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Jérusalem, à couteaux tirés
Une Cisjordanie palestinienne au bord de l’implosion et Jérusalem-Est au seuil de la conflagration. L’occasion de dresser un contexte politique et de rappeler, au-delà du conflit israélo-palestinien, en quoi Jérusalem et son Esplanade concentrent tout ce qui relie et oppose à la fois traditions judaïques, chrétiennes et islamiques.
Depuis la mi-août, les tensions quotidiennes se sont ravivées en Israël et en Cisjordanie occupée1. Des affrontements épars mais réguliers opposent de jeunes manifestants palestiniens aux forces israéliennes aux abords des multiples mahsomim (postes de contrôle sophistiqués ou barrages militaires) qui entrelardent la Cisjordanie et ont pour fonction principale de garantir la libre circulation des 570.000 habitants des colonies et quartiers israéliens de peuplement.
La mi-septembre a vu ces affrontements, somme toute classiques depuis le déclenchement du deuxième soulèvement palestinien (Deuxième Intifada, 2000 – 2004), prendre une tournure plus dramatique, et ce des deux côtés de la Ligne Verte2. En Cisjordanie occupée, à Jérusalem et en territoire israélien stricto sensu, les attaques au couteau se sont multipliées contre des civils ou des policiers israéliens. Ce terrorisme au couteau (terror ha-sakin), comme l’a vite surnommé la presse israélienne, a tôt fait de semer la panique dans la population civile israélienne et de réactiver une peur, voire une haine de l’Arabe, comme en témoignent les lynchages auxquels ont échappé d’extrême justesse des citoyens arabes (palestiniens) israéliens ainsi que des correspondants et journalistes arabes de médias israéliens.
Comparaison n’est pas raison
Dans un contexte régional marqué par la déstabilisation sanglante du paysage politique et diplomatique moyen-oriental consécutive aux révoltes populaires arabes, la poursuite infinie et terrifiante de la guerre de Syrie et la montée en puissance de l’État islamique (Daech), il est tentant de rapprocher ce « terrorisme artisanal » de celui pratiqué par des jihadistes « loups solitaires ». La tentation d’y assimiler la « terreur au couteau » est d’autant plus grande que ces attaques, pour solitaires qu’elles soient, sont menées selon un modus operandi identique et donnent donc l’impression d’actes concertés.
Certes, les sondages d’opinion et les informations en provenance des territoires palestiniens occupés ou autonomes attestent d’une lente mais continue démonétisation du Hamas (Mouvement de Résistance islamique) et du Fath (Mouvement de Libération nationale palestinienne), lesquels gèrent chacun « leur » Autorité palestinienne (AP)3 respectivement dans la bande de Gaza et en Cisjordanie depuis juin 2007. Cette démonétisation se traduit, soit par une défiance envers le politique ou une dépolitisation pure et simple de la population, soit par l’attirance de jeunes militants islamistes ou islamo-nationalistes pour des méthodes jihadistes qui, pour effrayantes qu’elles soient, ont « fait leurs preuves » en déstabilisant (une première depuis 1917) l’ensemble du Moyen-Orient et en mettant sur la défensive les régimes en place ainsi que les oppositions nationales (civiles ou militaires) impitoyablement réprimées par ces derniers, le cas le plus atrocement exemplatif étant évidemment celui de la Syrie.
Néanmoins, il n’est pas raisonnable d’interpréter les convulsions du Moyen-Orient à travers une grille de lecture unique et univoque dont le talon d’Achille est « l’aplatissement » ou le renvoi à la marge des contextes sociopolitiques nationaux. Les mouvements sociaux et protestataires actuellement en cours au Liban, bien que peu médiatisés, illustrent parfaitement les limites d’une telle grille de lecture qui, si elle fait le bonheur des « experts DU Moyen-Orient », n’en passe pas moins à côté des conditions concrètes et de « terroir » et a pour effet collatéral de rendre inintelligibles les protestations sociales et politiques en cours dans chaque société du Moyen-Orient envisagée individuellement.
Des affrontements inscrits dans les astres
Dans le cas de l’espace israélo-palestinien, le regain de violence de cet automne n’a pas éclaté tel un coup de tonnerre dans un ciel serein. En mars 2015, les élections législatives israéliennes anticipées se sont traduites par le recul des partis de centre-droit, l’éternel surplace de l’Avoda travailliste (centre-gauche) et le retour en force du Likoud (nationaliste de droite). À l’issue de ce scrutin, le Premier ministre sortant Binyamin Netanyahou (Likoud) a mis sur pied la coalition gouvernementale sans doute la plus nationaliste et intraitable en 67 ans d’existence de l’État d’Israël.
Ces élections se sont déroulées sous le spectre d’un accord international sur le statut et le contrôle du programme nucléaire de la République islamique d’Iran. Mais, sur le plan intérieur, le contexte de ces élections anticipées fut davantage délétère.
Premièrement, Binyamin Netanyahou avait dissous la Knesset [Parlement israélien] suite au refus des partis de centre-droit de sa coalition de se prononcer sur un projet de réforme des Lois fondamentales (Israël n’a pas de Constitution), projet définissant explicitement Israël comme l’État-nation du peuple juif et non plus comme un État juif et démocratique. La campagne électorale avait dès lors rapidement pris de forts relents identitaires et anti-arabes au sein des partis de droite et d’extrême-droite, à tel point que l’Avoda travailliste avait jugé nécessaire de se mettre en cartel avec un parti de centre-droit sous le nom de ha-Mahaneh ha-tzioni (le Camp sioniste).
Deuxièmement, le processus de négociation israélo-palestinien, entamé en 1993 (les accords d’Oslo) et maintenu artificiellement en vie depuis 12 ans, avait été définitivement enterré au printemps 2014 par le gouvernement Netanyahou. D’une part, alors que se négociait une dernière tentative d’accord politique israélo-palestinien sous une molle médiation américaine, le gouvernement Netanyahou avait multiplié les annonces de nouveaux projets immobiliers dans les colonies de peuplement de Cisjordanie et particulièrement dans les colonies et quartiers israéliens qui ceinturent la Jérusalem-Est palestinienne et l’isolent économiquement et socialement de son hinterland cisjordanien. D’autre part, le Premier ministre sortant avait posé in extremis une nouvelle exigence aux négociateurs de l’OLP4 : une reconnaissance palestinienne écrite de l’État d’Israël comme État-nation du peuple juif. Cette exigence nouvelle (qui sera le sujet d’un prochain article) s’était heurtée à une fin de non-recevoir prévisible de la part des négociateurs palestiniens.
Troisièmement, outre la création de colonies illégales5 (au regard de la législation israélienne) aux quatre coins de la Cisjordanie, les Palestiniens furent les témoins impuissants du retour en force de la Jeunesse des Collines (Noar ha-Gvaot), un mouvement relevant du « pilier »6 national-religieux et dont la plupart des membres sont issus de la deuxième ou troisième génération de Juifs israéliens nés dans les colonies de peuplement idéologiques. Le modus operandi de la Jeunesse des Collines consiste à mener des raids dans les villages palestiniens qui jouxtent leurs colonies, à y incendier les champs et les oliveraies et à y taguer des slogans nationalistes et racistes. Les derniers faits d’armes de la Noar ha-Gvaot ont été la mise à sac ou à feu de lieux de culte musulmans et chrétiens en Israël et en Cisjordanie et, plus dramatique, les incendies de maisons palestiniennes, l’un d’entre eux s’étant conclu en août par la mort des membres de toute une famille palestinienne.
L’actuelle coalition gouvernementale israélienne compte dans ses rangs un parti dont le programme et la majorité des cadres incarnent cette Jeunesse des Collines : le Foyer juif (ha-Bayit ha-yehudi). Ce petit parti y détient trois portefeuilles ministériels de poids : Agriculture et Développement rural (un poste crucial concernant la Cisjordanie), Justice et Enseignement. Le poids du Foyer juif s’est rapidement fait sentir : projets de loi visant l’indépendance du pouvoir judiciaire, coupes sombres dans des budgets de la Culture désormais soumis à une sorte de screening patriotique, réforme nationaliste des manuels scolaires israéliens et, enfin, tentative de légalisation d’initiatives privées de colonisation dans la Vieille Ville de Jérusalem (cf. infra).
Jérusalem-Est exsangue
Saignée à blanc par la chute des revenus du tourisme et surtout par la dissociation radicale imposée par les autorités israéliennes avec son hinterland cisjordanien, Jérusalem-Est a vu, en 21 ans de « processus diplomatique », ses quartiers intra muros et extra muros se paupériser à tel point que la cité est aujourd’hui considérée comme la plus pauvre des villes palestiniennes de Cisjordanie.
À cette paupérisation est venu s’ajouter un développement politique relativement neuf. Après la conquête de 1967, la politique israélienne fut longtemps de ne pas coloniser Jérusalem-Est de l’intérieur, mais de l’extérieur, en édifiant progressivement une ceinture de quartiers « coloniaux » israéliens autour de la ville palestinienne.
Rendue pratiquement étanche par l’édification de la barrière de séparation, cette ceinture résidentielle israélienne s’est petit à petit doublée d’une colonisation « privée », c’est-à-dire n’étant pas formellement le fait de décisions gouvernementales ou municipales, mais de « groupements de propriétaires » juifs financés par des organisations israéliennes ou étrangères et achetant, avec le concours ponctuel d’entremetteurs palestiniens et au besoin avec une dose d’intimidation, des biens immobiliers palestiniens à l’intérieur de la Vieille Ville (principalement dans le Quartier musulman, mitoyen de l’Esplanade des Mosquées et du Mur des Lamentations) ainsi que dans quelques quartiers jouxtant la Vieille Ville.
Le cas le plus emblématique est celui de Silwân (l’antique Shiloah hébraïque), l’un des quartiers palestiniens les plus paupérisés avec celui du Mont des Oliviers (Al-Tûr). Soutenues par l’ONG Elad, arguant de la présence (effective) de Juifs yéménites jusqu’en 1948 et sous prétexte de fouilles archéologiques destinées à mettre à jour les traces de l’antique Cité de David, plusieurs dizaines de familles juives se sont implantées à Silwân, au cœur d’une population palestinienne tenue à l’œil par la police et des sociétés de gardiennage israéliennes.
Au printemps 2015, les célébrations pascales et post-pascales des minorités palestiniennes chrétiennes de la Vieille Ville furent en outre annulées, postposées ou déplacées, suite aux raids menés par des groupes de jeunes Juifs nationaux-religieux. Et, à la mi-septembre, on apprenait également que la mairie (israélienne) de Jérusalem avait adopté un règlement destiné à renommer en hébreu le nom des principales artères arabes de Jérusalem-Est.
Cette année, le calendrier des principales fêtes religieuses islamiques coïncidant avec celui des principales célébrations juives, l’automne promettait d’être chaud. Il le fut.
Incarnations et charges symboliques de l’Esplanade
Depuis la mi-septembre, l’Esplanade sacrée de Jérusalem est redevenue un foyer de conflagration potentiel. L’enjeu et le statut de ce lieu saint islamique sont bien plus clivants et explosifs que ceux du Saint-Sépulcre car l’Esplanade concentre à elle seule tout ce qui relie et oppose à la fois les traditions judaïques aux traditions islamiques en passant par les traditions chrétiennes.
Selon les traditions orthodoxes judaïques, formalisées par le judaïsme rabbinique postérieur à l’écrasement des révoltes judéennes contre Rome durant les deux premiers siècles de l’ère chrétienne, l’Esplanade est le lieu où furent jadis édifiés et ensuite détruits le Premier Sanctuaire (« Temple de Salomon ») et le Deuxième Sanctuaire (« d’Hérode »), ou plus littéralement Le Sanctuaire (Beit ha-Miqdash).
Les traditions des chrétiens d’Orient (Syriaques, Assyro-Chaldéens, Arabes « grecs » orthodoxes, Arabes melkites, Arabes maronites, etc.) évoquent Le Sanctuaire des Juifs ou plus simplement Le Sanctuaire (Beit Maqdesha en araméen, Beit al-Maqdis en arabe).
Les traditions islamiques se sont elles-mêmes inscrites dans la continuité et l’héritage juif et chrétien. La continuité est évidente quand on sait que l’islam a adopté la coutume araméenne qui élargissait la notion du Sanctuaire (juif) en en faisant l’un des multiples toponymes de Jérusalem considérée dans son entièreté. Ainsi, l’un des noms arabes de Jérusalem est tout simplement Beit al-Maqdis, Le Sanctuaire. Les musulmans ont également fait leur l’une des métaphores hébraïque, syriaque et arabe chrétienne de Jérusalem, La Ville de la Sainteté ou du Sacré : ‘Ir ha-Qodesh (ou ha-Qodesh) en hébreu, Medinat Qudsha (ou Qudsha) en araméen et Madinat al-Quds (ou al-Quds) en arabe.
L’héritage juif endossé par l’islam est tout aussi évident, dès lors que, toujours selon les traditions islamiques, après avoir conquis Jérusalem en 637, le calife Omar ibn al-Khattâb aurait pris soin de consulter un rabbin converti à l’islam, Abou Ishaq Ka’ab al-Ahbar. En effet, désireux d’édifier une mosquée (la future Mosquée al-Aqsa) sur l’Esplanade, le Calife ne voulait pas que l’édifice recouvre l’emplacement de l’ancien Temple et sa partie sacro-sainte pour les Juifs, le bien nommé Saint des Saints. C’est pourquoi al-Aqsa ne se trouve pas au centre mais à l’extrémité sud-ouest de l’Esplanade.
Ce n’est que plus tard, en 691, qu’un nouvel édifice islamique sera érigé sur l’emplacement de l’ancien Temple : le Dôme du Rocher. Célèbre pour sa coupole dorée, le Dôme n’est cependant pas une mosquée, ce qui ne l’empêche pas d’être tout aussi religieusement chargé. En effet, ce qu’on appelle également le Rocher de la Fondation y a deux significations. Pour les fidèles juifs, c’est la Moriah, le lieu où Abraham fut sur le point de sacrifier son fils Isaac, conformément à l’ordre donné par le dieu unique. Pour les fidèles musulmans, c’est le lieu d’où le Prophète Mahomet a effectué un voyage au Paradis à dos d’un cheval ailé, le Bouraq, mis à sa disposition par l’Ange Gabriel. En définitive, c’est tout le complexe islamique formé par l’Esplanade, la Mosquée al-Aqsa et le Dôme du Rocher que les Arabes musulmans nomment Le Noble Sanctuaire ou, plus littéralement, La Noble Enceinte (Al-Haram al-Sharîf).
La question du statu quo
Ce détour par les traditions religieuses des deux nationalités constitutives (Juifs israéliens d’une part, Arabes palestiniens musulmans et chrétiens d’autre part) est nécessaire pour aborder la question du statu quo dont il est si souvent question. De la fin du 19e siècle jusqu’à la première guerre israélo-arabe (1947 – 1949), diverses formules de statu quo furent imposées ou proposées aux protagonistes de ce qui était en train de devenir le conflit israélo-palestinien. Ces formules étaient censées garantir l’intégrité des lieux saints des trois monothéismes abrahamiques ainsi que le libre exercice du culte pour leurs fidèles respectifs.
En novembre 1947, le Plan de Partition de la Palestine en un État juif et un État arabe proposait de faire de Jérusalem et de plusieurs bourgades juives et arabes environnantes (Bethléem y comprise) un corpus separatum administré dans un premier temps par l’ONU et dans un second temps par les deux États. La formule du corpus separatum fut rendue impraticable par l’issue de la première guerre israélo-arabe et le tracé d’une ligne d’armistice qui divisa la ville en deux.
D’une part, l’État d’Israël contrôlait l’essentiel de la Nouvelle Ville (Jérusalem-Ouest, majoritairement juive) d’où quelque 34.000 Palestiniens avaient dû prendre la fuite. D’autre part, le Royaume hachémite de Jordanie contrôlait le reste de la Nouvelle Ville (majoritairement arabe musulmane et chrétienne) et tout particulièrement la Vieille Ville intra muros et ses quatre quartiers confessionnels traditionnels musulman, chrétien, arménien et juif, les 2000 habitants de ce dernier ayant également dû prendre la fuite vers la partie israélienne de Jérusalem.
En juin 1967, la guerre des Six jours et la conquête de la Cisjordanie reposa la question du statut de Jérusalem7 en général et des lieux saints en particulier. Des arrangements tacites furent négociés entre le ministre israélien travailliste de la Défense Moshé Dayan, d’une part, et les représentants des cultes chrétiens et musulmans, d’autre part.
Selon ce statu quo, les Juifs récupéraient le Quartier juif traditionnel de la Vieille Ville, ainsi que le libre accès au pied de ce que les chrétiens nomment le Mur des Lamentations, mais que les Juifs appellent ha-Kotel ha-ma’aravi, c’est-à-dire le Mur occidental de soutènement de l’Esplanade du Sanctuaire, vingt mètres en contrebas. Néanmoins, les Juifs ne pouvaient se rendre sur l’Esplanade qu’à titre personnel, selon un calendrier précis et avec l’interdiction formelle d’y prier voire d’y exercer le culte. Cette interdiction visait à empêcher des nationalistes religieux d’imposer un fait accompli, voire de provoquer l’irréparable en saccageant ou en détruisant la Mosquée al-Aqsa et le Dôme du Rocher. Qui plus est, l’interdit posé par le statu quo se fondait sur la tradition judaïque, endossée par le Haut Rabbinat israélien, qui estime que fouler le Mont du Temple expose le visiteur au risque de fouler le lieu où se dressait jadis le Saint des Saints, pièce maîtresse et taboue de l’ancien Sanctuaire.
Néanmoins, pour assurer et faciliter le libre accès des fidèles juifs au Mur des Lamentations, l’armée israélienne procéda à l’arasement du Quartier des Maghrébins, un petit quartier musulman qui séparait jusqu’alors le Quartier juif du Mur occidental. En contrepartie, les organes du culte islamique conservaient leur souveraineté de facto sur La Noble Enceinte et donc sur la Mosquée al-Aqsa et le Dôme du Rocher. De cette manière, les autorités israéliennes reconnaissaient l’Esplanade comme un lieu saint islamique.
Révisions juives et islamiques
Depuis quelques années, on assiste à la venue régulière de militants juifs nationaux-religieux de plus en plus nombreux sur l’Esplanade. C’est ainsi que, le 12 septembre, un groupe de « visiteurs », membres du Mouvement pour la Restauration du Sanctuaire, est parvenu à monter sur l’Esplanade sous la conduite d’Ouri Ariel, actuel ministre de l’Agriculture, lequel a ensuite accordé au peuple juif la Birkat ha-Kohanim (Bénédiction des Prêtres), une formule prononcée dans l’Antiquité par les prêtres du Temple.
Ces développements volatils sont l’une des sources du regain de violence dans les Territoires occupés et à Jérusalem-Est. Désormais, tout le monde craint des affrontements directs entre des militants nationaux-religieux juifs et des militants islamistes, les Mourabitoun (Défenseurs) d’al-Aqsa enfermés dans la Mosquée.
Côté israélien, une nouvelle génération de Juifs sont nés en Cisjordanie occupée et, parmi les militants nationaux-religieux, nombre d’entre eux sont décidés à accomplir ce que leurs parents ou grands-parents n’ont pu ou voulu réaliser : la restauration d’une souveraineté, non pas politiquement israélienne, mais cultuellement juive sur l’Esplanade.
Il n’est pas interdit de penser que, au nom d’une liberté de culte pourtant contestée par l’orthodoxie juive, ces militants de la nouvelle génération cherchent à obtenir, non pas la restauration du Temple, mais la division de l’Esplanade (et surtout du Dôme du Rocher) en une aile réservée au culte juif et une aile réservée au culte islamique. Or, comme le démontre le cas du Caveau des Patriarches à Hébron, pareille issue ne ferait qu’exacerber les tensions en « judaïsant » une partie de l’Esplanade, en alourdissant la présence sécuritaire israélienne, en pérennisant de facto la souveraineté israélienne sur l’ensemble de la Vieille Ville et en rendant davantage impossible une partition totale ou partielle (cogestion) de Jérusalem entre l’État d’Israël et un État de Palestine de plus en plus hypothétique.
Côté palestinien, nous assistons à la révolte spontanée de toute une génération née après les accords d’Oslo (1993 – 1996) et qui ne connaît comme quotidien que les barrages militaires et l’expansion des colonies juives de peuplement. Sur le plan religieux, parmi les fidèles musulmans, une nouvelle génération a grandi dans un contexte de « réislamisation » qui s’inscrit en rupture avec les traditions islamiques évoquées ci-dessus. Selon cet « islam révisé », il n’y aurait jamais eu de Sanctuaire juif sur l’Esplanade et la simple évocation d’un lien religieux antique entre judaïsme et Esplanade relèverait du « complot américano-sioniste ».
À l’heure de boucler cet article, nul ne sait de quoi le proche avenir sera fait. Mais il y a de quoi nourrir un profond pessimisme. Les négociations israélo-palestiniennes initiées en 1993 appartiennent au passé. L’OLP (et l’Autorité palestinienne cisjordanienne) est profondément déstabilisée par son échec diplomatique, la question de la succession de Mahmoud Abbas et le conflit larvé qui prévaut toujours entre l’OLP et le Hamas.
Quant au gouvernement Netanyahou, la décision, prise ce mercredi 14 octobre, d’imposer un couvre-feu dans de larges parties de Jérusalem-Est sonne comme un aveu d’échec de 48 ans de politique israélienne. Pourtant, au-delà des considérations idéologiques évoquées plus haut, il semble que Binyamin Netanyahou ait décidé de pousser l’administration Obama jusqu’au point de rupture, échaudé qu’il est par la conclusion de l’accord international sur le nucléaire iranien et conscient de l’affaiblissement américain au Moyen-Orient. Cet affaiblissement est évidemment illustré par la montée en puissance de l’engagement de la Russie aux côtés du régime syrien et par un rapprochement israélo-russe, qui ressemble furieusement à un pied-de-nez adressé aux États-Unis.
- En droit international, le territoire palestinien occupé de Cisjordanie inclut Jérusalem-Est, annexée de facto en juin 1967 et de jure en 1980, suite au vote par le Parlement israélien d’une nouvelle Loi fondamentale, dite Loi de Jérusalem, proclamant cette dernière capitale éternelle et indivisible d’Israël et du peuple juif.
- Ligne d’armistice tracée en 1949 entre Israël et les États arabes vaincus au terme de la guerre d’indépendance israélienne. Jusqu’en juin 1967, cette ligne séparait, d’une part, l’État d’Israël nouvellement créé, et d’autre part, les deux territoires arabes restants de la Palestine : la bande de Gaza, administrée par l’armée égyptienne, et la Cisjordanie, annexée à un Royaume hachémite de Palestine rapidement rebaptisé Royaume jordanien hachémite, autrement dit la Jordanie. Ce royaume du Jourdain disposait de deux capitales : Amman la Transjordanienne et Jérusalem(-Est) la Cisjordanienne (palestinienne).
- La bande de Gaza, administrée par une Autorité palestinienne gouvernée par le Hamas de Khaled Meshaal, et les enclaves autonomes de Cisjordanie, administrées par une Autorité palestinienne gouvernée par le Fath (principale composante de l’OLP, Organisation de Libération de la Palestine) de Mahmoud Abbas. Juridiquement et diplomatiquement, l’Autorité palestinienne (AP) originelle n’a jamais d’existence internationale : elle n’est qu’une administration locale ayant hérité des compétences de l’Administration civile (Gouvernement militaire israélien) dans les zones hors desquelles s’est redéployée l’armée israélienne entre 1994 et 2005.
- À l’ONU, c’est l’OLP qui, en tant que représentant du peuple palestinien (des territoires occupés et de la diaspora), siège à titre d’État observateur non-membre : l’État de Palestine. Le Hamas ne fait pas partie de l’OLP.
- Appelées pudiquement avant-postes en anglais et en français, ces colonies créées sans l’aval formel des autorités israéliennes sont nommées en hébreu maahazim, littéralement prises ou emprises.
- Organisée et clivée en secteurs (migzarim), la société israélienne repose sur des piliers comparables à ceux qui ont longtemps régi la vie politique, sociale et éducative aux Pays-Bas et en Belgique. À côté de la « sectorisation » entre Juifs et Arabes et entre Juifs laïcs et Juifs religieux, le monde juif religieux se répartit lui-même entre Juifs traditionnels (orthodoxes), ultra-orthodoxes et nationaux-religieux.
- En référence au corpus separatum proposé en 1947 et en l’absence d’accord de paix entre les belligérants, Jérusalem-Ouest n’est pas reconnue de jure mais simplement de facto comme territoire israélien. C’est la raison pour laquelle la plupart des États ayant des relations diplomatiques avec Israël ont établi leurs ambassades à Tel-Aviv et non à Jérusalem. Sous le régime hachémite, Jérusalem-Est fut soumise au même traitement. Enfin, l’annexion de Jérusalem-Est par Israël n’est reconnue par aucun État membre des Nations Unies.