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La pauvreté des femmes, la pire nouvelle de l’année (et des suivantes)

Blog - Délits d’initiés par Olivier Derruine

mai 2017

Jeu­di matin, l’émission Jour Pre­mière de la pre­mière radio publique se fai­sait l’écho de l’évolution des chiffres de la pau­vre­té. Le bilan était pour le moins contras­té. Si le taux de risque de pau­vre­té et d’exclusion a légè­re­ment reflué entre 2014 (21,2%) et 2016 (20,7%), c’est uni­que­ment grâce à l’amélioration de la situa­tion des hommes (ils sont […]

Délits d’initiés

Jeu­di matin, l’émission Jour Pre­mière de la pre­mière radio publique se fai­sait l’écho de l’évolution des chiffres de la pau­vre­té. Le bilan était pour le moins contras­té1. Si le taux de risque de pau­vre­té et d’exclusion a légè­re­ment reflué entre 2014 (21,2%) et 2016 (20,7%), c’est uni­que­ment grâce à l’amélioration de la situa­tion des hommes (ils sont 63.000 de moins sous le seuil); la pau­vre­té, elle, aug­mente de manière signi­fi­ca­tive pour les femmes. Concrè­te­ment, entre ces deux années, les reve­nus de 59.000 femmes ont plon­gé sous le seuil de réfé­rence que sont les 60% du reve­nu médian.

Mais, ces chiffres ne livrent qu’une infor­ma­tion somme toute limi­tée. Certes, ils nous per­mettent de connaitre com­bien de per­sonnes sont venues gros­sir les rangs des pré­caires, mais il ne dit rien du sort de celles qui en sont sor­ties. Après tout, le seuil de pau­vre­té fixé à 1.115 euros, soit 60% du reve­nu médian 2016, a été arrê­té arbi­trai­re­ment (et à ce titre trouve sa place dans la mytho­lo­gie euro­péenne du chiffre aux côtés des 3% de défi­cit public maxi­mum ou des 60% de dette publique). Que se passe-t-il pour les indi­vi­dus qui ne sont plus cou­verts par ce taux ? Est-ce la garan­tie qu’ils peuvent mener une vie décente ? À prio­ri, on l’ignore.

Heu­reu­se­ment, en tri­fouillant dans les méandres d’Eurostat, on peut élar­gir le spectre de la pau­vre­té et s’intéresser à la par­tie de la popu­la­tion qui est juste un peu au-des­sus des 60% du reve­nu médian. Il appa­rait alors qu’une frange non négli­geable de la popu­la­tion se trouve au-des­sus des 60%, mais sous les 70%. (Certes, ce ratio de 70% est tout aus­si arbi­traire que 60% mais c’est la seule autre option offerte par Euro­stat.) Il s’agit de 8% de la popu­la­tion mas­cu­line. Bien davan­tage de femmes sont concer­nées : jusqu’à 10,3%. Donc, au total, 3 femmes sur 10 ont moins de 70% du reve­nu médian.

Ain­si, pour peu que l’on prenne un indi­ca­teur de pau­vre­té un peu plus « exi­geant », le nombre de per­sonnes cou­vertes aug­mente consi­dé­ra­ble­ment.

Le reve­nu de réfé­rence pris pour déter­mi­ner le seuil de pau­vre­té est un indi­ca­teur utile (c’est mieux que rien), mais il ne dit rien non plus de l’adéquation de ce reve­nu avec les besoins légi­times de la popu­la­tion. Il y a près d’une décen­nie, l’administration de la poli­tique scien­ti­fique fédé­rale, Bels­po, avait com­man­dé une étude à des cher­cheurs. Celle-ci por­tait un nom pour le moins expli­cite : « Quel est le reve­nu mini­mum dont une famille a besoin pour s’en sor­tir ? »

Le tableau sui­vant pré­sente les reve­nus mini­mum néces­saires pour dif­fé­rentes caté­go­ries de familles à Bruxelles et en Région wal­lonne et les confronte au taux de pau­vre­té d’Eurostat (60%) et à celui obte­nu en choi­sis­sant un ratio de 70%2. Le constat est que, quelle que soit la confi­gu­ra­tion fami­liale, le seuil de pau­vre­té d’Eurostat se situe en-des­sous des reve­nus mini­mum néces­saires pour mener une vie décente. La même chose s’observe lorsqu’on élève le seuil de pau­vre­té à 70% du reve­nu médian, sauf pour les célibataires.

En d’autres mots, cela signi­fie que si la réduc­tion du taux de pau­vre­té est de prime abord une bonne nou­velle, cela ne veut pas dire grand-chose pour les per­sonnes concer­nées car elles res­te­ront can­ton­nées dans une situa­tion ne leur per­met­tant pas de joindre les deux bouts. 

Ceci est par­ti­cu­liè­re­ment grave pour les femmes qui sont le plus sou­vent à la tête de familles mono­pa­ren­tales comme nous allons le voir.

Des effets persistants

Un récent son­dage Euro­ba­ro­mètre révé­lait que 82% des Belges (64% des Euro­péens!) redou­taient que les inéga­li­tés aillent en ampli­fiant à l’avenir et que leurs enfants lorsqu’ils auront atteint l’âge adulte vivent moins bien qu’eux-mêmes.

Mal­heu­reu­se­ment, leur intui­tion risque bien de se véri­fier en rai­son de l’impact de la pau­vre­té et plus pré­ci­sé­ment du stress induit chez leurs enfants par leurs parents en rai­son des condi­tions finan­cières pré­caires de la famille. Les dif­fi­cul­tés finan­cières des parents (ou du parent) en rai­son du stress créé chez ceux-ci (celui-ci) affectent néga­ti­ve­ment le com­por­te­ment et la san­té émo­tion­nelle de leur(s) enfant(s), bien davan­tage que ses (leurs) résul­tats sco­laires. Nous avions déjà évo­qué ce phé­no­mène à l’occasion d’un pré­cé­dent billet. « Les pro­blèmes finan­ciers même pas­sa­gers peuvent peser sur l’enfant et sur l’adulte qu’il devien­dra. Dès lors, la crise ne sera, en quelque sorte, jamais der­rière eux, même si l’économie se remet à créer des emplois par dizaines de milliers. 

Si ce constat vaut au niveau indi­vi­duel, nous obser­vons un effet boo­me­rang dans la socié­té dans son ensemble car ces acquis non cog­ni­tifs mal mai­tri­sés, les troubles men­taux et com­por­te­men­taux se réper­cutent éga­le­ment sur le déve­lop­pe­ment éco­no­mique, notam­ment en termes de perte de pro­duc­ti­vi­té. Or, « la mau­vaise san­té men­tale touche un citoyen sur quatre et on estime que plus de 27% des Euro­péens d’âge adulte connaissent au moins une forme de mau­vaise san­té men­tale au cours d’une année don­née. [Par consé­quent,] la mau­vaise san­té men­tale grève sévè­re­ment les méca­nismes éco­no­miques, sociaux, édu­ca­tifs, pénaux et judi­ciaires [si bien que] le cout glo­bal des mala­dies psy­chiques en Bel­gique est esti­mé à 4% du PIB » (SPF San­té publique, sécu­ri­té de la chaine ali­men­taire et envi­ron­ne­ment). Soit un énorme gâchis humain et éco­no­mique qui se tra­dui­ra par un manque de recettes que les gou­ver­ne­ments iront cher­cher ailleurs, pro­ba­ble­ment là où les plus vul­né­rables seront les plus affec­tés occa­sion­nant un cercle vicieux entre mau­vaises condi­tions éco­no­miques, troubles psy­cho­lo­giques et contrac­tion bud­gé­taire dans les postes sociaux.

En conclu­sion, les chiffres publiés par Euro­stat tout récem­ment et qui montrent un accrois­se­ment du risque de pau­vre­té chez les femmes sont cer­tai­ne­ment l’une des nou­velles les plus impor­tantes de cette année, bien plus encore que les créa­tions d’emplois fiè­re­ment reven­di­quées par le gou­ver­ne­ment fédéral.

  1. Ce taux recense les per­sonnes dont les reve­nus sont infé­rieurs à 60% du reve­nu médian en Bel­gique. Il s’agit d’une défi­ni­tion dis­cré­tion­naire, mais au moins agréée au niveau euro­péen. Elle a d’ailleurs don­né lieu à la défi­ni­tion d’un objec­tif chif­fré pour 2020 (– 20 mil­lions) repris par la plu­part des pays (pour la Bel­gique : – 380.000).
  2. Les chiffres de l’étude dont on sup­pose qu’ils soient valables pour l’année 2010 (car rien n’est pré­ci­sé quant à l’année de réfé­rence) sont indexés sur l’indice des prix à la consom­ma­tion de manière à être expri­més en euros de 2016.

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen