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La musique Volk de Bart De Wever

Blog - Belgosphère - Belgique (België) immigration par Nicolas Baygert

mars 2015

En juin 2007, dans une chro­nique du Mor­gen, Bart De Wever annon­çait déjà la cou­leur, « en tant qu’amateur d’une saine polé­mique, je la pro­voque sou­vent ».  À la suite des récents pro­pos du lea­deur de la N‑VA sur les Ber­bères, la méca­nique de l’indignation a donc pu se remettre en marche. Sou­la­ge­ment sur les bancs de l’opposition ! […]

Belgosphère

En juin 2007, dans une chro­nique du Mor­gen, Bart De Wever annon­çait déjà la cou­leur, « en tant qu’amateur d’une saine polé­mique, je la pro­voque souvent ». 

À la suite des récents pro­pos du lea­deur de la N‑VA sur les Ber­bères, la méca­nique de l’indignation a donc pu se remettre en marche. Sou­la­ge­ment sur les bancs de l’opposition ! Un nou­vel os (à morale) à ron­ger « On com­mence par les Ber­bères, avant de s’attaquer aux Bruxel­lois et aux Wal­lons », pré­vient Fran­cis Del­pé­rée (CDH) lors d’une récente messe catho­dique domi­ni­cale. Raciste ? « Je le crois », tranche Lau­rette Onke­linx. Une nou­velle séquence s’ouvre pour les qua­ke­resses et pesh­mer­gas de l’antiracisme, nou­veau logi­ciel de sub­sti­tu­tion pour par­tis dési­déo­lo­gi­sés. Une oppo­si­tion pour­tant par­tiel­le­ment requin­quée depuis le coming out socia­liste de la FGTB et de Soli­da­ris, débou­chant sur trois poings levés, signe de fra­ter­ni­té dans une galère com­mune (un sym­bole, indique Gilles Ver­gnon1, appa­rais­sant la pre­mière fois en 1924 au sein du par­ti com­mu­niste alle­mand, le KPD, et plus pré­ci­sé­ment dans son orga­ni­sa­tion para­mi­li­taire, le RFB – Roter Frontkämp­fer-Bund – la « Ligue des com­bat­tants du front rouge »).

Bart De Wever « vit de ça, de cette volon­té de cho­quer, de pro­vo­quer, d’aviver les haines », ajoute Lau­rette Onke­linx. La pré­si­dente du groupe socia­liste à la Chambre et vice-pré­si­dente du PS n’a pas fon­da­men­ta­le­ment tort. Pour­tant, le pay­sage poli­ti­co-média­tique fran­co­phone ne sem­ble­rait tou­jours pas avoir com­pris que l’axe dia­bo­li­sa­tion-vic­ti­mi­sa­tion consti­tue l’essence même du moteur com­mu­ni­ca­tion­nel du bourg­mestre anver­sois, le car­bu­rant de son posi­tion­ne­ment anti­sys­tème. Une « stra­té­gie du coup d’éclat per­ma­nent ». La com­mu­ni­ca­tion cho­rale autour d’un « Bart-bashing » expia­toire ne fai­sant ici qu’alimenter le pro­ces­sus. « Nil novi sub sole » (rien de neuf sous le soleil).

« Nil novi sub sole » non plus au sujet du pédi­grée de l’intéressé. Une bio­gra­phie res­sas­sée en boucle. Un grand-père secré­taire du Vlaams Natio­naal Ver­bond (VNV) et col­la­bo, un pater­nel, « Rik », ancien membre du Vlaamse Mili­tan­ten Orde (grou­pus­cule inter­dit en 1983), qui octroya à son bébé de deux jours (Bart) une carte de par­ti de la Volk­su­nie2. Un loup ne fait pas de chiens ! Certes. Faut-il donc conve­nir d’engagements fata­le­ment trans­mis­sibles ? Voire, d’éventuels fon­de­ments bio­lo­giques au pré­ten­du racisme dewe­ve­rien ? À moins d’embrasser la thèse d’un déter­mi­nisme géné­tique et d’une pré­dis­po­si­tion innée à l’ethos fas­ci­sant, ces anec­dotes fami­liales ne nous éclairent pas plus sur le soft­ware idéo­lo­gique de cet his­to­rien de formation.

Dans ses écrits, Bart De Wever pré­sente son idéal iden­ti­taire comme un savant dosage entre natio­na­lisme eth­nique et civique, un cock­tail en réa­li­té bien plus proche du réper­toire « völ­kisch » que d’un racisme, même rela­ti­viste. Au cœur de cette convic­tion, le pré­fixe « Volk-» (que l’on retrou­vait dans le nom de la défunte Volk­su­nie). Un concept défen­du par des phi­lo­sophes et poètes alle­mands tels que Her­der ou Höl­der­lin, pos­tu­lant que chaque peuple, ou chaque nation, pos­sède sa propre « âme » (le « Volks­geist »).

L’interlocuteur de De Wever n’est donc pas l’électeur rai­son­nable, mais le Volk – le peuple enra­ci­né. Il pra­tique une psy­cho­po­li­tique qui s’adresse au Moi pro­fond fla­mand, confor­té dans ses pro­pos par un « grond­stroom » (le cou­rant idéo­lo­gique domi­nant de l’opinion fla­mande) se situant, selon ses dires, cen­trum­rechts. Aus­si, le Volk ne ren­voie pas seule­ment au peuple, mais à un je-ne-sais-quoi de plus abs­trait – un sen­ti­ment de com­mu­nau­té, un Wir-Gefühl (sen­ti­ment du nous3), sym­bole de cohé­sion sociétale.

Cet ancrage « völ­kisch » du dis­cours per­met éga­le­ment de mieux com­prendre la repré­sen­ta­tion dewe­ve­rienne du corps social. Der­rière des évo­ca­tions sou­vent hasar­deuses (sur les Ber­bères, les t‑shirts « homo », etc.) se cache le rêve d’une socié­té har­mo­nieuse. Pour le néo-arri­vant pétri de par­ti­cu­la­rismes, la terre d’accueil se mue en terre d’écueils. Tout reste à faire pour lui.

De Wever pointe ain­si « le manque de mariages inter­cul­tu­rels (comme il en existe […] entre Fla­mands et Wal­lons)», par­lant d’une « ségré­ga­tion de fait ». À mille lieues de toute idée d’«accommodement rai­son­nable », il s’agit de « bri­ser d’abord cer­tains sché­mas cultu­rels. Avec la carotte si l’on peut, avec le bâton s’il le faut4. »

« Dans mon approche du concept d’identité, des élé­ments aus­si bien sub­jec­tifs qu’objectifs ont leur place. La volon­té de for­mer ensemble une com­mu­nau­té ne suf­fit pas ; des élé­ments eth­no­cul­tu­rels comme la langue, par exemple, jouent éga­le­ment un rôle impor­tant. Plus encore, la nation pure­ment civique, n’existe pas selon moi. Le plé­bis­cite de tous les jours, comme l’avait défi­ni Ernest Renan, est une fic­tion5. »

Dans une autre chro­nique du Mor­gen datant de juin 2006, De Wever érein­tait encore le « rêve illu­soire de pou­voir lier entre elles toutes les liber­tés de la culture pri­vée de chaque citoyen dans une même culture publique6. » Il ajou­tait que « la meilleure voie, la voie la plus natu­relle aus­si, vers l’harmonie, est une assi­mi­la­tion silen­cieuse et continue. »

Dans cette Wel­tan­schauung (vision du monde), les « com­mu­nau­tés fer­mées » (volon­tai­re­ment amal­ga­mées) – et, par exten­sion, le com­mu­nau­ta­risme — repré­sentent autant de freins à une concep­tion orga­nique du vivre ensemble. L’intégration ne se conçoit ici que sous forme de tra­vail achar­né (les « migrants asia­tiques qui ne se plaignent pas ») ou en aban­don­nant son logi­ciel cultu­rel ori­gi­nel pour se dis­soudre dans l’humus « völ­kisch » local.

Raciste ? « Je ne crois pas ». Radi­ca­le­ment assi­mi­la­tion­niste, surement.

  1. Gilles Ver­gnon, « Le “poing levé”, du rite sol­da­tique au rite de masse. Jalons pour l’histoire d’un rite poli­tique », Le Mou­ve­ment social, n° 212, vol. 3, 2005.
  2. Mar­cel Sel, Les secrets de Bart de Wever Edi­tions de l’Arbre, 2011.
  3. Annette Trei­bel, « Le « sen­ti­ment du nous » en Alle­magne », Revue euro­péenne des migra­tions inter­na­tio­nales, Vol. 10, n°2, 1994, p. 57 – 71.
  4. « La carotte si l’on peut, le bâton s’il le faut », De Mor­gen, 3 juillet 2006, dans Bart De Wever, Der­rière le miroir, Le Cri édi­tion, 2013, p. 61.
  5. « La Flandre n’est pas un bou­clier contre l’étranger et le pauvre », De Mor­gen, 4 juin 2007, dans Bart De Wever, Der­rière le miroir, Le Cri édi­tion, 2013, p. 69.
  6. « Et si Allah n’était pas encore mort ? », De Mor­gen, 19 juin 2006, dans Bart De Wever, Der­rière le miroir, Le Cri édi­tion, 2013, p. 57.

Nicolas Baygert


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