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La chasse aux chômeurs au regard de la loi de l’offre et de la demande !
En Belgique, au cours de la décennie écoulée, la « solution miracle » pour résorber le chômage a consisté à mettre en place puis à renforcer les politiques d’activation des sans-emplois. Cette « solution providentielle » est fondée sur une hypothèse, une croyance même : faire grossir la population active ou activée augmentera mécaniquement le taux d’emploi ou réduira le taux de chômage. […]
En Belgique, au cours de la décennie écoulée, la « solution miracle » pour résorber le chômage a consisté à mettre en place puis à renforcer les politiques d’activation des sans-emplois. Cette « solution providentielle » est fondée sur une hypothèse, une croyance même : faire grossir la population active ou activée augmentera mécaniquement le taux d’emploi ou réduira le taux de chômage.
Le réel coup d’envoi des politiques d’activation fut donné par le Pacte de solidarité de 2004. Celui-ci contient un dispositif d’activation du comportement de recherche d’emploi qui consiste à convoquer les chômeurs indemnisés pour des entretiens individuels périodiques durant lesquels un facilitateur de l’Office National de l’Emploi (ONEm) évalue leurs activités de recherche d’emploi. Cette procédure a été introduite progressivement, par catégorie d’âge : d’abord, les moins de 30 ans (dès de juillet 2004), ensuite les moins de 40 ans (à partir de juillet 2005) et les moins de 50 ans (à partir de juillet 2006).
Plus récemment, les ravages de la crise sur le marché du travail eurent pour effet de gonfler les dépenses publiques de chômage et, partant, les sacro-saints engagements budgétaires pris par la Belgique envers l’Europe s’en sont trouvés menacés. Cela a poussé le gouvernement à faire preuve de créativité pour amplifier les mesures d’activation. Il a donc pris plusieurs initiatives dont les plus marquantes sont :
‑l’assouplissement du concept d’ « emploi convenable » ;
‑la dégressivité des allocations de chômage ;
‑la suppression des allocations d’insertion après 3 ans ;
‑le contrôle des jeunes en stage d’attente.
Pour évaluer objectivement le bien-fondé de ces politiques, il faut tenir compte du contexte économique dans lequel elles s’inscrivent et plus précisément, de la position de l’offre par rapport à la demande.
Lorsque l’offre est significativement inférieure à la demande, l’économie est en surchauffe et des poussées inflationnistes se font sentir : on manque de bras dans les entreprises, les pénuries augmentent et les employeurs sont prêts à payer des sursalaires et accorder des avantages extralégaux pour débaucher des travailleurs chez leurs concurrents afin de renforcer leurs propres équipes. Ce genre de situation peut se produire dans un secteur particulier et ne se retrouve pas à l’échelle de l’économie belge dans son entièreté : ainsi, en 2000, les secteur des nouvelles technologies et des transports étaient en surchauffe.
Lorsque l’offre est significativement supérieure à la demande, l’économie tourne au ralenti. Les débouchés se contractent, les surcapacités apparaissent, les entreprises reportent leurs investissements et ne renouvellent plus les contrats temporaires et les contrats à durée déterminée et, si la situation perdure, elles annoncent des restructurations de plus grande ampleur. Nous sommes clairement dans ce genre de contexte, ce qui explique que les mesures visant à stimuler davantage les sans-emploi à retrouver un boulot ne peuvent qu’être relativement inefficaces.
Légende : les politiques d’activation ont pour effet d’accroître l’offre (graphiquement : la déplacer vers la droite). Dès lors, un nouvel équilibre situé au croisement des courbes d’offre et de demande est établi et, par conséquent, la distance entre la situation actuelle et ce nouvel équilibre est plus longue que dans la situation précédente : les tensions sont donc plus vives alors que les politiques d’activation étaient censées les résorber.
Ces mesures reviennent en fait à accroître l’offre et donc à creuser le fossé entre l’offre et la demande. Par conséquent, les difficultés actuelles sont amenées à perdurer et le sentiment d’une mise en concurrence croissante entre les sans-emploi et leur frustration qui en résulte est exacerbé. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas étranger à la montée des populismes et en particulier, à celle de l’extrême-droite en Europe. Une étude réalisée pour la Commission européenne rendait compte dès 2006 que les réformes structurelles qui fragilisent les travailleurs en intensifiant la concurrence entre eux et en les menaçant de déclassement social participent de la dynamique favorable à ces partis. 1 (Cette mise en garde n’a néanmoins pas incité la Commission à revoir ses priorités socio-économiques…) L’arrivée au parlement grec du parti néonazi, Aube Dorée, le score de Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle française ainsi que les sondages très favorables en vue des élections européennes et, dans un autre registre, les 10 à 15 points d’avance de la NVA sur les partis traditionnels flamands rendent compte de l’impact de ce type de recettes néolibérales sur le paysage politique.
Les rouages sont-ils bien huilés ?
Pour donner une idée de l’ampleur de cet écart entre l’offre et la demande, examinons l’indicateur du taux d’utilisation des capacités de production qui permet d’évaluer l’état des tensions décrites ci-dessus dans l’économie (les rouages sont-ils bien huilés, pas assez ou trop ?). Plus cet indicateur est élevé, plus les entreprises tournent à plein régime, les machines n’étant mises à l’arrêt que pour leur maintenance, ce qui encourage les patrons à investir (à des fins de remplacement de l’équipement vieillissant ou de modernisation, voire d’extension) et à recruter du personnel pour renforcer les équipes en place. Cet indicateur n’est pas observé tel quel dans la réalité (comme l’est le taux d’emploi par exemple) mais est une construction résultant de données liées à l’emploi, à la durée du temps de travail, au niveau d’investissement, etc. L’indicateur porte sur le secteur industriel qui est le plus sensible aux évolutions conjoncturelles et dont est issu la grande majorité des exportations (environ 80 %).
Le graphique présente la moyenne du taux d’utilisation des capacités avant et après la crise (ralentissement au 2e trimestre 2008) ainsi que le niveau le plus récent observé. Il présente les trois grandes catégories de biens produits (biens de consommation, biens d’investissement et biens intermédiaires). 2
Le net ralentissement depuis 5 ans saute aux yeux et si la production de biens d’investissement s’est quelque peu redressée, ce n’est pas encore le cas pour les deux autres catégories.
Degré d’utilisation désaisonnalisé de la capacité de production (à partir de la base de données de la Banque Nationale de Belgique)
Il ressort de ce graphique que, en termes de perspectives pour le marché du travail, les dégâts de la crise n’ont pas encore été épongés : cela prendra encore longtemps avant que les entreprises tournent à plein régime ou, en tout cas, renouent avec la cadence pré-crise. Dès lors, on peut douter de l’efficacité réelle des politiques d’activation et de leur pendant côté patronal – à savoir les mesures incitatives à l’embauche comme les fortes réductions de cotisations sociales sur les trois premiers engagements – alors que la demande reste atone.
Méthode Coué et impasse garantie
Si ces politiques d’activation qui font fi de la conjoncture fonctionnaient, alors le taux d’emploi devrait au moins être égal à celui observé avant la crise ou à celui enregistré en moyenne durant les années précédentes. On compterait alors aujourd’hui dans notre pays 43.500 3 emplois de plus que ce qui n’est actuellement le cas !
Plutôt que pratiquer la méthode Coué ou de stigmatiser davantage les sans-emploi et les conduire dans une impasse de manière à présenter de beaux chiffres à la Commission européenne ou à duper l’opinion publique (et les électeurs), il faudrait plutôt organiser un moratoire sur les sanctions que prévoient ces politiques d’activation tant que la conjoncture ne s’est pas sensiblement améliorée et pendant une période suffisamment longue pour absorber ceux qui veulent travailler, y compris ceux qui sont couverts par des contrats de travail de piètre qualité et qui veulent travailler davantage et dans de meilleures conditions. L’obstination à nier la loi de l’offre et de la demande n’aura pour effet, outre de générer de la misère humaine, que d’alimenter la dynamique favorable à la montée du populisme, du repli sur soi et du rejet de l’Autre.
- Cf. cette étude réalisée pour la Commission européenne en 2007 : ftp://ftp.cordis.europa.eu/pub/citizens/docs/eur22069_siren.pdf
- Le même graphique peut être obtenu à partir des différents secteurs (textile, chimie, automobile, métallurgie, etc.) mais pour ne pas compliquer la lisibilité du graphique et accentuer plutôt la discontinuité entre les deux périodes examinées, on se bornera à ces trois grandes catégories de biens produits.
- Le taux d’emploi était de 62,4 % en 2008 et 61,8 % en 2012 (soit 4,414 et 4,479 millions d’emplois respectivement). Mais, la population de 15 – 64 ans était de 7,248 millions de personnes. Appliquer le taux d’emploi de 2008 à cette population donnerait, théoriquement, 4,522 millions d’emplois ; donc, une différence de 43.500 emplois.