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Israël – Législatives 2020. La balle au centre ?

Blog - e-Mois - élections Israël par Pascal Fenaux

février 2020

Ce 2 mars 2020, les élec­teurs israé­liens seront invi­tés à se rendre aux urnes pour la troi­sième fois en moins d’un an pour élire 120 dépu­tés. Les deux pré­cé­dents scru­tins légis­la­tifs (9 avril 2019 et 17 sep­tembre 2019) n’ayant pas per­mis à une majo­ri­té par­le­men­taire de se déga­ger et d’investir un gou­ver­ne­ment de plein exer­cice, l’enjeu prin­ci­pal de ces nou­velles légis­la­tives est de taille : sor­tir Israël d’une crise poli­tique et ins­ti­tu­tion­nelle sans pré­cé­dent depuis la créa­tion de l’État juif il y aura bien­tôt 72 ans.

e-Mois

Des enjeux purement internes…

Une pré­ci­sion s’impose avant toute chose. Par­mi les enjeux de ces élec­tions, la ques­tion israé­lo-pales­ti­nienne devrait être ren­voyée aux marges de la cam­pagne élec­to­rale. Si, vu de l’étranger, l’on pour­rait croire que cette ques­tion est prio­ri­taire dans le choix des élec­teurs, il n’en est rien. Les légis­la­tives mobi­lisent les Israé­liens, Juifs comme Arabes, autour d’enjeux lar­ge­ment de poli­tique inté­rieure. La fin de la Seconde Inti­fa­da (2000 – 2004), la construc­tion de la « Bar­rière de Sépa­ra­tion » en Cis­jor­da­nie occu­pée et la « décon­nexion » d’avec la Bande de Gaza (2005)1 ont davan­tage accru le carac­tère israé­lo-israé­lien des élec­tions législatives.

Par­mi les enjeux inté­rieurs, on peut citer les sui­vants : une réforme de la gou­ver­nance dans le sens de la lutte contre la cor­rup­tion, la défi­ni­tion des rela­tions entre l’État et les com­mu­nau­tés reli­gieuses ou confes­sion­nelles, la réforme et le refi­nan­ce­ment du sys­tème de san­té, la conscrip­tion mili­taire des jeunes Juifs reli­gieux ultra-ortho­doxes, la réforme du droit de la famille (mariages civils ou pas?) et une éga­li­té civique davan­tage garan­tie entre citoyens juifs et arabes.

… à deux exceptions près

Deux excep­tions méritent néan­moins d’être rele­vées. La pre­mière est celle des colons israé­liens de Cis­jor­da­nie occu­pée, bien évi­dem­ment moti­vés par la ques­tion israé­lo-pales­ti­nienne et prio­ri­tai­re­ment mobi­li­sés contre toute poli­tique allant dans le sens d’un retrait plus ou moins signi­fi­ca­tif hors des ter­ri­toires de ce qui pour­rait deve­nir un éven­tuel État de Pales­tine souverain.

La seconde excep­tion est celle des habi­tants de l’«Enveloppe de Gaza » (‘Otef ‘Azza)2, ce ter­ri­toire israé­lien fron­ta­lier de la bande de Gaza et régu­liè­re­ment ciblé par des tirs de roquettes en pro­ve­nance du ter­ri­toire pales­ti­nien admi­nis­tré par le Hamas (Mou­ve­ment de la Résis­tance isla­mique) depuis 2007. Pour les habi­tants de cette région, quelles que soient leurs opi­nions poli­tiques envers le conflit israé­lo-pales­ti­nien, les ques­tions sécu­ri­taires sont évi­dem­ment pri­mor­diales dans leur vote.

Chute ou résurrection de Binyamin Netanyahou

On le sait, l’un des enjeux prin­ci­paux du scru­tin du 2 mars sera encore et tou­jours l’avenir poli­tique du Pre­mier ministre sor­tant Binya­min « Bibi » Neta­nya­hou et de sa for­ma­tion de droite natio­na­liste, le Likoud. Bien que visé par trois pro­cé­dures judi­ciaires et un pro­cès qui débu­te­ra le 17 mars, « Bibi » entend tout faire pour conser­ver le pou­voir qu’il occupe depuis main­te­nant 11 ans sans dis­con­ti­nuer. Pour ce faire, cet ani­mal poli­tique fera feu de tout bois durant la cam­pagne élec­to­rale pour per­mettre au Bloc des droites (com­po­sé du Likoud et de par­tis ultra­na­tio­na­listes, ultra-ortho­doxes et natio­na­listes reli­gieux) d’obtenir une majo­ri­té parlementaire.

Le pro­gramme poli­tique de ce Bloc des droites est libé­ral sur le plan éco­no­mique, conser­va­teur sur le plan éthique et socié­tal et annexion­niste pour ce qui concerne la ques­tion israé­lo-pales­ti­nienne. Sur ce der­nier point, Binya­min Neta­nya­hou entend bien mettre en appli­ca­tion le plus vite pos­sible les annexions de 40 % de la Cis­jor­da­nie occu­pée pré­vues par le « Plan Trump »3, tout en se gar­dant de prendre langue avec une Auto­ri­té pales­ti­nienne qui, de son côté, a de toute façon déjà reje­té un Plan Trump tout sim­ple­ment « imbu­vable » pour tout res­pon­sable poli­tique palestinien.

Appli­quer le Plan Trump serait l’aboutissement de toute une car­rière poli­tique pour le Pre­mier ministre sor­tant. Binya­min Neta­nya­hou ne se résume pas au poli­ti­cien cor­rom­pu tra­qué par la Jus­tice ou à l’animal poli­tique capable d’enflammer, pour le meilleur et pour le pire, une cam­pagne élec­to­rale, voire d’y dis­til­ler des relents mal­sains. Neta­nya­hou est d’abord et avant tout un homme poli­tique tout entier mobi­li­sé par une convic­tion intime et sin­cère : entre la Médi­ter­ra­née et le Jour­dain, il ne peut y avoir d’autre État sou­ve­rain que celui d’Israël. Aux Pales­ti­niens de se sou­mettre ou de se démettre. 

Pour appli­quer le Plan Trump, Binya­min Neta­nya­hou devra donc faire men­tir les son­dages qui montrent le Likoud devan­cé ou talon­né par son adver­saire cen­triste Kahol Lavan. Il devra aus­si espé­rer que ses alliés du Bloc des droites réa­lisent une meilleure per­for­mance élec­to­rale qu’en sep­tembre 2019, à com­men­cer par le car­tel annexion­niste Yemi­na (« À Droite ») qui, contre toute attente, avait failli ne pas fran­chir le seuil électoral.

Le Plan Trump, concoc­té entre autres après consul­ta­tion des repré­sen­tants du Conseil du Yesha4, pour­rait ain­si « boos­ter » le score de Yemi­na et s’imposer à l’agenda d’un futur gou­ver­ne­ment. Les autres membres du Bloc des droites sont les par­tis ultra-ortho­doxes Shas (sépha­rade et orien­tal) et Judaïsme Uni­fié de la Torah (ash­ké­naze), deux par­tis dont les scores sont géné­ra­le­ment bons et stables.

Un électron libre nommé Lieberman

Excep­tion notable et sur laquelle nous revien­drons, le par­ti Israël Bei­tei­nu (« Israël Notre Foyer ») de l’ancien ministre de la Défense « rus­so­phone » Avig­dor Lie­ber­man (extrême droite laïque) ne fait pas par­tie du Bloc des droites et agit en élec­tron libre depuis deux décen­nies. Lors des deux pré­cé­dentes élec­tions, Israël Bei­tei­nu n’a pas comp­té pour peu dans l’impossibilité de la mise sur pied d’un gou­ver­ne­ment, tant de droite que du centre.

Grandeur et décadence de la gauche

Face au Bloc des droites et sur­tout face au Likoud et à son inoxy­dable diri­geant Binya­min Neta­nya­hou, l’alternative « libé­rale » a long­temps été repré­sen­tée par l’Avoda (Par­ti tra­vailliste), le par­ti qui a posé les fon­da­tions de l’État d’Israël à l’époque de la Pales­tine sous Man­dat bri­tan­nique (1922 – 1948), a créé l’État juif (1948 – 49) et l’a impo­sé à la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale et sur­tout aux États arabes et aux Pales­ti­niens. Mais, au terme de muta­tions socio­lo­giques qu’il est impos­sible de détailler ici5, l’Avoda, qui fut qua­si un par­ti-État, a vu sa base sociale fondre comme neige au soleil, subir des muta­tions démo­gra­phiques favo­rables aux Juifs d’ascendance moyen-orien­tale et aux Juifs ori­gi­naires des anciennes répu­bliques sovié­tiques, pour en défi­ni­tive se retrou­ver aux marges de la vie poli­tique israé­lienne et aujourd’hui lut­ter pour sa simple sur­vie électorale.

Le difficile accouchement d’un centre

Ces muta­tions ont d’abord béné­fi­cié à de mul­tiples et éphé­mères par­tis cen­tristes qui ont len­te­ment mais sûre­ment « siphon­né » l’Avoda de centre gauche et le Meretz (gauche sio­niste paci­fiste)6. Au terme de longues années de décan­ta­tion, un par­ti de centre gauche à fini par émer­ger et se sta­bi­li­ser au début de cette décen­nie : Yesh Atid (« Il y a un Ave­nir ») emme­né par l’ancien jour­na­liste vedette Yaïr Lapid. Pré­sen­tant une offre libé­rale sur les plans éco­no­mique et éthique, Yesh Atid s’est éga­le­ment pro­fi­lé en par­ti anti-Neta­nya­hou et anti-Likoud, sans tou­te­fois trop s’engager sur la ques­tion israé­lo-pales­ti­nienne. Mais ses bonnes per­for­mances élec­to­rales ne sont jamais venues à bout de l’insubmersible majo­ri­té de droite et d’ultra-droite coa­li­sée autour du Likoud de Binya­min Netanyahou.

Apparition de « partis des généraux »

Face au blo­cage diplo­ma­tique et mili­taire israé­lo-pales­ti­nien, au poids crois­sant des par­tis reli­gieux et sur­tout à la défer­lante de scan­dales poli­ti­co-finan­ciers tou­chant le Pre­mier ministre et son entou­rage, pas moins deux anciens chefs d’état-major de l’armée israé­lienne ont déci­dé, fin 2018, d’entrer en poli­tique et de fon­der leurs propres par­tis. Ain­si, Moshe Yaa­lon, par ailleurs ancien membre du Likoud, a fon­dé le par­ti Telem (« Sillon »), acro­nyme du « Mou­ve­ment natio­nal éta­tique ». De son côté, le sans éti­quette Binya­min « Ben­ny » Gantz a créé le par­ti Hosen L’Israël (« Rési­lience Pour Israël »).

Une Triple Alliance « incorruptible »

Yaïr Lapid, chef du par­ti de centre gauche Yesh Atid, a non seule­ment craint de faire les frais de cette nou­velle « offre poli­tique ». Il a sur­tout été convain­cu que les deux géné­raux, aus­si res­pec­tés et incor­rup­tibles soient-ils, n’avaient aucune chance en opé­rant en ordre dis­per­sé. Il est donc par­ve­nu à per­sua­der ces deux anciens chefs d’état-major, rejoints par un troi­sième, le géné­ral Gavriel « Gabi » Ash­ke­na­zi, de créer une liste unique autour de Yesh Atid : le car­tel élec­to­ral cen­triste Kahol Lavan (« Bleu Blanc », les cou­leurs du dra­peau israé­lien). Lapid a éga­le­ment accep­té de lais­ser la tête de liste (et donc le poste de pos­sible Pre­mier ministre) au géné­ral Ben­ny Gantz, anti­thèse poli­tique et publique de Netanyahou.

Quel est le pro­gramme de Kahol Lavan et en quoi se dis­tingue-t-il de celui du Likoud et de ses alliés ? À dire vrai, ce pro­gramme reste vague, sauf sur un point essen­tiel. La res­tau­ra­tion d’un État de droit mis à mal par plu­sieurs dis­po­si­tions adop­tées par la Knes­set et qui tendent à sou­mettre le pou­voir judi­ciaire (à com­men­cer par la Cour Suprême et le Pro­cu­reur de l’État) au pou­voir légis­la­tif et exé­cu­tif. Un autre point impor­tant, même s’il n’est pas trop mis en avant, est la res­tau­ra­tion des rela­tions entre la majo­ri­té juive israé­lienne et la mino­ri­té arabe israé­lienne, celle que le voca­bu­laire poli­tique local nomme le « Sec­teur arabe »7.

Contre toute attente, le car­tel cen­triste est par­ve­nu à faire jeu égal avec le Likoud lors des légis­la­tives du 9 avril 2019 et à le devan­cer lors des légis­la­tives du 17 sep­tembre 2019, un Likoud qui a per­du six sièges dans l’aventure. Sur­tout, Kahol Lavan a écra­sé les par­tis de gauche (Avo­da tra­vailliste et Meretz) dans leurs bas­tions his­to­riques : le Goush Dan (dis­tricts côtiers de Tel-Aviv et du Centre) et quelque 400 vil­lages coopé­ra­tifs (kib­bout­zim et mosha­vim) tra­di­tion­nel­le­ment situés à gauche.

On le sait, les pour­par­lers pour la for­ma­tion d’un gou­ver­ne­ment n’ont jamais abou­ti. D’un côté, le Bloc des droites ne dis­po­sait plus de la majo­ri­té à la Knes­set (Par­le­ment israé­lien). D’un autre côté, Kahol Lavan était dans l’impossibilité (ou l’absence de volon­té suf­fi­sante) de mettre sur pied une coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale ras­sem­blant la for­ma­tion cen­triste, les par­tis de gauche (Avo­da et Meretz) et les par­tis arabes (voir ci-dessous).

Dans chaque scé­na­rio, un trouble-fête a agi en la per­sonne de l’ancien ministre rus­so­phone Avig­dor Lie­ber­man et son par­ti d’ultra-droite laïque, Israël Bei­tei­nu (« Israël notre Foyer »), en refu­sant toute coa­li­tion incluant des par­tis ultra-ortho­doxes et bien évi­dem­ment arabes.

Le « Secteur arabe », acteur politique national

Le deuxième scru­tin, celui du 17 sep­tembre 2019, a débou­ché sur une sur­prise. Pour être cer­tains de fran­chir le seuil élec­to­ral, les dif­fé­rents par­tis arabes d’Israël ont mis sur pied un car­tel nom­mé « Liste com­mune »8, laquelle est par­ve­nue à mobi­li­ser comme jamais aupa­ra­vant l’électorat arabe israé­lien, à obte­nir 13 sièges (sur 120), à faire le plein des voix en Gali­lée9 et à deve­nir la troi­sième force poli­tique d’Israël, en fai­sant cam­pagne sur des thé­ma­tiques arabes israé­liennes et non israé­lo-pales­ti­niennes10. Pour la pre­mière fois, les par­tis arabes ont sem­blé aux portes du pou­voir, met­tant ain­si fin à sept décen­nies d’ostracisme mutuel entre par­tis « juifs » et « arabes ». Mais une coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale mariant les par­tis arabes au Likoud et à un Israël Bei­tei­nu tou­jours incon­tour­nable et farou­che­ment anti-arabe s’est évi­dem­ment révé­lée impossible.

À l’aube des élec­tions de ce 2 mars 2020, quelles sont les pers­pec­tives ? Tout d’abord, nul ne sait si la Qaï­ma (Liste com­mune arabe) réédi­te­ra son exploit de sep­tembre 2019. Si une majo­ri­té de son­dés juifs estime désor­mais légi­time la par­ti­ci­pa­tion de par­tis arabes dans un gou­ver­ne­ment israé­lien11, la liste Kahol Lavan s’est mon­trée durant l’actuelle cam­pagne plus dis­tante que lors de la pré­cé­dente. Ain­si, le car­tel cen­triste s’était enga­gé à amen­der la « loi sur l’État-nation », à prendre à bras-le-corps la cri­mi­na­li­té de droit com­mun qui meur­trit le Sec­teur arabe et à rendre à la langue arabe son sta­tut de deuxième langue offi­cielle de l’État hébreu.

Aujourd’hui, le sou­ci de Ben­ny Gantz et Yaïr Lapid est de ne pas prê­ter le flanc aux attaques du Likoud les accu­sant d’être « le par­ti des Arabes ». Cette pos­ture est-elle stric­te­ment élec­to­ra­liste ou se tra­dui­ra-t-elle en réel véto lors des négo­cia­tions gou­ver­ne­men­tales de mars pro­chain ? Cette incer­ti­tude risque d’encourager de nom­breux élec­teurs du Sec­teur arabe à voter avec leurs pieds.

Épargner la gauche et viser le ventre mou de la droite

Une autre dif­fi­cul­té pour Kahol Lavan est le résul­tat du car­tel Avo­da-Meretz. Si ce car­tel de gauche (de cir­cons­tance et de sur­vie) ne par­vient pas à fran­chir le seuil élec­to­ral ou, mieux, à obte­nir assez de sièges à la Knes­set, cela ren­for­ce­ra le risque pour le par­ti cen­triste de ne pas trou­ver assez d’alliés sur sa gauche pour tendre vers une repré­sen­ta­tion par­le­men­taire supé­rieure à celle du Bloc des droites. Kahol Lavan doit donc mener une cam­pagne qui « can­ni­ba­lise » le moins pos­sible le petit car­tel de gauche et ten­ter de gagner des voix sur sa droite.

À ce pro­pos, quelle sera l’attitude de l’électorat « dor­mant » du Likoud ? Depuis un mois, Kahol Lavan cible une frange des élec­teurs du Likoud dégou­tés par les scan­dales qui touchent Binya­min Neta­nya­hou mais qui avait pré­fé­ré, lors des deux scru­tins pré­cé­dents, res­ter chez soi. Pour ce faire, la liste cen­triste a « droi­ti­sé » sa cam­pagne élec­to­rale, allant jusqu’à saluer le « Plan Trump » et à pro­mettre l’annexion de la Val­lée du Jour­dain (Cis­jor­da­nie occu­pée). Ce qui a pous­sé en retour le Pre­mier ministre sor­tant à annon­cer la construc­tion de mil­liers de nou­veaux loge­ments à Har Homa, un quar­tier de colo­ni­sa­tion israé­lienne implan­té à Jérusalem-Est. 

Ce geste élec­to­ra­liste a pour but de séduire la frange colo­nia­liste de l’électorat d’extrême droite repré­sen­tée par le car­tel annexion­niste Yemi­na. Binya­min Neta­nya­hou fait ain­si cam­pagne auprès des élec­teurs ultra­na­tio­na­listes et des colons idéo­lo­giques pour qu’ils votent pour le Likoud, seule garan­tie à ses yeux de pou­voir appli­quer le Plan Trump12. Mais cette stra­té­gie élec­to­rale a ses limites. Le risque pour le Pre­mier ministre sor­tant est de « siphon­ner » des par­tis poli­tiques dont le sou­tien lui sera in fine néces­saire à la Knes­set et dans un éven­tuel gou­ver­ne­ment diri­gé par lui…

Vers un immobilisme volatil

Si Kahol Lavan arrive en tête lors des pro­chaines légis­la­tives du 2 mars, il devrait être en mesure de don­ner le ton à la tête de toute coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale. Qu’appliquera-t-il de son pro­gramme, somme toute assez vague ? Cela dépen­dra évi­dem­ment du type de coa­li­tion mise sur pied, si le pro­ces­sus de for­ma­tion gou­ver­ne­men­tale débouche sur une issue posi­tive, bien entendu.

Gra­phique 1 : Bloc des droites ver­sus Bloc du centre gauche

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Inédite et peu plau­sible si l’on en croit les der­niers son­dages, une coa­li­tion ras­sem­blant le gros par­ti de centre-droit, les par­tis de gauche et les par­tis arabes per­met­trait d’introduire une rup­ture dans la poli­tique israé­lienne en paci­fiant les ten­sions poli­tiques internes. Mais pour cela, outre une arith­mé­tique défaillante, il fau­drait une véri­table volon­té de la part de Kahol Lavan d’introduire des rup­tures exé­cu­tives et légis­la­tives de taille. Or, plu­sieurs res­pon­sables émi­nents de la pla­te­forme du centre sont des trans­fuges du Likoud davan­tage moti­vés par leur aver­sion pour la gou­ver­nance de Neta­nya­hou que par un pro­gramme de rup­ture idéo­lo­gique. Ce qui est suf­fi­sant pour sou­li­gner qu’un gou­ver­ne­ment situé au centre ne va pas de soi, d’autant que l’électron libre Avig­dor Lie­ber­man (Israël Bei­tei­nu) pèse encore signi­fi­ca­ti­ve­ment dans les son­dages (voir gra­phique 1).

Vic­toire du Bloc du centre gauche ou pas, une autre hypo­thèse reste valable, voire la plus plau­sible d’un point de vue stric­te­ment arith­mé­tique : une coa­li­tion entre Kahol Lavan et un… Likoud13 tou­jours diri­gé par Binya­min Neta­nya­hou (en dépit des pro­cès devant les­quels il devra plai­der dans les mois qui viennent).

Si Ben­ny Gantz, tête de liste d’un car­tel cen­triste vain­queur, deve­nait Pre­mier ministre, il devrait néan­moins com­po­ser avec un Likoud aux accents revanchards.

Si le Bloc des droites devait l’emporter in extre­mis, on pour­rait se diri­ger vers le scé­na­rio d’un gou­ver­ne­ment « d’union natio­nale » avec Binya­min Neta­nya­hou et Ben­ny Gantz occu­pant à tour de rôle le poste de Pre­mier ministre, ce que le voca­bu­laire poli­tique hébreu appelle une rotat­zia.

Outre qu’elle déce­vrait une large par­tie de l’électorat de Kahol Lavan, une telle coa­li­tion brille­rait par son immo­bi­lisme (tant sur le plan inté­rieur que diplo­ma­tique) et fini­rait par s’effilocher au rythme des défec­tions dans les rangs du car­tel cen­triste (voir gra­phique 2).

Gra­phique 2 : Gou­ver­ne­ment « d’union natio­nale » Kahol Lavan — Likoud

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Une troi­sième hypo­thèse serait l’impossibilité de mettre sur pied une coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale (le Likoud refu­sant de sabor­der le Bloc des droites, ce que demandent Kahol Lavan et Avig­dor Lie­ber­man) et l’organisation de… qua­trièmes élec­tions légis­la­tives. Le sta­tut incon­tour­nable d’Israël Bei­tei­nu rend cette troi­sième hypo­thèse aus­si plau­sible que la pré­cé­dente, le Likoud ne pou­vant pas davan­tage que Kahol Lavan obte­nir de majo­ri­té par­le­men­taire sans le par­ti de Lieberman…

De la solidité de Kahol Lavan

Dans ces trois hypo­thèses, une ques­tion se pose avec constance : la soli­di­té sur le long terme du car­tel cen­triste Kahol Lavan. Dans les années de « L’État en marche » (Man­dat bri­tan­nique sur la Pales­tine, 1922 – 1948) et jusqu’à la fin des années 1960, des par­tis du centre14 ont exis­té et long­temps pesé dans les équa­tions gou­ver­ne­men­tales tra­vaillistes, avant de se dés­in­té­grer peu à peu et de se fondre, qui dans l’Avoda tra­vailliste, qui dans le Likoud nationaliste.

Mais, dans l’histoire poli­tique israé­lienne de ces quatre der­nières décen­nies, toutes les nou­velles for­ma­tions cen­tristes15 ont fait long feu après un suc­cès élec­to­ral reten­tis­sant et l’épreuve de la par­ti­ci­pa­tion au pou­voir. Vu le sac de nœuds par­le­men­taire et les ten­sions inévi­tables sous quelque coa­li­tion gou­ver­ne­men­tale que ce soit, Kahol Lavan et son « cock­pit » (dixit la presse israé­lienne) de quatre copi­lotes résis­te­ront-t-ils à l’épreuve du feu et par­vien­dront-t-ils à s’inscrire de manière durable comme force poli­tique stable et à incar­ner l’opposition libé­rale au natio­na­lisme roide et au conser­va­tisme du Bloc des droites ?

Une chose est sûre. Si Kahol Lavan ne par­vient pas à deve­nir davan­tage qu’une machine élec­to­rale sur­fant sur le « Rak lo Bibi » (« Tout sauf Bibi ») qui mobi­lise une vague de fond israé­lienne, son ave­nir sera tout sauf assuré.

Le 25 février 2020

  1. En sep­tembre 2005, l’armée israé­lienne a éva­cué la Bande de Gaza, déman­te­lé les colo­nies juives de peu­ple­ment et dres­sé une bar­rière de sépa­ra­tion qua­si étanche. Depuis la prise du pou­voir par le Hamas en 2007, la Bande de Gaza est sou­mise à un blo­cus plus ou moins total, au gré des périodes de ten­sions armées ou de trêves plus ou moins durables.
  2. Outre cinq villes israé­liennes (Ash­dod, Ash­ke­lon, Kiryat Gat, Neti­vot et Sde­rot), l’«Enveloppe de Gaza » regroupe 53 vil­lages israéliens.
  3. Pas­cal Fenaux, « Plan Trump : Une cer­taine “vision de l’Apocalypse”», La Revue nou­velle, e‑Mois, 10 février 2020.
  4. Yesha (« Salut », « Rédemp­tion ») est l’acronyme de « Judée Sama­rie Gaza » en hébreu. Le Conseil du Yesha repré­sente les colons idéo­lo­giques de Cis­jor­da­nie, ain­si que les colons éva­cués de la Bande de Gaza en 2005 et réim­plan­tés en Israël même et en Cisjordanie.
  5. Pas­cal Fenaux, « Quelques pers­pec­tives sur la radi­ca­li­sa­tion de la socié­té israé­lienne », La Revue nou­velle, n°12, décembre 2001.
  6. Pas­cal Fenaux, « Élec­tions du 10 février 2009. Effon­dre­ments israé­liens », La Revue nou­velle, n°2, février 2009.
  7. Par « Sec­teur arabe », il faut entendre les quelque 130 villes et vil­lages arabes israé­liens et leurs 1.650.000 citoyens israé­liens, des­cen­dants des Arabes de Pales­tine ayant échap­pé à l’exode de 1948 – 1949. Ces « Pales­ti­niens d’Israël » repré­sentent 20% de la popu­la­tion israélienne.
  8. Al-Qa’ima al-mush­ta­ra­ka en arabe, Ha-Reshi­ma ha-meshut­te­fet en hébreu. 
  9. En Gali­lée, les Arabes israé­liens consti­tuent 53% de la popu­la­tion, fai­sant du vaste « Dis­trict du Nord » (situé entre le Liban et la Cis­jor­da­nie occu­pée) la seule des six cir­cons­crip­tions ter­ri­to­riales d’Israël où les Juifs israé­liens sont minoritaires.
  10. Meron Rapo­port, « 2019 : Com­ment le Sec­teur arabe est deve­nu un acteur natio­nal majeur », Siha Meko­mit, 29 décembre 2019.
  11. Meron Rapo­port, op. cit.
  12. Hagaï Segal, « Un bar­rage nom­mé Kush­ner », Makor Rishon, 7 février 2020.
  13. Un Likoud qui, en outre, accep­te­rait de rompre l’alliance conclue depuis un quart de siècle avec les par­tis ultra­na­tio­na­listes, natio­na­listes reli­gieux et ultra-ortho­doxes, une alliance sur­nom­mée « la coa­li­tion des affa­més » par l’éditorialiste Nahum Bar­nea (Yediot Aha­ro­not, droite libérale).
  14. Le Par­ti des sio­nistes géné­raux de Haïm Weiz­mann et ses dif­fé­rents héri­tiers, dont le Par­ti pro­gres­siste et le Par­ti libéral.
  15. Dash du géné­ral Yigaël Yadin (1977 – 1981); Shi­nouï de Tomi Lapid et Avra­ham Poraz (2003 – 2005); Kadi­ma d’Ariel Sha­ron, Ehoud Olmert et Tzi­pi Liv­ni (2005 – 2015) et Ha-Tnoua de Tzi­pi Liv­ni (2012 – 2019).

Pascal Fenaux


Auteur

Pascal Fenaux est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1992. Sociologue, il a poursuivi des études en langues orientales (arabe et hébreu). Il est spécialiste de la question israélo-palestinienne, ainsi que de la question linguistique et communautaire en Belgique. Journaliste indépendant, il est également «vigie» (veille presse, sélection et traduction) à l’hebdomadaire Courrier international (Paris) depuis 2000. Il y traite et y traduit la presse «régionale» juive (hébréophone et anglophone) et arabe (anglophone), ainsi que la presse «hors-zone» (anglophone, yiddishophone, néerlandophone et afrikaansophone).