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La chasse aux chômeurs au regard de la loi de l’offre et de la demande !

Blog - Délits d’initiés - chômage sciences sociales par Olivier Derruine

février 2014

En Bel­gique, au cours de la décen­nie écou­lée, la « solu­tion miracle » pour résor­ber le chô­mage a consis­té à mettre en place puis à ren­for­cer les poli­tiques d’activation des sans-emplois. Cette « solu­tion pro­vi­den­tielle » est fon­dée sur une hypo­thèse, une croyance même : faire gros­sir la popu­la­tion active ou acti­vée aug­men­te­ra méca­ni­que­ment le taux d’emploi ou rédui­ra le taux de chômage. […]

Délits d’initiés

En Bel­gique, au cours de la décen­nie écou­lée, la « solu­tion miracle » pour résor­ber le chô­mage a consis­té à mettre en place puis à ren­for­cer les poli­tiques d’activation des sans-emplois. Cette « solu­tion pro­vi­den­tielle » est fon­dée sur une hypo­thèse, une croyance même : faire gros­sir la popu­la­tion active ou acti­vée aug­men­te­ra méca­ni­que­ment le taux d’emploi ou rédui­ra le taux de chômage.

Le réel coup d’envoi des poli­tiques d’activation fut don­né par le Pacte de soli­da­ri­té de 2004. Celui-ci contient un dis­po­si­tif d’activation du com­por­te­ment de recherche d’emploi qui consiste à convo­quer les chô­meurs indem­ni­sés pour des entre­tiens indi­vi­duels pério­diques durant les­quels un faci­li­ta­teur de l’Office Natio­nal de l’Emploi (ONEm) éva­lue leurs acti­vi­tés de recherche d’emploi. Cette pro­cé­dure a été intro­duite pro­gres­si­ve­ment, par caté­go­rie d’âge : d’abord, les moins de 30 ans (dès de juillet 2004), ensuite les moins de 40 ans (à par­tir de juillet 2005) et les moins de 50 ans (à par­tir de juillet 2006).

Plus récem­ment, les ravages de la crise sur le mar­ché du tra­vail eurent pour effet de gon­fler les dépenses publiques de chô­mage et, par­tant, les sacro-saints enga­ge­ments bud­gé­taires pris par la Bel­gique envers l’Europe s’en sont trou­vés mena­cés. Cela a pous­sé le gou­ver­ne­ment à faire preuve de créa­ti­vi­té pour ampli­fier les mesures d’activation. Il a donc pris plu­sieurs ini­tia­tives dont les plus mar­quantes sont :

‑l’assouplissement du concept d’ « emploi convenable » ;
‑la dégres­si­vi­té des allo­ca­tions de chômage ;
‑la sup­pres­sion des allo­ca­tions d’insertion après 3 ans ;
‑le contrôle des jeunes en stage d’attente.

Pour éva­luer objec­ti­ve­ment le bien-fon­dé de ces poli­tiques, il faut tenir compte du contexte éco­no­mique dans lequel elles s’inscrivent et plus pré­ci­sé­ment, de la posi­tion de l’offre par rap­port à la demande.

Lorsque l’offre est signi­fi­ca­ti­ve­ment infé­rieure à la demande, l’économie est en sur­chauffe et des pous­sées infla­tion­nistes se font sen­tir : on manque de bras dans les entre­prises, les pénu­ries aug­mentent et les employeurs sont prêts à payer des sur­sa­laires et accor­der des avan­tages extra­lé­gaux pour débau­cher des tra­vailleurs chez leurs concur­rents afin de ren­for­cer leurs propres équipes. Ce genre de situa­tion peut se pro­duire dans un sec­teur par­ti­cu­lier et ne se retrouve pas à l’échelle de l’économie belge dans son entiè­re­té : ain­si, en 2000, les sec­teur des nou­velles tech­no­lo­gies et des trans­ports étaient en surchauffe.

Lorsque l’offre est signi­fi­ca­ti­ve­ment supé­rieure à la demande, l’économie tourne au ralen­ti. Les débou­chés se contractent, les sur­ca­pa­ci­tés appa­raissent, les entre­prises reportent leurs inves­tis­se­ments et ne renou­vellent plus les contrats tem­po­raires et les contrats à durée déter­mi­née et, si la situa­tion per­dure, elles annoncent des restruc­tu­ra­tions de plus grande ampleur. Nous sommes clai­re­ment dans ce genre de contexte, ce qui explique que les mesures visant à sti­mu­ler davan­tage les sans-emploi à retrou­ver un bou­lot ne peuvent qu’être rela­ti­ve­ment inefficaces. 

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Légende : les poli­tiques d’activation ont pour effet d’accroître l’offre (gra­phi­que­ment : la dépla­cer vers la droite). Dès lors, un nou­vel équi­libre situé au croi­se­ment des courbes d’offre et de demande est éta­bli et, par consé­quent, la dis­tance entre la situa­tion actuelle et ce nou­vel équi­libre est plus longue que dans la situa­tion pré­cé­dente : les ten­sions sont donc plus vives alors que les poli­tiques d’activation étaient cen­sées les résorber.

Ces mesures reviennent en fait à accroître l’offre et donc à creu­ser le fos­sé entre l’offre et la demande. Par consé­quent, les dif­fi­cul­tés actuelles sont ame­nées à per­du­rer et le sen­ti­ment d’une mise en concur­rence crois­sante entre les sans-emploi et leur frus­tra­tion qui en résulte est exa­cer­bé. Ce phé­no­mène n’est d’ailleurs pas étran­ger à la mon­tée des popu­lismes et en par­ti­cu­lier, à celle de l’extrême-droite en Europe. Une étude réa­li­sée pour la Com­mis­sion euro­péenne ren­dait compte dès 2006 que les réformes struc­tu­relles qui fra­gi­lisent les tra­vailleurs en inten­si­fiant la concur­rence entre eux et en les mena­çant de déclas­se­ment social par­ti­cipent de la dyna­mique favo­rable à ces par­tis. 1 (Cette mise en garde n’a néan­moins pas inci­té la Com­mis­sion à revoir ses prio­ri­tés socio-éco­no­miques…) L’arrivée au par­le­ment grec du par­ti néo­na­zi, Aube Dorée, le score de Marine Le Pen au pre­mier tour de l’élection pré­si­den­tielle fran­çaise ain­si que les son­dages très favo­rables en vue des élec­tions euro­péennes et, dans un autre registre, les 10 à 15 points d’avance de la NVA sur les par­tis tra­di­tion­nels fla­mands rendent compte de l’impact de ce type de recettes néo­li­bé­rales sur le pay­sage politique.

Les rouages sont-ils bien huilés ?

Pour don­ner une idée de l’ampleur de cet écart entre l’offre et la demande, exa­mi­nons l’indicateur du taux d’utilisation des capa­ci­tés de pro­duc­tion qui per­met d’évaluer l’état des ten­sions décrites ci-des­sus dans l’économie (les rouages sont-ils bien hui­lés, pas assez ou trop ?). Plus cet indi­ca­teur est éle­vé, plus les entre­prises tournent à plein régime, les machines n’étant mises à l’arrêt que pour leur main­te­nance, ce qui encou­rage les patrons à inves­tir (à des fins de rem­pla­ce­ment de l’équipement vieillis­sant ou de moder­ni­sa­tion, voire d’extension) et à recru­ter du per­son­nel pour ren­for­cer les équipes en place. Cet indi­ca­teur n’est pas obser­vé tel quel dans la réa­li­té (comme l’est le taux d’emploi par exemple) mais est une construc­tion résul­tant de don­nées liées à l’emploi, à la durée du temps de tra­vail, au niveau d’investissement, etc. L’indicateur porte sur le sec­teur indus­triel qui est le plus sen­sible aux évo­lu­tions conjonc­tu­relles et dont est issu la grande majo­ri­té des expor­ta­tions (envi­ron 80 %).

Le gra­phique pré­sente la moyenne du taux d’utilisation des capa­ci­tés avant et après la crise (ralen­tis­se­ment au 2e tri­mestre 2008) ain­si que le niveau le plus récent obser­vé. Il pré­sente les trois grandes caté­go­ries de biens pro­duits (biens de consom­ma­tion, biens d’investissement et biens inter­mé­diaires). 2

Le net ralen­tis­se­ment depuis 5 ans saute aux yeux et si la pro­duc­tion de biens d’investissement s’est quelque peu redres­sée, ce n’est pas encore le cas pour les deux autres catégories.

Degré d’utilisation désai­son­na­li­sé de la capa­ci­té de pro­duc­tion (à par­tir de la base de don­nées de la Banque Natio­nale de Belgique) 

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Il res­sort de ce gra­phique que, en termes de pers­pec­tives pour le mar­ché du tra­vail, les dégâts de la crise n’ont pas encore été épon­gés : cela pren­dra encore long­temps avant que les entre­prises tournent à plein régime ou, en tout cas, renouent avec la cadence pré-crise. Dès lors, on peut dou­ter de l’efficacité réelle des poli­tiques d’activation et de leur pen­dant côté patro­nal – à savoir les mesures inci­ta­tives à l’embauche comme les fortes réduc­tions de coti­sa­tions sociales sur les trois pre­miers enga­ge­ments – alors que la demande reste atone.

Méthode Coué et impasse garantie

Si ces poli­tiques d’activation qui font fi de la conjonc­ture fonc­tion­naient, alors le taux d’emploi devrait au moins être égal à celui obser­vé avant la crise ou à celui enre­gis­tré en moyenne durant les années pré­cé­dentes. On comp­te­rait alors aujourd’hui dans notre pays 43.500 3 emplois de plus que ce qui n’est actuel­le­ment le cas !

Plu­tôt que pra­ti­quer la méthode Coué ou de stig­ma­ti­ser davan­tage les sans-emploi et les conduire dans une impasse de manière à pré­sen­ter de beaux chiffres à la Com­mis­sion euro­péenne ou à duper l’opinion publique (et les élec­teurs), il fau­drait plu­tôt orga­ni­ser un mora­toire sur les sanc­tions que pré­voient ces poli­tiques d’activation tant que la conjonc­ture ne s’est pas sen­si­ble­ment amé­lio­rée et pen­dant une période suf­fi­sam­ment longue pour absor­ber ceux qui veulent tra­vailler, y com­pris ceux qui sont cou­verts par des contrats de tra­vail de piètre qua­li­té et qui veulent tra­vailler davan­tage et dans de meilleures condi­tions. L’obstination à nier la loi de l’offre et de la demande n’aura pour effet, outre de géné­rer de la misère humaine, que d’alimenter la dyna­mique favo­rable à la mon­tée du popu­lisme, du repli sur soi et du rejet de l’Autre.

  1. Cf. cette étude réa­li­sée pour la Com­mis­sion euro­péenne en 2007 : ftp://ftp.cordis.europa.eu/pub/citizens/docs/eur22069_siren.pdf‎
  2. Le même gra­phique peut être obte­nu à par­tir des dif­fé­rents sec­teurs (tex­tile, chi­mie, auto­mo­bile, métal­lur­gie, etc.) mais pour ne pas com­pli­quer la lisi­bi­li­té du gra­phique et accen­tuer plu­tôt la dis­con­ti­nui­té entre les deux périodes exa­mi­nées, on se bor­ne­ra à ces trois grandes caté­go­ries de biens produits.
  3. Le taux d’emploi était de 62,4 % en 2008 et 61,8 % en 2012 (soit 4,414 et 4,479 mil­lions d’emplois res­pec­ti­ve­ment). Mais, la popu­la­tion de 15 – 64 ans était de 7,248 mil­lions de per­sonnes. Appli­quer le taux d’emploi de 2008 à cette popu­la­tion don­ne­rait, théo­ri­que­ment, 4,522 mil­lions d’emplois ; donc, une dif­fé­rence de 43.500 emplois.

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen