Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

La Grèce, la presse et les allumettes

Blog - e-Mois par Andréa Leloy

mars 2015

Avez-vous sui­vi la crise grecque par le biais des médias ? Si oui, vous savez sans doute que la « rock star » Yanis Varou­fa­kis a fait un doigt d’honneur à l’Allemagne (ou peut-être pas, en fait), qu’il a posé avec sa femme pour Paris Match en déclen­chant l’hilarité des « Twit­tos », qu’il a évo­qué la pos­si­bi­li­té d’un réfé­ren­dum, voire d’élections, si ses […]

e-Mois

Avez-vous sui­vi la crise grecque par le biais des médias ? Si oui, vous savez sans doute que la « rock star » Yanis Varou­fa­kis a fait un doigt d’honneur à l’Allemagne (ou peut-être pas, en fait), qu’il a posé avec sa femme pour Paris Match en déclen­chant l’hilarité des « Twit­tos », qu’il a évo­qué la pos­si­bi­li­té d’un réfé­ren­dum, voire d’élections, si ses réformes étaient reje­tées par ses col­lègues de la zone euro.

Col­lègues ? Oui, parce que Yanis Varou­fa­kis n’est pas vrai­ment une rock star. Dans la vie réelle, après avoir été pro­fes­seur d’économie diplô­mé de Cam­bridge, Yanis Varou­fa­kis occupe un poste clé dans le nou­veau gou­ver­ne­ment de gauche radi­cale en Grèce : celui de ministre des Finances. Soit celui qui doit gérer les consé­quences d’une dette publique esti­mée à 320 mil­liards d’euros (175% du PIB grec envi­ron) et les contacts avec ses homo­logues euro­péens et les bailleurs de fonds de la Grèce. Il a vite com­pris aus­si qu’il aurait à gérer la com­mu­ni­ca­tion avec la presse.

Ses brie­fings, don­nés dans la fou­lée des réunions des ministres des Finances de la zone euro, sont de petits bijoux de péda­go­gie et de patience. Son style tranche avec ce à quoi les diri­geants euro­péens avaient habi­tué les jour­na­listes : son lan­gage est direct, il prend le temps d’accueillir toutes les ques­tions — en grec ou en anglais — et y répond sans (trop) de détours. Alors que d’autres font des inter­ven­tions cali­brées et répondent de manière iden­tique à deux ou trois ques­tions, ses confé­rences de presse durent par­fois jusqu’à cin­quante minutes. Dont une bonne par­tie est cepen­dant consa­crée à cor­ri­ger la vision des jour­na­listes, à démen­tir avoir tenu cer­tains pro­pos, à recen­trer le débat. 

Il répète inlas­sa­ble­ment que son gou­ver­ne­ment hono­re­ra les enga­ge­ments pris par la Grèce auprès de ses créan­ciers, et qu’il n’est pas ques­tion de ces­ser les paie­ments, mais la ques­tion revient en boucle, par­fois for­mu­lée dif­fé­rem­ment. Les par­te­naires euro­péens de la Grèce, Alle­magne en tête, répètent à l’envi que la Grèce doit res­pec­ter ses enga­ge­ments, sans que l’on sache réel­le­ment s’ils tapent sur un clou com­mode ou sont à chaque fois sol­li­ci­tés à ce sujet par les médias. Un peu des deux, sans doute.

Le scé­na­rio a des airs de déjà-vu quand Yanis Varou­fa­kis doit, la fois sui­vante, expli­quer que, non, il n’envisage pas concrè­te­ment de deman­der l’organisation d’un réfé­ren­dum ou d’élections en Grèce, qu’il n’a fait que répondre à une ques­tion hypo­thé­tique d’un jour­na­liste ita­lien qui le pres­sait de s’exécuter (« Et si, fina­le­ment, l’ensemble de vos pro­po­si­tions de réformes était reje­té par l’Eurogroupe, que feriez-vous ? »), et que c’est pré­ci­sé­ment cet élé­ment de réponse qui a été mis en exergue. L’effet est désas­treux : non seule­ment les jour­na­listes n’aiment pas trop — et c’est par­fois un euphé­misme — qu’on remette leur tra­vail ou leurs com­pé­tences en cause, mais le ministre donne l’impression de ne pas maî­tri­ser sa com­mu­ni­ca­tion. De plus en plus, on l’accuse en outre de tenir un double dis­cours, conci­liant dans les cercles euro­péens, plus dur devant sa population.

Tous ces pseu­do-débats génèrent un brou­ha­ha per­pé­tuel au milieu duquel il est dif­fi­cile de se concen­trer sur l’essentiel : la liste de réformes que le gou­ver­ne­ment grec va devoir sou­mettre à la zone euro selon un timing assez ser­ré. Décro­ché le 20 février, moins d’un mois après l’installation du nou­veau gou­ver­ne­ment grec, l’accord pré­voit en effet que cette liste « appro­fon­die » doit être sou­mise et approu­vée pour la fin avril. 

On sait que la mise en oeuvre des dis­cus­sions est labo­rieuse, notam­ment parce que les Grecs rechignent à lais­ser les fonc­tion­naires de ce qu’on ne peut plus appe­ler la Troï­ka entrer dans leurs minis­tères pour éva­luer au plus près la situa­tion finan­cière du pays. Les par­te­naires euro­péens s’impatientent, rap­pellent qu’on perd du temps, qu’une solu­tion sera de plus en plus dif­fi­cile à trou­ver à mesure que les jours passent. La presse relaie. Et sort des repor­tages fra­cas­sants. Sur la situa­tion quo­ti­dienne des Grecs ? Que nen­ni ! Yanis Varou­fa­kis et sa femme par­ta­geant une salade sur leur ter­rasse, face au Par­thé­non. Yanis Varou­fa­kis inter­ro­gé par la télé alle­mande sur le doigt d’honneur qu’il aurait adres­sé à l’Allemagne. Et la petite musique aigre­lette des polé­miques reprend. La situa­tion, déjà ten­due, vire à l’explosif. Et on n’a tou­jours pas par­lé du quo­ti­dien des Grecs, ou de la rai­son des réti­cences à voir des fonc­tion­naires inter­na­tio­naux inves­tir les ministères.

Il y aurait pour­tant à dire, sur le trau­ma­tisme qu’a dû lais­ser la méthode de tra­vail de la Troï­ka, cette incar­na­tion de l’austérité qui asphyxie une par­tie de la popu­la­tion grecque. Un excellent repor­tage, réa­li­sé – c’est un détail impor­tant – par un Alle­mand, met en lumière le fonc­tion­ne­ment de la Troï­ka et per­met de com­prendre que le nou­veau gou­ver­ne­ment grec ne soit pas enclin à lui lais­ser les clés de ses minis­tères, quel que soit le nom qu’on lui donne désor­mais1. De cela, très peu parlent. Des jour­na­listes voient même dans la tem­po­ri­sa­tion grecque une volon­té de reve­nir sur les accords conclus fin février. Peu misent sur une réus­site des Grecs.

Si la Grèce échoue, si elle doit se résoudre à une nou­velle per­fu­sion euro­péenne sous la forme d’un nou­veau plan d’aide, ou si elle doit sor­tir de la zone euro, les diri­geants grecs, et Yanis Varou­fa­kis par­mi les pre­miers, auront une part de res­pon­sa­bi­li­té, notam­ment par les mal­adresses com­mises en matière de com­mu­ni­ca­tion. Leurs par­te­naires euro­péens par­ta­ge­ront cette res­pon­sa­bi­li­té, en n’ayant pas mon­tré une man­sué­tude folle ni une patience d’ange.

Mais les médias ne devraient pas se dis­pen­ser d’une introspection.

Car en ali­men­tant la machine à buzz, en tra­quant la petite phrase et contri­buant à aug­men­ter la ten­sion et l’exaspération entre les dif­fé­rents acteurs du dos­sier grec, les jour­na­listes agissent comme de joyeux enfants jouant avec des allu­mettes à côté d’un bidon d’essence et un tas de bois sec.

  1. L’acronyme Ifkat – Ins­ti­tu­tions for­mer­ly known as Troï­ka – a vite fait son apparition.

Andréa Leloy


Auteur