Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Gauche ? Droite ?
La distinction entre la gauche et la droite date des débuts de l’État démocratique moderne. Elle a structuré deux siècles de luttes politiques, elle a sous-tendu la logique des Blocs et elle continue d’être invoquée cycliquement par les tenants d’un côté (le peuple de gauche de Michel Daerden) ou de l’autre (la bonne gestion de la droite vantée par Bart De Wever).
De part et d’autre, de même, on apprécie de s’invectiver : islamo-gauchiste, fasciste, bolchévique, conservateur… les noms fusent qui renvoient à ce clivage si commode quand il est l’heure de se disputer.
Cependant, on peut s’interroger : est-ce là une distinction qui structure encore réellement l’arène politique ou n’est-ce plus qu’un réflexe, un commode moyen de faire semblant de se définir à l’heure où plus rien n’est sûr ?
La question se pose d’autant plus que des visionnaires, peut-être sans toujours prendre la mesure de leurs actes, ont commencé à saper ce distingo. Ainsi, Louis Michel, auteur de l’idée révolutionnaire du libéralisme social, occupa-t-il une bonne partie des années 1990 à contester le clivage gauche-droite, sommant le PSC de rejoindre ses rangs, ce qui déboucha sur la féconde expérience du MCC. Un coin était enfoncé dans le mur de séparation.
De la même manière, le CDH, héritier du PSC reprit à son compte l’idée du « ni gauche ni droite (plutôt humaniste)». Ainsi, selon Benoit Lutgen, son parti est radicalement centriste… une idée dont la force et les promesses d’avenir ont été mal mesurées, mais qui finiront par éclater au grand jour.
Écolo, de son côté, se garde de trop se définir, hésitant entre les convergences de gauche — qui furent, de son point de vue, un succès considérable — et l’affirmation du caractère suranné de ces catégories à l’heure de l’écologie politique.
Le PS lui-même développa une subtile mise en cause du clivage, consistant, d’une part, à se réclamer de la gauche historique et, d’autre part, à mener des politiques de droite allant de la limitation dans le temps des allocations de chômage à la réglementation de la mendicité, en passant par la mise en route d’un processus de privatisation des entreprises publiques qui fit la joie du secteur privé et de l’ensemble des libéraux.
Voilà donc que cette vénérable distinction semble aussi indispensable que purement théorique. Aujourd’hui, alors que tous les partis pesant quelque peu dans la balance politique défendent des pans entiers des programmes du PRL, du PVV ou du Vlaams Blok, il est temps de remettre les choses à plat.
Le problème n’est plus de savoir si l’on est de gauche ou de droite, en vérité, mais de déterminer comment on sera de droite : avec mauvaise conscience ou pas. Quand Théo Francken affirme devant des réfugiés que lui aussi aurait fui son pays, mais ne s’empêche pas pour autant de les repousser à la mer, voire de suggérer de saborder leurs navires avant qu’ils ne prennent la mer, il assume parfaitement son absence de solidarité. Chacun pour soi : moi aussi j’aurais essayé, comme je suppose que vous m’auriez repoussé à la mer. De la même manière, quand le gouvernement Michel soutient l’idée d’un durcissement des contrôles impromptus au domicile des chômeurs, il ne fait pas semblant que c’est à des fins de justice sociale ou de remise au travail. Les chômeurs sont des improductifs, donc des parasites, donc des ordures. Ces petites vexations ne sont qu’un début. En méritocratie, chaque sangsue doit vivre les humiliations qu’elle mérite.
À l’inverse, Elio Di Rupo se couvre de ridicule en disant que son cœur saigne… de voir appliquer les mesures que son gouvernement a décidées et Joëlle Milquet — du parti de la famille et des enfants — propose l’école de l’excellence en réponse aux problèmes de justice sociale. Ce faisant, ils cautionnent des politiques du même tonneau que les précédentes, mais en faisant mine de ne pas y toucher, voire en s’excusant. Cet air de sainte nitouche est ce qui différencie la droite complexée de son homologue décomplexée, seule dichotomie réellement utile.
Cette grille de lecture présente un avantage considérable sur la précédente : elle aide au choix. Plutôt que d’obliger à choisir entre nos privilèges et notre bonne-conscience, le prisme du complexe nous amène à nous demander si nous voulons être dirigés par des faux-culs ou par des gens honnêtement à droite, par des individus auxquels une psychothérapie ferait le plus grand bien ou par d’autres qui, eux, sont droits dans leurs bottes. Franchement, qui voudrait être gouverné par des névrosés ?
Certes, le chemin est long qui mène à la liberté. Même les tenants emblématiques de la droite décomplexée, parfois, hésitent à s’assumer. Ils se tortillent et tournent autour du pot, comme Bart De Wever qui qualifia la collaboration de « grave erreur ». Certes, il a évité de la qualifier de faute ou de crime ; mais pourquoi ne pas dire clairement que, pour lui, en tant que libéral, ce ne fut une erreur que parce que collaborer avec les perdants est impardonnable ? De la même manière, certains membres de l’actuel gouvernement, pitoyablement, essaient de justifier le harcèlement des chômeurs et la précarisation des travailleurs au nom de la relance du marché de l’emploi plutôt que d’admettre clairement que chaque centime économisé enrichit leurs amis et que l’indignité des allocataires sociaux autorise tout à leur endroit. Quel peut bien être l’intérêt de feindre la compassion pour des gens qu’ils ont toutes les raisons de mépriser ? Prendre des vaincus en pitié ? Et quoi encore ?
Bien entendu, comme toujours, l’émancipation de nos complexes sera longue. Elle ne s’achèvera du reste peut-être jamais. C’est pourquoi il nous faudra, pour continuer de progresser, suivre les précurseurs, ceux qui le fanal à la main, font reculer les ténèbres. Après Jan Jambon et Denis Ducarme, viendront des leaders encore moins complexés qui ouvriront la voie à d’autres encore. Notre libération n’en est qu’à ses débuts, n’est-ce pas là une perspective enthousiasmante ?
Et dire qu’il en est pour affirmer que nous avons toutes les raisons de craindre l’avenir !