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Justice : faire taire les magistrats ?
Une image peut résumer la situation actuelle de la Justice : celle du palais de Justice de Bruxelles. Si vous le regardez vers le haut, « le Poelaert » donne à voir une coupole dorée qui scintille au soleil. Mais si votre regard se baisse au niveau du citoyen, il n’y a plus à contempler qu’un fatras d’échafaudages rouillés qui masque toute éventuelle beauté architecturale. C’est le parfait symbole de l’état actuel de la Justice !
Les exemples de dysfonctionnements abondent et ce n’est plus le temps de les énumérer. Cela va du refus du ministre de la Justice, pour des raisons budgétaires, d’ouvrir des places vacantes de substitut du procureur du Roi fiscaliste en plein « Panama Papers » à la rupture de stock du papier toilette dans un grand palais de Justice.
La Justice d’aujourd‘hui, ce sont des cadres de magistrats au mieux remplis autour de 90%, de moins en moins soutenus, en raison d’un manque criant de greffiers et d’employés. Ce sont des employés appelés à accomplir des tâches pour lesquelles ils ne sont pas formés. Ce sont des greffes fermés certains jours par manque de personnel. Ce sont des budgets informatiques réduits alors que les systèmes disponibles ne sont toujours pas performants. Ce sont des bâtiments qui offrent des conditions indignes en termes de confort, mais aussi de sécurité. Et ce sont des difficultés d’accès à la documentation juridique, spécialement problématiques pour des juges qui ont à entendre des avocats toujours plus organisés et outillés. On pourrait encore mentionner la suppression pour raisons budgétaires des huissiers d’audience alors que ces collaborateurs participent à l’accueil du justiciable dans une mesure que le monde politique ignore.
Les conséquences de cette situation sont dramatiques, tant en termes de gestion qu’au regard des grands principes d’un État de droit. La gestion contrainte actuelle aggrave les retards inacceptables dans le traitement des causes.
La situation est catastrophique, à tel point que certains n’hésitent pas à dire que c’est voulu et programmé. L’objectif serait, selon eux, de réduire le pouvoir judiciaire à une administration bien contrôlée par un autre pouvoir, l’exécutif. Or, un pouvoir judiciaire affaibli ne peut plus être le garant des libertés démocratiques, il ne peut plus être un pouvoir qui arrête le pouvoir. C’est ce que le premier président de la cour de Cassation a récemment dit avec force lors d’une interview télévisée : « Un État sans Justice ou avec une Justice qui devient injuste à force d’être faible, cet État n’est plus un État de droit, mais un État voyou. »
Cette métaphore est terriblement interpellante et elle risque bien de devenir une réalité si le ministre de la Justice actuel, avec l’aval du gouvernement, maintient ses projets.
Mais qu’en est-il alors du devoir de réserve des magistrats auquel le Premier ministre lui-même a fait référence, en réplique ? L’exécutif et le législatif se sont appuyés sur lui pour affaiblir, par des restrictions budgétaires successives, le pouvoir judiciaire. Et ils comptent sur le silence persistant et prolongé de la magistrature pour poursuivre leur travail de sape. Mais les magistrats ne peuvent plus se taire, ils ont l’obligation, dans une démocratie, d’être des lanceurs d’alerte quand des périls se précisent. C’est le cas aujourd’hui.
La réaction actuelle de la magistrature, qui s’est longtemps réfugiée dans le silence, donne à penser qu’elle prend conscience (ainsi que l’a bien indiqué une collègue qui siège au tribunal de la famille) qu’elle a longtemps vécu le syndrome des femmes battues. Celles qui croient toujours que demain leur bourreau redeviendra un prince charmant.
Alors il faut clamer avec force que cela suffit. Si les citoyens souhaitent le maintien d’une vraie justice au service de la démocratie, il n’est plus possible de continuer de se taire !