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La globalisation sur le divan

Blog - Le dessus des cartes par Bernard De Backer

juin 2017

Les obs­tacles à la dif­fu­sion de la psy­cha­na­lyse dans d’autres aires cultu­relles que la nôtre nous en apprennent peut-être autant sur la contin­gence his­to­rique de l’in­ven­tion freu­dienne que sur la place de l’individu et de ses troubles dans des socié­tés non-occi­­den­­tales. Dans une pre­mière approche, c’est la glo­ba­li­sa­tion comme pro­ces­sus d’individualisation et d’autonomisation qui semble révéler […]

Le dessus des cartes

Les obs­tacles à la dif­fu­sion de la psy­cha­na­lyse dans d’autres aires cultu­relles que la nôtre nous en apprennent peut-être autant sur la contin­gence his­to­rique de l’in­ven­tion freu­dienne que sur la place de l’individu et de ses troubles dans des socié­tés non-occi­den­tales. Dans une pre­mière approche, c’est la glo­ba­li­sa­tion comme pro­ces­sus d’individualisation et d’autonomisation qui semble révé­ler cer­tains de ses des­sous au tra­vers du prisme de la psy­cha­na­lyse. Mais à y regar­der de plus près, c’est le freu­disme lui-même qui se trouve sur le divan de la glo­ba­li­sa­tion comme sécu­la­ri­sa­tion du divin.

« Quoi qu’il en soit, la psy­cha­na­lyse que j’ai vue, au cours de ma longue exis­tence, se répandre dans tous les pays, n’a nulle part trou­vé de “foyer” plus pro­pice pour elle que la ville où elle est née et où elle a grandi. »

Sig­mund Freud, Moïse et le Mono­théisme (1938)

La ques­tion de l’universalité du freu­disme, comme cli­nique du sujet indi­vi­duel et comme para­digme inter­pré­ta­tif de la psy­ché humaine et de ses troubles, est ancienne. Freud, dès l’origine, sou­hai­tait se démar­quer de la per­cep­tion de la psy­cha­na­lyse comme « science juive ». Les pre­miers dis­ciples de Freud étaient presque tous juifs (c’é­tait aus­si le cas de ses patients1); les liens entre la psy­cha­na­lyse et le Tal­mud ou la mys­tique juive, dont la Kab­bale, ont sou­vent été ana­ly­sés ou pos­tu­lés2, ain­si que le décrypte l’ouvrage pion­nier de David Bak­kan, Freud et la tra­di­tion mys­tique juive (1958). C’est une des rai­sons du choix de Freud – qui débou­che­ra sur un échec – du psy­chiatre « Gen­til » Carl Gus­tav Jung pour dau­phin. Une Inter­na­tio­nale psy­cho­ana­ly­tische Verei­ni­gung (IPV), fut rapi­de­ment fon­dée (1910) et Jung en fut le pre­mier pré­sident. Elle subit ensuite diverses scis­sions, mais qui eurent éga­le­ment une voca­tion uni­ver­selle. Ce qui n’empêche que la pro­por­tion éle­vée des per­sonnes d’origine juive au sein des écoles psy­cha­na­ly­tiques est un fait de per­cep­tion com­mune, à défaut d’une don­née sta­tis­tique. Par ailleurs, un ana­lyste comme Jacques Lacan a plu­sieurs fois fait réfé­rence dans ses sémi­naires à la Kab­bale et à l’un de ses repré­sen­tants, Elie Bena­mo­zegh3. Selon le psy­cha­na­lyste Gérard Had­dad, « … la tech­nique psy­cha­na­ly­tique, cet art de lire dans le dis­cours du patient, n’était, étran­ge­ment, que le retour mas­sif de l’antique Midrash4 juif, renié, incom­pris même par­mi les Juifs « éclai­rés », reve­nant dans le sillage du méde­cin vien­nois labou­rer, secouer dans son tré­fonds toute pen­sée moderne sur l’homme. »5

Que Freud se soit défi­ni comme un Juif athée n’oblitère en effet pas l’influence reli­gieuse. Comme l’écrivait Alain Besan­çon6 dans son compte-ren­du de Freud et la tra­di­tion mys­tique juive : « Le livre de Bak­kan invite à recher­cher – ce qui ne paraît pas hors de por­tée de la psy­cha­na­lyse – com­ment la psy­ché indi­vi­duelle est façon­née par l’e­thos reli­gieux, com­ment cet ethos se trans­met à un niveau sous-conscient, de parents à enfants, indé­pen­dam­ment de la croyance et de la pra­tique reli­gieuse, peut-être à tra­vers plu­sieurs géné­ra­tions d’a­théisme affir­mé. Autre­ment dit, Bak­kan porte à réflé­chir à ce que signi­fie au juste en psy­cho­lo­gie le fait d’être juif, catho­lique ou pro­tes­tant. Et si cette ques­tion trouve réponse, s’é­clai­re­ra le phé­no­mène, déjà obser­vé par l’his­to­rien, qu’un ins­ti­tu­teur fran­çais de tra­di­tion laïque peut se com­por­ter comme un jan­sé­niste, un bol­che­vik comme l’ar­chi­prêtre Avva­kum et qu’il arrive à un savant posi­ti­viste comme Freud de se sou­ve­nir, en écri­vant, du Zohar [livre majeur de la Kab­bale, consti­tuant une exé­gèse éso­té­rique de la Torah] qu’il n’a jamais lu. » Pré­ci­sons que, selon David Bak­kan, Freud aurait « joué » la mys­tique juive contre le judaïsme de la Loi rab­bi­nique – la pre­mière étant selon lui une adap­ta­tion du judaïsme à la moder­ni­té occidentale.

Du divin au divan

Ce pré­am­bule pour signi­fier qu’une théo­rie du sujet humain et un mou­ve­ment mili­tant comme la psy­cha­na­lyse ne sont évi­dem­ment pas indé­pen­dants du bain cultu­rel qui les a vu naître : celui de l’émergence de l’individu moderne et de la tra­di­tion juive. Vienne est pré­ci­sé­ment le lieu de ren­contre com­plexe de ces deux fac­teurs, la capi­tale de l’Empire aus­tro-hon­grois étant à l’avant-garde de la moder­ni­té euro­péenne à la fin du XIXe siècle et les parents de Freud venant des milieux has­si­diques de Gali­cie (Ukraine actuelle). De là à avan­cer que les désar­rois du sujet moderne, suite, notam­ment, au retrait des repères tra­di­tion­nels dans le champ de la famille et de l’intimité sub­jec­tive, aient trou­vé remède dans une tra­di­tion reli­gieuse « exo­tique » revi­si­tée, il y a plus qu’une hypo­thèse. Après tout, n’est-ce pas ce qui se passe éga­le­ment avec la pra­tique du yoga, de la médi­ta­tion boud­dhique ou du cha­ma­nisme en Occi­dent ? Et Lacan ne s’est-il pas lui-même com­pa­ré à un « maître zen » ? Ce n’est en effet pas la pre­mière fois qu’un pro­jet moderne, comme la mou­vance du déve­lop­pe­ment per­son­nel, puise ses res­sources dans des dis­cours et des pra­tiques religieuses.

Ce qui signi­fie­rait trois choses : la pre­mière, que la psy­cha­na­lyse serait une for­ma­tion de com­pro­mis (au sens freu­dien !) entre tra­di­tion reli­gieuse et moder­ni­té ; la seconde, que la sécu­la­ri­sa­tion crois­sante de nos socié­tés vien­drait en quelque sorte décré­di­bi­li­ser la part d’hétéronomie reli­gieuse de la psy­cha­na­lyse ; et, la troi­sième, que le freu­disme pour­rait se déve­lop­per davan­tage dans des régions du monde qui connaissent une tran­si­tion vers l’individualisme moderne, avec les « désar­rois du sujet » associés. 

De manière cocasse et révé­la­trice, un ouvrage récent de Pas­cale Has­soun, Un dra­gon sur le divan. Chro­nique d’une psy­cha­na­lyste en Chine (Édi­tions érès, 2017), com­mence par cette phrase : « Mes bibles freu­dienne et laca­nienne à la main, je suis par­tie en 2003 évan­gé­li­ser la Chine avec un enthou­siasme cer­tain ». Ce à quoi répond, un peu plus loin, cette anec­dote : « Au cours du repas fes­tif qui conclut chaque for­ma­tion, une autre consul­tante [chi­noise] me fit remar­quer que la psy­cha­na­lyse était pour moi comme une reli­gion. Là je prends un autre coup – même si je lui réponds qu’il ne s’agit pas de reli­gion mais de pas­sion. » Nous revien­drons sur cette rela­tion — au sens de « rela­tion mis­sion­naire » — très sen­sible et ins­truc­tive d’une psy­cha­na­lyste fran­çaise en Chine.

Dans un registre proche, un auteur et psy­cha­na­lyste comme Michel Tort7 pointe la dimen­sion abra­ha­mique du freu­disme, notam­ment autour de la ques­tion du père, en iro­ni­sant sur « la Bible freu­dienne » et « le Nou­veau Tes­ta­ment laca­nien ». Pour lui, une bonne part des théo­ries freu­diennes de la fonc­tion pater­nelle est en effet « ven­tri­loque de la tra­di­tion reli­gieuse mono­théiste ». Ce n’est dès lors pas un hasard si le laca­nisme se déve­loppe par­ti­cu­liè­re­ment sur les « terres de la contre-réforme » catho­lique. Il sou­ligne éga­le­ment, en écho aux ori­gines juives de la psy­cha­na­lyse, que les « obs­cures forces affec­tives » qui reliaient un Freud athée au judaïsme furent sans doute, le vec­teur prin­ci­pal de la « relance du culte pater­nel » dans et par la psy­cha­na­lyse. Sans ren­trer dans les détails de ces entre­lacs para­doxa­le­ment reli­gieux d’une théo­rie qui qua­li­fiait, sous la plume de son fon­da­teur, la reli­gion d’illu­sion 8, force est de consta­ter que ce fait est attes­té par de nom­breux auteurs, sou­vent psy­cha­na­lystes eux-mêmes. D’autres, plus cri­tiques et exté­rieurs au monde de la psy­cha­na­lyse, n’ont pas hési­té à qua­li­fier cer­tains groupes freu­diens de « sectes », et cela dès les ori­gines du mou­ve­ment freudien. 

Nous n’entrons pas ici dans ce débat et ces polé­miques9, notre sujet étant sim­ple­ment de poin­ter la filia­tion hété­ro­nome du freu­disme, soit l’idée que l’homme est habi­té et gui­dé par un démon inté­rieur, une « exti­mi­té » qui agit de manière voi­lée. Cette der­nière se mani­fes­te­rait dans les pro­duc­tions de l’inconscient, notam­ment les symp­tômes et les rêves — « voie royale » d’accès à l’inconscient selon Freud. Il en résulte que la « gué­ri­son » ou la « levée » des symp­tômes dont souffre le sujet, passe par la mise à jour de leurs causes incons­cientes, ceci par le tru­che­ment de per­sonnes sup­po­sées connaître leurs réa­li­tés et leurs méca­nismes — et aus­si capables de s’offrir, par cette sup­po­si­tion, comme sup­port aux pas­sions asso­ciées à ce dévoi­le­ment. Ces « ini­tiés », que sont d’une cer­taine manière les psy­cha­na­lystes, se réunis­sant par ailleurs dans des col­lec­tifs ou écoles struc­tu­rés de manière pyra­mi­dale autour d’un « maître » en posi­tion d’exception, au sein des­quels il se réunissent dans des groupes de tra­vail qui consistent notam­ment à étu­dier les textes fon­da­teurs. Ajou­tons que la cure ana­ly­tique étant « infi­nie »10, les patients-ana­ly­sants per­sé­vé­rants n’au­raient par­fois pas d’autre « choix » que de deve­nir ana­lystes eux-mêmes, ce qui serait, selon cer­tains, la meilleure façon de ne pas ter­mi­ner leur ana­lyse11. Par ailleurs, de nom­breux « hommes de foi » sont deve­nus ana­lystes, sans par­ler des adeptes de la reli­gion sécu­lière col­lec­tive qu’a été le mar­xisme-léni­nisme, sous diverses formes. Telle est l’image idéal­ty­pique du freu­disme comme psy­cho­re­li­gion sécu­lière, dans sa théo­rie et sa pra­tique, la réa­li­té étant bien enten­du plus com­plexe et mou­vante. Les évo­lu­tions actuelles, menant vers une « laï­ci­sa­tion de la psy­cha­na­lyse », tendent en effet à estom­per la dimen­sion para-reli­gieuse. Mais ce n’est sans doute pas sans reste.

Résistances, expansions, reculs

Dif­fé­rents phé­no­mènes récents, comme le déclin rela­tif de la psy­cha­na­lyse dans les pays occi­den­taux12 et les ten­ta­tives d’exportation du freu­disme dans des « terres de mis­sions » (comme l’Amérique latine, l’Europe orien­tale ou la Chine) invitent à repen­ser la ques­tion du freu­disme à l’é­preuve de la mon­dia­li­sa­tion en asso­ciant le déclin et l’expansion comme les deux faces d’une même médaille. Nous connais­sons d’autres formes spec­ta­cu­laires de déclin-expan­sion, comme celui de l’Église catho­lique qui recule en Europe occi­den­tale, renaît dans les anciens « pays de l’Est » post-com­mu­nistes ou se déve­loppe en Afrique ou en Asie  — au point de voir des curés afri­cains ou polo­nais ten­ter de rechris­tia­ni­ser les vil­lages européens. 

Si nous accor­dons quelque cré­dit à la thèse gau­che­tienne de la mon­dia­li­sa­tion comme « mon­dia­li­sa­tion de la sor­tie de la reli­gion »13, ce pro­ces­sus entraîne avec lui – outre des réac­ti­va­tions fon­da­men­ta­listes dans le monde musul­man, hin­douiste ou ortho­doxe – une pro­fonde trans­for­ma­tion de « l’établissement social-humain », pas­sant notam­ment par l’individualisation de la socié­té et l’impératif social d’autonomie. La ques­tion de la sub­jec­ti­vi­té indi­vi­duelle devient dès lors une pro­blé­ma­tique cen­trale, d’autant que l’individu moderne appa­raît plus fra­gile que l’individu incor­po­ré des socié­tés tra­di­tion­nelles, ce der­nier étant « tenu de l’extérieur » et pas sup­po­sé savoir « se tenir de l’intérieur ». Ain­si, outre les appuis socioé­co­no­miques et légaux qui étayent l’individu moderne14, le déve­lop­pe­ment du « champ psy », autant sur le ver­sant de “l’offre” que sur celui de la “demande”, semble inti­me­ment lié à l’injonction et au désir d’être « l’entrepreneur de sa propre vie », ain­si qu’aux désar­rois associés. 

Sans ver­ser dans un méca­ni­cisme sim­pliste qui ne tien­drait pas compte des sin­gu­la­ri­tés his­to­riques et des tra­di­tions reli­gieuses extra-occi­den­tales, on peut rai­son­na­ble­ment sup­po­ser que la moder­ni­sa­tion de socié­tés struc­tu­rées par la tra­di­tion induit une phé­no­mène d’individualisation et une crois­sance du « champ psy » (dif­fé­rent des pra­tiques reli­gieuses). Dans cer­tains cas, des « mis­sion­naires freu­diens » (ou d’autres para­digmes psy, que nous ne déve­lop­pons pas ici) peuvent se trou­ver dans la situa­tion com­plexe de déve­lop­per une « offre » thé­ra­peu­tique dans un espace cultu­rel inédit, avec éven­tuel­le­ment d’autres « demandes » que celles atten­dues ou espé­rées. L’inverse est bien enten­du éga­le­ment vrai, comme le montre l’exemple du Pakis­ta­nais Masud Khan, deve­nu un ana­lyste majeur en Angle­terre, mais en y impor­tant son habi­tus de « grand sei­gneur » du sous-conti­nent indien – ce qui n’ira pas sans dégâts15.

Mauvais œil et bonne oreille

Cette ten­ta­tive de dif­fu­sion de la psy­cha­na­lyse ren­contre des obs­tacles majeurs, comme le montre Ali Aouat­tah pour le monde ara­bo-musul­man. L’auteur cite, en intro­duc­tion d’un article très éclai­rant 16, une enquête du jour­nal Le Monde publiée dans la fou­lée des États géné­raux de la psy­cha­na­lyse, en juillet 2000 à Paris : « Née il y a plus d’un siècle dans le vieil empire aus­tro-hon­grois, la psy­cha­na­lyse a bou­le­ver­sé les pra­tiques médi­cales en pla­çant le sujet et la parole au centre (…) Alors qu’elle donne l’impression d’être par­tout en Europe (…) elle ne semble pas avoir englo­bé (…) les autres aires cultu­relles. (…) Elle est res­tée euro­péenne, dans la mesure ou elle est pra­ti­que­ment incon­nue en Afrique et dans les pays ara­bo-musul­mans, inexis­tante en Chine, embryon­naire en Médi­ter­ra­née, mais en déclin sen­sible aux États-Unis sous la pres­sion des neu­ros­ciences et des thé­ra­pies cog­ni­ti­vo-com­por­te­men­tales. En Rus­sie, comme dans les pays de l’ex-Europe de l’Est, où l’idéologie pav­lo­vienne a régné sans par­tage pen­dant un demi-siècle, le réveil est très lent. Le seul endroit où elle pros­père, en dehors de l’Europe, est l’Amérique du Sud où les pre­mières géné­ra­tions de psy­cha­na­lystes se sont mas­si­ve­ment ins­tal­lées. Se vou­lant uni­ver­selle, elle a du mal à fran­chir les fron­tières. » Notons que, depuis lors, la psy­cha­na­lyse a per­du sa posi­tion domi­nante en Europe (dans les pays catho­liques — sa pré­sence dans le monde pro­tes­tant étant plus faible), comme l’analyse S. Lézé dans L’autorité des psy­cha­na­lystes (2010).

Du côté du monde ara­bo-musul­man, Ali Aouat­tah détaille les « résis­tances à la pra­tique psy­cha­na­ly­tique ». Le pre­mier fac­teur est le fait que « la nais­sance et le déve­lop­pe­ment de la psy­cha­na­lyse sont étroi­te­ment liés à l’émergence d’un monde fon­dé sur la science (…) Or, le sujet de la science n’a pas encore vrai­ment émer­gé dans le monde ara­bo-musul­man, qui reste très atta­ché à la tra­di­tion et for­te­ment assu­jet­ti à la reli­gion. Ce qui règne dans le monde arabe, ce n’est pas l’esprit scien­ti­fique, mais l’esprit reli­gieux. » L’auteur pré­cise : « S’agissant des socié­tés ara­bo-musul­manes, elles semblent avoir déve­lop­pé un sys­tème d’interprétation confor­mé­ment à des repré­sen­ta­tions cultu­relles tra­di­tion­nelles. Le dis­cours tra­di­tion­nel arabe pro­pose en effet plu­sieurs modèles expli­ca­tifs des désordres psy­chiques, modèles qui vont de l’atteinte par les esprits (djinns) aux effets néfastes de la sor­cel­le­rie (sihr) en pas­sant par ceux de mau­vais œil (ayn), de la malé­dic­tion, etc. » 

Une autre dimen­sion est la « liber­té de parole », la psy­cha­na­lyse opé­rant sur la base de l’association libre du patient. Or, sou­ligne l’auteur « il va sans dire qu’un tel pro­cé­dé exige, pour qu’il puisse se dérou­ler, un contexte sécu­ri­sant. Parce que son exer­cice sup­pose qu’on accepte un cer­tain type de parole, de liber­té de parole, la psy­cha­na­lyse ne peut s’incarner sans l’existence d’un État de droit et d’un envi­ron­ne­ment démo­cra­tique, et ne peut se déve­lop­per dans un pays où règne la répres­sion et la ter­reur sub­jec­tive. » Ensuite, le « tabou de la sexua­li­té » est évi­dem­ment un obs­tacle majeur au déve­lop­pe­ment de la psy­cha­na­lyse. Il est donc dif­fi­cile, voire impos­sible, de « conce­voir la pos­si­bi­li­té d’une cli­nique psy­cha­na­ly­tique (…) à par­tir de ce constat d’une sexua­li­té taboui­sée et cade­nas­sée par un ensemble de règles morales fort contraignantes (…) » 

Enfin, la psy­cha­na­lyse s’adresse à l’individu comme sujet qui se per­çoit comme acteur de sa propre his­toire17 Dès lors, « les condi­tions cultu­relles qui ont per­mis la nais­sance de la psy­cha­na­lyse en Occi­dent » sont celles « qui ont per­mis l’éclosion de la notion d’individu et de sub­jec­ti­vi­té. » La pré­gnance de la dimen­sion com­mu­nau­taire est un des fac­teurs asso­ciés qui empêchent l’émergence de l’individu.

Ces fac­teurs rapi­de­ment esquis­sés — nous ren­voyons à l’article d’Ali Aouat­tah, fouillé et docu­men­té, pour plus de détails — nous montrent, à par­tir du cas ara­bo-musul­man et de ses spé­ci­fi­ci­tés reli­gieuses, com­bien la psy­cha­na­lyse (ou toute autre mode de « tra­vail sur soi », de libre asso­cia­tion et indi­vi­duel) est tri­bu­taire de la « sor­tie de la reli­gion », et de toutes les pro­fondes trans­for­ma­tions sociales, cultu­relles et poli­tiques asso­ciées. Le livre de P. Has­soun cité plus haut, Un dra­gon sur le divan. Chro­nique d’une psy­cha­na­lyste en Chine, nous per­met un autre éclai­rage à par­tir de la situa­tion chi­noise contem­po­raine. Soit un uni­vers cultu­rel dif­fé­rent, mar­qué non pas par un mono­théisme abra­ha­mique tel que l’islam, mais par le confu­cia­nisme, le taoïsme et les consé­quences du communisme.

Ciel, mes Ancêtres

Pas­cale Has­soun, ses « bibles freu­dienne et laca­nienne à la main » est donc « par­tie en 2003 évan­gé­li­ser la Chine avec un enthou­siasme cer­tain ». C’est dès lors le bilan d’une bonne dizaine d’années qu’elle nous raconte dans son livre-témoi­gnage. De manière ins­truc­tive, l’auteure emploie constam­ment le terme de « trans­mis­sion » pour qua­li­fier l’introduction de la psy­cha­na­lyse en Chine, alors que cette expres­sion sup­pose une paren­té cultu­relle et une hié­rar­chie entre ceux qui trans­mettent et ceux qui recueillent. Les parents trans­mettent aux enfants, les maîtres aux dis­ciples, les pro­fes­seurs aux élèves. Or, le cas de la Chine est bien celui d’une absence de paren­té cultu­relle et freu­dienne, en dehors d’une brève période dans les années 1920 – 1930, dans un pays qui, par ailleurs, accorde une grande impor­tance à la paren­té et la pié­té fami­liale. Ce fait, par­mi quelques autres (comme la sur­prise, lors d’un pre­mier repas en Chine, de consta­ter que la « fon­due chi­noise » n’est pas une « fon­due savoyarde »), donne l’impression d’un défaut de per­cep­tion de la dif­fé­rence des uni­vers cultu­rels. Ou, plus tard, de leur rava­le­ment sur « la culture chi­noise » et « la culture fran­çaise », les deux cultures appa­rais­sant comme des enti­tés plus ou moins intan­gibles dont les res­sorts pro­fonds, notam­ment les dimen­sions hété­ro­nome, hié­rar­chique et holiste (pri­mat du col­lec­tif sur l’individu, selon Louis Dumont), ne nous semblent pas ana­ly­sés à leur juste niveau. 

La psy­cha­na­lyste-mis­sion­naire per­çoit rapi­de­ment les mal­en­ten­dus et les qui­pro­quos inévi­tables dans ce genre de situa­tion. Son point d’attache est la ville de Cheng­du, dans le Sichuan, où un psy­cha­na­lyste chi­nois, Huo Datong, for­mé à Paris, a créé le « Centre psy­cha­na­ly­tique de Cheng­du » (CPC) et enseigne à l’université du Sichuan. Elle fait des séjours régu­liers au sein de cette uni­ver­si­té en com­pa­gnie d’autres Fran­çais, et tra­vaille avec des inter­prètes, ne maî­tri­sant pas elle-même le chi­nois. Sans entrer dans les détails de ce témoi­gnage cen­tré sur la cli­nique des enfants, la super­vi­sion de jeunes ana­lystes et les dyna­miques inter­per­son­nelles, on peut poin­ter des dif­fi­cul­tés appa­rem­ment dif­fé­rentes, mais struc­tu­rel­le­ment simi­laires à celles détaillées par Ali Aouattah. 

Si « la reli­gion » y est d’une autre nature que le mono­théisme isla­mique, et que les tra­di­tions reli­gieuses chi­noises ont souf­fert du maoïsme18, la socié­té appa­raît encore for­te­ment impré­gnée par le culte des ancêtres, la hié­rar­chie fami­liale et le faible déve­lop­pe­ment de la sub­jec­ti­vi­té indi­vi­duelle et de la liber­té de parole – notam­ment sur l’histoire du maoïsme et de ses ravages, qui sont encore tabous19. P. Has­soun se rend compte que, inver­se­ment à la situa­tion chi­noise, son « édu­ca­tion, relayée par le modèle d’individu véhi­cu­lé par la psy­cha­na­lyse, [l’]invitait à construire une femme ou un homme auto­nome, un indi­vi­du qui serait essen­tiel­le­ment res­pon­sable de lui-même. » Elle constate néan­moins que, en Chine contem­po­raine, « … la psy­cha­na­lyse ou quelque chose qui s’en approche (c’est tout le pro­blème) devient un objet dési­rable : à la fois ouver­ture sur l’étranger et recherche d’approfondissement de l’identité. Ceux qui se tournent vers l’interrogation psy­cho­lo­gique appar­tiennent aux classes mon­tantes en souf­france (…) bien des Chi­nois sont confron­tés à l’insuffisance des réponses de la forme tra­di­tion­nelle. La psy­cha­na­lyse apporte avec elle l’idée du sujet psychologique. » 

Pour le résu­mer d’un mot : l’occidentalisation de cer­taines caté­go­ries sociales intro­duit le sujet et l’interrogation psy­chique, ain­si que son remède freu­dien. C’est ce que laisse entendre Pas­cale Has­soun, en accor­dant cepen­dant un pou­voir déme­su­ré à la psy­cha­na­lyse, comme si le freu­disme était la cause et non l’effet de l’individualisation : « … à côté de l’homme de la pié­té filiale, la psy­cha­na­lyse intro­duit un nou­vel homme : l’individu. Répond-elle à un besoin ou le crée-t-elle ? En déve­lop­pant la notion de per­sonne psy­cho­lo­gique, elle amorce une com­plexi­té nouvelle. »

Les choses sont cepen­dant retorses, note l’auteure, car « ce pays se donne l’immense capa­ci­té d’aller de l’avant, tout en se main­te­nant comme un roc » d’autant qu’il n’est pas ques­tion de « faillir à occu­per la place don­née par un ordre social lui-même régi par le ciel. » Ordre social qu’elle constate en péné­trant dans la salle de classe de l’université du Sichuan : « D’un bond, une cen­taine d’élèves se lèvent et me saluent d’une voix forte : “Bon­jour, pro­fes­seur Has­soun !” » Car la psy­cha­na­lyste est reçue à tra­vers le prisme de la socia­bi­li­té chi­noise, la hié­rar­chie et la réfé­rence aux Anciens (lao en chi­nois), et dès qu’elle ouvre la bouche « … les sty­los grattent fré­né­ti­que­ment le papier et les touches d’ordinateur cli­quettent avec une rapi­di­té inouïe ». Le syn­drome du groupe ser­ré des copistes asia­tiques, qui repro­duisent fidè­le­ment la parole occi­den­tale « pres­ti­gieuse », appa­raît comme la mise en acte d’une résis­tance — insue des deux côtés — à ce que cette parole vient jus­te­ment leur ensei­gner : la sub­jec­ti­vi­té individuelle. 

De très nom­breux exemples de cette dif­fi­cul­té struc­tu­relle par­sèment le livre, comme la tra­duc­tion des mots : « Et là se pro­duit une catas­trophe. Le public, nom­breux, a payé sa place. Je com­mence à par­ler : l’enfant, dis-je, se construit sub­jec­ti­ve­ment, il construit son moi dans un rap­port d’interaction per­ma­nente entre lui et son envi­ron­ne­ment. Immé­dia­te­ment, je sens que ça coince. “Sub­jec­ti­ve­ment ? Je ne com­prends pas, pou­vez-vous me le dire autre­ment ?” La jeune tra­duc­trice, for­mée au fran­çais com­mer­cial, ne com­prend pas les termes sub­jec­ti­ve­ment et sub­jec­tif. De plus, elle ne sait pas quel terme choi­sir pour “moi” et encore moins pour “construc­tion du moi”. » Et Pas­cale Has­soun avoue avec une belle fran­chise à la mesure de son igno­rance ini­tiale : « Plus je vais vers la culture de l’autre, plus je prends conscience que cer­tains prin­cipes que je crois uni­ver­sels ne le sont pas. Ils sont qua­si­ment tous indexés à la culture dont ils sont issus. La psy­cha­na­lyse ne fait pas excep­tion à la règle. » Constat qui débouche sur de redou­tables dif­fi­cul­tés dans le domaine du tra­vail thé­ra­peu­tique, car « je n’avais pas sai­si à quel point son pro­jet [celui du psy­cha­na­lyste chi­nois Huo Datong] de situer le patient en regard de son propre désir pou­vait être en soi une trans­gres­sion à l’égard d’un ordre ins­ti­tué. Je n’avais pas sai­si que le simple fait de se don­ner le droit de dis­qua­li­fier les parents mar­quait une cou­pure avec la tra­di­tion de la pié­té filiale. »

Soleil peu levant et matin très calme

Ces deux exemples, asso­ciés aux réflexions ini­tiales sur le freu­disme comme laï­ci­sa­tion de la Kab­bale et, ensuite, sur ses déve­lop­pe­ments récents en Occi­dent, nous montrent à quel point le freu­disme comme théo­rie du sujet humain, comme mou­ve­ment social et comme pra­tique, est un ana­ly­seur puis­sant de la mon­dia­li­sa­tion comme « sor­tie de la reli­gion ». L’objet n’est en effet pas ici de poser un juge­ment sur la psy­cha­na­lyse en tant que telle (la réflexion peut d’ailleurs, avec des nuances, être éten­due à d’autres formes de tra­vail sur soi), mais bien de la prendre comme exemple emblé­ma­tique et comme révé­la­teur de son étroite dépen­dance de la « socié­té des indi­vi­dus » occi­den­tale. Les dif­fi­cul­tés de son « expor­ta­tion » dans des socié­tés encore régies par la tra­di­tion reli­gieuse (ou le holisme et la ver­ti­ca­li­té hié­rar­chique des régimes com­mu­nistes20) sont à la mesure de cette imbri­ca­tion. Le plus frap­pant est l’effet de mécon­nais­sance réci­proque qui en res­sort dans l’exemple chi­nois, selon le témoi­gnage de Pas­cale Has­soun. Les uns l’accueillent comme une sorte de remède « pres­ti­gieux » venu d’Occident, mais sans réa­li­ser qu’il risque de bous­cu­ler des fon­de­ments cultu­rels bien ancrés, les autres tardent à per­ce­voir que les notions de sub­jec­ti­vi­té indi­vi­duelle et de liber­té de parole ne sont pas uni­ver­selles. C’est tout le mérite du livre de Pas­cale Has­soun de nous le divul­guer par sa can­deur hon­nête, et d’autant plus révélatrice.

Le cas de la Chine est cepen­dant par­ti­cu­lier en Asie, le régime com­mu­niste per­pé­tue la socié­té hié­rar­chique pré­mo­derne et ne favo­rise ni l’autonomie ni la liber­té d’expression. D’autres pays d’Asie sont dans une dyna­mique plus démo­cra­tique et la psy­cha­na­lyse sem­ble­rait s’y déve­lop­per, du moins selon cer­tains auteurs. Ain­si, la pré­sen­ta­tion par l’éditeur d’un ouvrage récent sur le sujet donne une idée des enjeux, assez proche de notre hypo­thèse : « Alors qu’en Occi­dent la psy­cha­na­lyse se bat pour main­te­nir sa posi­tion au milieu d’autres thé­ra­pies (…) une nou­velle fron­tière est en train de s’ouvrir en Asie : il y a une pous­sée d’intérêt pour la psy­cha­na­lyse par­mi les pro­fes­sion­nels de la san­té men­tale et par­mi les jeunes géné­ra­tions, un inté­rêt qui s’articule et se nuance dif­fé­rem­ment selon les pays d’Asie concer­nés » (nous tra­dui­sons)21.

L’affaire appa­raît tou­te­fois plus com­pli­quée au Japon, un pays pour­tant pion­nier dans la moder­ni­sa­tion de l’Asie orien­tale. Le psy­cha­na­lyste japo­nais, Kosuke Tsui­ki, à la ques­tion « Pen­sez-vous qu’il y ait, dans la culture, la langue et l’écriture du Japon des élé­ments spé­ci­fiques de résis­tance à la psy­cha­na­lyse ? » répond notam­ment ceci : « dans notre langue, il n’y a pas de sujet (…) La notion gram­ma­ti­cale de “sujet” est une notion d’origine occi­den­tale, et rien ne confirme que cette notion, ain­si que l’ensemble des notions consti­tuantes de la “gram­maire”, soit bien appli­cable au japo­nais. (…) Alors qu’est-ce que tout cela veut dire ? Cette absence de sujet de l’énoncé n’est pas sans consé­quences au niveau du sujet de l’énonciation. Voyons com­ment le Japo­nais parle de soi-même : le plus sou­vent, il ne dit pas “je”, il n’a pas besoin de se faire repré­sen­ter par ce pro­nom per­son­nel, ou plus exac­te­ment par un de tous ceux qui, en japo­nais, sont consi­dé­rés comme homo­logues à ce “je” fran­çais. (…) À mon avis, l’indifférence que la psy­cha­na­lyse comme praxis ren­contre dans notre pays pro­cède de cette posi­tion par­ti­cu­lière du sujet japo­nais par rap­port à sa langue. »22 Il ne s’agit dès lors pas de résis­tance mais bien d’indif­fé­rence.

Les quelques exemples (non exhaus­tifs) évo­qués ici nous indiquent que tous les « foyers » ne sont déci­dem­ment pas pro­pices, comme l’écrivait Freud avec jus­tesse dans son livre tes­ta­ment. Les limites de la dif­fu­sion de la psy­cha­na­lyse dans d’autres aires cultu­relles nous en apprennent autant sur la contin­gence his­to­rique du freu­disme que sur la place du sujet et de ses troubles dans des mondes humains dif­fé­rents de la moder­ni­té occi­den­tale contem­po­raine. De ce point de vue, c’est la psy­cha­na­lyse qui se trouve à son tour sur le divan de la glo­ba­li­sa­tion. Quant à savoir qui est assis dans le fauteuil…

  1. Voir Mik­kel Borch-Jacob­sen, Les Patients de Freud, Sciences humaines édi­tions, 2011
  2. De nom­breux ouvrages et articles ont été écrits sur le sujet. Voir notam­ment David Bak­kan, Freud et la tra­di­tion mys­tique juive (publié en poche chez Payot, 2001, tra­duc­tion de “Sig­mund Freud and the Jewish Mys­ti­cal Tra­di­tion”, 1958) ; Yosef Hayim Yeru­shal­mi, Le Moïse de Freud. Judaïsme ter­mi­nable et inter­mi­nable, Paris, Gal­li­mard, 1991 ; Gérard Had­dad, L’En­fant illé­gi­time : Sources tal­mu­diques de la psy­cha­na­lyse, Hachette Lit­té­ra­tures, 1981, Man­ger Le livre, Gras­set & Fas­quelle, 1984 et Lacan et le judaïsme, Des­clée de Brou­wer, 1996 ; Daniel Sibo­ny, Psy­cha­na­lyse et judaïsme : Ques­tion de trans­mis­sion, Flam­ma­rion, 2001. Voir éga­le­ment Jacques Le Rider, Moder­ni­té vien­noise et crise de l’identité, Paris, P.U.F., 1990 ou Abi­gail Gil­l­man, Vien­nese Jewish Moder­nism : Freud, Hof­manns­thal, Beer-Hof­mann, and Schnitz­ler, The Penn­syl­va­nia State Uni­ver­si­ty Press, 2009. Le mot Kab­bale s’écrit par­fois Cabale en français.
  3. Elie Bena­mo­zegh était un rab­bin, kab­ba­liste et phi­lo­sophe ita­lien (Livourne, 1823 — 1900). Son oeuvre serait une ten­ta­tive constante de rap­pro­che­ment entre le monde de la tra­di­tion juive et les acquis les plus récents de la science et de la phi­lo­so­phie européennes.
  4. Méthode d’exégèse du texte biblique qui use de para­boles, d’al­lé­go­ries, de méta­phores, de jeux de mots à base de glis­se­ments pho­niques, séman­tiques, allu­sifs, et qui finit par pro­duire des textes fort éloi­gnés du texte biblique com­men­té. Il s’agit de pro­duire un texte déri­vé à par­tir du texte pre­mier, opé­ra­tion sem­blable à l’interprétation des pro­duc­tions de l’inconscient. La pré­sence d’un sens latent caché, plus « vrai » que le sens mani­feste, est sup­po­sée dans les deux cas. Wil­helm Fliess, ami intime de Freud et Ber­li­nois d’origine juive, était un caba­liste convain­cu selon David Bakan.
  5. Dans Gérard Had­dad, Man­ger Le livre, Gras­set & Fas­quelle, 1984. 
  6. Besan­çon Alain. David Bak­kan, Freud et la Tra­di­tion mys­tique juive, sui­vi de La double leçon de Freud, par A. Mem­mi, Pré­face du Dr F. Pasche. In : Annales. Éco­no­mies, Socié­tés, Civi­li­sa­tions. 22ᵉ année, N. 3, 1967
  7. Dans Michel Tort, La fin du dogme pater­nel, Flam­ma­rion, 2007
  8. Sig­mund Freud, L’A­ve­nir d’une illu­sion, paru en 1927 sous le titre ori­gi­nal Die Zukunft einer Illu­sion.
  9. Voir notam­ment Sébas­tien Dupont, L’autodestruction du mou­ve­ment psy­cha­na­ly­tique, Gal­li­mard, 2014, et Michel Schnei­der, Lacan, les années fauves, PUF 2010.
  10. Cette impos­si­bi­li­té d’épuiser la réa­li­té psy­chique du symp­tôme par la parole avait été énon­cée par Freud lui-même. Que l’on pense à « l’ombilic du rêve » ou au « refou­le­ment ori­gi­naire ». Sur ce point éga­le­ment, la psy­cha­na­lyse rejoint la Kab­bale, pour laquelle chaque Zad­dik (« Saint Homme », image cen­trale des com­mu­nau­tés has­si­diques) serait une Tho­ra dont le sens ultime ne peut jamais être épui­sé. Selon David Bak­kan, qui argu­mente fine­ment son hypo­thèse, le choix du pseu­do­nyme de Dora pour nom­mer une des pre­mières patientes de Freud serait une réfé­rence à la Tho­ra. Freud aurait éten­du « démo­cra­ti­que­ment » le Zad­dik à chaque indi­vi­du, et le point incon­nais­sable de la Tho­ra à la symp­to­ma­to­lo­gie psy­chique. Sur la Kab­bale comme trans­mis­sion du secret de la Tho­ra, voir C. Mop­sik, Cabale et caba­listes, Bayard 1997
  11. C’est le point de vue déve­lop­pé par Michael Lari­vière dans Impos­ture ou psy­cha­na­lyse ? Masud Khan, Jacques Lacan et quelques autres, Payot, 2010. Il y écrit : « Nous pen­sons, en d’autres termes, que c’est faute de pou­voir mener leur ana­lyse jusqu’à son véri­table terme qu’ils “s’installent”. Car le meilleur moyen de résis­ter à l’analyse est de ne jamais y renoncer ».
  12. Pour le cas spé­ci­fique de la France, je me per­mets de ren­voyer vers ma recen­sion du livre de Samuel Lézé, L’autorité des psy­cha­na­lystes (PUF, 2010), dans La Revue nou­velle de sep­tembre 2010.
  13. L’usage du sin­gu­lier par Gau­chet pour dési­gner « la reli­gion » ne signi­fie pas que ce qui est dési­gné sous ce terme ne connaît pas de consi­dé­rables varia­tions inter-reli­gieuses et de trans­for­ma­tions internes ou syn­cré­tiques dans l’his­toire des socié­tés humaines. Il s’agit bien enten­du d’une expres­sion générique.
  14. Voir notam­ment Dani­lo Mar­tuc­cel­li, Gram­maires de l’in­di­vi­du, Paris, Gal­li­mard, « Folio-Essais », 2002 et, avec Fran­çois de Sin­gly, Les socio­lo­gies de l’in­di­vi­du, Armand Colin, coll. « 128 », 2009. Cet aspect de l’individualisation contem­po­raine a été ana­ly­sé par M. Gau­chet dans Le nou­veau monde, Gal­li­mard 2017. Notam­ment dans le cha­pitre IX, « Le second moment des droits de l’homme et la socié­té des individus ».
  15. Voir ma recen­sion de Lin­da Hop­kins, False Self. The Life of Masud Khan, La Revue nou­velle n° 1, 2015.
  16. Nous nous réfé­rons ici à « De quelques résis­tances à la pra­tique psy­cha­na­ly­tique dans la culture ara­bo-musul­mane », dans Cahiers de psy­cho­lo­gie cli­nique, De Boeck Supé­rieur, 2007/2. Ali Aouat­tah a publié deux articles dans La Revue nou­velle : « La pen­sée ara­bo-musul­mane cri­tique en deuil » (février 2011) et « Révo­lu­tions arabes, islam, isla­misme » (avril 2012). L’auteur est doc­teur en psy­cho­lo­gie et licen­cié en isla­mo­lo­gie, cli­ni­cien et ensei­gnant à Bruxelles.
  17. L’auteur cite ce pro­pos du psy­cha­na­lyste belge, Antoine Ver­gote : « … tout cela [la remé­mo­ra­tion his­to­rique en exi­geant la parole à la pre­mière per­sonne] la psy­cha­na­lyse ne l’observe que dans un cer­tain groupe d’individus qui appar­tiennent à une cer­taine civi­li­sa­tion et qui apportent donc à l’expérience ana­ly­tique des for­ma­tions psy­chiques condi­tion­nées par leur civi­li­sa­tion. Ce n’est pas un hasard cultu­rel que la psy­cha­na­lyse soit née dans l’époque pré­sente de la civi­li­sa­tion occi­den­tale, et il serait abu­sif de trans­po­ser sans plus sur d’autres cultures ou d’autres époques les for­mu­la­tions théo­riques de la psy­cha­na­lyse concer­nant le sujet. Le condi­tion­ne­ment cultu­rel de la psy­cha­na­lyse pose la ques­tion de la signi­fi­ca­tion der­nière de ses énon­cés théo­riques sur le sujet » (dans « Le sujet en psy­cha­na­lyse », Pro­blèmes de psy­cha­na­lyse. Recherches et débats, n° 78, Des­clée de Brou­wer, 1972).
  18. Sur la pro­blé­ma­tique reli­gieuse en Chine durant ce der­nier siècle – avant, pen­dant et après le maoïsme — je me per­mets de ren­voyer à ma recen­sion du livre de Vincent Goos­saert et David A. Pal­mer, La ques­tion reli­gieuse en Chine (CNRS Édi­tions, 2012) dans La Revue nou­velle de juillet-août 2013.
  19. Notons par ailleurs, ce que l’auteur ne fait pas, que le maoïsme per­pé­tue le holisme tra­di­tion­nel, voir l’exacerbe dans un col­lec­ti­visme radi­cal. L’émancipation de l’individu n’y est évi­dem­ment pas à l’ordre du jour, et la psy­cha­na­lyse encore moins – comme ce fut le cas dans tous les pays communistes.
  20. On voit en effet mal la psy­cha­na­lyse se déve­lop­per en Corée du Nord.
  21. Ger­lach, Hooke et Var­vin (édit.) Psy­cho­ana­ly­sis in Asia : Chi­na, India, Japan, South Korea, Tai­wan, Kar­nac Books, 2013. Comme l’écrit l’éditeur, « While in the West psy­cho­ana­ly­sis is figh­ting to main­tain its posi­tion among the other the­ra­pies in a socie­ty which has less time for intros­pec­tion and self-reflec­tive thought, in Asia a new fron­tier is ope­ning up : there is a surge of inter­est for psy­cho­ana­ly­sis among the men­tal health pro­fes­sio­nals and among the youn­ger gene­ra­tions, inter­est which is arti­cu­la­ted and nuan­ced dif­fe­rent­ly in the dif­ferent Asian countries. »
  22. « La psy­cha­na­lyse au Japon. Entre­tien avec Kosuke Tsui­ki », dans Psy­cha­na­lyse 2006/3 (no 7), Édi­tions érès (texte en ligne sur cairn.info). Kosuke Tsui­ki est doc­teur en psy­cha­na­lyse à l’U­ni­ver­si­té Paris 8 et maître de confé­rence à l’U­ni­ver­si­té de Kyo­to depuis 2007.

Bernard De Backer


Auteur

sociologue et chercheur