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Gouvernement Di Rupo : paillettes et coups de pied au cul
« War is peace. Freedom is slavery. Ignorance is strength. » George Orwell, 1984. On savait que notre gouvernement fédéral de fausse-vraie union nationale cultive le déni de concertation, en particulier avec les Régions. On savait que ses membres tels Maggie De Block se font forts de mentir à la tribune du Parlement sans crainte de sanction politique […]
« War is peace. Freedom is slavery. Ignorance is strength. »
George Orwell, 1984.
On savait que notre gouvernement fédéral de fausse-vraie union nationale cultive le déni de concertation, en particulier avec les Régions. On savait que ses membres tels Maggie De Block se font forts de mentir à la tribune du Parlement sans crainte de sanction politique ou électorale. On savait même que ces travers tournent à la caricature quand il s’agit d’aborder le droit d’asile et l’activation : activation des personnes handicapées, expulsion de ressortissants européens en contrat d’insertion avec des CPAS, suppression des stages d’attente. A quand, comme l’imagine Thomas Gunzig dans sa chronique matinale ertébéenne un contrôle de la disposition à l’emploi dès la sortie du jardin d’enfants, voire même aux portes de la maternité ?
Du dérapage au carambolage
Certes la machine à activer et celle à expulser se sont bien emballées sous cette législature, collectifs d’allocataires sociaux, CPAS, Ciré et autres le rappellent à l’envi. Mais l’autre machine que nous voyons désormais hors de tout contrôle, c’est celle de l’estompement du rapport avec la réalité, voire pire, celle de la contradiction pure et simple avec les fondements des institutions que notre exécutif fédéral est censé incarner.
Les deux exemples de ce début février sont éclairants, d’une part des courriers administratifs signés Maggie De Block à l’attention des CPAS, de l’autre les propos du Premier-Ministre, invité dominical de RTL ce dimanche 9 février.
Le gouvernement expulse du territoire des concitoyens européens qui bénéficient d’allocations sociales. Dans ces cas il procède de la même manière que pour n’importe quel Rom, Afghan ou Guinéenne, et le CPAS concerné reçoit un courrier de notification. On ne va pas refaire ici le débat sur notre politique migratoire inepte. On doit quand même s’étonner de la facilité avec laquelle on peut désormais battre en brèche le fondement de la construction européenne que constitue la libre circulation des personnes. On se doute qu’il connaît des exceptions, mais on suppose aussi qu’elles ont ici dû faire l’objet d’interprétations plutôt, disons, innovantes. Le gouvernement met en tous cas le turbo depuis qu’il est en selle, et la tâche incombe à la zélée Maggie de Block (OpenVLD), secrétaire d’État à la lutte contre la pauvreté – vous avez bien lu – au point que l’on s’en étonne dans les autres pays.
Le détail qui tue ? On expulse même des allocataires du CPAS qui ont un emploi, c’est-à-dire des personnes que le CPAS met au travail quelques mois sur des contrats aidés, les fameux « article 60 ». La lettre-type au CPAS – la Revue nouvelle a pu en prendre connaissance – s’en explique : certes ces gens travaillent, mais « les activités exercées dans un but de réinsertion des personnes qui les exercent ne peuvent être considérées comme des activités économiques réelles et effectives permettant à ce seul titre de se voir reconnaître la qualité de travailleur salarié. » Or depuis 1974, le sens même de cet article 60 est de donner un statut salarié aux personnes concernées de façon à précisément leur réouvrir un droit au chômage. Or depuis 15 ans, ce système a été massivement répliqué sous l’appellation générique d’activation des allocations de chômage, nouveau principe introduit dans notre Sécurité sociale et marqueur de l’entrée de la Belgique dans le blairisme, sa troisième voie et son État social actif. Or ces travailleurs « article 60 » sont pour une bonne part actifs dans les CPAS mêmes et les institutions qui en dépendent (maisons de repos, restos sociaux, etc.), dans des entreprises sociales, dans nombre d’asbl. Donc messieurs dames les fonctionnaires locaux, les personnels des institutions d’hébergement, les entrepreneurs sociaux et les fantassins de tous les terrains sociaux, le sous-chef de l’État vous explique que vous faites de la sous-activité, que vous appartenez à un salariat de seconde zone. Prenez garde que l’Onem ne vous appelle pour trouver enfin un vrai boulot dans une bonne petit multinationale ou dans une brave PME, seules garantes de la pureté de notre économie. Les droits des plus pauvres, c’est ringard, et les personnes âgées dépendantes n’ont qu’à se débrouiller toutes seules, ou alors avec le marché. N’écrivions-nous pas, il y trois ans et demi, que moins d’État fédéral, ce serait moins d’État tout court ?
Populisme
On pourrait croire que ce genre de dérapage reste l’apanage prévisible des membres les plus à droite du gouvernement. Il n’en est rien. Elio himself n’est pas en reste en matière de tirette de tapis sous les pas des institutions actrices des droits et libertés et de leurs usagers. Jugez plutôt. Il a empêché les libéraux flamands de supprimer les allocations d’attente pour les jeunes. Il a obtenu que ces jeunes soient juste activés au sortir de l’école s’ils ne trouvent pas vite un emploi, exactement comme l’OCDE nous le recommande depuis 2007.
Pour rappel, selon les calculs, il y a entre 10 et 40 personnes qui cherchent pour 1 ouverture de poste, et, avant la crise des dettes souveraines depuis 2008, il fallait déjà trois ans en moyenne à un jeune pour trouver un emploi stable. Activé signifie donc ici à peu de choses près sanctionné, exclu. Tout le monde l’a compris, Di Rupo parvient à ne pas le dire, Vrebos n’a rien relevé, laissant le premier ministre en campagne expliquer victorieux que c’est même bien, ces jeunes qui seront attendus par les CPAS ; d’ailleurs certains gagneront même plus avec un RIS qu’avec une allocation d’insertion au taux cohabitant. Même que le CPAS va les pousser à trouver du travail puisque cet incapable d’Onem n’y est pas arrivé.
On ignore qui peut être dupe d’un tel mensonge, on sait surtout qu’une partie des autres pourrait bien aller voter pour telle ou telle extrême si on tire trop sur ce genre de cordes. Mais tout cela est dit avec un tel sourire ! Alors qu’en réalité – c’est un grand classique des politiques sociales – seule une part des personnes qui ont droit à une aide sociale la demandent effectivement, d’autant que cette allocation est assortie de formes pressantes d’activation. Qui plus est, à propos ceux qui ne se seraient pas perdus en route et qui pousseraient quand même la porte du CPAS, 60 à 70 % des sanctionnés Onem n’entrent déjà pas à l’heure actuelle dans les conditions du RIS, comme ne s’est pas privé de le rappeler le soir même Philippe Defeyt, président écolo de CPAS et économiste toujours prompt à sortir la statistique qui tue. Il ne s’est pas non plus fait prier pour épingler dans son communiqué le « Il s’agit de personnes qui n’ont jamais cotisé à la Sécurité sociale. » martelé avec insistance par Di Rupo : « Dans les 30.000 jeunes environ qui bénéficient déjà d’une allocation d’insertion et qui vont subir des entretiens ce mois-ci, certains ont travaillé, même si, contre leur gré, ce sont souvent des petits boulots, de courte durée. Et puis quoi, va-t-on refuser aussi à un jeune d’être soigné et ses frais de santé remboursés par l’INAMI parce qu’il n’aurait pas cotisé assez !? Rappelons aussi que leurs parents ont cotisé, parfois beaucoup et très longtemps. Quelle dérive par rapport aux principes de solidarité qui soutiennent notre sécurité sociale. »
Tonton sourire
Mais ce sourire ! Cette condescendance à insister sur son souci à être le premier ministre de tous les Belges, mais surtout des plus défavorisés, des isolés, des souffrants. Cette parodie de bonne foi. Ce professionnalisme du ne-vous-en-faites-pas-tout-est-prévu. Cette bienveillance feinte de curé-modèle. Cette épingle tricolore gagnée au péril d’on ne sait quoi. Ce coup de pied au cul donné avec une grâce si calculée mais-vous-savez-en-attendant-on-a-sauvé-le-pays. Cette banalisation de l’inversion des valeurs, cette négation hautaine du sens des institutions, ce déni de droits frontal, cet abandon désinvolte du projet égalitaire. C’est clair : il flirte avec le populisme. Et si cela ne faisait que commencer ?
Il ne s’agit pas ici de s’en prendre à la personne même d’Elio, mais à ses mots, à ses attitudes, bref à ses choix. Que ce gouvernement ait peu de temps pour agir, qu’il soit directif et expéditif, on le sait, on le comprend, on pourra l’accepter. Que le PS ait fait le choix risqué de prêter son boss à une coalition plutôt déséquilibrée vers la droite et qu’il ait pris le risque de tensions interne et d’une sanction électorale, on peut l’en savoir gré s’il est vrai que Di Rupo était le seul francophone premier-ministrable. Mais que ses écarts aillent si loin alors qu’ils sont parfaitement calculés et évitables, cela en dit long soit sur l’effritement de sa colonne vertébrale politique, soit – et c’est beaucoup plus probable – sur le fait que le PS se positionne de façon offensive sur la même ligne que tous les partis qui promeuvent une vision de la société où toutes les responsabilités reposent in fine sur les individus, où le mérite n’a qu’à compenser toutes les inégalités de position, où la politique se contente de fonctionner comme variable d’ajustement des marchés, etc.
Mentir en politique, un peu parfois, pourquoi pas ? – la Revue nouvelle pourrait bien y revenir sous peu d’ailleurs. Mais sur certains sujets douloureux, être systématiquement dans l’euphémisation, l’aveuglement au réel, le déni de reconnaissance voire l’injure, socialiste ou pas, ce n’est acceptable au nom d’aucune élection, d’aucune rigueur budgétaire, d’aucun sauvetage de l’État.