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L’échec devrait toujours faire réfléchir. Quelques réflexions sur le référendum du Brexit
Les électeurs du Royaume-Uni se sont prononcés pour une sortie de l’Union européenne. À peine le résultat des urnes était-il connu qu’une pétition parvenait à recueillir le chiffre record de plus d’un million de signatures en faveur d’un nouveau scrutin. Après tout, le référendum irlandais sur la Constitution européenne a bien dû être réorganisé pour finalement connaître une issue favorable (2008 – 2009, selon un scénario précédemment testé pour le vote du Traité de Nice en 2001 – 2002). Quelques jours plus tard, une autre pétition proposée sur le même site officiel du Royaume-Uni demandait que le match de huitième de finale opposant l’Islande soit rejoué.

Culture politique majoritaire
À la différence de la Belgique, le Royaume-Uni peut ainsi mettre en œuvre différents outils démocratiques outre les élections parlementaires, mais ces outils restent cependant de type « conventionnels ». Il s’agit dans les deux cas d’un mode de participation politique légale qui, dans sa forme, ne remet pas en cause le système politique et sa légitimité (sur le fond, on verra qu’il est question de modifier le type de majorité à laquelle une décision est prise). C’est d’autant plus vrai que, dans le cas du Royaume-Uni, les autorités nationales ont non seulement organisé le référendum, mais ont également fourni la plateforme en ligne hébergeant tant la pétition demandant de revoter sur le #Brexit que celle réclamant de rejouer le match qui a valu l’élimination de l’Euro de foot. Ces pétitions ont connu des sorts divers. Alors que la seconde a été rejetée s’agissant d’une matière ne relevant ni des compétences du gouvernement ni de celles du Parlement, la première est toujours en ligne et a, à ce jour, réuni plus de quatre millions de signatures. C’est largement au-delà des 10.000 signatures requises pour obtenir une réponse du gouvernement et des 100.000 requises pour ouvrir un débat au Parlement.
Ces formes conventionnelles passent aussi par une certaine arithmétique. Comme tout scrutin, un référendum nécessite une majorité pour valider un objet. Ici, la moitié des votants plus une voix suffisaient, sans autre verrou ou garde-fou (par exemple, une majorité des régions, comme c’est le cas en Suisse où les entités fédérées ont par définition un rôle plus important à jouer que les régions britanniques, même si celles-ci peuvent disposer d’une autonomie accrue). La pétition en cours réclame cependant que le référendum soit réorganisé car le #Brexit n’a pas recueilli 60% des votes exprimés combiné à un taux de participation supérieur à 75%. Si l’on peut comprendre que, vu l’importance de l’enjeu, les résultats ne doivent souffrir d’aucune contestation, ils doivent cependant être lus dans un contexte plus large, celui des cultures et pratiques politiques locales. Un référendum remporté à 52% n’est pas légitime à 52%, certainement pas dans un système politique considéré par les politologues comme le modèle même du système majoritaire. En effet, de par son mode de scrutin majoritaire (First Past The Post) à un tour1, le système britannique produit typiquement, selon les lois de Duverger, un système bipartisan où un parti obtient généralement une majorité de sièges au Parlement, tout l’inverse du dispositif proportionnel et consociatif belge, dans lequel une (large) coalition est nécessaire pour former un gouvernement. Autant dire que les Britanniques, avec leur modèle Westminster, sont rompus à l’exercice démocratique à la majorité simple, tandis que les Belges (et les Suisses d’ailleurs) recherchent le compromis.
Imposer désormais une majorité qualifiée pour un référendum ne pourrait que remettre en cause la légitimité des résultats des prochains scrutins. Évidemment, entamer une discussion parlementaire sur une modification des règles électorales pourrait constituer une bouffée d’oxygène et ouvrir la voie à de futures réformes. Cependant, ce scénario est peu crédible dans un Royaume-Uni traversant une crise de leadership à grand échelle : un Premier ministre démissionnaire ; un parti conservateur sorti déchiré de cette campagne électorale qui s’est apparentée à une lutte fratricide pour des responsabilités que finalement plus personne ne veut exercer ; un parti travailliste dégainant un vote de défiance à l’égard de son leader, mais sans alternative quant à sa succession ; un parti eurosceptique (UKIP) perdant également son héraut alors même qu’il touche son but : la sortie de l’UE. Formellement cette crise politique ne durera certainement pas aussi longtemps que la plus longue crise belge, mais — en boutade — on peut se demander lequel des deux pays ressemble le plus à un Failed State aujourd’hui (même si on sait que la bonne réponse est « aucun des deux »).
Démocratie directe : des réactions à géométrie variable
Et puis (surtout?) que faire des résultats concrets de ce vote ? Bien que les référendums ne soient pas contraignants au Royaume-Uni, l’organisation de celui relatif au Brexit a cependant été imposée par une loi (le European Union Referendum Act 2015 qui prévoit la tenue d’un référendum sur le maintien ou la sortie de l’UE) votée par les deux assemblées parlementaires et validée par la Reine. Peut-on aujourd’hui disqualifier ce scrutin sous des prétextes divers et faire comme si tout cela n’avait été qu’une vaste consultation du peuple sur laquelle on pourrait finalement s’asseoir ? Le référendum, comme tout vote, connait une limite considérable. Contrairement à ce que certains politiques et journalistes voudraient nous faire croire, les soirs d’élection, l’électeur ne donne aucun message ; il se contente de cocher une case sur un bulletin de vote. Ici, cependant, certains responsables politiques ont reconnu avoir fait des promesses qu’ils ne pourraient pas tenir, pour ne pas dire qu’ils ont menti. De nombreux électeurs ont expliqué que, s’ils avaient su (mais su quoi ? Les implications d’un brexit ou su que le brexit l’emporterait?), ils n’auraient pas voté ainsi.
Certains contestent le caractère démocratique d’un référendum, au prétexte que la décision qu’elle produit ne serait pas issue d’une délibération ou, encore, parce qu’il aurait un effet polarisant. Après tout, une telle consultation populaire ne permet que de répondre par oui ou par non (ou ici pour rester ou quitter l’UE). Ces voix se font cependant nettement plus discrètes quand le peuple vote « bien » (autoriser le mariage entre personnes du même sexe en Irlande, interdire les parachutes dorés en Suisse…). En général, la pratique référendaire est alors saluée internationalement. Les réactions sont plus partagées quand le résultat est conservateur (la sortie de l’UE comme ici, le rejet de la Constitution européenne en France en 2005, la fermeture des frontières en Suisse en 2014). Dans un pays de tradition référendaire comme la Suisse, certains résultats font grimacer jusque dans les rangs du gouvernement fédéral, mais il ne sera jamais question de ne pas en tenir compte. En revanche, on a déjà entendu des responsables politiques de premier plan battre leur coulpe, insistant sur le fait qu’un vote conservateur tenait probablement au fait qu’ils avaient mal communiqué, notamment sur les conséquences d’un tel résultat.
Un référendum, comme toute élection (parlementaire, communale ou même présidentielle), est un processus qui n’est pas à l’abri d’une instrumentalisation. Il s’agit d’une démarche simple (une voix sur un bulletin), mais qui peut, par principe, être influencée par la campagne électorale, voire par d’autres éléments extérieurs. Entre autres motivations, le référendum français sur la Constitution européenne s’était aussi transformé en plébiscite contre le gouvernement. Il en va de même pour le scrutin britannique de juin 2016, dont les enjeux ont largement dépassé celui de la sortie de l’Union européenne, que ce soit du fait des mandataires politiques ou de celui des électeurs. Malgré ces défauts, rejeter un scrutin organisé de manière démocratique et non contesté (au contraire de l’élection présidentielle autrichienne, personne n’a exprimé ici de soupçons de fraude) serait bien plus dangereux pour la démocratie que les reproches qu’on peut lui adresser. Cela reviendrait à disqualifier cette consultation populaire sous prétexte que le résultat n’est pas « bon », c’est-à-dire que les citoyens auraient « mal voté ».
Démocratiquement parlant, ce que le suffrage universel a fait, seul le suffrage universel peut le défaire. C’est selon ce principe qu’un deuxième référendum a été organisé en Irlande en 2009 (et en 2002 déjà). Cela a évidemment quelque chose d’infantilisant voire de méprisant de proposer au peuple de se prononcer à nouveau sur un objet identique. Néanmoins, comme certains échecs scolaires devraient entraîner une remise en question des enseignants, l’éventualité d’un re-vote devrait servir d’avertissement à la classe politique en mettant en évidence le décalage entre peuple et élites, ainsi qu’en soulignant leur total manque de flair politique.
Il n’est cependant pas garanti qu’un nouveau vote débouche sur un résultat favorable au maintien dans l’Union européenne. Plus qu’à l’expérience irlandaise, les responsables politiques britanniques qui souhaiteraient tenter à nouveau l’aventure d’un scrutin sur le brexit devraient peut-être se référer aux élections espagnoles. Après six mois sans aucun parti capable de former un gouvernement alors que la gauche disposait d’un avantage sensible, les électeurs espagnols ont finalement opté plus massivement pour le parti conservateur lors d’un deuxième scrutin. Il faudrait, plus généralement, prendre garde à ces pratiques qui donnent à penser qu’il y a un vote « de premier tour » où l’électeur peut se permettre de se disperser pour diverses raisons, dont la protestation, et un vote « de second tour » qui serait plus raisonné ou réfléchi et qui, de ce fait, annulerait la fantaisie relative du premier vote. Gardons à l’esprit que le vote n’a pas plus ou moins de valeur selon sa motivation ou le moment où il est exprimé.
En tout état de cause, la situation britannique est inédite. La première élection à laquelle les mandataires politiques doivent faire face est celle des nouveaux responsables de partis. La personne qui prendra la tête du parti conservateur reprendra également les fonctions de David Cameron à la tête du gouvernement. Alors que les élections internes sont en cours, aucun plan B ou aucune stratégie de brexit n’a encore été développée. Autant dire que la crise va encore un peu durer, mais la démocratie est à ce prix.
- Lors des élections britanniques, les électeurs sont amenés à élire un seul représentant par circonscription (que l’on dit alors uninominale) en un seul tour. De ce fait, le candidat (un seul par parti) qui recueille le plus de voix obtient automatiquement le siège mis en jeu, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir 50% des voix comme en France par exemple.