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Gouvernement Di Rupo : paillettes et coups de pied au cul

Blog - e-Mois - droits sociaux Elio Di Rupo Sécurité sociale par

février 2014

« War is peace. Free­dom is sla­ve­ry. Igno­rance is strength. » George Orwell, 1984. On savait que notre gou­ver­ne­ment fédé­ral de fausse-vraie union natio­nale cultive le déni de concer­ta­tion, en par­ti­cu­lier avec les Régions. On savait que ses membres tels Mag­gie De Block se font forts de men­tir à la tri­bune du Par­le­ment sans crainte de sanc­tion politique […]

e-Mois

« War is peace. Free­dom is sla­ve­ry. Igno­rance is strength. »
George Orwell, 1984.

On savait que notre gou­ver­ne­ment fédé­ral de fausse-vraie union natio­nale cultive le déni de concer­ta­tion, en par­ti­cu­lier avec les Régions. On savait que ses membres tels Mag­gie De Block se font forts de men­tir à la tri­bune du Par­le­ment sans crainte de sanc­tion poli­tique ou élec­to­rale. On savait même que ces tra­vers tournent à la cari­ca­ture quand il s’agit d’aborder le droit d’asile et l’activation : acti­va­tion des per­sonnes han­di­ca­pées, expul­sion de res­sor­tis­sants euro­péens en contrat d’insertion avec des CPAS, sup­pres­sion des stages d’attente. A quand, comme l’imagine Tho­mas Gun­zig dans sa chro­nique mati­nale erté­béenne un contrôle de la dis­po­si­tion à l’emploi dès la sor­tie du jar­din d’enfants, voire même aux portes de la maternité ?

Du dérapage au carambolage

Certes la machine à acti­ver et celle à expul­ser se sont bien embal­lées sous cette légis­la­ture, col­lec­tifs d’allocataires sociaux, CPAS, Ciré et autres le rap­pellent à l’envi. Mais l’autre machine que nous voyons désor­mais hors de tout contrôle, c’est celle de l’estompement du rap­port avec la réa­li­té, voire pire, celle de la contra­dic­tion pure et simple avec les fon­de­ments des ins­ti­tu­tions que notre exé­cu­tif fédé­ral est cen­sé incarner.

Les deux exemples de ce début février sont éclai­rants, d’une part des cour­riers admi­nis­tra­tifs signés Mag­gie De Block à l’attention des CPAS, de l’autre les pro­pos du Pre­mier-Ministre, invi­té domi­ni­cal de RTL ce dimanche 9 février.

Le gou­ver­ne­ment expulse du ter­ri­toire des conci­toyens euro­péens qui béné­fi­cient d’allocations sociales. Dans ces cas il pro­cède de la même manière que pour n’importe quel Rom, Afghan ou Gui­néenne, et le CPAS concer­né reçoit un cour­rier de noti­fi­ca­tion. On ne va pas refaire ici le débat sur notre poli­tique migra­toire inepte. On doit quand même s’étonner de la faci­li­té avec laquelle on peut désor­mais battre en brèche le fon­de­ment de la construc­tion euro­péenne que consti­tue la libre cir­cu­la­tion des per­sonnes. On se doute qu’il connaît des excep­tions, mais on sup­pose aus­si qu’elles ont ici dû faire l’objet d’interprétations plu­tôt, disons, inno­vantes. Le gou­ver­ne­ment met en tous cas le tur­bo depuis qu’il est en selle, et la tâche incombe à la zélée Mag­gie de Block (OpenVLD), secré­taire d’État à la lutte contre la pau­vre­té – vous avez bien lu – au point que l’on s’en étonne dans les autres pays.

Le détail qui tue ? On expulse même des allo­ca­taires du CPAS qui ont un emploi, c’est-à-dire des per­sonnes que le CPAS met au tra­vail quelques mois sur des contrats aidés, les fameux « article 60 ». La lettre-type au CPAS – la Revue nou­velle a pu en prendre connais­sance – s’en explique : certes ces gens tra­vaillent, mais « les acti­vi­tés exer­cées dans un but de réin­ser­tion des per­sonnes qui les exercent ne peuvent être consi­dé­rées comme des acti­vi­tés éco­no­miques réelles et effec­tives per­met­tant à ce seul titre de se voir recon­naître la qua­li­té de tra­vailleur sala­rié. » Or depuis 1974, le sens même de cet article 60 est de don­ner un sta­tut sala­rié aux per­sonnes concer­nées de façon à pré­ci­sé­ment leur réou­vrir un droit au chô­mage. Or depuis 15 ans, ce sys­tème a été mas­si­ve­ment répli­qué sous l’appellation géné­rique d’activation des allo­ca­tions de chô­mage, nou­veau prin­cipe intro­duit dans notre Sécu­ri­té sociale et mar­queur de l’entrée de la Bel­gique dans le blai­risme, sa troi­sième voie et son État social actif. Or ces tra­vailleurs « article 60 » sont pour une bonne part actifs dans les CPAS mêmes et les ins­ti­tu­tions qui en dépendent (mai­sons de repos, res­tos sociaux, etc.), dans des entre­prises sociales, dans nombre d’asbl. Donc mes­sieurs dames les fonc­tion­naires locaux, les per­son­nels des ins­ti­tu­tions d’hébergement, les entre­pre­neurs sociaux et les fan­tas­sins de tous les ter­rains sociaux, le sous-chef de l’État vous explique que vous faites de la sous-acti­vi­té, que vous appar­te­nez à un sala­riat de seconde zone. Pre­nez garde que l’Onem ne vous appelle pour trou­ver enfin un vrai bou­lot dans une bonne petit mul­ti­na­tio­nale ou dans une brave PME, seules garantes de la pure­té de notre éco­no­mie. Les droits des plus pauvres, c’est rin­gard, et les per­sonnes âgées dépen­dantes n’ont qu’à se débrouiller toutes seules, ou alors avec le mar­ché. N’écrivions-nous pas, il y trois ans et demi, que moins d’État fédé­ral, ce serait moins d’État tout court ?

Populisme

On pour­rait croire que ce genre de déra­page reste l’apanage pré­vi­sible des membres les plus à droite du gou­ver­ne­ment. Il n’en est rien. Elio him­self n’est pas en reste en matière de tirette de tapis sous les pas des ins­ti­tu­tions actrices des droits et liber­tés et de leurs usa­gers. Jugez plu­tôt. Il a empê­ché les libé­raux fla­mands de sup­pri­mer les allo­ca­tions d’attente pour les jeunes. Il a obte­nu que ces jeunes soient juste acti­vés au sor­tir de l’école s’ils ne trouvent pas vite un emploi, exac­te­ment comme l’OCDE nous le recom­mande depuis 2007.

Pour rap­pel, selon les cal­culs, il y a entre 10 et 40 per­sonnes qui cherchent pour 1 ouver­ture de poste, et, avant la crise des dettes sou­ve­raines depuis 2008, il fal­lait déjà trois ans en moyenne à un jeune pour trou­ver un emploi stable. Acti­vé signi­fie donc ici à peu de choses près sanc­tion­né, exclu. Tout le monde l’a com­pris, Di Rupo par­vient à ne pas le dire, Vre­bos n’a rien rele­vé, lais­sant le pre­mier ministre en cam­pagne expli­quer vic­to­rieux que c’est même bien, ces jeunes qui seront atten­dus par les CPAS ; d’ailleurs cer­tains gagne­ront même plus avec un RIS qu’avec une allo­ca­tion d’insertion au taux coha­bi­tant. Même que le CPAS va les pous­ser à trou­ver du tra­vail puisque cet inca­pable d’Onem n’y est pas arrivé.

On ignore qui peut être dupe d’un tel men­songe, on sait sur­tout qu’une par­tie des autres pour­rait bien aller voter pour telle ou telle extrême si on tire trop sur ce genre de cordes. Mais tout cela est dit avec un tel sou­rire ! Alors qu’en réa­li­té – c’est un grand clas­sique des poli­tiques sociales – seule une part des per­sonnes qui ont droit à une aide sociale la demandent effec­ti­ve­ment, d’autant que cette allo­ca­tion est assor­tie de formes pres­santes d’activation. Qui plus est, à pro­pos ceux qui ne se seraient pas per­dus en route et qui pous­se­raient quand même la porte du CPAS, 60 à 70 % des sanc­tion­nés Onem n’entrent déjà pas à l’heure actuelle dans les condi­tions du RIS, comme ne s’est pas pri­vé de le rap­pe­ler le soir même Phi­lippe Defeyt, pré­sident éco­lo de CPAS et éco­no­miste tou­jours prompt à sor­tir la sta­tis­tique qui tue. Il ne s’est pas non plus fait prier pour épin­gler dans son com­mu­ni­qué le « Il s’agit de per­sonnes qui n’ont jamais coti­sé à la Sécu­ri­té sociale. » mar­te­lé avec insis­tance par Di Rupo : « Dans les 30.000 jeunes envi­ron qui béné­fi­cient déjà d’une allo­ca­tion d’insertion et qui vont subir des entre­tiens ce mois-ci, cer­tains ont tra­vaillé, même si, contre leur gré, ce sont sou­vent des petits bou­lots, de courte durée. Et puis quoi, va-t-on refu­ser aus­si à un jeune d’être soi­gné et ses frais de san­té rem­bour­sés par l’INAMI parce qu’il n’aurait pas coti­sé assez !? Rap­pe­lons aus­si que leurs parents ont coti­sé, par­fois beau­coup et très long­temps. Quelle dérive par rap­port aux prin­cipes de soli­da­ri­té qui sou­tiennent notre sécu­ri­té sociale. »

Tonton sourire

Mais ce sou­rire ! Cette condes­cen­dance à insis­ter sur son sou­ci à être le pre­mier ministre de tous les Belges, mais sur­tout des plus défa­vo­ri­sés, des iso­lés, des souf­frants. Cette paro­die de bonne foi. Ce pro­fes­sion­na­lisme du ne-vous-en-faites-pas-tout-est-pré­vu. Cette bien­veillance feinte de curé-modèle. Cette épingle tri­co­lore gagnée au péril d’on ne sait quoi. Ce coup de pied au cul don­né avec une grâce si cal­cu­lée mais-vous-savez-en-atten­dant-on-a-sau­vé-le-pays. Cette bana­li­sa­tion de l’inversion des valeurs, cette néga­tion hau­taine du sens des ins­ti­tu­tions, ce déni de droits fron­tal, cet aban­don désin­volte du pro­jet éga­li­taire. C’est clair : il flirte avec le popu­lisme. Et si cela ne fai­sait que commencer ?

Il ne s’agit pas ici de s’en prendre à la per­sonne même d’Elio, mais à ses mots, à ses atti­tudes, bref à ses choix. Que ce gou­ver­ne­ment ait peu de temps pour agir, qu’il soit direc­tif et expé­di­tif, on le sait, on le com­prend, on pour­ra l’accepter. Que le PS ait fait le choix ris­qué de prê­ter son boss à une coa­li­tion plu­tôt dés­équi­li­brée vers la droite et qu’il ait pris le risque de ten­sions interne et d’une sanc­tion élec­to­rale, on peut l’en savoir gré s’il est vrai que Di Rupo était le seul fran­co­phone pre­mier-minis­trable. Mais que ses écarts aillent si loin alors qu’ils sont par­fai­te­ment cal­cu­lés et évi­tables, cela en dit long soit sur l’effritement de sa colonne ver­té­brale poli­tique, soit – et c’est beau­coup plus pro­bable – sur le fait que le PS se posi­tionne de façon offen­sive sur la même ligne que tous les par­tis qui pro­meuvent une vision de la socié­té où toutes les res­pon­sa­bi­li­tés reposent in fine sur les indi­vi­dus, où le mérite n’a qu’à com­pen­ser toutes les inéga­li­tés de posi­tion, où la poli­tique se contente de fonc­tion­ner comme variable d’ajustement des mar­chés, etc.

Men­tir en poli­tique, un peu par­fois, pour­quoi pas ? – la Revue nou­velle pour­rait bien y reve­nir sous peu d’ailleurs. Mais sur cer­tains sujets dou­lou­reux, être sys­té­ma­ti­que­ment dans l’euphémisation, l’aveuglement au réel, le déni de recon­nais­sance voire l’injure, socia­liste ou pas, ce n’est accep­table au nom d’aucune élec­tion, d’aucune rigueur bud­gé­taire, d’aucun sau­ve­tage de l’État.