Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Le CDH : entre souffle de vie et souffle au cœur

Blog - Belgosphère par Nicolas Baygert

février 2015

À tra­vers le lan­ce­ment du Tomor­row­Lab, grande séance d’introspection col­lec­tive, le CDH exprime le sou­hait de se réin­ven­ter et désire « ouvrir les portes et fenêtres du par­ti » (dixit son pré­sident). Après l’apostasie de 2002 (la mort du par­ti social-chré­­tien) et la nou­velle signa­lé­tique mar­quant une sor­tie du reli­gieux, le par­ti (se) cherche un remède à sa […]

Belgosphère

À tra­vers le lan­ce­ment du Tomor­row­Lab, grande séance d’introspection col­lec­tive, le CDH exprime le sou­hait de se réin­ven­ter et désire « ouvrir les portes et fenêtres du par­ti » (dixit son pré­sident). Après l’apostasie de 2002 (la mort du par­ti social-chré­tien) et la nou­velle signa­lé­tique mar­quant une sor­tie du reli­gieux, le par­ti (se) cherche un remède à sa crise iden­ti­taire, une nou­velle rai­son d’être.

Ain­si, le re-bran­ding entre­pris par Joëlle Mil­quet aura gom­mé la réfé­rence chré­tienne du par­ti sans pour autant débou­cher sur une offre poli­tique réel­le­ment intel­li­gible, encore moins sur l’incarnation d’un pro­jet de socié­té clai­re­ment identifiable.

Des poncifs radicaux-centristes 

Au cours des années 2000, se vou­lant davan­tage œcu­mé­nique (pour atti­rer les pra­ti­quants d’autres reli­gions), le CDH s’est para­doxa­le­ment vidé d’une doxa confes­sion­nelle qui, jusqu’ici, struc­tu­rait les iden­ti­tés mili­tantes. Le cré­neau post-maté­ria­liste dont il se targue (et qu’il occupe à l’heure actuelle avec Eco­lo) ne débouche sur aucune éolienne, sur aucune sor­tie du nucléaire ; son cré­do poli­tique demeure glo­ba­le­ment éthéré.

L’humanisme, le démo­cra­tisme (à l’instar du droit-de‑l’hommisme) — valeurs trans­ver­sales et ample­ment consen­suelles — ne peuvent consti­tuer des mar­queurs de dif­fé­ren­cia­tion et de congré­ga­tion idéo­lo­giques per­ti­nents, voire des concepts véri­ta­ble­ment mobi­li­sa­teurs face aux repères axio­lo­giques des autres par­tis (la libre-entre­prise, l’écologie, le natio­na­lisme ou la soli­da­ri­té trans­clas­siste, pour en citer quelques-uns).

Benoît Lut­gen arri­ve­ra-t-il enfin à impri­mer « radi­ca­le­ment » (pour reprendre un élé­ment de lan­gage usi­té dès son entrée en fonc­tion) un nou­veau cap ? Les mots clés mis en avant par l’opération Tomor­row­Lab (« audace, res­pect, par­tage ») demeurent pour le moins flous. De même, gageons que le concept du « déve­lop­pe­ment humain », en tant que dif­fé­rence motrice (le signe dis­tinc­tif en lan­gage mar­ke­ting) ne risque pas de débou­cher sur des ral­lie­ments en masse.

Un selfie en guise de tract

Le re-bran­ding du CDH débou­cha en réa­li­té sur un phé­no­mène sin­gu­lier : la « mil­que­ti­sa­tion » de la for­ma­tion cen­triste, une per­son­na­li­sa­tion accrue se tra­dui­sant par la mise en orbite de Joëlle Mil­quet dans l’univers select des pré­si­dents de par­tis. Une pré­si­dence catho­dique en lieu et place de réfé­rences catholiques.

Même constat au FDF. La for­ma­tion qui, jusqu’aux récentes sor­ties de chal­len­geurs du pré­sident aux futures élec­tions internes, fut presque inté­gra­le­ment subor­don­née à l’aura de son omni­po­tent lea­der Oli­vier Maingain.

Aus­si, la mil­que­ti­sa­tion ne consti­tue pas en soi une erreur stra­té­gique. Celle-ci s’inscrit dans une ten­dance plus géné­rale affec­tant la vie démo­cra­tique dans son ensemble : des par­tis ratis­sant large, ne rechi­gnant pas à pra­ti­quer la « tri­an­gu­la­tion » ou le bench­mar­king (occu­per les thèmes des par­tis concur­rents pour leur cou­per l’herbe sous le pied), des par­tis sou­cieux de gagner de nou­velles « parts de mar­ché », des par­tis qui se vident peu à peu de leur sub­stance mili­tante pour lais­ser place aux par­tis-pro­jets mono-incar­nés, per­son­ni­fiés par des indi­vi­dus-marques média­gé­niques ; des poli­tiques ayant par­fai­te­ment inté­gré les règles de la média­ti­sa­tion contem­po­raine (l’immédiateté, le self-bran­ding, la prio­ri­té don­née au registre émotionnel).

Dans ce contexte, et en dépit de l’arrivée de Benoît Lut­gen à la tête du par­ti, Joëlle Mil­quet demeure de fac­to la figure de proue des démo­crates-huma­nistes. En résulte une dis­so­nance com­mu­ni­ca­tion­nelle entre la « marque Mil­quet » média­ti­que­ment indé­bou­lon­nable et un pré­sident Lut­gen peu disert. Or, pour que le chan­ge­ment de pré­si­dence soit défi­ni­ti­ve­ment acté, celui-ci doit s’accompagner d’un lea­der­ship expli­ci­te­ment discernable.

Peu friand des débats domi­ni­caux, Lut­gen conti­nue de réfu­ter — à rai­son — « cette idée qu’il faut réagir dans les cinq minutes à un pro­blème, sous peine d’être reje­té aux marges de l’actualité ». Mais à for­tio­ri, le « cen­trisme-radi­cal », au-delà du posi­tion­ne­ment équi­dis­tant invé­ri­fiable dans les faits récents, pour­rait bien davan­tage dési­gner cette pos­ture butée, radi­ca­le­ment média-scep­tique affi­chée par le Bas­to­gnard. Le « bon sens » est certes affir­mé avec rudesse, mais il s’inscrit dans une logique rela­ti­ve­ment inau­dible, ponc­tuée de petites phrases rele­vées comme autant de déra­pages incontrôlés.

Le contre-exemple du CD&V

En termes de stra­té­gie poli­tique, CDH et CD&V n’en sont pas à un divorce près. Com­mu­niant naguère au sein d’une même struc­ture, le CD&V opta pour la pré­ser­va­tion de son ADN reli­gieux, dopé d’un «&Vlaams » dédou­blant la réfé­rence iden­ti­taire. Une double-iden­ti­té vécue en toute har­mo­nie, du désor­mais intou­chable Her­man Van Rom­puy, catho­lique pra­ti­quant et diplô­mé en phi­lo­so­phie tho­miste, au pré­sident Wou­ter Beke. Ce der­nier décla­rait sans fard en mai der­nier : « Je suis fla­min­gant. La Flandre est mon bio­tope natu­rel ». Les démo­crates-chré­tiens du nord sont en outre conti­nuel­le­ment par­ve­nus à faire émer­ger des figures de pre­mier plan, à l’image du tur­bu­lent Kris Peeters.

Mal­gré les sacri­fices indi­vi­duels, la soli­da­ri­té interne fut main­te­nue — aucun cas Mel­chior Wathe­let (ou Anne Del­vaux) n’est ain­si à recen­ser au CD&V. L’identité et le poten­tiel d’incarnation demeurent à ce jour intacts, à tel point que le vice-Pre­mier Pee­ters semble éprou­ver moult dif­fi­cul­tés à ren­trer dans le rang gou­ver­ne­men­tal. En témoignent les micros-schismes en conti­nu, mon­tés en épingles, cen­sés sou­li­gner l’altérité de la for­ma­tion « de centre-gauche » au sein de l’attelage Miche­lien (laco­ni­que­ment rebap­ti­sée MR-N-VA par l’opposition). Un démar­quage per­pé­tuel néces­saire à la sur­vie partisane.

En quête de sens

Benoît Lut­gen désire doré­na­vant « incar­ner la quête de sens ». Or, à côté de la ges­tion du « brains­tor­ming par­ti­san », il s’agit avant tout de fixer un cap, de « don­ner du sens ». De même qu’en France, vou­loir « re-nor­ma­li­ser » la fonc­tion pré­si­den­tielle après la séquence sar­ko­zyste consti­tue l’une des nom­breuses erreurs tac­tiques de Fran­çois Hol­lande, le sou­hait d’un retour au lea­der­ship typi­que­ment « démo­crate-chré­tien » — type ancien PSC (entre impé­ra­tif de dis­cré­tion et célé­bra­tion du consen­sus mou) — demeure un vœu pieux pour ne pas dire com­plè­te­ment illu­soire. Reste donc à trou­ver le juste milieu entre la pos­ture anti-comm et la « sur­com­mu­ni­ca­tion » — un jeu d’équilibriste qui devrait pour­tant conve­nir aux cen­tristes. Encore faut-il sor­tir du néant pro­po­si­tion­nel pour avoir quelque chose à communiquer.

« Le néant n’a point de centre, et ses limites sont le néant », Léo­nard de Vinci.

Nicolas Baygert


Auteur