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La réponse de Philippe Larochelle

Blog - Débat autour de l’article « Gérard, Énos et Jacques, une fable rwandaise » par Philippe Larochelle

juillet 2015

Bonjour, vous m’avez transmis le message de Monsieur Gauthier de Villers relativement à mon article. Voici en quelques lignes ma réaction suite à ses commentaires.  D’emblée, je tiens à preciser que j’ai choisi d’utiliser la technique de la fable puisque je suis baillonné 1) par les mesures de protection des témoins en vigueur et 2) le refus du […]

Bonjour, vous m’avez transmis le message de Monsieur Gauthier de Villers relativement à mon article. Voici en quelques lignes ma réaction suite à ses commentaires. 

D’emblée, je tiens à preciser que j’ai choisi d’utiliser la technique de la fable puisque je suis baillonné 1) par les mesures de protection des témoins en vigueur et 2) le refus du procureur du TPIR d’ouvrir ses livres et de révéler l’ampleur du phénomène de la fabrication devant les chambres du TPIR. En effet, ce phénomène est malheureusement soigneusement dissimulé à la communauté internationale, en particulier aux experts comme monsieur de Villers qui continuent à travailler sur une trame qui a été dans une mesure indéterminée construite par les autorités de Kigali. 

Donc la volonté affichée de Monsieur de Villers de reconnaitre et de chercher à mesurer l’ampleur des massacres de Hutu commis par le FPR et les difficultés de cette entreprise, bloquée systématiquement par la communauté internationale (voir par exemple le livre de Mme Del Ponte, exposant comment ses enquêtes ont été bloquées à ce sujet) devrait inciter ce dernier a davantage d’«ouverture » dans la possibilité bien réelle que ces massacres puissent effectivement être caractérisés de génocide. Sachant à quel point tout discours s’écartant de la version habituellement acceptée des massacres de 1994 et des années qui ont suivi suscite la polémique et ayant vécu depuis quatorze ans de travail au TPIR avec les victimes de ce génocide des Hutu (qui n’enlève rien à l’horreur du génocide des Tutsi) ma frustration face au caractère politiquement incorrect de l’expression de l’existence de cet autre génocide a pris la forme de la fable que j’ai rédigée pour La Revue nouvelle.

En plus, la chance ou le malheur qui a été mien d’avoir été confronté à trois dossiers interreliés et provenant de Kibuye (donc couvrant les évènements de Bisesero et l’exploitation macabre par les autorités de Kigali de ces évènements contre la France) renforcent ce que je considère comme l’impérative nécessité non pas de nier le génocide mais de lui donner sa réelle ampleur et de ne pas priver TOUTES les victimes de ce ou de ces génocides de leur droit à une caractérisation historique fidèle de ce qu’elles ont vécu. Et pour avoir rencontré des témoins repentis expliquant comment ils ont été entrainés et encouragées par les autorités judiciaires rwandaises pour faire des faux témoignages contre les membres de la diaspora hutu. je maintiens que ces efforts s’inscrivent en ligne directe dans ce que de nombreux rapports des NU et d’autres ONG décrivent comme un faisceau d’efforts soutenus pour marginaliser les Hutu.

Malheureusement, comme le souligne Monsieur de Villers, il faut me croire sur parole relativement à ces trois dossiers puisque tout le matériel est inaccessible, par les efforts combinés du TPIR et des tribunaux canadiens et américains. Et ces trois dossiers ne représentent que la partie émergée de l’iceberg, puisque ces efforts couvrent bien d’’autres scandales, au TPIR et ailleurs.

J’invite Monsieur de Villers à relire les jugements du TPIR et voir la paucité de la preuve concernant ce qu’il appelle « la politique d’extermination indistincte des Tutsi ». Réduire ainsi le génocide est un raccourci que je ne peux accepter. Faire fi des réelles dynamiques politiques à l’œuvre dans les heures, jours et semaines qui ont précédé le génocide, et faire un magma indistinct des responsabilités individuelles en les réduisant a une pseudo et inexistante « politique » est précisément le reproche principal que je fais au TPIR, et qui réduit à néant la valeur des travaux de ce tribunal. C’est pourquoi je n’hésite pas et je maintiens l’appellation de Moulin à Viande. Il faut avoir confronté ses procureurs malhonnêtes et ses juges complaisants pour pleinement apprécier comment ce tribunal arrose d’essence les problèmes explosifs de la région.

Et oui, absolument, je mets en cause une responsabilité collective tutsi à l’égard du traitement réservé aux Hutu depuis vingt ans. Ceux qui ont tiré sur les gâchettes dans les forêts du Congo, ceux qui ont maintenu des enfants et des familles entières en prison pour des crimes qu’ils n’ont pas commis en 1994 et ceux qui se portent volontaires pour aller faire de faux témoignages en France, au Canada et au États-Unis partagent aussi la responsabilité de leurs élites à l’égard du génocide qui continue de se commettre contre les Hutu et dont personne ne veut parler. Monsieur de Villers devrait aller rencontrer les enfants et les petits-enfants de ces gens qui ont été faussement accusés au Rwanda, au TPIR ou ailleurs, et qui voient la mémoire de leurs parents souillée et salie injustement, et voir le climat délétère dans lequel cette entreprise les fait grandir. 

Être sévère à l’égard du FPR n’est plus suffisant, malheureusement. Après vingt ans de dictature et d’excès largement documentés à l’égard des Hutu, il est grand temps qu’on puisse, au moins à travers une fable, porter les accusations qui s’imposent contre cette organisation criminelle qui continue de bénéficier d’une aura de respectabilité non méritée. 

Je suis tout à fait disposé à discuter directement avec Monsieur de Villers s’il le souhaite, pour le moment veuillez considérer ce courriel comme ma réaction, à froid, face aux propos de ce dernier.

Philippe Larochelle


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