des Finances se pré­ci­saient et la ques­tion du « quand » se fai­sait plus pres­sante. À ce moment, il n’était tou­jours pas ques­tion du coro­na­vi­rus, qui n’a fait l’objet d’un rap­port des auto­ri­tés sani­taires du Wuhan que le 31 décembre, tan­dis que que l’Organisation mon­diale de la san­té (OMS) ne décla­rait l’urgence sani­taire que le 31 jan­vier (chro­no­lo­gie du New York Times).

Comment objectiver ?

L’indice VIX (source CBOE) mesure la manière dont les acteurs sur les mar­chés per­çoivent les risques. Plus il est éle­vé, plus l’attente d’un retour­ne­ment est forte. Dans le pas­sé, on a obser­vé qu’une hausse forte (sor­tie de piste des banques d’investissement qui a géné­ré la crise finan­cière avec des effets en cas­cade) ou un main­tien à un niveau éle­vé par rap­port à une situa­tion anté­rieure (écla­te­ment de la bulle des nou­velles tech­no­lo­gies) condui­sait à une cor­rec­tion des mar­chés finan­ciers. Celle-ci pou­vait se dérou­ler sur deux bonnes années, le ralen­tis­se­ment de l’économie réelle — celle qui importe pour les popu­la­tions, les PME et les pou­voirs publics — pou­vant s’étendre sur une période bien plus longue.

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Or, depuis le creux de 2009, il est arri­vé à pas moins de cinq reprises que les inves­tis­seurs renouent avec des périodes de panique de même ampleur (telle que mesu­rée par l’indicateur VIX) que celle qui avait pré­cé­dé l’éclatement de la bulle « dot.com ». Pour­tant, à l’exception d’ajustements à peine per­cep­tibles qui n’ont ému que très momen­ta­né­ment la com­mu­nau­té des spé­cia­listes et des grandes for­tunes, les indices bour­siers ont pour­sui­vi imper­tur­ba­ble­ment leur marche vers de nou­veaux som­mets. Le S&P500 qui fluc­tuait dans la bande des 700 – 1.700 points entre 1998 jusque mars 2009 a été mul­ti­plié par cinq depuis lors, donc sur une même période de dix ans. À titre de com­pa­rai­son, le PIB amé­ri­cain (en USD constants : chiffres FMI) a pris envi­ron 25% durant la pre­mière décen­nie et tan­dis que, au cours de la décen­nie sui­vante, le S&P500 s’en­vo­lait, la crois­sance du PIB n’ac­cé­lé­rait (+25 % éga­le­ment). Quelle décon­nexion entre la crois­sance éco­no­mique et l’indice bour­sier dont l’envolée n’est jus­ti­fiée en rien ! Sauf, peut-être, par les mesures de sou­tien des Banques cen­trales, le « Quan­ti­ta­tive Easing » !1

Et sou­dain, au début 2020, une épi­dé­mie de coro­na­vi­rus s’est décla­rée. C’est l’étincelle qui mit le feu aux poudres. Il n’en fal­lait pas plus pour que les cor­rec­tions qui avaient été avor­tées durant les années pré­cé­dentes com­mencent à se pro­duire. Et rapidement. 

Il n’est pas ques­tion ici de mini­mi­ser les consé­quences éco­no­miques de l’é­pi­dé­mie, la crois­sance étant ampu­tée d’un demi point de PIB selon l’OCDE, mais de rap­pe­ler que le coro­na­vi­rus n’en est pas la cause première.

Ce constat est impor­tant dans une optique d’économie poli­tique car il serait aber­rant que, dans leur grande sagesse, les déci­deurs conviennent de nou­velles réduc­tions d’im­pôt non ciblées (comme l’a pro­po­sé Donald Trump) pour sou­te­nir les entre­prises, ava­li­sant ain­si la thèse de cer­taines d’entre elles — les plus grosses, essen­tiel­le­ment, celles qui rentrent dans la com­po­si­tion des indices bour­siers — qui attri­bue­raient leurs déboires au coro­na­vi­rus. Si l’économie elle-même devait sérieu­se­ment se grip­per, il convien­drait plu­tôt de la relan­cer en inves­tis­sant de l’argent lar­ge­ment public dans des ser­vices public plus acces­sibles et de meilleure qua­li­té (en par­ti­cu­lier la san­té et les infra­struc­tures d’accueils des per­sonnes âgées, le public le plus vul­né­rable au virus) ain­si que dans les sec­teurs les plus fra­gi­li­sés comme l’Horeca.

En met­tant en exergue le peu de rési­lience des chaînes de valeurs des entre­prises mul­ti­na­tio­nales qui struc­turent l’économie mon­diale, l’épisode du coro­na­vi­rus remet en ques­tion cer­tains des prin­cipes fon­da­men­taux de la mon­dia­li­sa­tion éco­no­mique comme la divi­sion qua­si-ato­mique du tra­vail, le zéro délai et le zéro stock. De même, il montre que, dix ans après la vague de som­mets inter­na­tio­naux au terme des­quels les chefs d’état avaient pris l’engagement de reprendre le des­sus sur la finance, celle-ci s’est éman­ci­pée des régle­men­ta­tions qui ont été adop­tées depuis lors.

  1. En exé­cu­tion du Quan­ti­ta­tive Easing ou « assou­plis­se­ment moné­taire », les Banques cen­trales injec­taient des liqui­di­tés pour sou­te­nir des entre­prises, voire des pays en rache­tant mas­si­ve­ment leurs titres finan­ciers. Des études ont d’ailleurs indi­qué que ce type d’opérations ne dyna­mi­sait pas l’économie mais don­nait lieu à des fuites impor­tantes qui gon­flaient les prix des actifs finan­ciers et de l’immobilier (ici, ou ).