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La musique Volk de Bart De Wever
En juin 2007, dans une chronique du Morgen, Bart De Wever annonçait déjà la couleur, « en tant qu’amateur d’une saine polémique, je la provoque souvent ». À la suite des récents propos du leadeur de la N‑VA sur les Berbères, la mécanique de l’indignation a donc pu se remettre en marche. Soulagement sur les bancs de l’opposition ! […]
En juin 2007, dans une chronique du Morgen, Bart De Wever annonçait déjà la couleur, « en tant qu’amateur d’une saine polémique, je la provoque souvent ».
À la suite des récents propos du leadeur de la N‑VA sur les Berbères, la mécanique de l’indignation a donc pu se remettre en marche. Soulagement sur les bancs de l’opposition ! Un nouvel os (à morale) à ronger « On commence par les Berbères, avant de s’attaquer aux Bruxellois et aux Wallons », prévient Francis Delpérée (CDH) lors d’une récente messe cathodique dominicale. Raciste ? « Je le crois », tranche Laurette Onkelinx. Une nouvelle séquence s’ouvre pour les quakeresses et peshmergas de l’antiracisme, nouveau logiciel de substitution pour partis désidéologisés. Une opposition pourtant partiellement requinquée depuis le coming out socialiste de la FGTB et de Solidaris, débouchant sur trois poings levés, signe de fraternité dans une galère commune (un symbole, indique Gilles Vergnon1, apparaissant la première fois en 1924 au sein du parti communiste allemand, le KPD, et plus précisément dans son organisation paramilitaire, le RFB – Roter Frontkämpfer-Bund – la « Ligue des combattants du front rouge »).
Bart De Wever « vit de ça, de cette volonté de choquer, de provoquer, d’aviver les haines », ajoute Laurette Onkelinx. La présidente du groupe socialiste à la Chambre et vice-présidente du PS n’a pas fondamentalement tort. Pourtant, le paysage politico-médiatique francophone ne semblerait toujours pas avoir compris que l’axe diabolisation-victimisation constitue l’essence même du moteur communicationnel du bourgmestre anversois, le carburant de son positionnement antisystème. Une « stratégie du coup d’éclat permanent ». La communication chorale autour d’un « Bart-bashing » expiatoire ne faisant ici qu’alimenter le processus. « Nil novi sub sole » (rien de neuf sous le soleil).
« Nil novi sub sole » non plus au sujet du pédigrée de l’intéressé. Une biographie ressassée en boucle. Un grand-père secrétaire du Vlaams Nationaal Verbond (VNV) et collabo, un paternel, « Rik », ancien membre du Vlaamse Militanten Orde (groupuscule interdit en 1983), qui octroya à son bébé de deux jours (Bart) une carte de parti de la Volksunie2. Un loup ne fait pas de chiens ! Certes. Faut-il donc convenir d’engagements fatalement transmissibles ? Voire, d’éventuels fondements biologiques au prétendu racisme deweverien ? À moins d’embrasser la thèse d’un déterminisme génétique et d’une prédisposition innée à l’ethos fascisant, ces anecdotes familiales ne nous éclairent pas plus sur le software idéologique de cet historien de formation.
Dans ses écrits, Bart De Wever présente son idéal identitaire comme un savant dosage entre nationalisme ethnique et civique, un cocktail en réalité bien plus proche du répertoire « völkisch » que d’un racisme, même relativiste. Au cœur de cette conviction, le préfixe « Volk-» (que l’on retrouvait dans le nom de la défunte Volksunie). Un concept défendu par des philosophes et poètes allemands tels que Herder ou Hölderlin, postulant que chaque peuple, ou chaque nation, possède sa propre « âme » (le « Volksgeist »).
L’interlocuteur de De Wever n’est donc pas l’électeur raisonnable, mais le Volk – le peuple enraciné. Il pratique une psychopolitique qui s’adresse au Moi profond flamand, conforté dans ses propos par un « grondstroom » (le courant idéologique dominant de l’opinion flamande) se situant, selon ses dires, centrumrechts. Aussi, le Volk ne renvoie pas seulement au peuple, mais à un je-ne-sais-quoi de plus abstrait – un sentiment de communauté, un Wir-Gefühl (sentiment du nous3), symbole de cohésion sociétale.
Cet ancrage « völkisch » du discours permet également de mieux comprendre la représentation deweverienne du corps social. Derrière des évocations souvent hasardeuses (sur les Berbères, les t‑shirts « homo », etc.) se cache le rêve d’une société harmonieuse. Pour le néo-arrivant pétri de particularismes, la terre d’accueil se mue en terre d’écueils. Tout reste à faire pour lui.
De Wever pointe ainsi « le manque de mariages interculturels (comme il en existe […] entre Flamands et Wallons)», parlant d’une « ségrégation de fait ». À mille lieues de toute idée d’«accommodement raisonnable », il s’agit de « briser d’abord certains schémas culturels. Avec la carotte si l’on peut, avec le bâton s’il le faut4. »
« Dans mon approche du concept d’identité, des éléments aussi bien subjectifs qu’objectifs ont leur place. La volonté de former ensemble une communauté ne suffit pas ; des éléments ethnoculturels comme la langue, par exemple, jouent également un rôle important. Plus encore, la nation purement civique, n’existe pas selon moi. Le plébiscite de tous les jours, comme l’avait défini Ernest Renan, est une fiction5. »
Dans une autre chronique du Morgen datant de juin 2006, De Wever éreintait encore le « rêve illusoire de pouvoir lier entre elles toutes les libertés de la culture privée de chaque citoyen dans une même culture publique6. » Il ajoutait que « la meilleure voie, la voie la plus naturelle aussi, vers l’harmonie, est une assimilation silencieuse et continue. »
Dans cette Weltanschauung (vision du monde), les « communautés fermées » (volontairement amalgamées) – et, par extension, le communautarisme — représentent autant de freins à une conception organique du vivre ensemble. L’intégration ne se conçoit ici que sous forme de travail acharné (les « migrants asiatiques qui ne se plaignent pas ») ou en abandonnant son logiciel culturel originel pour se dissoudre dans l’humus « völkisch » local.
Raciste ? « Je ne crois pas ». Radicalement assimilationniste, surement.
- Gilles Vergnon, « Le “poing levé”, du rite soldatique au rite de masse. Jalons pour l’histoire d’un rite politique », Le Mouvement social, n° 212, vol. 3, 2005.
- Marcel Sel, Les secrets de Bart de Wever Editions de l’Arbre, 2011.
- Annette Treibel, « Le « sentiment du nous » en Allemagne », Revue européenne des migrations internationales, Vol. 10, n°2, 1994, p. 57 – 71.
- « La carotte si l’on peut, le bâton s’il le faut », De Morgen, 3 juillet 2006, dans Bart De Wever, Derrière le miroir, Le Cri édition, 2013, p. 61.
- « La Flandre n’est pas un bouclier contre l’étranger et le pauvre », De Morgen, 4 juin 2007, dans Bart De Wever, Derrière le miroir, Le Cri édition, 2013, p. 69.
- « Et si Allah n’était pas encore mort ? », De Morgen, 19 juin 2006, dans Bart De Wever, Derrière le miroir, Le Cri édition, 2013, p. 57.