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La robotisation, talon d’Achine de l’Empire du Milieu

Blog - Délits d’initiés - Chine par Olivier Derruine

mai 2015

Depuis une bonne décen­nie, on nous rabâche que la Chine est l’«atelier de monde », que le pays aspire inlas­sa­ble­ment les acti­vi­tés indus­trielles autre­fois réa­li­sées dans les autres pays, pire : chez nous ! Pour­tant, l’Empire du Milieu est loin d’avoir révé­lé son plein poten­tiel et, plus encore, celui-ci pour­rait bien être son talon d’Achille. En cause : la robo­ti­sa­tion qui ne fait que démarrer.

Délits d’initiés

La course à la mondialisation

En 2013, la Chine est deve­nue le plus grand mar­ché mon­dial pour les robots : 36.560 robots indus­triels y furent ven­dus, les trois-quarts étant ache­tés à l’étranger. En dépit de la crise qui a sévi en Chine — certes d’une autre manière que dans les pays riches —, la vente de robots a pro­gres­sé de 36%… par an en moyenne entre 2008 et 2013. Et cette ten­dance ver­ti­gi­neuse n’est pas près de s’inverser.

En 2017, un nou­veau robot mis en ser­vice sur trois le serait en Chine [soit autant qu’en Europe et aux Amé­riques (du Nord, latine et cen­trale) réunies] contre 1 sur 7 en 2012 ! Il s’agit d’un bou­le­ver­se­ment struc­tu­rel dont on peine à mesure l’ampleur tant il est gigan­tesque et qui, semble-t-il, ne devrait pas connaître de ralen­tis­se­ment dans les années à venir. En effet, la den­si­té de robots (c’est-à-dire le nombre de robots par 10.000 tra­vailleurs) est en Chine (30) bien en-des­sous de la moyenne mon­diale, sans même par­ler des pays riches et indus­tria­li­sés comme l’Allemagne (282), le Japon (323) et dans une moindre mesure les États-Unis (152). Cela en dit long sur la « marge de pro­gres­sion » possible.

Les robots sont en réa­li­té sur­tout pré­sents dans le sec­teur auto­mo­bile et la volon­té du pays et des indus­triels peut consis­ter ici à se mettre dans les condi­tions de riva­li­ser avec les États-Unis et l’Europe. Si ces deux régions du monde enre­gistrent un défi­cit com­mer­cial avec la Chine pour les pro­duits manu­fac­tu­rés, cela n’est pas vrai pour les véhi­cules auto­mo­biles (ain­si que pour les pro­duits phar­ma­ceu­tiques et les ins­tru­ments scien­ti­fiques et de contrôle dans le cas de l’Europe).

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La robo­ti­sa­tion est donc l’une des voies choi­sies pour résis­ter à l’Europe et, ulté­rieu­re­ment, pour l’inonder de véhi­cules chi­nois lorsqu’un accord de libre-échange entre la Chine et l’UE dont les bases ont été jetées par une feuille de route à l’horizon 2020 aura été conclu. Par ailleurs, et cela ne concerne pas que le sec­teur auto­mo­bile, la Chine fait le pari que les gains de pro­duc­ti­vi­té ame­nés par la robo­ti­sa­tion com­pen­se­raient l’avantage en termes de coûts qu’elle offrait jusqu’ici aux indus­triels et que ceux-ci per­çoivent de moins en moins : il sem­ble­rait en effet que le phé­no­mène de délo­ca­li­sa­tion vers la Chine soit en train de s’éroder, voire au contraire, de se ren­ver­ser. Cette relo­ca­li­sa­tion des entre­prises qui avaient ten­té l’aventure chi­noise dans la pers­pec­tive de béné­fi­cier de coûts de pro­duc­tion moindres s’expliquerait par la rapide aug­men­ta­tion des salaires en Chine et dans la per­sis­tance d’inconvénients comme la moindre qua­li­té des pro­duits issus des chaînes de pro­duc­tion, l’accès à des com­pé­tences éle­vées, l’éloignement des sites d’innovation et de concep­tion (sou­vent res­tés aux États-Unis) et celui de la fabri­ca­tion1.

Tien An Men 2.0

Cepen­dant, les gains de pro­duc­ti­vi­té ame­nés par une telle pro­fu­sion de machines pour­raient conduire à la sup­pres­sion de nom­breux postes de tra­vail. Des mil­lions ! Si l’on dénombre pour chaque robot, un peu plus de 3.300 tra­vailleurs et que l’on s’attend à la mise en marche de 55.000 robots en 2017, ceux-ci devraient rendre super­flus quelque 18 mil­lions de tra­vailleurs rien que cette année-là. Sur une décen­nie et en main­te­nant le rythme, cela ferait au bas mot 180 mil­lions de tra­vailleurs dépos­sé­dés de leur emploi. De quoi sérieu­se­ment ter­nir les pers­pec­tives des 9 mil­lions d’étudiants entrant chaque année sur le mar­ché du tra­vail et ébran­ler la paix sociale. Or, rap­pe­lons-nous qu’à l’origine des mani­fes­ta­tions étu­diantes qui ont atteint leur paroxysme sur la place de Tien An Men en 1989, se trou­vait la frus­tra­tion pour les jeunes d’arriver trop nom­breux sur des mar­chés du tra­vail qui ne pou­vaient les absor­ber. Les moti­va­tions étaient d’ordre social tout autant que poli­tique. Avec les pers­pec­tives d’une robo­ti­sa­tion plus pous­sée, on peut s’attendre à ce que, dans moins de dix ans, la Chine soit à nou­veau le théâtre de tur­bu­lences poli­tiques parce que, prise par la folie des gran­deurs, elle aura eu les yeux (sa capa­ci­té de pro­duc­tion) plus gros que le ventre (le mar­ché inter­na­tio­nal des biens et ser­vices et le mar­ché domes­tique du tra­vail). Et ce n’est pas parce que son trei­zième plan quin­quen­nal cher­che­ra à s’attaquer aux inéga­li­tés crois­santes (les 10% les plus riches gagnant 9,5 fois les reve­nus des 10% les plus faibles, un record depuis trente ans) qu’il sera pos­sible de col­ma­ter les dom­mages col­la­té­raux d’une indus­trie tou­jours plus productive. 

Où est le problème ?

Par effet de rico­chet, les troubles sur le mar­ché du tra­vail en Chine ne res­te­ront pas sans écho dans les éco­no­mies des autres pays. Cela risque bien de signi­fier que la concur­rence inter­na­tio­nale des tra­vailleurs qui est à l’origine de la réduc­tion de la part du gâteau (PNB mon­dial) qui leur est attri­buée ira décrois­sante. Sur le plan macroé­co­no­mique, cela se tra­dui­ra par une ato­nie de la demande et pèse­ra sur les pers­pec­tives de crois­sance, d’activité et d’emploi ain­si que sur les taux d’intérêt. Ces méca­nismes sont au cœur de la crise éco­no­mique et financière.

Dans ce contexte où les ménages seront peu enclins à délier les cor­dons de la bourse pour des achats non néces­saires ou urgents, les indus­triels, pour se débar­ras­ser de leurs pro­duits fabri­qués en de plus grande quan­ti­té, dur­ci­ront la guerre des prix à laquelle ils se livrent et cela pour­rait aggra­ver les ten­dances défla­tion­nistes ou, pour peu que d’ici là on soit sor­ti pour du cli­mat de baisse des prix qui nous taraude depuis plu­sieurs mois, les ravi­ver. Pour rap­pel, la défla­tion est le piège qui s’est refer­mé sur le Japon il y a vingt ans et dont il peine à s’extirper : les poli­tiques moné­taires des Banques cen­trales ne fonc­tionnent plus dans un tel cli­mat et étant don­né que les ménages rechignent à dépen­ser leur argent, les entre­prises tournent au ralen­ti, n’investissent plus et les finances publiques sont lais­sées exsangues. C’est un cycle infer­nal qui se met en place.

  1. A ma connais­sance, il n’existe pas d’étude fai­sant état d’un même phé­no­mène en Europe.

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen