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GPA : « gestation pour autrui » ou gestion d’autrui ?

Blog - e-Mois - Belgique (België) féminisme GPA (gestation pour autrui) par Irène Kaufer

avril 2015

C’est un sujet qui revient régu­liè­re­ment sur la table ces der­nières années : faut-il léga­li­ser la GPA (ges­ta­tion pour autrui, plus cou­ram­ment appe­lée « mères por­teuses »)? Actuel­le­ment, la situa­tion en Bel­gique est floue : la GPA n’est ni inter­dite ni auto­ri­sée. Elle est pra­ti­quée dans trois hôpi­taux, la Cita­delle de Liège (depuis 1992), Saint-Pierre à Bruxelles (depuis 1997) et […]

e-Mois

C’est un sujet qui revient régu­liè­re­ment sur la table ces der­nières années : faut-il léga­li­ser la GPA (ges­ta­tion pour autrui, plus cou­ram­ment appe­lée « mères por­teuses »)? Actuel­le­ment, la situa­tion en Bel­gique est floue : la GPA n’est ni inter­dite ni auto­ri­sée. Elle est pra­ti­quée dans trois hôpi­taux, la Cita­delle de Liège (depuis 1992), Saint-Pierre à Bruxelles (depuis 1997) et l’UZ de Gand (depuis 2000), ain­si qu’occasionnellement par cer­tains autres centres.

En vingt ans, on compte entre cent-cin­quante et deux-cents cas (dif­fi­cile à chif­frer pré­ci­sé­ment, comme toutes les pra­tiques qui res­tent dans un flou juri­dique): c’est que les indi­ca­tions prises en compte sont rares, les cri­tères sévères et les pro­cé­dures longues (il faut pas­ser par des méde­cins, des juristes, des psys…). 40% des couples aban­donnent en cours de route et seule la moi­tié des autres est accep­tée. À l’hôpital Saint-Pierre, par exemple, dix-neuf bébés sont nés par GPA depuis 1997. À 85%, les mères por­teuses (non rému­né­rées) étaient des proches des parents deman­deurs, prin­ci­pa­le­ment des membres de la famille. Dans 15% des cas, elles ont été recru­tées sur inter­net, mais la condi­tion de l’acceptation du dos­sier est la construc­tion d’une rela­tion forte avec les parents d’intention1.

On le voit, la pra­tique est loin d’être mas­sive, mais l’insécurité juri­dique repré­sente pro­ba­ble­ment un frein, d’où les pro­jets de léga­li­sa­tion, avec la volon­té affir­mée de « pro­té­ger » toutes les par­ties concer­nées. On a en effet consta­té des dérives graves, comme le cas de la petite Don­na, ce bébé « pro­gram­mé » par un couple belge et que la mère por­teuse a fina­le­ment choi­si de « vendre » à des Hol­lan­dais plus offrants… La ques­tion posée est donc la sui­vante : ce frein doit-il être levé ou au contraire, resserré ?

L’offre et la demande

Le débat est en cours au Sénat. On enten­dra, d’un côté, des per­sonnes qui plaident pour la léga­li­sa­tion d’une GPA non com­mer­ciale et, de l’autre, des oppo­sants qui argu­men­te­ront sur­tout à par­tir de posi­tions de défense de la famille tra­di­tion­nelle. Un tel débat lais­se­rait croire qu’il y a d’un côté des per­sonnes pro­gres­sistes, ouvertes à l’innovation sociale et de l’autre, des espèces de dino­saures accro­chés à leurs options familialistes.

Or il existe une autre forme d’opposition qui, loin de défendre des lois soi-disant « natu­relles », plaide pour une plu­ra­li­té des familles, un élar­gis­se­ment des pos­si­bi­li­tés d’adoption ou même pour une réflexion sur la plu­ri­pa­ren­ta­li­té (la pos­si­bi­li­té de recon­naitre plus de deux parents).

Si cette oppo­si­tion-là rejette toute léga­li­sa­tion de la GPA, c’est, d’une part, pour cette manière de consi­dé­rer les enfants comme de simples pro­duits dont on règle­rait le mode de « fabri­ca­tion » en fai­sant appel à une machine de « dépan­nage» ; mais, d’autre part, aus­si pour cette forme d’instrumentalisation de la mère por­teuse, même en dehors de toute logique commerciale.

Pour com­men­cer, met­tons de côté tout mau­vais pro­cès aux par­ti­sans d’une léga­li­sa­tion : leur objec­tif n’est pas de trans­for­mer la Bel­gique en une sorte d’Inde ou d’Ukraine avec ventres à louer et bébés à vendre, ni même en États-Unis où les enfants peuvent deve­nir de simples « pro­duits » choi­sis sur cata­logue. Les pro-GPA plaident pour une forme de contrat non com­mer­cial, basé sur l’altruisme et le don.

Cepen­dant, cette posi­tion qui se veut « éthique » contient en elle-même ses dérives. C’est que la limite n’est pas aus­si tran­chée : où s’arrête le rem­bour­se­ment des frais, et où com­mencent la « rému­né­ra­tion » ou les « cadeaux » ? Et à sup­po­ser que les ques­tions d’argent puissent être effa­cées, on ne peut, en tant que fémi­nistes, que s’interroger sur cet « altruisme » si (stéréo)typiquement attri­bué aux femmes, édu­quées et socia­li­sées dans le sens du sacri­fice. Ceux qui tentent le paral­lèle entre GPA et don de sperme oublient un « détail » : une gros­sesse et un accou­che­ment ne sont pas sans risques sur la san­té, phy­sique et psy­cho­lo­gique, ou encore la vie pro­fes­sion­nelle, y com­pris à long terme. Et ceux qui la com­parent avec le don d’un rein, par exemple, omettent une dif­fé­rence fon­da­men­tale : c’est que dans un cas, il s’agit de sau­ver une vie et dans l’autre de répondre à un désir, aus­si fort soit-il.

Une léga­li­sa­tion, cen­sée mora­li­ser les pra­tiques, se veut aus­si une bar­rière contre la ten­ta­tion des GPA « non éthiques » à l’étranger : comme si une auto­ri­sa­tion chez nous, entou­rée de condi­tions strictes comme le reven­diquent les pro­jets de loi, empê­chait un recours à d’autres pays où les pro­cé­dures sont plus simples (même si beau­coup plus cou­teuses). On peut craindre qu’au contraire, en ren­dant la pra­tique plus accep­table socia­le­ment, on ne fasse qu’encourager la « demande » sans que l’«offre » suive. Ce lan­gage de ges­tion­naire peut cho­quer, il devrait même cho­quer ; mais c’est en ces termes d’offre et de demande que se fait une par­tie du débat. Or tout le monde n’a pas autour de soi une sœur, une amie prête à prendre des risques pour sa san­té et son auto­no­mie par pur don de soi (ou par pure affec­tion). Que feront les autres, sur­tout s’ils en ont les moyens ? On vous laisse deviner.

Mise à disposition d’autrui

Mais reve­nons à notre mère por­teuse altruiste, volon­taire pour aider un couple proche d’elle. Qu’impliquerait pour elle un tel contrat, cen­sé la « pro­té­ger » tout autant que les parents d’intention ?

Il suf­fit pour s’en rendre compte de consul­ter le type de « conven­tion » pro­po­sée dans le pro­jet de loi le plus éla­bo­ré, celui pré­sen­té par Mmes Karin Jiro­flée et Maya Detiège pour le SP.A en octobre 2014. Dès lors qu’elle a accep­té le contrat, la mère por­teuse s’engage à res­pec­ter toute une série de res­tric­tions sur ses com­por­te­ments — depuis l’alcool et la ciga­rette jusqu’à la pra­tique de cer­tains sports ou le droit de voya­ger à l’étranger, en pas­sant par ses rela­tions sexuelles… — et à accep­ter le contrôle constant des accom­pa­gna­teurs psy­cho-médi­caux ain­si que des parents d’intention, y com­pris sur les cir­cons­tances de l’accouchement. On peut notam­ment y lire ceci : « Les parents deman­deurs renoncent au droit de tenir la mère por­teuse pour res­pon­sable de la fausse couche ou de la mise au monde d’un enfant mort-né, à condi­tion que la mort de l’enfant ne soit pas impu­table au com­por­te­ment irres­pon­sable de la mère por­teuse ou au non-res­pect des condi­tions énon­cées dans la conven­tion. » On voit là que sous cou­vert du « droit à dis­po­ser de son propre corps », cette reven­di­ca­tion fémi­niste de base, il s’agit en fait de le mettre entiè­re­ment à dis­po­si­tion d’autrui.

Que répondre alors à la souf­france de ces per­sonnes qui ne peuvent avoir d’enfants, alors même que l’adoption res­semble trop sou­vent à un par­cours de combattant ?

D’abord, qu’il existe d’autres pos­si­bi­li­tés, que cer­tains ont d’ailleurs expé­ri­men­tées, des pro­jets com­muns à trois ou quatre parents, pour conce­voir et éle­ver des enfants ensemble, une autre forme de famille recom­po­sée — et tant qu’à chan­ger la légis­la­tion, un cadre juri­dique pour ces pro­jets-là serait sans doute le bien­ve­nu. Voi­là qui sépare radi­ca­le­ment un point de vue fémi­niste sur la GPA d’une oppo­si­tion au nom de la famille traditionnelle.

Et s’il existe bien sûr des his­toires tou­chantes où une femme décide libre­ment de por­ter un enfant pour des proches, une poli­tique ne peut se réduire à quelques cas indi­vi­duels. Il faut dire bien haut que la souf­france des uns ne jus­ti­fie pas le sacri­fice des autres, d’autant que dans l’écrasante majo­ri­té des cas, ce sacri­fice est le résul­tat d’un rap­port d’inégalité sociale et/ou de genre.

Un débat sur la GPA est orga­ni­sé à Bruxelles le 2 mai dans le cadre du Pri­de­fes­ti­val.

  1. Ces chiffres ont été don­nés lors d’un col­loque orga­ni­sé le 30 jan­vier der­nier au Sénat par le groupe Écolo-Groen.

Irène Kaufer


Auteur

Née à Cracovie (Pologne), Irène Kaufer est arrivée en Belgique avec l’Exposition universelle de 1958. Militante féministe et syndicale, elle a participé dans les années 1970 à l’aventure de l’hebdomadaire {POUR}, auquel elle a consacré un polar ({Fausses pistes}, Luc Pire, 1995). Après de longues années dans une grande entreprise de commerce culturel, elle a terminé sa carrière comme responsable de projet dans une association de prévention des violences basées sur le genre. Parallèlement, elle a animé des tables de conversation pour femmes migrantes ou des ateliers de réécriture de chansons. Elle collabore régulièrement au magazine {Axelle}, ainsi qu’occasionnellement à d’autres publications. En 2005, elle a publié un livre d’entretiens avec la philosophe Françoise Collin, {Parcours féministe} (chez Labor, réédition chez iXe en 2014). Puis, en 2015 un recueil de nouvelles, {Déserteuses} (chez Academia-L’Harmattan). En 2021, elle a publié le roman {Dibbouks} aux Editions de l’Antilope. On peut aussi la retrouver sur son blog, www.irenekaufer.be. Désormais retraitée, elle coule des jours heureux entre son chat, son ordinateur, ses livres, ses révoltes et ses écrits.