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Et si on donnait la parole aux réfugiés ?

Blog - e-Mois par David Crunelle

septembre 2015

Inva­sions sau­vages, hordes de migrants, afflux ingé­rable pour la Bel­gique, menace pour notre sacro-sainte civi­li­sa­tion… Ces der­niers jours, j’ai lu tout et n’importe quoi sur la ques­tion de l’accueil des réfu­giés qui viennent frap­per à notre porte. Pour en avoir le cœur net, accom­pa­gné de David Cru­nelle, nous sommes allés voir de nos propres yeux la situa­tion de ces deman­deurs d’asile qui se massent devant l’Office des étran­gers à Bruxelles. But de la démarche : prendre le temps de ren­con­trer les gens, écou­ter les his­toires qu’ils veulent bien nous racon­ter, sai­sir la réa­li­té du ter­rain et la res­ti­tuer telle que nous l’avons vécue. 

e-Mois

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Ven­dre­di 3 sep­tembre, 10h30. En par­cou­rant les larges ave­nues du quar­tier très « cor­po­rate » de la gare du Nord, à l’ombre des immenses tours de bureaux, dif­fi­cile d’imaginer qu’à quelques mètres de là se jouent des scènes qu’on n’aurait jamais cru pos­sibles sur le sol belge : des cen­taines de can­di­dats réfu­giés, amas­sés dans des tentes mon­tées en catas­trophe grâce à l’aide de béné­voles, au milieu d’un parc Maxi­mi­lien dont on n’aura fina­le­ment jamais autant parlé.
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Le contraste est sai­sis­sant. Dans le parc, par 12 ou 13 degrés, les réfu­giés font la file les pieds dans la boue, à la recherche d’un man­teau ou d’une paire de chaus­sures étanches. Les béné­voles sont nom­breux. Ils récep­tionnent les dons, trient, stockent et dis­tri­buent. D’autres montent des tentes, s’improvisent tra­duc­teurs ou cui­si­niers. Le port des gants est de rigueur. La rumeur s’est vite répan­due : des cas de gale auraient déjà été détec­tés. C’est que, avant la mobi­li­sa­tion mas­sive pour struc­tu­rer ce camp, les can­di­dats réfu­giés étaient aban­don­nés à leur propre sort : ils dor­maient à même le trot­toir devant l’Office des étran­gers. Sans toi­lettes, il fal­lait bien faire ses besoins quelque part. Donc dans le parc… Sans inter­ven­tion urgente, la situa­tion déjà dif­fi­ci­le­ment sou­te­nable de ces deman­deurs d’asile pour­rait rapi­de­ment dégé­né­rer en crise sani­taire et huma­ni­taire. Les rats ne tar­de­ront pas à rap­pli­quer, les épi­dé­mies risquent de se réga­ler sur ces corps affai­blis par un voyage qui a sou­vent duré plu­sieurs semaines, dans des condi­tions que l’on trou­ve­rait déjà into­lé­rables pour du bétail.

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En regar­dant droit devant soi, on se croi­rait plon­gé dans ces camps du Liban ou de Syrie. En levant la tête, la réa­li­té vous frappe en plein visage. D’un côté le siège d’Electrabel, tour vitrée dans laquelle se reflètent les arbres du parc. De l’autre, la Tour Upsite cen­sée incar­ner le renou­veau du quar­tier du Canal, « déjà dis­po­nible à par­tir de 325.000 euros hors TVA pour un appar­te­ment une chambre ». Cette catas­trophe huma­ni­taire en deve­nir se déroule bel et bien au cœur de la capi­tale de l’Europe, en 2015, entre son quar­tier d’affaires et celui en pleine phase de gen­tri­fi­ca­tion. Les images sont dures lorsqu’elles viennent d’Irak. Sont-elles plus per­cu­tantes lorsqu’on les observe du tren­tième étage ? Une chambre avec vue sur la guerre, ça vaut combien ?

Chambre avec vue sur la guerre

Face à l’overdose de véri­tés et contre-véri­tés sur les réfu­giés, nous vou­lons com­prendre qui ils sont, d’où ils viennent, ce qu’ils ont endu­ré, ce qu’ils cherchent, com­ment se passe réel­le­ment un tel périple. Nous vou­lons des his­toires, pas des images choc. Nous repé­rons des jour­na­listes avides de sen­sa­tion­na­lisme. L’un demande à un réfu­gié de lever sa che­mise pour pou­voir fil­mer les cica­trices lais­sées par le voyage. Pas de ça pour nous.

Les pre­miers contacts sont assez dis­tants. On com­mence avec un Mau­ri­ta­nien qui nous explique qu’il a eu plus de chance que les autres : il détient le fameux ticket qui lui per­met­tra d’être reçu dès lun­di à l’Office des étran­gers. Son dos­sier pour­ra être rapi­de­ment exa­mi­né, pense-t-il. Mais dès que nous pro­po­sons de le prendre en pho­to, il hésite, bien que tou­jours sou­riant. « Déso­lé les gars, mais j’ai appris à me méfier de tout le monde. »

Pour les autres entre­tiens, nous deman­dons l’accompagnement d’une tra­duc­trice par­mi les bénévoles. 

Nous mar­chons à peine un mètre et déjà deux réfu­giés ira­kiens acceptent de nous répondre. Haï­der a 37 ans. Il est marié et a cinq enfants. Il a fui son pays lorsque sa mai­son a été rasée dans un bom­bar­de­ment. Jusqu’alors, il tra­vaillait depuis qua­torze ans dans une petite socié­té d’aménagement inté­rieur. Le vil­lage est main­te­nant en ruine, il fau­dra tout recons­truire avant qu’il puisse retrou­ver du travail. 

Une traversée trop dangereuse pour la famille

La famille d’Haïder est res­tée au pays : « Ma femme et mes enfants vivent actuel­le­ment avec mes parents. La situa­tion sur place est très dif­fi­cile. Nous subis­sons chaque jour les inti­mi­da­tions et les humi­lia­tions. Dans ce régime de la ter­reur, impos­sible de retrou­ver un tra­vail sans devoir col­la­bo­rer avec ceux qui nous humi­lient (NDA : et qu’il évite soi­gneu­se­ment de citer nom­mé­ment). On veut donc venir en Europe pour tra­vailler dans des condi­tions de res­pect de nos droits humains. Mais faire le voyage avec la famille, c’est beau­coup trop dan­ge­reux. Mon but, c’est d’obtenir des papiers ici, apprendre la langue et tra­vailler. Je pour­rai alors envoyer de l’argent à ma famille pour les aider. »

À ses côtés, Yas­sin, lui aus­si 37 ans, confirme les dan­gers du voyage entre l’Irak et la Bel­gique. « Il m’a fal­lu quatre semaines pour arri­ver ici, entre les bateaux, les tra­jets à l’arrière de four­gons fer­més et les tra­ver­sées à pied. » Yas­sin est le pre­mier à nous par­ler d’argent. Envi­ron 3.000 euros pour tra­ver­ser la mer Egée entre la Tur­quie et la Grèce. À ce tarif, on com­prend mieux aus­si pour­quoi ces hommes sont venus seuls.
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La misère du monde ?

Le prix du voyage balaie éga­le­ment l’argument de ceux qui s’étonnent de voir ces « soi disant pauvres réfu­giés » l’oreille col­lée à un iPhone ou déam­bu­lant dans une paire de Nike. Les Ira­kiens les plus pauvres sont res­tés là-bas, ils crèvent sous les bombes. Les réfu­giés, c’est la classe moyenne, ceux qui ont ou avaient un job, ont sui­vi des études et ont les moyens de débour­ser de telles sommes. Leur télé­phone por­table, c’est leur seul moyen de don­ner des nou­velles à la famille, mais aus­si de s’informer sur les com­bines pour tra­ver­ser une fron­tière. Dès qu’on a com­pris ça, on est moins éton­né de ren­con­trer des can­di­dats réfu­giés qui nous demandent si on peut leur envoyer leurs por­traits via Face­book, Viber ou What­sapp. Le Belge moyen avait peut-être lou­pé l’épisode du déve­lop­pe­ment éco­no­mique qui ne s’est pas arrê­té à nos fron­tières. Il s’attendait sans doute à les voir arri­ver à dos de cha­meau, en gue­nilles, c’est raté. « Accep­ter toute la misère du monde » comme on l’entend sou­vent ? Mais de quelle misère parle-t-on au juste ?

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Plus loin, d’autres Ira­kiens nous rejoignent, la conver­sa­tion s’anime. À la méfiance des débuts suc­cède désor­mais le besoin de par­ta­ger l’histoire. « Tu dois racon­ter com­ment on arrive ici, tu dois leur dire qui sont ces gens qui nous entassent dans des bateaux pour­ris. » Tou­jours en arabe, les dis­cours deviennent plus longs, plus char­gés en émo­tion aus­si. La voix est plus tran­chante, le regard plus déci­dé. La tra­duc­trice blê­mit, leur demande de répé­ter plu­sieurs fois pour être sûre d’avoir bien com­pris. Elle nous explique : ceux-là ne veulent pas de pho­tos, ne veulent pas être cités nom­mé­ment, ne veulent pas qu’on puisse les recon­naître. Pour­quoi ? Parce qu’avec ce qu’ils nous racontent, ils craignent les repré­sailles. Les pas­seurs sont une mafia, un réseau. Ils craignent de recroi­ser la route de cer­tains d’entre eux, même ici en Belgique.

Ils déballent tout, on relate. Ano­ny­me­ment, mot pour mot.

Sauvés par des pêcheurs

« Pour pas­ser de Tur­quie en Grèce, c’est a prio­ri très simple. Il ne faut même pas cher­cher les pas­seurs, ils viennent à nous, mais on ne les ren­contre jamais per­son­nel­le­ment. Des inter­mé­diaires repèrent les can­di­dats à la tra­ver­sée, pro­posent une affaire à l’un de nous et le bouche-à-oreille fait le reste. C’est un vrai busi­ness. On a donc embar­qué de nuit et on est par­ti. Mal­heu­reu­se­ment, le bateau était en sur­charge et il a com­men­cé à prendre l’eau. Il y avait des enfants avec nous, ils hur­laient. Nous étions tous pris au piège, en pleine mer, dans un bateau en train de cou­ler en pleine nuit, sans lumière. C’est un moment que je n’oublierai jamais. Heu­reu­se­ment, un bateau de pêcheurs nous a repé­rés et ils nous ont rame­nés sains et saufs sur la côte grecque. Sans eux, nous nous serions tous noyés. C’était une expé­rience traumatisante. »

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Coulés par des hommes masqués

« Nous, on a atten­du deux semaines en Tur­quie avant de trou­ver un bateau. Fina­le­ment, on a pu trou­ver une affaire. Il y avait qua­rante per­sonnes dans notre groupe, nous avons payé 1.600 euros par per­sonne pour une tra­ver­sée de nuit. Nous sommes venus au ren­dez-vous en bord de mer, mais per­sonne ne s’est jamais pré­sen­té. Nous n’avons jamais retrou­vé l’homme qui s’est envo­lé dans la nature avec notre argent. Il a empo­ché 1.600 euros de qua­rante per­sonnes, une vraie for­tune. La même nuit, une autre per­sonne — sans doute un com­plice — a pro­po­sé de nous faire tra­ver­ser. Nous avons dû lui ver­ser cha­cun 1.200 euros. Il nous a aus­si arna­qués : il avait pro­mis de vrais bateaux, mais il est arri­vé avec deux Zodiacs qui ont cha­cun embar­qué vingt per­sonnes. On est par­ti à 1 heure du matin, les deux Zodiacs se sui­vaient. En pleine mer, on a croi­sé un bateau. Les membres d’équipage étaient mas­qués. Ils ont per­cé la toile du Zodiac qui nous sui­vait et l’ont cou­lé. Nous étions sur le pre­mier Zodiac, nous avons pu nous échap­per. À 6 heures du matin, nous avons atteint les côtes grecques. Mais nous n’avons plus jamais eu de nou­velles de gens qui se trou­vaient à bord du second Zodiac. Les rumeurs disent que ceux qui coulent les bateaux de réfu­giés sont payés par la Grèce. C’est ce qui se dit par­mi les réfu­giés en tout cas. (NDA : plu­sieurs sites ont rela­té des récits simi­laires, qui à ce stade n’ont jamais pu être véri­fiés for­mel­le­ment.) Quant à l’homme qui nous a volé notre argent avant la pre­mière ten­ta­tive de tra­ver­sée, il par­lait Allemand. »

Changer de fourgon toutes les quatre heures

Nos inter­lo­cu­teurs ira­kiens racontent tous avoir été empri­son­nés pen­dant une semaine à leur arri­vée en Grèce. Le temps semble-t-il de rele­ver leurs empreintes digi­tales et de véri­fier qu’ils ne fai­saient l’objet d’aucun signa­le­ment, avant d’être relâ­chés dans la nature. Ensuite, même scé­na­rio qu’en Tur­quie : des « inter­mé­diaires » s’immiscent par­mi les réfu­giés et pro­posent de ral­lier l’Europe du Nord en camionnette.

Débarqués juste devant l’Office des étrangers

« Il s’agissait plu­tôt de four­gons fer­més, sans fenêtre et sans lumière, dans les­quels nous étions mas­sés. Nous n’avions aucune idée de la des­ti­na­tion. Toutes les quatre heures envi­ron, le four­gon s’arrêtait et nous étions for­cés de des­cendre sans savoir où nous nous trou­vions. Il fal­lait alors attendre qu’un autre four­gon se pré­sente, pour une autre étape de quatre heures. Et ain­si de suite. Il fal­lait par­fois par­cou­rir de longues dis­tances à pied pour ral­lier un autre lieu de ren­dez-vous où nous atten­dait un chauf­feur. Je sais que nous avons tra­ver­sé la Macé­doine, la Hon­grie et l’Autriche. Au bout de sept jours de voyage, le der­nier four­gon s’est arrê­té ici et nous a tous débar­qués juste en face de l’Office des étran­gers. Nous n’avions pas la moindre idée de l’endroit où nous nous trou­vions. Nous avons alors consta­té que notre voyage s’était arrê­té en Bel­gique, mais ce n’était pas un choix déli­bé­ré. Pour moi, peu importe où j’atterrissais. Je vou­lais juste trou­ver un pays qui res­pecte mes droits. Me voi­là donc ici et j’attends main­te­nant de pou­voir intro­duire une demande offi­cielle pour obte­nir des papiers. »

Le récit est éton­nant. Plu­sieurs de ces inter­lo­cu­teurs nous ont confir­mé avoir éga­le­ment été débar­qués direc­te­ment devant l’Office des étran­gers par leur pas­seur. Impos­sible de véri­fier la véra­ci­té de pro­pos qui pour­tant inter­pellent. Nous pour­sui­vons l’entretien et l’un de nos inter­lo­cu­teurs nous inter­rompt : il pointe du doigt un four­gon noir, imma­tri­cu­lé en Bel­gique, qui ralen­tit à hau­teur de l’Office des étran­gers. « C’est ce genre de camion­nette ! », s’écrie-t-il. Le regard du chauf­feur croise le nôtre, il accé­lère et passe son che­min. Pas­seur ou pas ? Impos­sible de le savoir.

Après avoir racon­té cette his­toire à Julien, l’un des coor­di­na­teurs de la pla­te­forme de béné­voles active sur le ter­rain, celui-ci sem­blait tout aus­si sur­pris que nous. Il tem­père tou­te­fois : « Si c’est vrai, c’est gra­vis­sime. Par contre, tous les réfu­giés ira­kiens pré­sents dans le parc Maxi­mi­lien ne sont pas arri­vés ici par hasard. Ils sont nom­breux à avoir choi­si déli­bé­ré­ment la Bel­gique. Ils pensent que c’est ici qu’ils ont le plus chance d’obtenir des papiers. Mani­fes­te­ment, ils n’ont pas été très bien informés. »

Parfaits bilingues

Nos entre­tiens se pour­suivent dans le camp. Un jeune Afghan se pré­sente spon­ta­né­ment… dans un néer­lan­dais qui ferait pâlir de nom­breux ministres fran­co­phones. Abdul Razaq a 23 ans. Il a quit­té l’Afghanistan en 2012, après le mas­sacre de sa famille. Le tra­jet jusqu’ici lui a coû­té 4.000 euros. Il a tran­si­té par l’Iran, la Tur­quie, la Grèce, l’Italie, la France et la Bel­gique. « À part les tra­ver­sées entre la Tur­quie et la Grèce, puis entre la Grèce et l’Italie, je me suis débrouillé sans pas­seur », insiste-t-il.

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Voi­là trois ans qu’Abdul Razaq est en Bel­gique, dans l’attente d’une régu­la­ri­sa­tion. Il s’est joint au mou­ve­ment des réfu­giés du Parc Maxi­mi­lien : « Depuis trois ans, je dors dans les parcs, les gares, les églises. Quand j’ai 2 euros, je vais prendre une douche à la pis­cine. J’ai appris le néer­lan­dais. Je n’attends qu’une chose : obte­nir des papiers. Je pour­rai alors tra­vailler ici. Je n’ai aucune envie de ren­trer en Afgha­nis­tan. Ma vie est ici maintenant. » 

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Un autre groupe de jeunes Afghans s’invite dans la dis­cus­sion… en fran­çais, cette fois ! Le plus âgé a 21 ans. Les autres entre 15 et 17 ans. Tareq, 17 ans, est arri­vé il y a plu­sieurs mois. Comme ses cama­rades, il réside au « Petit Châ­teau », l’un des centres d’accueil de Feda­sil à Bruxelles. Lui a quit­té l’Afghanistan avec sa famille. Mais ces der­niers sont res­tés en Tur­quie, à mi-che­min. Son ave­nir, c’est en Bel­gique qu’il le voit : « Ici, j’apprends la langue, je veux pour­suivre mes études. J’ai tou­jours rêvé d’être poli­cier, alors pour­quoi pas ici en Bel­gique ? Si le métier de poli­cier n’est pas pos­sible pour moi, alors je peux me diri­ger vers d’autres sec­teurs. Tout m’intéresse : l’électricité ou la cui­sine, c’est bon pour moi. » Comme ses cama­rades, un retour en Afgha­nis­tan est incon­ce­vable : « Nous avons fui les menaces de Daech et des Tali­bans. Quand les extré­mistes débarquent dans un vil­lage, les jeunes de notre âge sont enrô­lés de force. Ceux qui refusent sont tués. »

Une richesse pour la Belgique

Zac­ca­ria, 15 ans, est moins à l’aise en fran­çais. Il pro­pose de conti­nuer l’entretien dans un anglais qui nous cloue le bec : « Au Petit Châ­teau, nous sommes bien trai­tés. Nous allons à l’école, on nous apprend la langue. C’est néces­saire pour pou­voir s’intégrer. Notre mes­sage est clair : si la Bel­gique nous accepte, nous les jeunes Afghans, nous vou­lons tra­vailler ici, appor­ter notre contri­bu­tion au pays. Nous sommes une richesse, pas une menace. Mais pour cela, nous avons besoin de papiers. »

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Tous les Afghans que nous avons ren­con­trés déplorent une situa­tion qu’ils trouvent injuste : la Bel­gique peine à recon­naître le sta­tut de réfu­gié pour les Afghans. Dans l’état actuel des choses, leurs demandes ont moins de chances d’aboutir que celles intro­duites par des Syriens par exemple.

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Fuir la guerre en Syrie

Notre ronde se pour­suit avec la ren­contre de Joma’a, un Syrien de 35 ans tout juste arri­vé à Bruxelles avec ses neveux et nièces. Dans les bras, il berce un petit gar­çon de quelques mois emmi­tou­flé dans une cou­ver­ture tout en répon­dant à nos ques­tions. « Nous habi­tions à Homs. Je tra­vaillais dans un labo­ra­toire de soins den­taires, j’avais une bonne situa­tion là-bas. Mais les bom­bar­de­ments ont détruit notre quar­tier. La plu­part de nos amis sont décé­dés. Nous n’avions plus de mai­son. Pour nous, res­ter était deve­nu trop dangereux. »

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Joma’a et sa famille ont emprun­té un iti­né­raire plu­tôt aty­pique pour arri­ver en Bel­gique : via l’Égypte, le Magh­reb, l’Espagne et la France. Pour lui pour­tant, la Bel­gique est un choix de des­ti­na­tion qu’il assume tota­le­ment. « Nous avons déjà de la famille ici », pour­suit-il. Entre l’Espagne et la Bel­gique, le récit de leur par­cours rejoint celui des réfu­giés ira­kiens croi­sés quelques minutes plus tôt : des étapes de quatre heures maxi­mum, agglu­ti­nés dans des four­gons fermés. 

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Voi­là deux heures que nous dis­cu­tons avec les réfu­giés. Hala, notre tra­duc­trice, s’excuse : « Je vais m’écrouler si je ne mange pas. » Nous en res­tons donc là pour les tra­duc­tions. Elle accepte tou­te­fois de nous expli­quer son par­cours. Liba­naise, 26 ans, Hala ter­mine ses études en Bel­gique. Voi­là trois jours qu’elle est pré­sente sur le camp. 

11.jpg« Je ne pou­vais plus sup­por­ter les images de réfu­giés sur les trot­toirs, il fal­lait agir. Je me suis pré­sen­tée spon­ta­né­ment au camp et j’ai pro­po­sé mes ser­vices de tra­duc­tion. » Et pas que… Tout en tra­dui­sant, Hala conti­nue à aiguiller les dons qui arrivent par dizaines. Elle n’a pas une seconde de répit. Il faut dire que les crises huma­ni­taires, elle connaît. En 2006 déjà, elle s’est enga­gée comme béné­vole au Liban pour accom­pa­gner l’afflux de réfu­giés pales­ti­niens qui fuyaient les bom­bar­de­ments. De là à pen­ser que des situa­tions simi­laires – toutes pro­por­tions gar­dées – arri­ve­raient à Bruxelles…

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : une crise huma­ni­taire qui se déroule sous nos fenêtres. On ne peut pour­tant s’empêcher de pen­ser qu’il suf­fi­rait de « quelques minutes de cou­rage poli­tique » pour régler le pro­blème. Sur place, on dénom­bre­rait entre 500 et 1.000 réfu­giés. On est ici loin, très loin, des images de marées humaines incon­trô­lables telles qu’on a pu en voir à Buda­pest. Dans le parc règne un cer­tain calme, pour l’instant. D’ailleurs, un œil non aver­ti pour­rait tout à fait tra­ver­ser ce quar­tier de Bruxelles sans remar­quer ce qui s’y joue. Nous nous atten­dions à trou­ver des réfu­giés par­tout à chaque coin de rue. Pas du tout. Tous res­tent bien confi­nés sur la sur­face qu’ils occupent.

À l’heure où nous quit­tons le parc, les réfu­giés font la file pour obte­nir un sand­wich, un bol de soupe, un fruit ou un thé. De l’autre côté du bou­le­vard, les employés d’Electrabel font aus­si la file. Devant un food­truck garé face à leur bâti­ment. Douce ironie.

Nous espé­rons que ce récit et ces por­traits auront per­mis d’apporter quelques élé­ments de réponse aux ques­tions que se posent (par­fois) à rai­son de nom­breux concitoyens. 

Résu­mons :
 — Pour­quoi tant d’hommes seuls ? Parce qu’ils sont conscients des dan­gers et veulent épar­gner leur famille.
 — Pour­quoi ont-ils des smart­phones der­nier cri et des vête­ments de marque ? Parce que seule la classe moyenne peut se per­mettre de payer les pas­seurs et venir chez nous.
 — Pou­vons-nous accep­ter toute la misère du monde ? Ce n’est pas la misère. Les plus pauvres sont res­tés là-bas et mour­ront sous les bombes.
 — Ne risquent-ils pas d’imposer la sha­ria chez nous ? C’est jus­te­ment ce qu’ils fuient chez eux.

Pour le reste, nous vous lais­sons juger par vous-mêmes.


Après avoir conclu ce récit, quelques pré­ci­sions s’imposent.

Pri­mo, nous tenons à expli­quer pour­quoi aucune femme ne figure dans nos por­traits. Moins nom­breuses que les hommes certes, les femmes sont tou­te­fois bien pré­sentes dans le camp. Ques­tion de culture sans doute, aucune ne se sen­tait à l’aise pour répondre à nos ques­tions ou se faire pho­to­gra­phier. La plu­part s’occupaient des enfants. Nous aurions sin­cè­re­ment vou­lu récol­ter l’un ou l’autre témoi­gnage fémi­nin. Peut-être une pro­chaine fois.

Secun­do, notre visite du camp nous a éga­le­ment sen­si­bi­li­sés sur les besoins urgents humains sur place. Dès le len­de­main, avec plu­sieurs amis, nous y sommes retour­nés pour appor­ter notre aide. Et nous y retour­ne­rons tant qu’on aura besoin de nous. L’impression qui en res­sort est celle d’un joyeux bor­del, qui tient avec des bouts de ficelles, et des béné­voles qui se démènent pour assu­mer des mis­sions qui devraient nor­ma­le­ment être celles de l’État.

Ter­tio, l’afflux chao­tique de dons pose un vrai pro­blème d’organisation dans le camp du parc Maxi­mi­lien. Chaque jour, de nou­veaux besoins spé­ci­fiques se font res­sen­tir. Mais il est impos­sible de les anti­ci­per. Si vous sou­hai­tez appor­ter votre aide, plu­sieurs pages Face­book recensent, pra­ti­que­ment heure par heure, les appels aux dons et aux bénévoles :
Le point d’info : Aide aux réfugiés
La Pla­te­for­me­ci­toyenne de sou­tien aux réfugiés

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David Crunelle


Auteur