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Le CDH serait-il suicidaire ?
L’annonce tonitruante du retrait du CDH hors des gouvernements de Wallonie, de la Communauté française et de Bruxelles-Capitale a de quoi laisser perplexe. Voilà qu’un parti qui, scrutin après scrutin, sondage après sondage, ne cesse de perdre ses électeurs, mais se rêve soudain en faiseur de rois. Au risque de se suicider. Ou de suicider l’espace politique francophone. Analyse à chaud.

Comment évaluer le calcul (car il doit bien y en avoir un) opéré à la tête du CDH, et en particulier dans le cerveau de son président Benoît Lutgen, en faisant imploser les gouvernements francophones de Belgique ?
Par la peur d’être contaminé par la vague de scandales politico-financiers qui éclaboussent un PS jusqu’il y a peu omnipotent ? Si c’est le cas, cette peur risque d’être mauvaise conseillère. Le CDH, dans la foulée de sa précédente incarnation, le PSC, n’est pas moins associé à un « système » que le PS. Et, depuis plus de cinquante ans, si l’on met de côté les huit années de coalition Verhofstadt, le parti centriste a exercé le pouvoir sans discontinuer aux niveaux fédéral et fédérés.
Par le rêve de « surfer » sur la « vague dégagiste » dont a bénéficié, en France, le « néo-post-centrisme » libéral d’Emmanuel Macron ? Ou par les enseignements tirés des scrutins français et néerlandais qui, à quelques mois d’intervalle, ont débouché sur un cataclysme pour le Parti socialiste français et le Parti travailliste néerlandais, et, simultanément sur la montée en puissance de formations libérales-sociales ? Fin des années 2000, le CDH s’était déjà mis à rêver des scores réalisés aux présidentielles françaises par le Modem (Mouvement démocrate) de François Bayrou. Ainsi, le CDH prendrait-il déjà date avec les scrutins du printemps 2019 et espérerait se mettre en position pour monter dans le prochain gouvernement fédéral. Du moins si son appoint parvient à offrir une majorité au sein du collège francophone du Parlement fédéral.
Si tel est le scénario caressé par Benoît Lutgen, une simple comparaison des électorats français de LREM (La République En Marche d’Emmanuel Macron) et néerlandais de D66 (les Democraten 66 d’Alexander Pechtold) avec celui du CDH aurait dû calmer les ardeurs de Benoît Lutgen. Autant les électorats « néo-post-centristes » d’outre-Quiévrain et outre-Moerdijk sont jeunes, urbains, mondialisés et « connectés », autant celui du CDH se réduit de plus en plus aux zones rurales, avec pour dernier bastion le Luxembourg belge et quelques « îlots de diversité » à Bruxelles-Capitale et dans certaines villes de Wallonie. À ce propos, on rappellera que, bien que premier parti dans la plupart des circonscriptions luxembourgeoises, le CDH est le plus souvent exclu des pouvoirs locaux (province et communes) par des majorités MR-PS…
Par la volonté de « tuer la Mère » ? En d’autres mots, Benoît Lutgen enterrerait le legs de Joëlle Milquet, initiatrice en 2002 de la transformation du PSC en CDH, patronne de ce dernier jusqu’en 2011 et autodémissionnée provisoirement du gouvernement de la Communauté française en avril 2016 pour cause d’instruction judiciaire. Ce legs, c’est l’alliance politique et humaine, à la vie à la mort, entre Elio Di Rupo et Joëlle Milquet, une alliance qui fut l’une des causes de la crise de régime de 2010 – 2011 et de l’échec du scénario dit de l’«Orange bleue », sur fond d’affrontement total entre le CDH et le CD&V sur la réforme constitutionnelle et la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde. La stratégie de Joëlle Milquet contribua à maintenir au gouvernement fédéral un PS pourtant en mauvaise posture. Si cette hypothèse freudienne s’avérait exacte, le calcul semble néanmoins des plus risqués, au vu des réactions négatives d’Écolo et pour le moins mitigées de Défi (ex-FDF).
Sans le PS, des coalitions bancales, voire impossibles
D’autres obstacles devraient se dresser devant la course folle enclenchée par le CDH. Ils sont d’abord d’ordre arithmétique. Il ne suffit pas de mettre sur pied des majorités alternatives. Il faut encore que ces dernières offrent des garanties de fiabilité et de stabilité jusqu’aux échéances électorales du printemps 2019.
Trois coalitions fédérées alternatives s’offrent au CDH, avec des bonheurs très inégaux.
Premier scénario : des coalitions MR-CDH. Mais il y a un hic : cet attelage n’aurait de majorité qu’en Wallonie, l’exercice du pouvoir se révélant impossible en Communauté française (46 sièges sur 94) et dans le collège francophone de Bruxelles-Capitale (25 sièges sur 72).
Deuxième scénario : des coalitions MR-CDH-Écolo. Nouveau problème : majoritaires en Wallonie et en Communauté française, les trois partis seraient recalés au collège francophone de Bruxelles (33 sièges sur 72).
Troisième scénario : des coalitions MR-CDH-Défi. Dans cette hypothèse, la tripartite tiendrait solidement la barre de la Communauté française, mais ne pourrait s’appuyer que sur des majorités fragiles en Wallonie (38 sièges sur 75) et à Bruxelles-Capitale (37 sièges sur 72, dont le siège soudain devenu vital… d’Armand De Decker).
Quatrième scénario : des coalitions MR-CDH-Défi-Écolo. Dans ce dernier cas, ces quadripartites reposeraient sur des majorités solides dans les trois entités fédérées francophones : 42 sièges sur 75 en Wallonie, 45 sièges sur 72 chez les francophones de Bruxelles et 55 sièges sur 94 en Communauté française.
Mais la politique n’est pas qu’affaire d’arithmétique. Ainsi, il faudrait résoudre les fortes inimitiés entre les différents dirigeants politiques sollicités par les appels du pied lancés par le CDH. Que l’on songe simplement au divorce douloureux survenu entre le MR et l’ex-FDF en 2011. Le ministre bruxellois Didier Gosuin (Défi) a déjà signalé qu’il n’y aurait pas d’alliance entre Défi et le MR tant que ce dernier n’aurait pas réglé une dette de 700.000 € au premier. Et ce n’est rien à côté de tout ce qu’auraient à perdre les partis qui choisiraient de s’embarquer dans l’aventure de majorités « francophones » sans le PS.
À Bruxelles-Capitale, comment articuler les politiques de l’Emploi, de la Formation, de la Mobilité et de la Ville développées par les partenaires de coalition du PS (CDH et Défi) avec celles privilégiées par le MR dans le gouvernement fédéral de coalition qu’il forme avec la N‑VA ? En Wallonie et en Communauté française, sérieusement concurrencé par le PTB et en proie à un doute programmatique, Écolo n’acceptera pas (on imagine déjà l’ambiance dans de meurtrières assemblées générales de militants) de s’embarquer dans un paquebot dominé par un MR dont les Verts dénoncent jour après jour les turpitudes socioéconomiques auxquelles il se prêterait avec ses alliés de la N‑VA et de l’Open VLD.
C’est le MR qui a la main, pas le CDH
Last but not least, dans la politique de la terre brûlée apparemment choisie par le CDH, il s’avère que ce n’est pas ce dernier qui aurait la main, mais bien le seul et unique MR. Tant pour des questions d’arithmétique parlementaire que grâce à sa présence au gouvernement fédéral vis-à-vis duquel il pourrait jouer le rôle de courroie de transmission et d’huile dans les rouages dans les relations entre ce dernier et les nouveaux gouvernements fédérés francophones. En choisissant une bipartite PS-MR dont serait exclu le… CDH. Si pas aujourd’hui, peut-être au lendemain des élections de 2019.
La N‑VA, encombrant et sourcilleux partenaire fédéral du MR, ne devrait pas prendre ombrage d’une alliance MR-PS, tant que cette dernière n’influe pas sur l’itinéraire fixé par les libéraux et nationalistes flamands. Peut-être sera-ce moins périlleux que prévu pour un MR trop heureux de renouer avec le pouvoir en Belgique francophone et de « mouiller » un PS ayant préalablement procédé à un ravalement de façade autour du thème porteur de la « bonne gouvernance ». Mais, à nouveau, comment imaginer le PS (qui doit compter avec une base militante particulièrement remontée, la FGTB et Solidaris) infléchir son « chantier des idées » pour s’engager dans des politiques socioéconomiques non plus opposées, mais inévitablement complémentaires à celles menées par le gouvernement fédéral ? Si l’état-major du PS décidait de sauver les meubles en s’alliant au MR, cela ne se ferait que dans le sang et les larmes dans ses rangs. Pour le plus grand plaisir de la N‑VA et des partis flamands des actuelles majorités fédérale et flamande en général. Et pour Écolo et le PTB en particulier. Tandis que le CDH végèterait dans une opposition désormais inintelligible.
Suicide du CDH ou suicide francophone ?
Bref, les jours à venir diront si ces lignes écrites à chaud résisteront au résultat issu des manœuvres des appareils politiques francophones. Une chose est néanmoins sûre : aux yeux de ses partenaires et adversaires politiques, le CDH risque de définitivement passer pour peu fiable. Et il n’est pas impossible qu’il paie un prix lourd lors des scrutins et après-scrutins de 2018 (élections locales) et 2019 (élections fédérale et fédérées).
Peut-être Benoît Lutgen restera-t-il dans l’histoire politique belge comme le « forcené de Bastogne ». Celui qui aura suicidé son parti. Et peut-être également comme celui qui, en cas de guerre civile au sein du PS et d’impossibilité d’une coalition MR-PS, aura créé une « crise de régime » francophone. Une crise inespérée pour la N‑VA. Une crise bien plus redoutable que la crise de régime belge que l’on nous promet après les élections fédérales de 2019 et la réaffirmation par une N‑VA, encore incontournable, de ses exigences confédéralistes.