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Être pauvre, ce n’est quand même pas si pénible !

Blog - Anathème - charité Médias par Anathème

décembre 2017

Récem­ment, Fran­cis Gof­fin, direc­teur des radios de la RTBF défen­dait une ini­tia­tive contro­ver­sée de Viva­ci­té : « Viva for life » dont l’objectif annon­cé est de venir en aide à l’enfance pauvre. Pen­dant une semaine, trois ani­ma­teurs sont enfer­més dans un cube de verre pour « les mettre dans des condi­tions de stress et de dif­fi­cul­tés comme le vivent les […]

Anathème

Récem­ment, Fran­cis Gof­fin, direc­teur des radios de la RTBF défen­dait une ini­tia­tive contro­ver­sée de Viva­ci­té : « Viva for life » dont l’objectif annon­cé est de venir en aide à l’enfance pauvre. Pen­dant une semaine, trois ani­ma­teurs sont enfer­més dans un cube de verre pour « les mettre dans des condi­tions de stress et de dif­fi­cul­tés comme le vivent les enfants en détresse ». L’opération a été mure­ment pen­sée par une orga­ni­sa­tion qui ne manque ni de jour­na­listes ni d’experts : ils sont trois. « Pas deux, ce serait phy­si­que­ment impos­sible. Pas quatre non plus, ça serait trop facile. »

Il faut en déduire que l’enfance en détresse, c’est un peu gênant, mais pas trop quand même. On est logé, nour­ri et chauf­fé. Et on a tou­jours de la com­pa­gnie. Le sol est propre, le toit ne fuit pas, on ne gre­lote pas. On est for­cé­ment trois. Parce qu’à deux, une mère et son enfant, par exemple, ce serait phy­si­que­ment impos­sible ! Ima­gi­nez donc, per­sonne dans notre pays ne pour­rait endu­rer ça : se retrou­ver, enfant, coin­cé dans une chambre de bonne, pen­dant toute la durée des vacances de Noël, avec un parent soli­taire et en détresse, sans les moyens d’aller voir Pad­ding­ton 2 ni de faire un tour sur la pati­noire ins­tal­lée au centre de la ville. En revanche, quand on est quatre, un couple et ses deux enfants, c’est vrai­ment cool et on n’est pas vrai­ment pauvre.

Bien enten­du, quand on est pauvre, on béné­fi­cie d’un intense sou­tien moral de la part de mil­liers de gens qui vous font savoir com­bien, en plus de vous trou­ver tou­chants, ils vous estiment cou­ra­geux et plein de gran­deur d’âme. On a accès aux médias, on appelle ses proches, on par­tage ses états d’âme sur les réseaux sociaux et on réa­lise une magni­fique mois­son de « like ». Quelle expé­rience pas­sion­nante, être pauvre, com­ment s’étonner de sou­le­ver tant d’intérêt ?

Et puis, après une semaine d’épreuve, c’est fini. C’est envi­ron le temps néces­saire pour que les ser­vices sociaux aient conscience de votre situa­tion, pour qu’un loge­ment d’urgence se libère, pour qu’une aide sociale sub­stan­tielle soit ver­sée, pour que le toit soit répa­ré par le gen­til pro­prié­taire, pour que le gaz soit réta­bli mal­gré les fac­tures en souffrance.

J’avoue que je l’ignorais. Je pen­sais naï­ve­ment qu’on nais­sait sou­vent pauvre, qu’on s’en sor­tait rare­ment, qu’on en souf­frait des années durant, qu’on vivait moins vieux, qu’on gran­dis­sait moins bien et qu’on se fai­sait accu­ser d’être un pro­fi­teur par des poli­ti­ciens et pen­seurs de toutes sortes, sur les ondes de la RTBF. Comme je me trom­pais, vic­time que j’étais de la pro­pa­gande bobo-Bisounours !

Voi­là que la radio de ser­vice public, forte de ses inves­ti­ga­tions et d’une réflexion rigou­reuse sur les causes et les consé­quences de la pau­vre­té infan­tile, nous livre une image, certes bou­le­ver­sante, mais qui ne nous empê­che­ra pas de dor­mir. Tout va donc presque bien.

Peut-on rêver meilleure démons­tra­tion du carac­tère vital d’un tel média ? Peut-on ima­gi­ner meilleur plai­doyer pour un meilleur finan­ce­ment, pour une amé­lio­ra­tion du sort des jour­na­listes de ser­vice public ? Hélas, comme cha­cun le sait, ceux-ci sont de plus en plus mal lotis : pigistes payés au lance-pierre, copieurs-col­leurs de dépêches Bel­ga dans des rédac­tions web, pon­deurs de titres raco­leurs pour nou­velles non véri­fiées… Leur sort est bien triste.

Aus­si, en soli­da­ri­té avec eux, pour vivre les mêmes affres qu’eux, ai-je écrit ce billet dans une pièce non chauf­fée de mon palais d’hiver, sur un cla­vier QWERTY défi­cient, équi­pé d’une sou­ris à rou­lette défec­tueuse, sur un écran 14 pouces. J’ai vécu dans ma chair les affres du jour­na­lisme actuel.

Ce n’est pas si ter­rible, au fond, et j’espère que cet article sera abon­dam­ment par­ta­gé sur les réseaux sociaux.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.