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Il aurait suffi de le demander gentiment

Blog - Anathème - Afrique colonialisme décolonialisme histoire statue par Anathème

juillet 2020

Le mili­tant est dérai­son­nable, c’est un fait. Il est dès lors impos­sible de dis­cu­ter avec lui et cela nous désole. Pour­tant, nous ne sommes pas de mau­vaise volon­té, nous n’avons rien contre les femmes, les Noirs, les cyclistes, les pauvres, les Juifs ou les homos. Mais, que vou­­lez-vous, alors que nous cher­chons à échan­ger démo­cra­ti­que­ment, sereinement, […]

Anathème

Le mili­tant est dérai­son­nable, c’est un fait. Il est dès lors impos­sible de dis­cu­ter avec lui et cela nous désole. Pour­tant, nous ne sommes pas de mau­vaise volon­té, nous n’avons rien contre les femmes, les Noirs, les cyclistes, les pauvres, les Juifs ou les homos. Mais, que vou­lez-vous, alors que nous cher­chons à échan­ger démo­cra­ti­que­ment, serei­ne­ment, ration­nel­le­ment, les choses tournent sys­té­ma­ti­que­ment au vinaigre. Accu­sa­tions, reproches, lamen­ta­tions, le mili­tant est dans le conflit et le ton monte pro­gres­si­ve­ment jusqu’à l’inévitable échec.

Un récent exemple de ce fait peut être trou­vé dans les exac­tions des mili­tants déco­lo­nia­listes. Ces per­sonnes n’ont rien trou­vé de mieux que de cri­ti­quer notre ancien monarque, Léo­pold II, au pré­texte qu’il aurait colo­ni­sé le Congo et l’aurait mis en coupe réglée. Outre qu’il n’a jamais mis les pieds dans ces régions et ne peut donc avoir cou­pé la main de per­sonne1, il faut recon­naitre qu’il a mis fin aux pra­tiques moyen­âgeuses de traite — par les musul­mans, il faut oser le dire — pour lui sub­sti­tuer une exploi­ta­tion bien plus moderne (et ren­table). Il faut en outre recon­naitre qu’il a envoyé sur place des mis­sion­naires pour répandre une parole d’amour et de par­don et que, sans lui, nous ne par­le­rions pas aujourd’hui du Congo, puisqu’il en fit tra­cer les fron­tières par ses explo­ra­teurs. Le bilan de la colo­ni­sa­tion appa­rait donc bien plus nuan­cé que ce qu’en disent certains.

Mais soit, il n’est de pire sourd que celui qui ne veut entendre et il est de noto­rié­té com­mune que les grands hommes ne sont jamais assez remer­ciés pour leurs œuvres. Nous pou­vons nous y rési­gner. Grands sei­gneurs, nous aurions pu admettre que cer­tains boudent les céré­mo­nies hono­rant les diverses sta­tues du sou­ve­rain qui par­sèment notre espace public, qu’ils refusent de loger dans une ave­nue por­tant le nom d’un colo­ni­sa­teur, voire expriment poli­ment, dans des médias de niche, leurs cri­tiques de la colo­ni­sa­tion et de ses agents. De notre côté, nous aurions cal­me­ment conti­nué à défendre nos propres convic­tions, à invi­ter à recon­tex­tua­li­ser la colo­ni­sa­tion — tout le monde le fai­sait, donc ce n’était pas si grave —, à invi­ter à recon­naitre que c’était par­fois pire ailleurs, à rap­pe­ler que si le Sei­gneur nous a don­né deux mains, être pri­vé de l’une d’elles n’est pas la fin du monde, et aus­si men­tion­ner que les colons dotèrent ce pays de beaux dis­pen­saires, d’infrastructures por­tuaires et de vaillants gen­darmes katan­gais. Car enfin, il faut recon­naitre que nos ancêtre per­mirent à la civi­li­sa­tion d’arriver jusqu’en ces contrées pri­mi­tives, comme le fai­sait remar­quer Louis Michel.

Mais voi­là, plu­tôt que de res­pec­ter la plu­ra­li­té, plu­tôt que d’admettre la liber­té de conscience en démo­cra­tie, voi­là que les par­ti­sans d’une déco­lo­ni­sa­tion de l’espace public s’en sont sau­va­ge­ment pris à des sta­tues qui ne leur avaient rien fait, les bar­bouillant de pein­ture, les affu­blant d’accessoires gro­tesques et récla­mant leur retrait. Sans res­pect aucun pour ce patri­moine de grande valeur, pour ces œuvres majeures de la sta­tuaire belge, au mépris donc de notre amour du beau et du pas­sé, ils récla­mèrent qu’on leur fasse subir, pour des rai­sons sym­bo­liques contes­tables, un sort que nous ne réser­vons à nos joyaux natio­naux que si le bon­heur d’un pro­mo­teur immo­bi­lier en dépend.

Et quoi ? Devrions-nous céder face à la vio­lence ? Capi­tu­ler devant les ulti­ma­tums ? Nous sommes en démo­cra­tie, que diable ! Plu­tôt mou­rir que de renon­cer à nos plus hauts idéaux face à qui­conque d’autre que des fas­cistes ! Nous refu­sons de mettre le doigt dans l’engrenage qui nous amè­ne­ra, tôt ou tard, à être contraints à les sup­plier de nous par­don­ner, après leur avoir aban­don­né tous nos biens en dédom­ma­ge­ment et avoir recon­nu que le fait d’être blanc était un crime. Car nous l’avons bien vu, tous les mili­tants, un jour ou l’autre, en viennent à com­mettre des atro­ci­tés : les femmes se sont mises à dénon­cer leurs agres­seurs, les homo­sexuels ont défi­lé outra­geu­se­ment maquillés, les éco­lo­gistes ont esca­la­dé des cen­trales nucléaires… Com­ment vou­lez-vous dis­cu­ter avec eux ?

Pour­tant, nous étions prêts à des conces­sions énormes, si on nous l’avait deman­dé gen­ti­ment. Nous envi­sa­gions jus­te­ment d’apposer à côté des sta­tues de colo­nia­listes, mais pas trop près des endroits où nous posons nos gerbes de fleur, un panon­ceau rap­pe­lant les crimes de la colo­ni­sa­tion, mais atti­rant quand même l’attention sur ses points posi­tifs et sur notre inno­cence totale ; ou de recon­naitre, avec nuance et en pri­vé, que cer­taines souf­frances pour­raient bien s’être pro­lon­gées jusqu’à aujourd’hui ; voire même d’admettre du bout des lèvres, à midi sur la RTBF, que peut-être cer­tains des­cen­dants des colo­ni­sés d’hier sont aujourd’hui vic­times de dis­cri­mi­na­tions direc­te­ment liées aux concep­tions des êtres humains et des peuples qui ren­dirent la colo­ni­sa­tion pos­sible — tout en rap­pe­lant que nous n’en sommes pas surs, et qu’il fau­drait faire davan­tage de recherches, mais qu’hélas, nous n’avons pas envie de payer des his­to­riens pour ça. Nous étions abso­lu­ment prêts à faire un lourd et sin­cère tra­vail de mémoire et d’examen de conscience, mais pas sous la menace de la vio­lence antistatuaire.

Mais puisqu’il n’y a pas moyen de dis­cu­ter, puisqu’on ne nous le demande même pas gen­ti­ment, avec les égards qui nous sont dus, nous appo­se­rons une plaque com­mé­mo­ra­tive à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance du Congo, mais en y glis­sant des fautes d’orthographe, et nous deman­de­rons au roi d’exprimer des regrets, mais nous croi­se­rons nos doigts dans le dos. Puisqu’on nous force la main, nous cède­rons, mais nous n’en pen­se­rons pas moins. Bien fait !

  1. Comme le fit habi­le­ment remar­quer le Prince Laurent.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.