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La France cravatée

Blog - Anathème par Anathème

juin 2017

Il faut recon­naitre à la France une ver­tu : celle d’avoir tou­jours su débattre sans crainte des sujets essen­tiels. Qu’il s’agisse de cou­per la tête du roi, de sépa­rer l’Église et l’État ou de concé­der son indé­pen­dance à l’Algérie, la France ose poser des ques­tions et y appor­ter des réponses. Que celles-ci soient contes­tables, c’est bien nor­mal — qu’y a‑t‑il d’incontestable […]

Anathème

Il faut recon­naitre à la France une ver­tu : celle d’avoir tou­jours su débattre sans crainte des sujets essen­tiels. Qu’il s’agisse de cou­per la tête du roi, de sépa­rer l’Église et l’État ou de concé­der son indé­pen­dance à l’Algérie, la France ose poser des ques­tions et y appor­ter des réponses. Que celles-ci soient contes­tables, c’est bien nor­mal — qu’y a‑t-il d’incontestable en ce bas monde ? — il n’en demeure pas moins qu’un débat a pré­si­dé à leur adoption.

À côté, nous, pauvres Belges, crou­pis­sons dans le mari­got de nos com­pro­mis et com­pro­mis­sions. Nous crai­gnons tant l’affrontement que nous n’osons pas le débat. Résul­tat : nous n’avons tué aucun de nos rois, l’Église et l’État entre­tiennent tou­jours des rap­ports ambi­gus et nous nous sommes enfuis de nos colo­nies dès le pre­mier coup de feu. Triste Belgique !

Aujourd’hui encore, fière de ses tra­di­tions, notre voi­sine nous montre le che­min et pose les ques­tions qui fâchent, comme celle, der­niè­re­ment, du port de la cra­vate à l’Assemblée natio­nale. Car, en effet, pous­sant tou­jours plus loin son pro­jet de révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne, Jean-Luc Mélen­chon et ses séides se sont pré­sen­tés dans l’hémicycle sans rien autour du cou. Rap­pel de la décon­fi­ture des bour­geois de Calais ? Sou­ve­nir du col cou­pé des condam­nés à mort ? Sup­pres­sion d’un vête­ment han­di­ca­pant pour les com­bats de rue et les joutes par­le­men­taires ? Nul ne sait au juste.

Tou­jours est-il que ce geste reçut un accueil à la mesure de son impor­tance : il fut tenu pour une « insulte à la France popu­laire par les uns », comme un man­que­ment à « la solen­ni­té » par les autres ou encore comme une « pro­vo­ca­tion cari­ca­tu­rale » par d’aucuns.

On peut à cet égard ain­si se deman­der si les défen­seurs du peuple cra­va­té ont récem­ment déam­bu­lé dans les bureaux, res­tau­rants et Mono­prix qu’ils fré­quentent ou si le Fran­çais est si ombra­geux qu’il tient réel­le­ment pour insulte un col déboutonné.

On peut éga­le­ment se deman­der si l’accusation de « pro­vo­ca­tion cari­ca­tu­rale » n’est pas, contrai­re­ment aux appa­rences, une vive appro­ba­tion. On se sou­vient en effet d’une classe poli­tique qui, comme un seul homme, don­na allè­gre­ment la main à Ali Bon­go et à Vik­tor Orbán, pour cla­mer son atta­che­ment à des cari­ca­tu­ristes pro­vo­ca­teurs, tués par des enne­mis des liber­tés. On se sou­vien­dra qu’à l’époque, les pro­vo­ca­tions cari­ca­tu­rales furent his­sées au rang d’élément essen­tiel de nos valeurs ; au même titre que les bières à 8€ aux ter­rasses pari­siennes, au len­de­main de l’attaque du Bataclan.

On le voit, comme sou­vent, la France débat, les posi­tions se pola­risent et l’avenir se forge. Par moment, on ne sait plus trop qui est pour et qui est contre, mais il faut admettre que la démo­cra­tie est à ce prix, au prix d’un débat désta­bi­li­sant et hou­leux, seul gage de l’émergence, en fin de compte, d’un authen­tique sou­ci du bien commun.

De ce sain et essen­tiel débat, émerge déjà un élé­ment posi­tif que ne man­que­ront pas de rele­ver nos amis musul­mans et nos amies fémi­nistes (qu’il puisse exis­ter des hommes fémi­nistes demeure incer­tain). Une part impor­tante des uns et des autres s’est en effet émue, ces der­nières années, de l’attention insis­tante des médias, de la popu­la­tion et du per­son­nel poli­tique fran­çais à l’égard de la tenue des femmes musul­manes. Voile, bur­ki­ni et jupes « trop longues » ont été scru­tés, ana­ly­sés et condam­nés. Ne dou­tons pas que la récente pas­sion de la cra­vate sera une grande conso­la­tion, tant il est vrai qu’on ne sup­porte jamais si bien l’oppression dont on est l’objet que lorsqu’on est convain­cu de ne pas être seul à plier sous le joug. Gageons que, dans ce cadre, le fait que les femmes soient for­cées de se désha­biller et les hommes de fer­mer leur che­mise sera tenu pour un détail insignifiant.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.