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Justice : faire taire les magistrats ?

Blog - Belgosphère par Thierry Marchandise

mai 2016

Une image peut résu­mer la situa­tion actuelle de la Jus­tice : celle du palais de Jus­tice de Bruxelles. Si vous le regar­dez vers le haut, « le Poe­laert » donne à voir une cou­pole dorée qui scin­tille au soleil. Mais si votre regard se baisse au niveau du citoyen, il n’y a plus à contem­pler qu’un fatras d’échafaudages rouillés qui masque toute éven­tuelle beau­té archi­tec­tu­rale. C’est le par­fait sym­bole de l’état actuel de la Justice !

Belgosphère

Les exemples de dys­fonc­tion­ne­ments abondent et ce n’est plus le temps de les énu­mé­rer. Cela va du refus du ministre de la Jus­tice, pour des rai­sons bud­gé­taires, d’ouvrir des places vacantes de sub­sti­tut du pro­cu­reur du Roi fis­ca­liste en plein « Pana­ma Papers » à la rup­ture de stock du papier toi­lette dans un grand palais de Justice.

La Jus­tice d’aujourd‘hui, ce sont des cadres de magis­trats au mieux rem­plis autour de 90%, de moins en moins sou­te­nus, en rai­son d’un manque criant de gref­fiers et d’employés. Ce sont des employés appe­lés à accom­plir des tâches pour les­quelles ils ne sont pas for­més. Ce sont des greffes fer­més cer­tains jours par manque de per­son­nel. Ce sont des bud­gets infor­ma­tiques réduits alors que les sys­tèmes dis­po­nibles ne sont tou­jours pas per­for­mants. Ce sont des bâti­ments qui offrent des condi­tions indignes en termes de confort, mais aus­si de sécu­ri­té. Et ce sont des dif­fi­cul­tés d’accès à la docu­men­ta­tion juri­dique, spé­cia­le­ment pro­blé­ma­tiques pour des juges qui ont à entendre des avo­cats tou­jours plus orga­ni­sés et outillés. On pour­rait encore men­tion­ner la sup­pres­sion pour rai­sons bud­gé­taires des huis­siers d’audience alors que ces col­la­bo­ra­teurs par­ti­cipent à l’accueil du jus­ti­ciable dans une mesure que le monde poli­tique ignore.

Les consé­quences de cette situa­tion sont dra­ma­tiques, tant en termes de ges­tion qu’au regard des grands prin­cipes d’un État de droit. La ges­tion contrainte actuelle aggrave les retards inac­cep­tables dans le trai­te­ment des causes.

La situa­tion est catas­tro­phique, à tel point que cer­tains n’hésitent pas à dire que c’est vou­lu et pro­gram­mé. L’objectif serait, selon eux, de réduire le pou­voir judi­ciaire à une admi­nis­tra­tion bien contrô­lée par un autre pou­voir, l’exécutif. Or, un pou­voir judi­ciaire affai­bli ne peut plus être le garant des liber­tés démo­cra­tiques, il ne peut plus être un pou­voir qui arrête le pou­voir. C’est ce que le pre­mier pré­sident de la cour de Cas­sa­tion a récem­ment dit avec force lors d’une inter­view télé­vi­sée : « Un État sans Jus­tice ou avec une Jus­tice qui devient injuste à force d’être faible, cet État n’est plus un État de droit, mais un État voyou. »

Cette méta­phore est ter­ri­ble­ment inter­pel­lante et elle risque bien de deve­nir une réa­li­té si le ministre de la Jus­tice actuel, avec l’aval du gou­ver­ne­ment, main­tient ses projets.
Mais qu’en est-il alors du devoir de réserve des magis­trats auquel le Pre­mier ministre lui-même a fait réfé­rence, en réplique ? L’exécutif et le légis­la­tif se sont appuyés sur lui pour affai­blir, par des res­tric­tions bud­gé­taires suc­ces­sives, le pou­voir judi­ciaire. Et ils comptent sur le silence per­sis­tant et pro­lon­gé de la magis­tra­ture pour pour­suivre leur tra­vail de sape. Mais les magis­trats ne peuvent plus se taire, ils ont l’obligation, dans une démo­cra­tie, d’être des lan­ceurs d’alerte quand des périls se pré­cisent. C’est le cas aujourd’hui.

La réac­tion actuelle de la magis­tra­ture, qui s’est long­temps réfu­giée dans le silence, donne à pen­ser qu’elle prend conscience (ain­si que l’a bien indi­qué une col­lègue qui siège au tri­bu­nal de la famille) qu’elle a long­temps vécu le syn­drome des femmes bat­tues. Celles qui croient tou­jours que demain leur bour­reau rede­vien­dra un prince charmant.

Alors il faut cla­mer avec force que cela suf­fit. Si les citoyens sou­haitent le main­tien d’une vraie jus­tice au ser­vice de la démo­cra­tie, il n’est plus pos­sible de conti­nuer de se taire !

Thierry Marchandise


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