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L’ouragan, le satellite, le cow-boy et la fourmi : fable moderne

Blog - e-Mois - catastrophes climat par José Halloy

septembre 2017

La sai­son des oura­gans bat son plein. L’ouragan Har­vey a frap­pé de plein fouet la ville de Hous­ton aux États-Unis. La ville a subi des inon­da­tions impor­tantes à la suite des pluies dilu­viennes. Les dégâts sont consi­dé­rables. La qua­trième ville la plus peu­plée des États-Unis est dévas­tée. Pour­tant, des satel­lites per­mettent de suivre la for­ma­tion et les trajectoires […]

e-Mois

La sai­son des oura­gans bat son plein. L’ouragan Har­vey a frap­pé de plein fouet la ville de Hous­ton aux États-Unis. La ville a subi des inon­da­tions impor­tantes à la suite des pluies dilu­viennes. Les dégâts sont consi­dé­rables. La qua­trième ville la plus peu­plée des États-Unis est dévastée.

Pour­tant, des satel­lites per­mettent de suivre la for­ma­tion et les tra­jec­toires des oura­gans dans l’Atlantique. Des modèles per­mettent éga­le­ment de pré­dire la vitesse des vents et les quan­ti­tés de pluie atten­dues. Ces modèles, bien que per­fec­tibles, donnent des résul­tats rela­ti­ve­ment pré­cis. Par ailleurs, la sur­veillance satel­li­taire per­met de cor­ri­ger en per­ma­nence les tra­jec­toires pré­dites par les tra­jec­toires obser­vées. Il a donc été pos­sible de rapi­de­ment détec­ter les oura­gan Har­vey, Irma et José. Il a éga­le­ment été pos­sible d’anticiper leurs tra­jec­toires ain­si que la force des vents et les quan­ti­tés atten­dues d’eau de pluie. L’arrivée de ces oura­gans dans les zones sinis­trées n’est donc pas une sur­prise. En effet, ces arri­vées peuvent être pré­dites avec une bonne pré­ci­sion envi­ron une semaine à l’avance. Ces infor­ma­tions capi­tales sont même ren­dues publiques sur le Web1.

Il est donc sur­pre­nant de consta­ter la faible pré­pa­ra­tion des gou­ver­ne­ments face aux dévas­ta­tions pré­dites et atten­dues. En par­ti­cu­lier, les îles fran­çaises de Saint-Mar­tin et de Saint-Bar­thé­le­my ont été tra­ver­sées par l’ouragan Irma ce qui a détruit l’essentiel de leurs infra­struc­tures. Là encore, on est sur­pris de la faible pré­pa­ra­tion des auto­ri­tés face à une catas­trophe annon­cée, avec une bonne pré­ci­sion, envi­ron une semaine à l’avance. On ne peut que consta­ter des popu­la­tions livrées à elles mêmes et sans res­sources vitales de base comme l’eau et la nour­ri­ture. Les secours ont tar­dé. À Hous­ton, un autre phé­no­mène remar­quable a été obser­vé. De nom­breux radeaux for­més par des four­mis rouges flot­taient sur les eaux des inon­da­tions (prin­ci­pa­le­ment de l’espèce Selo­nop­sis invic­ta aus­si appe­lée four­mi de feu ou « fire ants »). Ces four­mis rouges sont une espèce inva­sive ori­gi­naire d’Amérique du Sud. Elles sont une nui­sance pour les humains car elles sont agres­sives et ont un venin assez puis­sant ce qui rend leurs mor­sures par­ti­cu­liè­re­ment désa­gréables. Le venin joue un rôle impor­tant dans la vie de ces four­mis car il est uti­li­sé pour cap­tu­rer des proies ou pour se défendre. Envi­ron 95% des com­po­sants du venin sont des alca­loïdes de pipé­ri­dine inso­lubles dans l’eau. Aux États-Unis chaque année plus de 14 mil­lions de per­sonnes sont mor­dues et beau­coup d’entre elles déve­loppent des aller­gies au venin et des chocs ana­phy­lac­tiques. Ces radeaux de four­mis rouges sont donc une nui­sance sup­plé­men­taire pour les per­sonnes des régions inon­dées de Houston.

Face à une inon­da­tion, ces four­mis construisent des radeaux en se connec­tant les unes aux autres. Les orga­nismes sociaux, comme ces four­mis, peuvent sur­mon­ter de nom­breux défis éco­lo­giques en tra­vaillant col­lec­ti­ve­ment. Selon une étude publiée dans le jour­nal scien­ti­fique PLOS ONE, le 19 février 2014, par Jes­si­ca Pur­cell et des col­la­bo­ra­teurs de l’u­ni­ver­si­té de Lau­sanne, en Suisse, les four­mis ouvrières sont répar­ties dans tout le radeau, les reines sont tou­jours au centre et 100% des « œufs » (le cou­vain) sont pla­cés à la base du radeau. Les ouvrières et les œufs sont extrê­me­ment résis­tants à la sub­mer­sion2.

Les ouvrières et le cou­vain pré­sentent des taux de sur­vie éle­vés après avoir fait le radeau. Le pla­ce­ment de tout le cou­vain à la base d’un radeau très cohé­sif confère plu­sieurs avan­tages : il pré­serve l’in­té­gri­té des colo­nies, pro­fite de la flot­ta­bi­li­té des œufs et aug­mente la pro­por­tion d’ouvrières qui se réta­blissent immé­dia­te­ment après le rafting.

Ces struc­tures col­lec­tives gardent ensemble tous les membres d’une colo­nie dans les situa­tions d’ur­gence. Le groupe peut opti­mi­ser, de façon auto-orga­ni­sée, la géo­mé­trie de la struc­ture en pro­fi­tant des pro­prié­tés des dif­fé­rents membres du groupe pour mini­mi­ser les coûts et maxi­mi­ser la pro­ba­bi­li­té de sur­vie. L’in­té­gri­té des colo­nies est pré­ser­vée par un tra­vail col­lec­tif pour for­mer ces radeaux de sur­vies et par une répar­ti­tion des tâches.
Face à la catas­trophe, le contraste entre ces four­mis et les humains est sai­sis­sant. Il sem­ble­rait que les mieux pré­pa­rés soient fina­le­ment les fourmis.

Pour­tant, les humains ont des capa­ci­tés cog­ni­tives bien plus éla­bo­rées que celles des four­mis. Les socié­tés humaines pré­sentent des orga­ni­sa­tions sociales très raf­fi­nées. Les humains peuvent façon­ner leur envi­ron­ne­ment en construi­sant des villes et des infra­struc­tures sophis­ti­quées. Ils peuvent inven­ter des outils de haute tech­no­lo­gie comme les satel­lites qui leur per­mettent d’observer depuis l’espace la pla­nète et ses phé­no­mènes météo­ro­lo­giques. Ils ont déve­lop­pé les sciences de la Nature qui leur per­mettent de com­prendre et de modé­li­ser les phé­no­mènes phy­siques, bio­lo­giques et chimiques.

Les four­mis, aux capa­ci­tés cog­ni­tives indi­vi­duelles moins éla­bo­rées que les humains, peuvent aus­si construire des nids et façon­ner en par­tie leur envi­ron­ne­ment. Mais elles n’ont aucun moyen d’observer et de pré­dire les phé­no­mènes météo­ro­lo­giques. Elles n’ont déve­lop­pé aucune science com­pa­rable aux humains bien qu’elles soient capables de faire de l’agriculture ou de l’élevage. Elles ne peuvent pas savoir qu’un oura­gan violent approche et qu’il char­rie d’abondante quan­ti­té d’eau qui les inon­de­ront. Les four­mis forment éga­le­ment des struc­tures sociales éla­bo­rées. Elles tra­vaillent col­lec­ti­ve­ment de manière très inté­grée à tel point que la repro­duc­tion est lais­sée à des indi­vi­dus par­ti­cu­liers, les reines et des males pro­duits quand c’est néces­saire. Les ouvrières sont sté­riles et œuvrent au main­tien de la colo­nie et de sa sur­vie en par­ti­cu­lier en pre­nant bien soin du cou­vain et de la reine pon­deuse. Ces col­lec­tifs sont si inté­grés que l’entomologiste William Mor­ton Whee­ler (1910) appe­lait les four­mis des super-orga­nismes, chaque indi­vi­du étant inté­gré comme les cel­lules au sein d’un organisme.
Une morale de cette his­toire serait qu’il ne suf­fit donc pas d’avoir de grandes capa­ci­tés cog­ni­tives pour être le mieux pré­pa­ré face aux aléas météo­ro­lo­giques, aléas météo­ro­lo­giques que les acti­vi­tés humaines ren­forcent en pro­dui­sant un réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Encore faut-il avoir un grand sens de l’intérêt col­lec­tif et d’être adap­té à la géo-biosphère.

Pour le moment, il sem­ble­rait que les four­mis aient une bonne avance par rap­port à l’Humanité. Avons-nous construit les bonnes infra­struc­tures et orga­ni­sa­tions sociales ? Avons-nous un grand sens de l’intérêt col­lec­tif ? Sau­rons-nous nous adap­ter ? Tien­drons-nous compte des contraintes de notre géo-bio­sphère ? Il est urgent de répondre à ces ques­tions, il en va de la sur­vie de l’espèce. En atten­dant, à Hous­ton, les four­mis rouges vont bien.

  1. par exemple http://www.noaa.gov
  2. accès libre https://doi.org/10.1371/journal.pone.0089211

José Halloy


Auteur

professeur des universités en physique, université Paris Diderot