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La politique du vide, le vide de la politique

Blog - Anathème - élections UE (Union européenne) par Anathème

juin 2016

À peine le réfé­ren­dum anglais sur le Brexit s’était-il sol­dé par une vic­toire du Leave que Nigel Farage, le lea­der de UKIP, fana­tique par­ti­san de la sor­tie de l’Union euro­péenne, était confron­té à l’une de ses pro­messes. Allait-il, oui ou non, œuvrer à l’allocation au sys­tème de san­té des 350 mil­lions de livres ster­ling que, selon lui, le Royaume payait au titre de contri­bu­tion à l’Union ? Face à la jour­na­liste qui l’interrogeait, il ten­ta une esquive : il ne pou­vait de toute évi­dence prendre un tel enga­ge­ment. Mais voi­là, elle lui rap­pe­la que c’était sa pro­messe per­son­nelle et qu’elle était en outre au cœur de sa cam­pagne… Immé­dia­te­ment, les réseaux sociaux repro­dui­sirent en boucle ses affiches, ses articles, ses inter­views, ses clips de cam­pagne, etc.

Anathème

Voi­là qui fut bien embar­ras­sant et que les élec­teurs appré­cièrent peu.

Aujourd’hui, ce rap­pel aux poli­tiques de leurs pro­messes est deve­nu un sport en vogue sur les réseaux sociaux. L’Internet four­mille ain­si de vieux articles, tweets, sta­tuts Face­book et inter­views dans les­quels nos man­da­taires pro­mettent exac­te­ment le contraire de ce qu’ils font ensuite.

Veut-on lâcher un bon mot et voi­là que « mon enne­mi, c’est la finance » se grave dans les mémoires de l’Internet plus sûre­ment que dans le marbre. Doit-on prendre une posi­tion popu­laire dans un débat sur l’énergie ? On est bien obli­gé d’affirmer que — jamais, au grand jamais — on ne consen­ti­ra à une hausse de la TVA sur l’énergie. S’allier aux natio­na­listes fla­mands ? Plu­tôt mou­rir ! Com­battre pour les plus faibles ? Bien enten­du, c’est ma rai­son de vivre. D’ailleurs, mon cœur saigne au spec­tacle des mal­heurs du monde.

Mais, si la finance est l’ennemie des can­di­dats, elle est l’amie des pré­si­dents. Et la TVA sur l’énergie rap­porte de pré­cieux deniers peu sus­cep­tibles d’évasion fis­cale. De même, lorsque le pou­voir est à por­tée de main, qu’importe de pac­ti­ser avec celui qui, hier encore, était le Diable en per­sonne. Quant au cœur qui saigne, ne dit-on pas, dans les hautes sphères du pou­voir comme ailleurs, que « loin des yeux, loin du cœur » ?

Comme les citoyens sont cruels de rap­pe­ler ain­si à nos diri­geants leur peti­tesse et leur inca­pa­ci­té à s’engager à long terme ! Pour d’obscures rai­sons, ils semblent ne pas com­prendre qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et que « les pro­messes élec­to­rales n’engagent que ceux qui les écoutent », pour reprendre la for­mule de Hen­ri Queuille, reprise notam­ment par Charles Pas­qua. Car enfin, dans le monde actuel, où tout est éva­nes­cent et où rien ne peut être pré­dit au-delà de la jour­née, com­ment encore ima­gi­ner que l’on puisse éla­bo­rer un quel­conque pro­jet ? Il faut se rendre à l’évidence, notre per­son­nel poli­tique n’y com­prend plus rien. Et c’est bien natu­rel. En déré­gu­lant, en refu­sant de finan­cer l’État et ses outils de maî­trise pra­tique et intel­lec­tuelle des rouages de la socié­té, il a créé ce monde auto­ré­gu­lé qui nous mène­ra sans coup férir vers une idéale allo­ca­tion des res­sources et vers une bien­fai­sante auto-orga­ni­sa­tion. Il a pour cela détruit tous les ins­tru­ments par les­quels il aurait pu exer­cer sa per­tur­ba­trice influence. Puisque son action était indé­si­rable, il s’en est abs­te­nu, mais en a aus­si rui­né la possibilité.

Le monde poli­tique ne peut plus rien pro­mettre car il n’y a plus rien à pro­mettre. Ceux qui rap­pellent nos élus à leurs enga­ge­ments sont donc bien mal­hon­nêtes, eux qui feignent de croire qu’une pro­messe puisse être réa­liste ou crédible.

Faut-il prendre acte de l’impuissance de ces non-diri­geants et les démettre de leurs coû­teuses fonc­tions ? Certes non. Tout d’abord, la socié­té a besoin de s’en prendre à quelqu’un et, puisqu’un sys­tème démo­cra­tique existe pour dési­gner des boucs émis­saires, autant le conser­ver. Ensuite, il faut recon­naître que notre monde mer­veilleu­se­ment déré­gu­lé a encore besoin de laquais. Les ors de l’État, les sub­ven­tions, le pré­lè­ve­ment de l’impôt auprès des pauvres pour en allouer le pro­duit aux puis­sants sont quelques ines­ti­mables ser­vices qu’ils rendent et qui jus­ti­fient le main­tien d’un mini­mum de personnel.

Cepen­dant, pour que le sys­tème reste viable, il fau­drait évi­ter que ne se rejoue trop sou­vent la comé­die de la pro­messe non tenue. Aus­si va-t-il fal­loir que nos man­da­taires prennent sur eux et se défassent de leurs der­niers réflexes nui­sibles. Ils devront inté­grer le fait qu’ils sont là pour paraître résoudre les pro­blèmes, non pour inter­fé­rer avec la marche des choses. Leur dis­cours doit donc encore se vider de sa sub­stance pour n’être plus qu’une pos­ture géné­rale et vague n’annonçant aucune poli­tique par­ti­cu­lière. À cet égard, le Brexit est un exemple à ne pas suivre. Quels sont ces incons­cients qui ont osé remettre dans les mains du peuple un choix dont la City ne vou­lait pas ? Qui ont tiré des plans sur la comète, croyant que le Brexit les res­tau­re­rait dans leur puis­sance pas­sée ? Qui ont cru pou­voir s’engager pour l’avenir ?

À cet égard, bien déce­vante est l’attitude de Nigel Farage. Alors que l’extrême droite est tra­di­tion­nel­le­ment un exemple de dis­cours poli­tique incon­sis­tant et incon­sé­quent, mas­quant sous le popu­lisme la plus par­faite col­lu­sion avec les élites sociales et éco­no­miques, voi­là que UKIP s’est lais­sé prendre à son propre jeu et s’est ris­qué à des pro­messes concrètes.

Heu­reu­se­ment, tout n’est pas sombre. Ain­si, le récent suc­cès de Maria­no Rajoy aux légis­la­tives espa­gnoles donne-t-il des rai­sons d’espérer en l’avenir. Cor­rom­pu, impuis­sant, ce maître de la rodo­mon­tade et de l’invective outran­cière a réus­si à convaincre son peuple qu’il pour­rait le défendre contre ce à quoi il par­ti­cipe plei­ne­ment. Oui, il reste bien des hommes d’État en Europe. Des hommes de moins d’État.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.